Une cuisine de vérité
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Une cuisine de vérité
22. Bernard & Dominique Charret Restaurateurs Une cuisine de vérité Larçay (Indre-et-Loire) B œuf bourguignon cuit à l’anis étoilé, cerfeuil tubé- Après six mois de formation en cuisine, il est définitivement reux et giraumon ; filet de brème mariné aux citrons séduit par cette activité. Il travaille dans divers restaurants gombavas, chou et baies roses ; silure façon haddock, salé, avant de s’établir, en 1983, à son compte avec Dominique. fumé, recouvert de roucou, feuille de bette et fleur de tagète, « L’Entrecôte aux chandelles » ouvre ses portes à Larçay, près lentilles d’Emmanuel à l’huile de tournesol, échalotes, panais de Tours, sur les bords du Cher. Dans cette grange restaurée, le et ajowan ; chevrier à la crème et sauge ananas… Voilà qui menu est simple : entrecôte et gratin dauphinois. Rapidement, ouvre l’appétit et nous plonge dans la biodiversité cultivée le poisson fait son apparition tandis que la carte s’élargit, le par des paysans tourangeaux et cuisinée par Bernard Charret « bistrot » devenant un véritable restaurant. et l’équipe des « Chandelles gourmandes », à Larçay ! Trois ans plus tard, la providence voudra que les proprié- Rien ne prédisposait Bernard à une carrière dans la restaura- taires d’à côté décident de vendre le bâtiment qui jouxte tion. Rien, si ce n’est peut-être une sympathie pour le monde « L’entrecôte ». Pour 100 000 francs, les Charret font sortir agricole venue de ses vacances d’enfant dans le pays d’Auge, de ces ruines un nouveau restaurant, « Les Chandelles gour- terre de cidre et d’élevage, ou sa rencontre avec Dominique mandes », en travaillant la nuit au chantier et le jour en cuisine ! avec laquelle il vivra une année durant de la récolte des Ils gardent leur ancien établissement, où l’on sert des grillades pommes et de la fabrication du cidre dans une ferme près qui correspondent aux attentes de la clientèle de passage, et d’Honfleur, pour ne plus la quitter ensuite. le nouvel établissement devient un laboratoire de recherche Ces premières années tumultueuses les conduisent à une et de création gastronomiques. La carte propose des produits formation de gestion hôtelière à Marseille, qui les prépare à de terroir cuisinés avec raffinement. La recherche esthétique diriger quatre restaurants Campanile alors que la chaîne fait et créative dans l’agencement du restaurant est permanente ses débuts. Les fourneaux sont loin des préoccupations de pour trouver un équilibre entre la science d’une cuisine Bernard mais il ressent le besoin de mieux connaître cette élaborée et le côté rustique qui est souvent, caricaturalement, réalité professionnelle. associé aux produits de tradition. 100 101 22. Bernard & Dominique Charret Suite En parallèle, la recherche débute avec une histoire de cailles La cuisine de Bernard, exclusivement à base de produits frais sans saveur. Bernard ne désespère pas de trouver un éleveur et bruts, est une cuisine de labeur. Les heures ne se comptent de cailles « goûteuses », et sa quête le conduit de fil en aiguille pas, et c’est toute une équipe qui participe à cette œuvre à s’intéresser aux pratiques d’élevage, puis de culture et de collective. Ludo, Tif, Jonathan, Nat, Chloé et Damien assu- pêche, si bien qu’il découvre des produits absents des étals, rent avec efficacité les tâches inhérentes au fonctionnement adapte sa cuisine à ce que proposent les producteurs locaux, du restaurant, les uns à la cuisine, les autres à la préparation et se plonge dans les ouvrages d’histoire et d’agriculture. de la salle, aux commandes, à la décoration, au service. « C’est auprès des paysans que j’ai appris le produit et la façon L’activité est intense et l’ambiance chaleureuse. « Chef ! qu’est de le mettre en valeur. Ils m’ont initié à une autre façon de ce qu’on fait avec le silure ? », « Chef, combien de cerfeuil cuisiner. Je cherchais des aliments qui avaient du goût, et je tubéreux pour le bœuf ? », « Chef ! Manu, le pêcheur de la me suis rendu compte que les bons produits étaient liés à Loire, au téléphone ! » Ici, les relations hiérarchiques tien- des pratiques agricoles respectueuses du vivant. » nent davantage du compagnonnage que d’un autoritarisme Le constat est d’abord sombre. « Que reste-t-il du patrimoine d’un autre âge encore souvent présent dans la restauration. culinaire ? Où sont passés les produits ? Il faut se battre pour Dominique, elle, apporte avec rigueur, discrétion et profes- défendre tout cela, les bonnes pratiques, les savoir-faire, les sionnalisme une cohérence à l’ensemble. Quand Bernard est espèces, les races, la gestion des milieux, les paysans ! Le invité à Turin par le mouvement Slow Food pour participer terroir, c’est un tissu, ce n’est pas quelques exceptions pour à Terra Madre, un rendez-vous qui regroupe 5 000 paysans faire joli sur la photo ! » et 1 000 cuisiniers de toute la planète et défend les valeurs Rien ne peut plus arrêter Bernard dans sa recherche d’ex- d’une alimentation bonne, propre et juste, il ne se démonte cellence. Les journées sont trop courtes pour mener de front pas et précise que si toute l’équipe ne l’accompagne pas, il la gestion des restaurants, les interventions dans les écoles, n’ira pas ! Et tous de faire le voyage… l’engagement auprès de mouvements paysans et écogas- Une phrase inscrite au bas du menu résume les convictions de tronomiques, l’organisation de manifestations pour faire Bernard et de son équipe : « Cette cuisine n’a pu être réalisée connaître les produits des quelque soixante-dix producteurs que grâce au travail de qualité des paysans, pêcheurs et artisans avec lesquels il travaille en direct toute l’année. du coin qui nous fournissent des aliments vivants. » 102 103