271_Acad_ lettres_Que - Secrétariat à la politique linguistique

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271_Acad_ lettres_Que - Secrétariat à la politique linguistique
Académie des lettres du Québec
4070, rue Saint-Hubert Montréal (Québec) H2L 4A8
Président Jean Royer Tél.: (514) 525-1808 Fax: (514) 525-9945
Courriel: [email protected]
La langue de l’écrivain
Mémoire de l’Académie des lettres du Québec
proposé à la Commission des États généraux
sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec
et présenté par
Jean Royer, président,
Denise Desautels, vice-présidente,
André Ricard, secrétaire général.
Ont aussi collaboré à la préparation de ce texte : André Brochu, Louise Dupré, Naïm Kattan, Monique LaRue,
Claude Lévesque, Réginald Martel, Edmond Robillard, membres de l’Académie, ainsi que le professeur Jacques
Allard.
Montréal, le 1er mars 2001
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L’Académie des lettres du Québec
L’Académie des lettres du Québec a pour mission de servir et défendre
la langue, la culture d’expression française et la place de la littérature dans notre
société.
Fondée en 1944 sous le nom d’Académie canadienne-française, elle est
la première institution d’un Québec moderne à jouer les rôles d’un futur Office
de la langue française et d’un éventuel ministère de la Culture. Notre Académie
est issue des besoins de la culture et de sa maturation vers ce qu’on a appelé la
Révolution tranquille. Depuis plus d’un demi-siècle, l’Académie canadiennefrançaise, devenue en 1992 l’Académie des lettres du Québec, incarne la
défense de la langue française et illustre, par les œuvres de ses membres élus, la
littérature du Québec et celle du Canada français.
Quand, le 9 décembre 1944, Victor Barbeau et une quinzaine
d’intellectuels et d’écrivains ont fondé cette Académie, ils ont affirmé leur
confiance en l’avenir de la culture québécoise, de sa langue et de sa littérature.
Ces femmes et ces hommes, qui se nommaient Rina Lasnier, Alain
Grandbois, Philippe Panneton dit Ringuet, Guy Frégault et Robert
Charbonneau, entre autres, avaient le goût des commencements. Victor
Barbeau et sa génération ont voulu placer le Québec dans son histoire, dans sa
langue et sa littérature. En fondant une institution nationale, dont la raison d’être
est de résister au temps, ils ont vu grand. Ils ont réaffirmé que notre langue
française avait une raison de vivre en Amérique. Ils ont illustré l’existence d’une
littérature, canadienne-française puis québécoise, qui avait le droit de
s’épanouir à part entière dans la francophonie.
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Depuis plus d’un demi-siècle, notre Académie a vu défiler en son sein
plus d’une soixantaine d’intellectuels et d’écrivains qui ont cru en notre
existence française et littéraire au Québec. Qu’il suffise ici d’en nommer
quelques-uns, afin d’illustrer l’évolution de notre culture à travers les
décennies : Robert Choquette, Roger Duhamel, Fernand Dumont, Jean ÉthierBlais, Germaine Guèvremont, François Hertel, André Laurendeau, Simone
Routier et Paul Toupin. Quant aux académiciens d’aujourd’hui, ils représentent
bien le large panorama de notre vie culturelle et littéraire, de Nicole Brossard à
Yves Beauchemin et Antonine Maillet, d’André Brochu à Louis Caron, de
Jean-Louis Gagnon à Jean-Pierre Duquette, de Madeleine Gagnon et Monique
LaRue à Naïm Kattan et Réginald Martel, de Louise Dupré et Pierre Nepveu à
Marcel Dubé et Marcel Trudel, de Madeleine Ouellette-Michalska et André
Brochu à Claude Lévesque et Jean-Pierre Wallot, de Marie-Claire Blais à Émile
Ollivier et Gérald A. Beaudoin, d’Edmond Robillard à Hubert Reeves, entre
autres.
Si l’on recense les principaux animateurs de l’Académie depuis sa
fondation, il faut mentionner, en plus de Victor Barbeau, Philippe Panneton,
Marie-Claire Daveluy, Roger Duhamel, puis Jean-Guy Pilon, Fernande SaintMartin et Jean-Pierre Duquette, qui ont installé l’Académie dans l’institution
littéraire à partir de 1982. L’équipe actuelle, que je préside, est en poste depuis
1998.
La défense de la langue
Qu’a fait l’Académie depuis cinquante ans et plus ? Elle n’a jamais
abandonné le rôle qu’elle s’était donné de défendre la langue française. Les
actions de l’Académie en ce sens ont varié selon les époques, mais sont
toujours restées fidèles aux préoccupations de l’institution.
Le souci de codification et de protection de la langue locale apparaît dès
les premières activités de l’Académie. On tient même des séances consacrées
exclusivement à la discussion de questions linguistiques. En 1947, les
académiciens sont d’accord avec un représentant de l’Académie française pour
conserver l’archaïsme “noirceur ”, au sens de “ténèbres, obscurité ” où il est
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encore utilisé au Québec, tel que le souligne aujourd’hui le Dictionnaire
historique de la langue française édité par Alain Rey.
Les académiciens s’attacheront également à préciser successivement
certains noms de lieux de villes et de provinces, de titres et métiers, d’actions
ou d’activités quotidiennes et de gentilés. Ainsi choisira-t-on les mots “sou ”,
“canadien-français, “Québécois ” avec un “c ” et non dans l’orthographe qui
introduirait le “qu ” (“Québecquois ” ou “Québéquois ”).
Ce travail de codification, l’Académie le poursuivra dans son Bulletin de
linguistique, qui atteindra plus de 15 000 lecteurs à la fin des années cinquante.
En 1955, elle mène une enquête sur le français parlé dans les maisons
d’enseignement secondaire et en fait rapport aux évêques et aux supérieurs
provinciaux des ordres d’enseignants. Jusqu’en 1962, l’Académie instaure un
concours de composition française pour les élèves de l’enseignement
secondaire, c’est-à-dire des quatre dernières années du cours classique
collégial.
Les interventions des académiciens pour la défense de la langue se
porteront également sur le terrain social et politique. En 1955 et 1956, le R.P.
Louis Lachance insiste auprès du Conseil de l’Instruction publique pour qu’on
enquête sur la question de l’anglicisation des enfants néo-canadiens. Au début
des années soixante, l’Académie peut adresser à tous les membres du Conseil
de l’Instruction publique et au ministre des Affaires culturelles du Québec, M.
Georges-Émile Lapalme, son rapport sur l’anglicisation des enfants néocanadiens. Cette action de l’Académie, entre 1955 et 1962, a certes été d’une
vigilance unique et d’avant-garde, en pleine euphorie de la Révolution
tranquille.
Sous la présidence de Jean-Guy Pilon, en 1982, l’une des premières
activités de l’Académie renouvelée sera justement un débat public concernant
la féminisation des titres et fonctions, ce qui remet l’Académie sur la carte de la
vie culturelle du Québec.
Puis, en 1986, au moment où le gouvernement de Robert Bourassa veut
adoucir la Loi 101 et assouplir les contraintes de l’affichage unilingue,
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l’Académie intervient vigoureusement pour prier le gouvernement de respecter
l’esprit et les objectifs de la Charte de la langue française, ainsi que de maintenir
et de renforcer les organismes chargés de la faire respecter. Les académiciens
insistent aussi pour que le gouvernement prenne les moyens qui s’imposent
afin de sauvegarder le visage français de Montréal. Cependant, trois ans plus
tard, des compressions budgétaires du gouvernement Bourassa feront
disparaître trente pour cent des moyens et effectifs de l’Office de la langue
française. Ce qui n’empêche pas les académiciens de clamer leur inquiétude
devant l’entrée en vigueur du Traité de libre-échange avec les Etats-Unis et
d’inviter le gouvernement québécois à être plus vigilant que jamais sur le plan
de la langue.
En 1992, l’Académie s’opposera au mouvement de réforme de
l’orthographe qui aura une certaine popularité en France et le bureau de
direction fera parvenir un dossier sur le sujet à chacun des membres de la
compagnie. En 1993, les académiciens ont protesté contre la “démagogie ” du
Dictionnaire québécois d’aujourd’hui de Robert, arguant que ses auteurs ont
manqué de rigueur dans la définition de certains mots du langage populaire.
Une importante polémique s’ensuivit dans nos journaux. Comme quoi la langue
reste un sujet brûlant au Québec.
En 1994, l’Académie des lettres du Québec appuie l’Académie Royale
de Langue et Littérature françaises de Belgique contre l’Académie française et
son secrétaire perpétuel, Maurice Druon. Cette dernière institution a protesté
auprès de l’Académie belge contre un guide de féminisation des métiers et
titres publié par le Conseil supérieur de la Communauté française de Belgique
“pour adapter le français aux réalités modernes et à l’égalité des sexes ”.
L’Académie belge soutient cette mesure. Elle est appuyée officiellement par
l’Académie des lettres du Québec.
En 1998, notre Académie a tenu à souligner de nouveau son désaccord
avec l’attitude exacerbée de Maurice Druon, au sujet de la féminisation des
titres et fonctions réclamée par quatre femmes ministres du gouvernement de
Lionel Jospin. Nous avons réaffirmé que le français est une langue vivante et
vigoureuse, “parfaitement capable de s’adapter à l’évolution de la société ainsi
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qu’à l’élargissement de son territoire, en mettant de l’avant ses forces les plus
vives et les plus innovatrices ”.
Rappelons aussi qu’il y a une dizaine d’années l’Académie des lettres du
Québec a organisé, de concert avec les principales associations d’écrivains du
Québec, un important colloque dont le thème était “La place de la littérature
dans l’éducation ”. Comme nous le verrons plus loin, ce colloque concernait
intimement la situation et l’avenir de la langue française au Québec.
Enfin, signalons que notre Académie a organisé ces derniers mois, en
octobre 2000 à Montréal et en février dernier à Québec, son colloque intitulé
“La langue française et nous ”, auquel ont participé des écrivains, des linguistes
et des professeurs, ainsi que la présidente du Conseil de la langue française,
Mme Nadia Bredimas-Assimopoulos, et la présidente du Conseil supérieur de
l’Éducation, Mme Céline Saint-Pierre. Ce colloque, qui a attiré un public
nombreux, tant à Québec qu’à Montréal, était la contribution de l’Académie
des lettres du Québec à la réflexion actuelle sur la situation et l’avenir du
français au Québec.
Ainsi notre Académie n’aura jamais cessé en cinquante ans de tenir son
rôle quant à la défense de la langue et de la littérature. Pour ce faire, elle a su
également rester en contact avec la vie culturelle du Québec et l’ensemble de la
francophonie.
La langue de l’écrivain
L’Académie des lettres du Québec veut affirmer aujourd’hui devant cette
Commission des États généraux que la langue française au Québec est aussi
celle de l’écrivain et que, sans un retour à la littérature dans l’enseignement et
dans les médias, la langue de tout un peuple sera en perdition.
“L’écrivain est indispensable à la langue ”, nous rappelle la romancière
Monique LaRue, membre de notre Académie, dans un texte paru dans
l’ouvrage du Conseil de la langue française intitulé La langue française au
Québec. 400 ans d’histoire et de vie, une somme indispensable à la
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connaissance de l’évolution de la langue au Québec et dont il faut promouvoir
la lecture dans tous les milieux québécois et francophones. (1)
“Un écrivain, ce n’est pas un auteur, c’est une écriture, poursuit
Monique LaRue, une utilisation particulière du lexique, de la syntaxe et de la
musique, d’une langue naturelle en rapport avec la pression du sens. ” En fait,
l’écrivain n’a pas le même rôle à jouer que tout le monde dans le champ du
langage. Il doit s’arracher à la langue commune de communication pour la
réinventer. Pour garder la langue vivante, l’écrivain prend le risque de
déconstruire les lieux communs, les clichés, les langues de bois et les jargons
professionnels arrivant ainsi à la part humaine du langage de chacun contre la
langue banalisée du groupe. Cette tâche de passer le langage à la moulinette
n’est remplie par aucun autre art et rend la littérature irremplaçable, nous
rappelle Monique LaRue.
“L’écrivain, poursuit la romancière, est le gardien non pas d’un état ou
d’un autre de la langue, mais de l’essence de la langue où réside ce pouvoir de
nommer, de faire exister, qui est celui de la création. ” C’est en ce sens que
l’écrivain, par ses œuvres, ajoute au fonds collectif.
Un autre écrivain, membre lui aussi de notre Académie, le romancier
d’origine haïtienne Émile Ollivier, vous dira que “les écrivains de l’exil sont des
joueurs de langue ”. L’écrivain, dit-il, s’installe au cœur du langage, il “doit
délaisser la langue à usage utilitaire, la langue courante pour s’installer sur un
territoire qui, au point de départ, se présente comme une terra incognita qu’il a
le devoir d’explorer avec sa propre sensibilité, sa propre voix. ” (1)
Mais attention, lancera Émile Ollivier : “les langues sont mortelles ”.
“Elles peuvent, semblables à un astre vieilli, perdre de leur éclat, claudiquer,
devenir exsangues et être reléguées au grenier des vieilleries si rien ne vient les
étayer. ” De même, ajoutera Monique LaRue, “sans le retournement stylistique
que lui fait subir l’écrivain, fût-elle conservée à prix d’or, la langue se momifie.
La disparition de la littérature menacerait donc la langue. Elle la menace … ” (1)
Pour l’essayiste et romancier Naïm Kattan, un autre membre de notre
Académie, qui est passé de l’Orient à l’Occident et qui, né dans la langue
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arabe, a choisi de vivre et d’écrire en français à Montréal, plus qu’un choix
politique la langue est l’expression de l’être. Dans un article récent écrit pour la
revue Relations, Naïm Kattan a expliqué que si le français est la langue de la
majorité au Québec, il en est ainsi la langue commune obligée, sans
discrimination pour les autres langues parlées, mais pour tenir ensemble la
société québécoise. “Un groupe majoritaire, héritier d’une tradition, convie tous
les autres à partager cet héritage en y ajoutant les leurs dans un mouvement
commun. ” Une culture, cela se construit et s’invente tous les jours grâce à la
participation de tous “dans une volonté commune de vie et
d’épanouissement ”, conclut Naïm Kattan. Pour cet écrivain juif de langue
arabe, né en Irak, le français fut une révélation puis un don, un cadeau de sa
traversée des cultures. Car, dira encore Naïm Kattan, la langue nous garde en
contact avec les siens mais aussi avec le monde, avec son être et son devenir,
avec ses origines et son avenir. “Le français, écrit Naïm Kattan, m’a ouvert la
porte d’un monde autre sans que j’aie à renier le mien. ” (1)
Ainsi la langue de l’écrivain nous donne la leçon de l’être en devenir, la
leçon d’une langue et d’une culture à conquérir pour soi afin de se relier au
monde. Si nous existons pour nous-mêmes, nous saurons mieux que les autres
existent. Si nous possédons notre langue, c’est-à-dire notre façon d’être au
monde et de l’exprimer, nous saurons mieux d’où nous venons, qui nous
sommes et ce que nous avons à devenir.
Redonner à la littérature sa place dans l’éducation
En 1990, à l’occasion du Colloque de l’Académie des lettres du Québec,
une centaine de personnes membres des différentes associations d’écrivains du
Québec demandaient au ministère de l’Éducation du Québec de redonner à la
littérature sa place dans l’enseignement. Constatant “l’échec de l’enseignement
du français dans le système scolaire québécois ”, les écrivains demandaient au
ministère de réviser sa pédagogie “afin d’assurer la continuité de la littérature
québécoise ” et dans le souci de conserver sa qualité à la langue nationale ”.
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“La seule manière de réussir l’éducation moderne, démontrait l’essayiste
Jean Larose dans la communication inaugurale de ce colloque, serait de faire
l’éducation littéraire. L’école de la littérature dépasse toutes les autres. ”
“De plus, ajoutait Jean Larose, la littérature nous éloigne de la tyrannie du
moi et permet d’accueillir l’autre en soi. Elle est la gardienne des
métamorphoses, la clef du changement des formes et le champ de bataille des
libertés contre l’intolérance et les abus de pouvoir. ” (2)
Et si la langue était la porte d’entrée d’une culture générale, il faudrait
penser à protéger la culture québécoise de façon plus directe, en passant
spécialement par la littérature, qui est l’outil principal de mise en valeur de la
langue française. La culture québécoise ne peut s’enraciner que si on protège et
diffuse une littérature forte, la nôtre particulièrement, dans laquelle les
Québécois se reconnaîtront et apprendront à connaître et à aimer leur langue.
Nous avons maintenant une tradition littéraire, reconnue à l’étranger. Les
écrivains québécois sont invités sur les autres continents et leurs œuvres sont
enseignées dans un grand nombre de pays. Certains de nos écrivains se
comparent aux grands auteurs des vieilles cultures. Cependant, force nous est
de constater que le public québécois connaît peu sa littérature.
Or, nos propres programmes d’enseignement accordent une place
minime à la littérature québécoise. De sorte que les étudiants qui arrivent au
niveau collégial n’ont souvent jamais lu d’œuvres québécoises. Et la réforme
du programme collégial, qui a diminué le nombre de cours consacrés à la
littérature québécoise, les tient dans cette ignorance. Comment concevoir
qu’une population qui ignore sa littérature produise et développe une culture
florissante dans une langue de qualité ?
Que se passe-t-il dans nos maisons d’enseignement ? Quel est le vrai
désir de nos gouvernants quand ils interviennent dans ces lieux-là, à
l’aveuglette, sans comprendre que l’avenir s’y prépare, sans comprendre que
c’est avec de la pensée – et des modèles sans aucun doute – qu’on crée de la
pensée et, au bout du compte, cette passion pour une langue riche, précise,
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nuancée, capable d’exprimer tous les aspects, même les plus infimes et les plus
complexes du réel ?
Un retour à la lecture du texte littéraire dans l’enseignement est
fondamental pour l’apprentissage de la langue française. Cependant, les savoirs
nécessaires à cette lecture sont de moins en moins transmis, ici et ailleurs dans
le monde, mais ici particulièrement en raison de notre situation.
À l’Académie des lettres du Québec, nous pensons que l’enseignement
de la langue, à tous les niveaux, devrait être confié à des lettrés et non pas
uniquement aux pédagogues, comme c’est de plus en plus le cas. C’est la seule
manière d’assurer la survie de la littérature dans l’enseignement. Ce serait aussi
une façon d’assurer la survie d’un bon nombre d’écrivains ou de personnes qui
s’intéressent assez à la littérature pour l’étudier à l’université et dont
l’enseignement demeure le débouché essentiel.
Au ministère de l’Éducation, depuis plus de vingt ans, on a mis de côté
l’enseignement de la langue par la littérature, à laquelle on a préféré ce qu’on a
appelé la langue de la communication. Nos fonctionnaires et nos pédagogues,
en ignorant la littérature, ont prôné l’enseignement de la langue sur la base de
communiqués de presse, de slogans publicitaires ou de chansons populaires.
Mais la langue comme véhicule de communication de masse vise le plus bas
dénominateur commun. Ce n’est pas avec l’analyse d’un communiqué de
presse qu’on va inculquer à des adolescents une langue personnelle, une
structure et une culture générale qui les rendent sensibles aux autres cultures.
En ce qui concerne l’enseignement de la langue, le seul objectif de la
communication ne risque pas de donner une culture générale forte à l’individu
ni une démocratie forte à une société. Le plus bas dénominateur commun, qui
semble le rêve des technocrates et qui est, en fait, une motivation des
politiciens électoralistes, nous conduit tout droit à la perte de la qualité du
français au Québec. La perte de la langue dans sa qualité et dans son avenir
culturel. Car la langue est le moteur fondamental d’une culture. Mais que
signifierait l’indépendance du Québec, sans la protection et le développement
de notre culture ?
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Par quel pragmatisme nos technocrates ont-ils choisi, dans
l’enseignement de la langue, de remplacer le poème et la littérature par
l’apprentissage du communiqué de presse, de la publicité et de la langue de
bois ?
La langue de la communication, même si elle cultive l’élégance, n’est pas
une langue littéraire, mais son ersatz, souvent fondé sur la litote, l’ellipse, le
raccourci, le sous-entendu et le lieu commun. La langue de communication
n’est pas nécessairement la langue d’une pensée en mouvement. Elle risque de
tendre vers une vision partielle et souvent partiale de la réalité. Le journaliste
doit faire vite et en direct. Tout comme l’auteur de chanson doit émouvoir de
façon immédiate.
Le poète et l’écrivain, de leur côté, travaillent dans toute l’étendue de la
langue, ils la renouvellent, la réinventent pour créer la forme qui dure et qui
pense en même temps qu’elle émeut. La littérature, c’est la langue qui va au
bout des possibilités de la pensée et de l’expression.
C’est pourquoi l’apprentissage de la langue s’est toujours fondé sur le
poème, la fable et le conte. Le texte littéraire suscite un véritable apprentissage
de la langue. Dans l’ancien système d’éducation, les élèves du primaire et du
secondaire lisaient des comptines, des poèmes et des contes qui illustraient les
formes de la langue française, ses rythmes, sa sémantique, son invention, sa
mémoire du monde, sa traversée des cultures et sa créativité. Lisant Villon,
Rutebeuf, La Fontaine, Nelligan, Anne Hébert ou Saint-Denys-Garneau et des
poètes contemporains, l’adolescent fait aussi l’apprentissage d’un langage
personnel à développer. En possédant le poème ou la fable, par cœur et par
analyse, il possède sa langue et fait l’apprentissage des rudiments d’un langage
personnel. C’est par la langue qu’on fait l’expérience de l’appartenance à un
groupe. C’est en possédant sa langue qu’on sait qui on est, où l’on est. C’est
par sa langue que le Québec a survécu durant plus de trois siècles, puis a
conquis sa modernité. D’ailleurs, la langue, c’est tout ce que nous avons
conquis, par nos œuvres littéraires. Mais on est en train de céder du terrain
dangereusement.
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Le journal La Presse du 26 février 2001 nous apporte une singulière
révélation. On y apprend que, selon une étude du ministère de l’Éducation, les
écoliers du Québec produisent des textes “plus clairs et mieux structurés qu’il
y a quinze ans, mais leur connaissance de la langue n’a pas progressé d’un iota
durant cette période ”. Progrès quant au fond, dit-on, mais non quant à la
forme.
C’est à n’y rien comprendre. Comment une forme déficiente peut-elle
assurer la qualité du fond, sa clarté et sa cohérence ? Forme et fond sont des
variables indissociables, dont la convergence est essentielle.
L’étude du ministère de l’Éducation vient à point nommé rappeler
l’importance toute première de la langue à l’école, s’il est vrai qu’on veut
s’intéresser sérieusement à “l’avenir de la langue française au Québec ”.
Nous pensons que cet avenir est intimement lié à l’apprentissage de la
langue française, une langue qui soit lisible et audible dans l’ensemble de la
francophonie. Tel apprentissage passe par un enseignement normatif, qui met
en valeur à la fois l’orthographe, le vocabulaire, la grammaire et la phonétique.
Il faut pour cela former les instituteurs et exiger d’eux une pratique
linguistique conforme au français dit standard, ce qui n’interdit certes pas le
recours aux mots qui décrivent la réalité singulière dans laquelle vivent les
francophones d’Amérique du Nord ; créer des programmes de français conçus
de manière à garantir à tous les élèves une connaissance suffisante de toutes les
dimensions de la langue écrite et parlée.
La littérature est la manifestation la plus pertinente – parce qu’elle est du
ressort de l’art – de l’expression linguistique des peuples. Il nous paraît
essentiel que les écoliers du Québec soient en contact continu et systématique
avec les œuvres issues de la grande famille francophone, avec une insistance
particulière sur les œuvres du Québec et du Canada français.
Aussi faut-il encourager la lecture comme activité scolaire et faire de
l’étude des œuvres un élément central de l’enseignement du français. On doit
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en conséquence assurer une plus grande visibilité des œuvres dans les
bibliothèques scolaires et dans les programmes d’enseignement du français.
Occuper le territoire de notre culture
En somme, il faut occuper le territoire de notre culture, tant à l’école que
dans l’ensemble de la vie sociale. Il faut rendre attrayante et désirable toute
l’expression langagière et littéraire des Québécois dans toute la vie culturelle.
L’avenir de la langue française au Québec est à ce prix.
Du côté de l’école, il faut cesser de niveler par le bas ; plutôt faire des
enseignants un corps d’élite prestigieux, aussi important que les médecins et les
autres professionnels, et les former en conséquence. Il faut donner
obligatoirement à tous les futurs enseignants de l’élémentaire et du secondaire
une formation littéraire et linguistique, en les initiant à la grammaire, à
l’explication de texte et à l’histoire de la langue française au Québec. Il faut
mettre en lecture et à l’étude les textes québécois d’auteurs classiques ou
contemporains reconnus, en les situant dans leur contexte historique global. Il
faut rendre aussi plus disponibles dans les bibliothèques scolaires les œuvres
de notre littérature.
Dans l’édition, il faut davantage subventionner la diffusion, à côté de la
publication, afin que les éditeurs québécois puissent se donner une visibilité
plus grande pour les œuvres littéraires.
Le gouvernement doit aussi soutenir les écrivains québécois, en
établissant pour eux un régime sans impôts, comme on le fait en Irlande, par
exemple. Il ne s’agit pas seulement de subventionner les éditeurs dans un petit
marché, il faut aussi soutenir les écrivains qui produisent la littérature. Et ce,
par diverses mesures inspirées des pays scandinaves, qui sont de même taille
que le Québec et qui ont choisi de protéger leur langue, leur littérature et leur
culture en protégeant leurs générations d’écrivains.
Du côté médiatique, il faut absolument faire de Télé-Québec une priorité,
augmenter son budget et y produire des émissions dynamiques d’intérêt
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culturel consacrées à l’histoire, aux idées et aux livres qui en sont le support
naturel.
Il faut aussi créer une chaîne radiophonique culturelle, c’est-à-dire un
réseau de Radio-Québec qui tienne compte de l’ensemble de la culture du
territoire. Au début des années 1970, au moment où Jean-Paul L’Allier était
ministre des Communications, l’idée d’un réseau Radio-Québec avait été
étudiée et considérée comme faisable. Mais le premier ministre Robert
Bourassa avait stoppé le projet au Conseil des ministres. Il est temps de
reprendre cette idée, dans le Québec de 2001 aspirant à la souveraineté
culturelle.
Radio-Québec pourrait se donner une programmation fondée sur
l’histoire et la culture du Québec dans la compréhension de nos rapports à
l’Amérique et au reste du monde. Il faut mettre le Québec et sa culture en
vedette, mais toujours dans un contexte global et particulièrement francophone,
en tenant compte sans réserve des communautés canadiennes-françaises de
l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de l’Ouest du Canada. Car
l’indépendance culturelle et politique du Québec n’aurait pas de sens, s’il nous
fallait abandonner à leur sort les autres communautés de langue française.
La reconnaissance officielle de l’Académie
Enfin, signalons que, malgré un demi-siècle de service et de vigilance,
l’Académie des lettres du Québec n’a pas de statut officiel reconnu par l’État
québécois. Ainsi, par exemple, l’Académie n’a pas les moyens de se payer un
local et d’avoir pignon sur rue. Doit-on y voir le symbole d’une certaine
négligence du gouvernement envers la situation et l’avenir de la langue française
au Québec ? Pourquoi l’Académie des lettres du Québec n’aurait-elle pas une
subvention de permanence de l’État, qui lui permette d’être logée dans la
Bibliothèque Saint-Sulpice devenue la “Maison du livre ” (un projet à l’étude au
ministère de la Culture) et d’avoir le soutien financier nécessaire à sa mission,
comme cela se fait dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique ?
C’est en ce sens que la Commission de la Culture, présidée par M.
Matthias Rioux, faisait récemment et de façon unanime la recommandation à la
ministre de la Culture et des Communications, Mme Agnès Maltais, d’étudier le
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statut de l’Académie en vue de faire reconnaître officiellement par l’État cette
institution nationale.
Avec ses écrivains, élus par leurs pairs, et leurs œuvres, l’Académie
incarne et illustre la littérature québécoise, en même temps qu’elle a toujours été
fidèle à sa mission de servir et défendre la langue française. Il serait normal,
comme dans toute culture qui se respecte, que l’Académie des lettres du
Québec soit reconnue officiellement par l’État. À côté des syndicats
d’écrivains et des industries culturelles, une Académie d’écrivains joue un rôle
de représentation de la culture et de la littérature nationales.
L’Académie des lettres du Québec peut aspirer de façon légitime à une
reconnaissance de l’État qui rendrait officielle sa mission historique. Ainsi
pourrait-on déléguer aux académiciens des responsabilités de recherche sur la
vie culturelle québécoise, intégrant notre institution au fonctionnement d’autres
organismes d’État. Le gouvernement pourrait aussi donner à chacun des
membres de son Académie le statut d’ambassadeur honoraire du Québec à
travers le monde et, pour ce faire, subventionner un programme de
conférences et de colloques qui serait soutenu par divers ministères : Relations
internationales, Immigration, Culture, Éducation, de même que par les
Délégations du Québec à travers le monde. Cette pratique existe en France où
le gouvernement soutient systématiquement les missions d’académiciens, en
plus des missions de chercheurs et d’enseignants, pour assurer le rayonnement
de la France dans le monde. Pourquoi le Québec n’aurait-il pas ses
ambassadeurs de la culture ? Les académiciens pourraient prendre la suite du
rôle qu’a joué, par son seul prestige, le poète Gaston Miron dans les dernières
années de sa vie.
L’Académie des lettres du Québec, si elle en avait les moyens financiers,
pourrait aussi investir et gérer le contenu d’un site Internet qui mettrait en valeur
notre littérature sur la Toile. Nos académiciens possèdent toutes les
compétences pour ce faire en proposant des portraits d’écrivains, des études
d’histoire et d’analyse littéraires, entre autres.
Une culture ne peut pas vivre seule. Elle doit rester en contact avec les
autres cultures du monde. C’est pourquoi le Québec doit savoir se représenter
dans le monde et pas uniquement du point de vue commercial. Dans ce rôle de
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représentation culturelle, notre Académie est l’institution toute désignée pour
faire valoir notre littérature et, par cela même, demeurer partie prenante de la
situation et de l’avenir de la langue française au Québec.
J.R.
(1) Conseil de la langue française, sous la direction de Michel Plourde, La langue française au
Québec. 400 ans d’histoire et de vie, Fides/Éditeur officiel du Québec, Montréal, 2000.
(2) Rapporté par Jean Royer, Le Devoir, 10 novembre 1990 ; repris dans Les Écrits du Canada
français, no 73, Montréal, 1991.
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Académie des lettres du Québec
4070, rue Saint-Hubert Montréal (Québec) H2L 4A8
Président Jean Royer Tél.: (514) 525-1808 Fax: (514) 525-9945
Courriel: [email protected]
ANNEXE
Académie des lettres du Québec
En 1944, Victor Barbeau réunissait quinze écrivains de toutes disciplines pour fonder l'Académie canadiennefrançaise.
Outre Victor Barbeau, ce groupe d'intellectuels était composé de Marius Barbeau, Roger Brien, Robert
Charbonneau, Robert Choquette, Marie-Claire Daveluy, Léo-Paul Desrosiers, Guy Frégault, Alain Grandbois,
Lionel Groulx, François Hertel, Louis Lachance, Gustave Lamarche, Rina Lasnier, Philippe Panneton (Ringuet)
et Robert Rumilly.
Les buts et objectifs de l'Académie sont de servir et de défendre la langue, la culture d'expression française et
la place de la littérature dans notre société.
De 1982 à 1997, Jean-Guy Pilon assume la présidence de l’Académie et contribue à inscrire l’institution dans le
Québec moderne. En plus de la Médaille, l’Académie décerne trois prix littéraires, chaque année, organise le
Colloque des écrivains à l'automne et prend en charge la “Rencontre québécoise internationale des écrivains”.
En 1992, tout en maintenant ses buts et ses objectifs, l'Académie canadienne-française est devenue l'Académie
des lettres du Québec.
Depuis 1998, l'Académie est présidée par Jean Royer. Elle reçoit une subvention de fonctionnement du Conseil
des arts et des lettres du Québec.
Le nombre de sièges à l'Académie est de quarante-deux.
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Membres actuels :
Jean Royer, président
Denise Desautels, vice-présidente
André Ricard, secrétaire général
Jean-Louis Baudoin
Yves Beauchemin
Gérald A. Beaudoin
Gérard Bessette
Marie-Claire Blais
André Brochu
Nicole Brossard
Louis Caron
Gilbert Choquette
Pierre de Grandpré
Marcel Dubé
Louise Dupré
Jean-Pierre Duquette
Jacques Folch-Ribas
Jean-Louis Gagnon
Madeleine Gagnon
Lise Gauvin
Naïm Kattan
Monique LaRue
Claude Lévesque
Louise Maheux-Forcier
Antonine Maillet
Clément Marchand
Réginald Martel
Pierre Nepveu
Émile Ollivier
Madeleine Ouellette-Michalska
Jean-Guy Pilon
Hubert Reeves
Edmond Robillard
Fernande Saint-Martin
Marcel Trudel
Jean-Pierre Wallot
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Membres honoraires :
Vassilis Alexakis (Grèce/France)
Alain Bosquet (France) †
Andrée Chédid (Égypte/France)
Maryse Condé (Guadeloupe/États-Unis)
Vénus Khoury-Ghata (Liban/France)
Milan Kundera (République tchèque/France)
Eduardo Manet (Cuba/France)
Pierre Mertens (Communauté française de Belgique)
Membres décédés :
André Barbeau
Marius Barbeau
Victor Barbeau
Roméo Boucher
Roger Brien
Michel Brunet
Robert Charbonneau
Robert Choquette
Marie-Claire Daveluy
René de Chantal
Léo-Paul Desrosiers
Roger Duhamel
Fernand Dumont
Jean Éthier-Blais
Jean-Charles Falardeau
Guy Frégault
Alain Grandbois
Lionel Groulx
Germaine Guèvremont
François Hertel
Louis Lachance
Gustave Lamarche
Rina Lasnier
André Laurendeau
Andrée Maillet
Jean Ménard
Philippe Panneton (Ringuet)
Léopold Richer
Simone Routier
Robert Rumilly
Paul Toupin
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Prix de l’Académie
Prix Molson (roman)
Jacques Folch-Ribas (1983) - Madeleine Ouellette-Michalska (1984) - Pauline Harvey (1985) - Daniel Gagnon
(1986) - Sylvain Trudel (1987) - Francine D'Amour (1988) - Jean Marcel (1989) - Jacques Poulin (1990) - Robert
Baillie (1991) - Paul Bussières (1992) - Jacques Desautels (1993) - Sergio Kokis (1994).
Prix Ringuet (roman)
Louise Dupré (1997) - Pierre Ouellet (1998) - Gaétan Soucy (1999), Christiane Duchesne (2000).
Prix Alain-Grandbois (poésie)
Pierre Morency (1988) - Jean Royer (1989) - Juan Garcia (1990) - Jacques Brault (1991) - Monique Bosco (1992) Anne Hébert (1993) - Gilbert Langevin (1994) - Rachel Leclerc (1995) - Hélène Dorion (1996) - Claude Beausoleil
(1997) - Paul Chanel Malenfant (1998) - Hugues Corriveau (1999) - Normand de Bellefeuille (2000) .
Prix Victor-Barbeau (essai)
Heinz Weinman (1988) - Pierre Nepveu (1989) - Ginette Michaud (1990) - Bruce G. Trigger (1991) - Jean Larose
(1992) - Colette Beauchamp (1993) - Francine Couture, en collaboration (1994) - Daniel Castillo Durante (1995)
Pierre Perrault (1996) - Gilles Lapointe (1997) - Marcel Olscamp (1998) - Daniel Jacques (1999) - Jean Marcel
(2000).
Médaille de l'Académie
décernée à un écrivain pour l'ensemble de son œuvre
ou à une personnalité de la vie culturelle
Gabrielle Roy (1946) - Germaine Guèvremont (1947) - Raymond Barbeau (1958) - Jean Bruchési (1959) - Paul
Morin (1961) - Pierre Daviault (1962) - Geneviève Massignon (1963) - Robert de Roquebrune (1967) - Gilles
Marcotte (1974) - Séraphin Marion (1980) - Anne Hébert (1984) - Luc Lacourcière (1985) - Marcel Dubé (1986) Félix Leclerc (1987) - Gratien Gélinas (1988) - Paul Beaulieu (1989) - Gaston Miron (1990) - Réginald Martel
(1991) - Gilles Vigneault (1992) - Maurice Lemire (1993) - Maryvonne Kendergi (1994) - Roland Giguère (1995) Jean-Marc Léger (1996) - Marie-Éva de Villers (1997) - Lise Bissonnette (1998) - Claire Martin (1999) – Gaston
Bellemare (2000).
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Activités
Rencontre québécoise internationale des écrivains
1998
1999
2000
2001
Écriture, identités et cultures
L’écrivain/e et l’enfance
L’écrivain/e et la guerre
L’écrivain/et la réalité
Colloques annuels :
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
La littérature québécoise depuis 1900 :
ruptures et continuités
Pourquoi écrire aujourd'hui ?
Les relations culturelles Québec - USA
Le Québec et la francophonie
La littérature et les médias
Les revues littéraires et culturelles
La critique littéraire et les écrivains
La place de la littérature dans l'éducation
Montréal et son destin littéraire
Les nouvelles générations littéraires
au Québec
Les livres qui nous ont faits
Les fondateurs
L’œil et l’oreille
Les voies du roman
Éthier-Blais : dictionnaire de lui-même
Féminisme et création
L'écrivain/e dans la Cité?
La langue française et nous
Publications :
La revue littéraire Les Écrits
(trois fois par année)
Le Bulletin de l’Académie
Ouvrage de référence :
Jean Royer, Chronique d’une Académie, 1944-1994. De l’Académie canadienne-française à l’Académie des
lettres du Québec, l’Hexagone, Montréal, 1995.
Les activités de l’Académie des lettres du Québec sont subventionnées par le Conseil des arts et des lettres du
Québec, le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal et le Conseil des arts du Canada.
* * *
Académie des lettres du Québec
4070, rue Saint-Hubert Montréal (Québec) H2L 4A8
Président Jean Royer Tél.: (514) 525-1808 Fax: (514) 525-9945
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Résumé
du mémoire de l’Académie des lettres du Québec
déposé à la Commission des États généraux
sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec
La langue de l’écrivain
L’Académie des lettres du Québec veut affirmer devant cette
Commission des États généraux que la langue française au Québec est aussi
celle de l’écrivain et que, sans un retour à la littérature dans l’enseignement et
dans les médias, la langue de tout un peuple sera en perdition.
Redonner à la littérature sa place dans l’éducation
Au ministère de l’Éducation, depuis plus de vingt ans, on a mis de côté
l’enseignement de la langue par la littérature, à laquelle on a préféré ce qu’on a
appelé la langue de la communication. Nos fonctionnaires et nos pédagogues,
en ignorant la littérature, ont prôné l’enseignement de la langue sur la base de
communiqués de presse, de slogans publicitaires ou de chansons populaires.
Mais la langue comme véhicule de communication de masse vise le plus bas
dénominateur commun. Ce n’est pas avec l’analyse d’un communiqué de
presse qu’on va inculquer à des adolescents une langue personnelle, une
structure et une culture générale qui les rendent sensibles aux autres cultures.
Le poète et l’écrivain, de leur côté, travaillent dans toute l’étendue de la
langue, ils la renouvellent, la réinventent pour créer la forme qui dure et qui
pense en même temps qu’elle émeut. La littérature, c’est la langue qui va au
bout des possibilités de la pensée et de l’expression.
Occuper le territoire de notre culture
En somme, il faut occuper le territoire de notre culture, tant à l’école que
dans l’ensemble de la vie sociale. Il faut rendre attrayante et désirable toute
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l’expression langagière et littéraire des Québécois dans toute la vie culturelle.
L’avenir de la langue française au Québec est à ce prix.
Du côté de l’école, il faut cesser de niveler par le bas ; plutôt faire des
enseignants un corps d’élite prestigieux, aussi important que les médecins et les
autres professionnels, et les former en conséquence. Il faut donner
obligatoirement à tous les futurs enseignants de l’élémentaire et du secondaire
une formation littéraire et linguistique, en les initiant à la grammaire, à
l’explication de texte et à l’histoire de la langue française au Québec. Il faut
mettre en lecture et à l’étude les textes québécois d’auteurs classiques ou
contemporains reconnus, en les situant dans leur contexte historique global. Il
faut rendre aussi plus disponibles dans les bibliothèques scolaires les œuvres
de notre littérature.
Dans l’édition, il faut davantage subventionner la diffusion, à côté de la
publication, afin que les éditeurs québécois puissent se donner une visibilité
plus grande pour les œuvres littéraires.
Le gouvernement doit aussi soutenir les écrivains québécois, en
établissant pour eux un régime sans impôts, comme on le fait en Irlande, par
exemple. Il ne s’agit pas seulement de subventionner les éditeurs dans un petit
marché, il faut aussi soutenir les écrivains qui produisent la littérature. Et ce,
par diverses mesures inspirées des pays scandinaves, qui sont de même taille
que le Québec et qui ont choisi de protéger leur langue, leur littérature et leur
culture en protégeant leurs générations d’écrivains.
Du côté médiatique, il faut absolument faire de Télé-Québec une priorité,
augmenter son budget et y produire des émissions dynamiques d’intérêt
culturel consacrées à l’histoire, aux idées et aux livres qui en sont le support
naturel.
Il faut aussi créer une chaîne radiophonique culturelle, c’est-à-dire un
réseau de Radio-Québec qui tienne compte de l’ensemble de la culture du
territoire. Au début des années 1970, au moment où Jean-Paul L’Allier était
ministre des Communications, l’idée d’un réseau Radio-Québec avait été
étudiée et considérée comme faisable. Mais le premier ministre Robert
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Bourassa avait stoppé le projet au Conseil des ministres. Il est temps de
reprendre cette idée, dans le Québec de 2001 aspirant à la souveraineté
culturelle.
Radio-Québec pourrait se donner une programmation fondée sur
l’histoire et la culture du Québec dans la compréhension de nos rapports à
l’Amérique et au reste du monde. Il faut mettre le Québec et sa culture en
vedette, mais toujours dans un contexte global et particulièrement francophone,
en tenant compte sans réserve des communautés canadiennes-françaises de
l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de l’Ouest du Canada. Car
l’indépendance culturelle et politique du Québec n’aurait pas de sens, s’il nous
fallait abandonner à leur sort les autres communautés de langue française.
La reconnaissance officielle de l’Académie
Enfin, signalons que, malgré un demi-siècle de service et de vigilance,
l’Académie des lettres du Québec n’a pas de statut officiel reconnu par l’État
québécois. Ainsi, par exemple, l’Académie n’a pas les moyens de se payer un
local et d’avoir pignon sur rue. Doit-on y voir le symbole d’une certaine
négligence du gouvernement envers la situation et l’avenir de la langue française
au Québec ? Pourquoi l’Académie des lettres du Québec n’aurait-elle pas une
subvention de permanence de l’État, qui lui permette d’être logée dans la
Bibliothèque Saint-Sulpice devenue la “Maison du livre ” (un projet à l’étude au
ministère de la Culture) et d’avoir le soutien financier nécessaire à sa mission,
comme cela se fait dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique ?
C’est en ce sens que la Commission de la Culture, présidée par M.
Matthias Rioux, faisait récemment et de façon unanime la recommandation à la
ministre de la Culture et des Communications, Mme Agnès Maltais, d’étudier le
statut de l’Académie en vue de faire reconnaître officiellement par l’État cette
institution nationale.
Avec ses écrivains, élus par leurs pairs, et leurs œuvres, l’Académie
incarne et illustre la littérature québécoise, en même temps qu’elle a toujours été
fidèle à sa mission de servir et défendre la langue française. Il serait normal,
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comme dans toute culture qui se respecte, que l’Académie des lettres du
Québec soit reconnue officiellement par l’État. À côté des syndicats
d’écrivains et des industries culturelles, une Académie d’écrivains joue un rôle
de représentation de la culture et de la littérature nationales.
L’Académie des lettres du Québec peut aspirer de façon légitime à une
reconnaissance de l’État qui rendrait officielle sa mission historique. Ainsi
pourrait-on déléguer aux académiciens des responsabilités de recherche sur la
vie culturelle québécoise, intégrant notre institution au fonctionnement d’autres
organismes d’État. Le gouvernement pourrait aussi donner à chacun des
membres de son Académie le statut d’ambassadeur honoraire du Québec à
travers le monde et, pour ce faire, subventionner un programme de
conférences et de colloques qui serait soutenu par divers ministères : Relations
internationales, Immigration, Culture, Éducation, de même que par les
Délégations du Québec à travers le monde. Cette pratique existe en France où
le gouvernement soutient systématiquement les missions d’académiciens, en
plus des missions de chercheurs et d’enseignants, pour assurer le rayonnement
de la France dans le monde. Pourquoi le Québec n’aurait-il pas ses
ambassadeurs de la culture ? Les académiciens pourraient prendre la suite du
rôle qu’a joué, par son seul prestige, le poète Gaston Miron dans les dernières
années de sa vie.
Une culture ne peut pas vivre seule. Elle doit rester en contact avec les
autres cultures du monde. C’est pourquoi le Québec doit savoir se représenter
dans le monde et pas uniquement du point de vue commercial. Dans ce rôle de
représentation culturelle, notre Académie est l’institution toute désignée pour
faire valoir notre littérature et, par cela même, demeurer partie prenante de la
situation et de l’avenir de la langue française au Québec.
Le président
Jean Royer
Montréal, 1er mars 2001