L`ENFANT FACE AUX IMAGES MANIPULÉES
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L`ENFANT FACE AUX IMAGES MANIPULÉES
IUFM DE BOURGOGNE CONCOURS DE RECRUTEMENT : professeur des écoles L'ENFANT FACE AUX IMAGES MANIPULÉES Comment exercer le regard critique ? : POULAIN Clarisse Nadine Wargnier 2004 / 2005 N° Dossier : 0363060F 1 Table des matières Introduction 3 I. L'image à l'école : pourquoi initier l'enfant au monde des images ? 5 I.I L'image, la photographie documentaires : définitions 5 I.II L'image à l'école 6 I.III Pourquoi une « éducation du regard » ? 9 a. Les enjeux 9 b. Les difficultés 11 c. Les risques 12 II. La lecture d'image pour découvrir le monde en maternelle (TPS / PS) II.I L'image en contexte : la notion de hors champ dans l'album II.II Découverte de l'objet image : utilisation de l'imagier 14 14 17 a. L'imagier pour aborder les formes 18 b. L'imagier pour développer le langage 19 II.III Pour mieux regarder les images 21 a. Trouver des images 21 b. Classer des images 23 III.Transformer des images pour mieux les analyser au cycle 3 (CM2) 24 III.I La transformation d'image 24 III.II L'analyse d'image : apports théoriques 27 III.III La photographie documentaire en histoire 30 Conclusion 34 Bibliographie 36 Annexes 39 2 Introduction L'image, constamment présente dans la société actuelle, doit depuis longtemps sa diffusion massive à sa valeur documentaire. Au sein de l'école, elle ne fait pas qu'illustrer les ouvrages didactiques, elle est surtout très fréquemment le support de séances d'apprentissage. Dès la maternelle, un important matériel pédagogique imagé (de l'illustration d'albums aux documents vidéo) est utilisé. Avec la photographie, les habitudes visuelles liées à des techniques picturales ont été modifiées : l'image n'est plus réservée à une élite, car elle peut aisément être reproduite. Elle est donc très vite devenue un instrument privilégié de mémorisation dans de nombreux domaines tels que les sciences. Mais l'image photographique peut aussi être falsifiée : cette nouvelle technique fournit donc de nouvelles possibilités, intéressantes certes mais qui peuvent aussi favoriser les possibilités de trucage. De plus, on peut dire de la photographie qu'elle « conjugue » de manière paradoxale l'enregistrement de la réalité et la subjectivité d'un regard »1. Il apparaît donc que l'image peut être falsifiée, truquée par de multiples moyens, mais la plus grande difficulté de lecture réside dans la distance que l'on constate entre réalité et subjectivité : la réalité est universellement valable, alors que c'est la subjectivité du photographe qui est traduite dans sa production. On peut comprendre alors que le lecteur d'images photographiques puisse être dérangé, puisqu'avec les nouvelles technologies, et notamment la numérisation, il est de plus en plus aisé de modifier une image, sans pour autant que le destinataire en soit nécessairement informé. La peinture a pu s'édifier en certaines périodes à l'aide de codes très stricts de mise en oeuvre, qui en permettent une interprétation sinon simple, du moins précise. La photographie en revanche, tout comme tous les mouvements artistiques contemporains, réduit à néant toute explicitation qui se voudrait infaillible. Cependant, si le grand public considère souvent que l'image d'art demande des compétences d'analyse particulières, la lecture de photographies semble aller de soi, sans doute du fait de la prédominance des images dans le monde actuel de l'information. Pourtant, l'image ne se comprend pas de façon évidente : elle « fait écran », selon R. Cussol, bien plus qu'elle n'est « écran du savoir ». Elle nécessite donc un apprentissage spécifique, afin de dépasser la lecture subjective, où seul le ressenti immédiat intervient. Lors de mes études en documentation, à l'université puis dans le cadre de ma formation au CAPES de documentation, j'ai pu constater l'importance d'un tel apprentissage pour des élèves de 1 GIRAUDO Lucien, « L'analyse d'image », in NRP, janvier 2001 3 collège et lycée. Grands consommateurs d'images, les adolescents n'ont pourtant pas toujours les clés pour en tirer le meilleur profit, c'est pourquoi l'éducation à l'image (notamment avec l'apparition rapide de nouvelles technologies de l'information et de la communication durant les vingt dernières années) est devenue une tâche essentielle du professeur documentaliste. Certes, cet enseignement est très différent à l'école primaire. Pourtant, il est important de l'amorcer le plus tôt possible, d'autant plus que le nombre d'images de tous types accessibles aux enfants comme aux adultes s'est fortement accrue, notamment avec le développement d'internet où l'on constate trop souvent que des images, accompagnées d'une légende qui en modifie le sens, sont d'un accès aisé, et côtoient des documents valides. En matière de recherche documentaire, (pour le professionnel comme pour le néophyte), il est donc nécessaire de savoir trouver le bon document parmi la masse d'information dont on dispose, et si l'on sait l'interpréter, une image est parfois bien plus parlante que tout autre document. Dans les programmes de 2002 de l'école primaire, l'éducation du regard apparaît plus particulièrement dans le chapitre concernant les arts visuels, cependant elle n'est pas l'apanage de cette discipline : de la peinture rupestre à la radiographie, l'image fixe est présente dans tous les domaines enseignés. Elle ne doit pas simplement avoir un rôle illustratif mais doit bel et bien être lue pour donner des informations, au même titre qu'un schéma scientifique ou un écrit historique. En raison des possibilités de falsification sur la photographie documentaire, et de l'impact que de telles manipulations peuvent avoir sur l'interprétation que l'on en fait, il m'a donc semblé intéressant de m'interroger sur le rôle de l'éducation du regard : quelle place pour la photographie documentaire comme support pour développer l'esprit critique ? Afin de répondre autant que possible à cette question, j'ai donc étudié la place de l'éducation du regard dans les programmes de 1995 et 2002, ainsi que dans les documents d'application. Cela m'a permis de préparer et de conduire des séances dans plusieurs disciplines, d'abord en petite section de maternelle, à travers la découverte et l'analyse d'images diverses pour « découvrir le monde », puis en CM2, en mettant la pratique plastique au service de l'apprentissage théorique plus général. Ces deux expériences m'ont permis de voir à quel point les objectifs divergent et se complètent pourtant dans dans ces deux niveaux de l'école primaire. 4 I. L'image à l'école : pourquoi initier l'enfant au monde des images Une image, d'après le Petit Larousse de la langue française, peut être : • une « représentation d'un être ou d'un chose par les arts graphiques ou plastiques, la photographie, le film, etc. », • une « représentation imprimée d'un sujet quelconque », • au sens figuré, « ce qui reproduit, imite, ou, par extension, évoque quelqu'un, quelque chose ». Ces différentes définitions sont reprises dans les programmes pour préciser quelle éducation au regard il est nécessaire de donner à des élèves de l'école primaire : les images y sont définies comme étant « à la fois des matériaux, des documents et des supports d'expression ». Dès lors, on peut exclure l'idée que l'apprentissage de la lecture d'image n'a lieu que dans le domaine des arts visuels. I.I L'image, la photographie documentaires : définitions L'image, définie dans sa globalité dans les programmes, n'est pas une, elle est multiple et de ce fait demande de nombreuses connaissances pour être comprise. Ici, il s'agira de limiter nos interrogations à une définition aussi précise que possible de l'image documentaire et de la photographie documentaire. Historiquement, l'image documentaire a d'abord renvoyé à des documents explicitement destinés à renseigner : les images artistiques, par exemple, n'étaient pas utilisées comme source d'information en histoire, comme on le voit très souvent désormais. Pour qu'une image soit documentaire, il fallait donc qu'elle soit réalisée dans cette optique, comme ce fut le cas pour les croquis scientifiques ou les gravures d'Albrecht Dürer. Ce n'est que plus tard que les sciences humaines et notamment l'histoire ont commencé à utiliser des images d'époque, reflétant des modes vie ou des événements passés. Il n'est pas rare aujourd'hui de voir dans des manuels scolaires des oeuvres d'art, ou des peintures rupestres utilisées comme documents informatifs, au même titre que des textes. Mais de manière générale, « l'image documentaire est toujours un point de vue puisqu'elle est dépendante des connaissances d'une époque » (J. A. Bron) : selon les moyens et les savoirs d'une époque donnée, les images documentaires produites n'ont pas le même degré d'objectivité. Pour revenir à l'oeuvre d'Albrecht Dürer, on peut donner l'exemple de Rhinocéros, où les éléments inconnus (l'artiste n'ayant jamais vu de rhinocéros) sont remplacés par des éléments imaginaires. Avant la photographie, la peinture et le dessin étaient des techniques qui se sont voulues aussi objectives que possibles pour rendre compte de la réalité. Et jusqu'à l'invention de la photographie, on peut même dire que le dessin d'observation, notamment, constitue un excellent 5 outil de compréhension et de mémorisation lors de l'étude du réel. L'apparition de la photographie a donc révolutionné les disciplines mettant en oeuvre l'observation du réel : en sciences notamment, la photographie ne remplace pas les dessins d'observation, mais elle ouvre une nouvelle dimension, car elle est un moyen de donner une représentation aussi fidèle que possible du réel. Cependant, de même que le dessin est une représentation sélective d'un objet réel, de même la photographie documentaire « truque » parfois la réalité en focalisant sur un ou plusieurs éléments étudiés, au détriment des autres. Dans le cas des photographies de presse (qui deviennent souvent ensuite des photographies historiques), elles apparaissent d'abord au XIXème siècle sous forme de reproductions, qui « reposaient sur la technique de la gravure sur bois; même les photos furent reproduites par ce moyen avec la mention « d'après une photographie »2. Leur introduction fut, d'après Gisèle Freund, « un phénomène d'une importance capitale. Elle change la vision des masses. » En effet, la photographie permet aux hommes de « voir » un réel lointain, et d'accéder à un environnement auquel il n'avait pas accès auparavant. L'image devient alors un « reflet concret du monde dans lequel chacun vit », mais aussi un puissant moyen de propagande et de manipulation. Cependant, le matériel photographique est alors encore rudimentaire et ne permet pas de capturer les images en toutes circonstances (il demande des conditions de prise de vue très précises : une lumière favorable, des temps d'exposition très longs). Mais dès 1855, le photographe anglais Roger Fenton part photographier les guerre de Crimée : cette expédition « avait été commanditée à condition qu'il ne photographierait jamais les horreurs de la guerre, pour ne pas effrayer les familles des soldats. » De même que les écrits d'actualité ont de tout temps été censurés par les autorités, de même la photographie, dès son apparition dans la presse, a été manipulée pour donner une certaine information. J'ai donc choisi, en cycle 3, d'étudier ce type de document dans le cadre d'une séquence en Histoire sur la Grande Guerre. La photographie est donc, dès son origine, sujette à des manipulations, à des utilisations abusives qui en détournent le sens. L'un des enjeux majeurs de l'école étant de former des citoyens autonomes, cette éducation passe nécessairement par l'éducation à l'objectivité face aux informations, et quelle que soit la forme qu'elle revêt (image, texte ou autres). I.II L'image à l'école Le langage, dès l'école maternelle, doit selon les nouveaux programmes de 2002 être « au coeur des apprentissages », mais cet apprentissage implique des supports qui permettent aux élèves de verbaliser : or, quel que soit le domaine d'apprentissage abordé, l'image occupe une place 2 FREUND Gisèle, Photographie et société, Ed. du Seuil, 1974 6 prépondérante pour favoriser les nouvelles découvertes des élèves. À l'école élémentaire, l'image est aussi utilisée dans toutes les disciplines. Dans la vie courante, plus les enfants grandissent, plus ils auront à faire face à des images dont le sens leur échappe, ou ne leur est pas immédiatement accessible. C'est pourquoi l'un des enjeux fondamentaux de l'école est de fournir aux élèves les clés qui leur permettront de devenir des citoyens aptes à donner du sens à toutes sortes d'images. A l'école maternelle, l'image est un support de référence pour permettre aux jeunes et ➢ très jeunes enfants de découvrir le monde : • dans le domaine de « la sensibilité, l'imagination, la création », et plus spécifiquement dans le cadre du développement du regard et du geste. D'après les programmes de 2002, « la constitution d'une première culture artistique dans ce domaine s'opère au travers des rapprochements entre les productions des élèves et les oeuvres d'art introduites sous différentes formes. » Ensuite, c'est par le biais des échanges verbaux que l'enfant peut verbaliser ce qu'il a appris, compris ou perçu : la pratique permet donc bien d' « aller vers » la théorie. Le savoir-faire est donc un moyen d'acquérir des savoirs plus généraux, et les images doivent être abordées « à travers des activités de découverte et d'utilisation de documents de natures variées » Dans ce domaine, une partie de l'enseignement doit en outre être consacrée à « l'observation et la transformation des images ». Les textes officiels précisent que les enfants de cet âge doivent pouvoir observer des images variées, et avoir le temps de les analyser, dans la mesure de leurs capacités. Ces images doivent constituer un capital qui leur permettra, au fur et à mesure qu'il sera complété, d'acquérir des connaissances propres aux images. Les documents d'application sur La sensibilité, l'imagination, la création soulignent en outre que « l'école a un rôle d'apprentissage vis-à-vis de cet objet de connaissance particulier [...]; il est déclencheur d'émotions et de pensées et porteur de messages ». Il s'agit ici bel et bien d'une éducation du regard. Les supports imagés utilisés sont variés : photographies, mais aussi dessins, illustrations, reproductions d'oeuvres, images vidéo... Je souhaitais, à travers ce mémoire, me pencher plus précisément sur la photographie documentaire. Cependant, ayant travaillé en maternelle avec des enfants de petite et toute petite sections, j'ai essayé de diversifier au maximum les types d'images, afin de donner des méthodes, quelques cadres essentiels pour pouvoir analyser les images rencontrées. De plus, l'enseignement artistique ne peut se faire sans s'appuyer sur le langage « qui aide à nommer les sensations et à établir progressivement des relations entre elles ». L'analyse d'images aussi variées que possible passera donc nécessairement par le langage, même si en toute petite section, tous les enfants ne sont pas en mesure de parler : dans ce cas, d'autres types d'activités 7 (que j'évoquerai en seconde partie) peuvent être employées pour pallier cette difficulté. • Dans le domaine « découvrir le monde », l'enfant doit être capable, en fin de cycle 1, de décrire, comparer et classer ce qu'il voit. En côtoyant ainsi aussi fréquemment que possible le monde des images, de manière consciente et en vue d'apprentissages précis, l'enfant de maternelle pourra petit à petit identifier « de quels types de signes les images sont constituées et comment ces signes dialoguent [...] en déjouant les pièges de la fascination ». Le but de cette éducation au regard est explicitement d' « aider les enfants à accéder à une pensée autonome [...] et [à devenir aptes] à discerner au-delà des apparences. Ce travail de lecture objective d'image peut sembler ambitieux pour des enfants aussi jeunes, pourtant les documents d'application précisent bien qu'il n'est pas envisageable « de faire une analyse formelle qui laisserait de côté la question du sens ». Pour accéder au sens, il est nécessaire de passer par la manipulation et la fabrication d'images (en éducation artistique). En effet, l'enseignement, de l'école primaire à la terminale, vise à favoriser de plus en plus les situations dans lesquelles les élèves construisent leurs apprentissages par la manipulation et la pédagogie active. ➢ A l'école élémentaire, même si les objectifs changent considérablement, l'image reste un support moteur de tous les enseignements : les arts visuels, dont l'éducation du regard fait partie, « partagent avec l'ensemble des domaines d'enseignement des objectifs de formation du futur citoyen. » Dans cette discipline, mais également dans tout domaine mettant en oeuvre des images (les programmes de 2002 spécifient d'ailleurs bien qu'en fin de cycle 3, les élèves doivent pouvoir « réinvestir dans d'autres disciplines les apports des arts visuels »). Il s'agit donc pour l'élève de connaître et reconnaître les divers codes de représentation des images. Le rôle de l'enseignant est de donner aux élèves « les moyens d'apprendre à comprendre les images par l'observation, la transformation et la production ». A partir de ces travaux visant à analyser une image, à lui donner du sens, l'enseignant aide les élèves « à prendre conscience de la polysémie » des images, en fonction des récepteurs (que peuvent être les élèves, l'enseignant, ou tout autre personne amenée à lire une image). Au cycle 2, l'élève « apprend à voir au-delà des apparences ». C'est à ce niveau qu'il acquiert les notions de cadrage et de point de vue, qui lui permettront de décrire, puis d'analyser une image. En outre, l'image est envisagée dans un contexte : elle est rarement exposée seule, et en fonction de son usage elle peut être accompagnée d'un texte ou d'une autre image par exemple, qui en modifient plus ou moins explicitement le sens. Il est donc possible de faire travailler sur la modification du sens d'une image, en la déformant, ou en lui associant un texte, une illustration,... Cela rejoint la question de la destination des images : au cycle 2, les élèves apprennent à classer des documents écrits en fonction de leur type (informatif, narratif, injonctif, etc.). Pour les images, il est nécessaire 8 de mettre en place un apprentissage similaire, et en particulier pour les photographies documentaires, afin de dissocier le réalisme évident d'une photographie, et sa plus ou moins bonne qualité informative. Au cycle 3, il est déjà possible de s'appuyer sur les premiers acquis des élèves. Il est alors nécessaire de les amener à développer leur point de vue sur toutes sortes d'images. « Les élèves comprennent que fabriquer une image, c'est avoir des intentions pour faire des choix, exprimer un point de vue ou une opinion, une sensation, une idée ... » A partir d'une approche plastique, concrète de l'image (fondée sur la manipulation, en arts visuels), il devient donc possible de réutiliser les connaissances ainsi acquises pour analyser des images dans d'autres domaines disciplinaires, et notamment en Histoire et en Géographie. I.III Pourquoi une « éducation du regard » ? Parmi les multiples images que l'école se doit d'aborder pour développer le regard et l'esprit critique des élèves, la photographie tient une place considérable. Du XIXe au XXe siècle, la photographie utilise des techniques, des procédés si variés que ce type d'image se rapproche en cela de la peinture et de la sculpture. En effet, la technique photographique semble consister simplement à « appuyer sur un bouton ». Mais en réalité, ce procédé fait apparaître les mêmes éléments de composition plastique que la peinture, le dessin ou la sculpture : cadrage, lumière, mise en scène sont des éléments de composition de l'image qui y ont une place essentielle. Cependant, si les enjeux de cette éducation au regard sont majeurs, les difficultés que cela représente n'en sont pas moins très présentes. a. Les enjeux Tout d'abord, et nous l'avons vu précédemment, l'image et la lecture d'images apparaît dans toutes les disciplines de l'école primaire. Cet apprentissage permet donc de décloisonner les enseignements, ce qu'il est moins aisé de faire au collège où l'interdisciplinarité est difficile à mettre en place en raison du nombre de professeurs référents pour un seul et même élève. Il me semble donc essentiel, et notamment au cycle 3, de faire le lien entre les arts visuels et toutes les autres disciplines où la lecture d'image peut intervenir. La lecture de photographies documentaires est donc une activité privilégiée pour atteindre cet objectif. De plus, l'image tient une place essentielle dans notre patrimoine culturel, il est donc nécessaire de l'aborder à l'école en vue de former des lecteurs d'images citoyens. Mais ce qui rend une « éducation du regard » nécessaire, ce n'est pas à proprement parler la place, aussi importante 9 soit-elle, des images dans la vie de chacun, mais les difficultés, voire les dangers qu'elles représentent ou peuvent représenter : c'est ce que René Magritte avait déjà souligné en 1928-1929 grâce à son oeuvre très célèbre La trahison des images. Au-delà du simple décalage entre objet et représentation (l'image n'étant jamais pleinement conforme à ce qu'elle représente), c'est toute l'opposition entre intention de l'artiste (ou du photographe, par exemple), et compréhension du récepteur (dans une situation scolaire, ce sera le plus souvent l'élève, mais on verra que parfois ce n'est pas le cas) qui est abordée. L' « éducation du regard », qui fait partie intégrante de l'enseignement à l'école primaire depuis plusieurs années, n'est donc pas une expression réellement satisfaisante. Le regard n'est pas universel, il n'y a pas de recette pour l'éduquer. A travers cet enseignement, on ne peut tout au plus qu' exercer le regard. Les enjeux de tels « exercices » sont alors intimement liés à la pratique artistique : parce qu'elle est souvent considérée comme plus libre que la pratique documentaire, elle permet de dépasser les interdits que fixe la volonté de reproduire le réel. A partir d'un travail de transformation de l'image, il devient donc possible de recueillir les constats des enfants, puis de les formaliser lors de la phase d'institutionnalisation en apportant le vocabulaire nécessaire à une lecture efficace de l'image. Après cette double étape, à la fois pratique et théorique, il devient possible de transférer les connaissances ainsi acquises à d'autres supports imagés. La prise de vue photographique, par son apparente facilité, est un acte suffisamment accessible pour des élèves de l'école primaire. Cependant, il ne s'agit pas d'enseigner la technique de la prise de vue, au détriment de la dimension imaginaire et affective (que ce soit dans le domaine artistique ou dans toute autre situation où la notion de cadrage intervient). En effet, c'est là l'enjeu majeur du geste photographique, puisque cela implique de faire un choix. En outre, la photographie, selon France Letz et Francis Jolly (in Une rentrée photographique...), n'est pas la réalité : elle propose « une multitude de miroirs déformants ». Ainsi, si l'on demande à vingt élèves de prendre leur école en photo, il y aura vingt prises de vue différentes. Le rôle de l'enseignant est donc de valoriser cette diversité de points de vue en proposant « de nouveaux miroirs déformants, de nouveaux trompe-l'oeil ». Bien qu'elle ne soit pas la réalité mais un simple point de vue, la photographie peut être utilisée pour permettre aux élèves de prendre conscience du monde qui les entoure, de la maternelle (par le biais d'imagier photo, par exemple), au cycle 3 (afin de prendre conscience du monde lointain, d'un point de vue géographique ou historique). Mais pour que l'image permette à des élèves de tous âges de prendre conscience d'un environnement plus ou moins lointain, il est nécessaire de la faire varier autant que possible, en donnant notamment à voir plusieurs images (donc, plusieurs points de vue) d'un même objet. Enfin, le travail sur la photographie participe à la construction d'une culture commune, qui est l'un des enjeux majeurs de l'école primaire, dans toutes les disciplines. Dans les nouveaux 10 programmes de 2002, il apparaît très clairement que les élèves doivent être mis au contact d'oeuvres majeures, qu'elles soient photographiques, picturales, architecturales, etc. Pour cela, l'idéal semble être de donner aux enfants l'occasion de voir des oeuvres originales dans leur contexte, notamment dans des musées. Les objectifs de telles sorties sont variés : elles permettent de donner à l'oeuvre toute sa valeur (il est en effet souvent malaisé d'imaginer certains tableaux en taille réelle, lorsque l'on ne les a jamais vus qu'en reproductions dans des manuels), mais aussi d'effectuer des comparaisons entre différentes oeuvres, ce qui leur permet parfois de s'éclairer mutuellement. Cependant, les sorties au musée, aussi intéressantes soient-elles, ne peuvent pas être aussi fréquentes que l'étude de reproductions d'oeuvres, en classe. L'enseignant doit donc permettre aux élèves de confronter l'oeuvre originale à sa reproduction, aussi souvent que possible. En effet, s'il n'est pas toujours aisé d'aller au musée pour voir une oeuvre originale, la reproduction constitue un moyen intéressant pour aborder la lecture d'oeuvres d'art. De plus, donner aux élèves les moyens d'effectuer eux-même des recherches de reproductions (sur document papier ou tout autre support) est un objectif important de l'éducation artistique : en fonction de l'endroit où ils vivent, les élèves n'ont pas toujours accès aux oeuvres originales (on peut prendre l'exemple des écoles rurales, pour lesquelles la visite au musée requiert une organisation plus lourde que pour les écoles urbaines). Cependant, si l'on veut utiliser des reproductions en classe, l'objectif est de faire prendre conscience aux élèves qu'elles ne sauraient en aucun cas remplacer l'original. Dès lors apparaît la notion d'esprit critique : face à une reproduction, l'élève doit s'interroger sur les dimensions, le cadrage (ou recadrage), et tous les changements qui ont pu intervenir entre l'original et sa reproduction, en modifiant plus ou moins le sens. Pour cela, il est nécessaire pour l'enseignant de passer par l'apprentissage d'un vocabulaire spécifique : celui de la lecture d'images, que j'aborderai parallèlement à mes analyses de séances, en deuxième et troisième parties. b. Les difficultés Les objectifs ainsi fixés sont essentiels pour que des élèves de fin de cycle 3 aient acquis l'esprit critique nécessaire à la lecture d'image, activité courante au collège dans des disciplines très diverses. Cependant, cet enseignement comporte un nombre important de difficultés, de points qu'il faut éclaircir avant d'en commencer l'apprentissage avec des élèves. Dans le domaine de la photographie, c'est l'apparente évidence d'interprétation qui constitue toute la difficulté de sa lecture : même si le photographe a une intention particulière, seul son lecteur sera en mesure de lui donner réellement du sens. Or, un lecteur d'image non initié, qu'il soit enfant ou adulte, a spontanément tendance à « faire sienne » une image qui, en réalité, n'a de 11 sens objectif (si tant est qu'elle puisse en avoir un) que si elle est lue en prenant en compte les divers éléments qui la compose. Alors que l'image photographique a d'abord été accueillie comme un outil révolutionnaire pour les sciences (exactes ou humaines), on a très vite pu constater qu'elle n'est pas aussi fidèle à la réalité qu'on aurait pu l'envisager. Dès ses premières utilisations, la photographie a été manipulée, truquée. C'est pour dépasser cette difficulté de lecture que les nouveaux programmes ont insisté sur la lecture d'image et l'éducation du regard, aussi bien en maternelle qu'en fin de cycle 3. On parle très souvent d' « images qui résistent », et non pas seulement d' « images qui mentent » : Cependant, cet apprentissage constitue, autant que l'image elle-même, une difficulté pour l'élève et pour l'enseignant : au cours de mes diverses séances de lecture d'image, j'ai pu constater que les enfants expriment spontanément cette « intelligence sensible » dont parlent France Letz et Francis Jolly dans Une rentrée photographique... Dans le cas de la photographie, il s'agit de « mettre des mots sur cette approche du monde. Or, il n'existe pas de « recette » établie pour utiliser les constatations non travaillées, en vue d'un apprentissage. L'expression des enfants, pour être constructive (quel que soit leur âge), doit à la fois être libre et cadrée. « Libre », afin de laisser leur sensibilité s'exprimer autant que possible. Mais aussi « cadrée », afin de ne pas se limiter à des remarques paraphrastiques ou au contraire trop égocentriques (liées à leur propre vécu, et sans prise en compte du point de vue du photographe). Il convient donc de savoir repérer les réflexions qui peuvent donner matière à réfléchir, et de les réutiliser ensuite pour fixer les objectifs d'une séance de langage ultérieure autour de l'image, lors d'un atelier pédagogique par exemple. Par ailleurs, les élèves de tous âges connaissent finalement mal les images, qu'ils côtoient pourtant presque continuellement. Selon les écoles, les milieux socio-familiaux des élèves, et bien d'autres facteurs, les élèves fréquentent plus ou moins souvent les lieux artistiques et culturels. Mais la majorité d'entre eux a besoin d'être mise en situation d'expérimentation et d'éveil de tous les sens, afin de pouvoir apprendre à regarder les images. C'est en effet la confrontation aux images, et surtout leur manipulation, qui peut les aider à développer leurs capacités de réception, et de création. Apprendre à regarder, à produire et à parler sur sa production sont donc les principaux objectifs à développer, avant même de s'atteler à la lecture d'une image aussi complexe qu'une photographie. c. Les risques Les enjeux et les difficultés inhérents à la lecture d'image photographique documentaire sont liés aux risques qu'implique une lecture spontanée et non réfléchie de l'image. En effet, pour fixer les objectifs à atteindre avec des élèves, il faut d'abord avoir conscience des « conduites typiques » les plus fréquentes. 12 De manière générale, une « bonne » lecture d'image implique de prendre de la distance par rapport à ce que l'on voit, ce que l'on ressent. L'un des risques est de « faire sienne » une image : elle n'est en aucun cas ce que l'on veut qu'elle soit. Dans le cas de la photographie, comme dans toute autre production d'image, la lecture doit prendre en compte l'objet image, le lecteur, mais aussi le producteur d'image et, éventuellement, son destinataire. Une photographie est toujours prise dans un certain but, pour donner un sens particulier à l'image. Si l'on prend l'exemple d'une photographie de mariage datant de 1905, elle est d'abord prise en vue d'un usage personnel. Pourtant, de telles images sont aujourd'hui souvent utilisée pour en déduire les habitudes vestimentaires, les pratiques d'une certaine époque. Il s'agit donc pour l'apprenti lecteur d'images de faire la part des choses, selon l'analyse qu'il veut faire de l'image, entre ce qu'il ressent (en tant qu'enfant du XXIe siècle) et ce qu'il comprend de la réalité historique, par le biais de cette image. Mais la lecture d'image présente un autre risque, car celle-ci est toujours la représentation d'une mise en scène. Dans le cas de la photographie documentaire, on pourrait croire que le photographe s'est détaché de toute « réinterprétation » de la réalité. Or, tel n'est pas le cas puisque le photographe fait partie intégrante de sa production. Qu'elle soit retouchée ou non, l'image est toujours le résultat de choix multiple : prise de vue, cadrage, composition... Il est donc essentiel pour le lecteur, de prendre du recul par rapport à ce qu'il voit. Enfin, il lui faut aussi prendre du recul pas rapport au contexte dans lequel est située l'image : dans le cas de la photographie documentaire, il est essentiel de faire prendre conscience aux élèves de l'importance du support et du contexte dans lequel est placée l'image. En fonction de son titre, du texte ou des images éventuels qui l'accompagnent, et de bien d'autres facteurs, une image peut avoir(prendre) un sens très différent. L'éducation du regard revêt donc des aspects très variés qu'il est essentiel d'aborder, à différents niveaux et en fonction de l'âge des élèves. C'est pourquoi j'ai essayé de varier les activités autour de l'image lors de mes stages en TPS / PS et en CM2, afin de permettre aux élèves de percevoir les différents usages de l'image photographique. 13 II. La lecture d'images pour découvrir le monde en maternelle (TPS / PS) En toute petite et petite section de maternelle, tout apprentissage se fait par l'observation, et c'est la raison pour laquelle l'image y tient une place aussi importante : on la retrouve notamment dans les albums (en tant qu'illustration), dans les imagiers (il s'agira alors d'images documentaires), mais aussi à toutes sortes d'occasions (par le biais d'affichages ou de jeux). De plus, chaque apprentissage demande du temps : il ne s'agit pas de construire un savoir en trois séances, comme on pourrait le faire dans certains cas au cycle 3, mais au contraire de construire des habitudes, ce qui passera nécessairement par le jeu. Mon stage en TPS / PS s'est déroulé à la fin du premier trimestre. Pour la grande majorité des enfants, il s'agissait de leur première année à l'école, et certains n'étaient arrivés que quelques semaines auparavant. Il s'agit d'un public très particulier, pour lequel chaque moment constitue une découverte. On ne peut donc certes viser un apprentissage poussé de la lecture d'images, pourtant j'ai pu constater que bien des réflexes de lecture peuvent être acquis, ou tout au moins découverts, dès cet âge. J'ai donc choisi de leur faire découvrir, analyser (même si à ce stade l'analyse consiste davantage à affiner sa perception) autant d'images que possible : j'ai surtout mis en place une éducation du regard à partir d'imagiers, d'illustrations d'albums et d'images hors contexte. Cela m'a permis d'aborder quelques critères essentiels de l'analyse d'image, adaptés pour des enfants de 2 ou 3 ans. II. I. L'image en contexte : la notion de champ / hors champ dans l'album (annexes 1 et 2) Dès la toute petite section de maternelle, les enfants sont en mesure de trouver des informations dans une image, notamment dans le cadre d'une lecture d'album. J'ai choisi d'aborder les notions de cadrage et de hors champ (deux éléments essentiels de l'image) à travers l'album Où est passé le Père Noël ? En général, le travail sur album en maternelle consiste à faire le lien entre les illustrations et le texte, l'un éclairant l'autre et inversement. Ici, la difficulté était de formuler des hypothèses sur l'origine des empreintes (cf annexe 2). Pour chaque double page où apparaissent de nouvelles empreintes, les enfants devaient imaginer qui les avait laissées, d'où venait ce personnage et où il allait. 14 Déroulement de la séance : Première de couverture : Au coin regroupement (avec le groupe classe), les enfants découvrent qu'Alfred (la mascotte de la classe) a apporté un nouvel album : Où est passé le Père Noël ? Ils émettent tout d'abord des hypothèses sur le contenu de l'album, d'après ce qu'ils peuvent voir sur la couverture. Ici, il s'agit de repérer les différents éléments de l'illustration (ciel et neige, empreintes) et d'en déduire la thématique. Les enfants ont très vite repéré la présence de neige, qui leur a fait penser à Noël. Plusieurs enfants ont spontanément désigné les traces dans la neige en les nommant « empreintes », car un travail préalable avait été fait sur plusieurs techniques permettant de faire des empreintes : à la peinture, avec de la pâte à modeler. Après la lecture du titre par la maîtresse, plusieurs enfants en ont déduit qu'il s'agissait des empreintes du Père Noël. A travers ces hypothèses, les enfants abordent la notion de horschamp : on ne voit pas le Père Noël, seulement des empreintes de pas (qui ne sont pas forcément celles d'un homme pour tous les enfants) dans la neige. On touche ici au symbolisme du blanc (la neige) et du rouge (le Père Noël, puisqu'il y a de la neige). Les illustrations de cet album présentent l'avantage d'être assez stylisées (proches de la technique du collage ou du pochoir) : même si elles ne représentent pas fidèlement la réalité, le symbolisme des couleurs et des formes très épurées est suffisant pour que des enfants de cet âge formulent des hypothèses intéressantes et justifiables. Lecture de l'album : Au fur et à mesure de la lecture de l'histoire, les enfants essayaient de deviner à qui appartenaient les empreintes. Tous les élèves ne participaient pas (certains ne parlaient encore que très peu) mais ici encore, les couleurs et les formes étaient suffisamment évocatrices pour que les enfants devinent aisément l'origine des traces de pas. De plus, lorsque j'ai demandé aux enfants de deviner où se rendait, à leur avis, le personnage ayant laissé ces traces dans la neige, de nombreuses suggestions étaient formulées : j'ai pu me rendre compte que beaucoup des élèves de petite section avaient déjà des images en tête de « ce qui va avec » chacun des personnages, notamment pour les personnages plus proches de leur culture (le canard, mais aussi l'ours, et même le singe). Cela s'est traduit par la facilité qu'ont eue certains élèves à imaginer ce qu'allait faire chacun des personnages (au canard était associé l'idée de nager, l'ours allait peut-être retrouver ses petits, etc.). J'ai donc aisément pu aborder la notion de hors-champ, puisque les enfants devinaient facilement de quel côté étaient orientées les empreintes, et où elles allaient, d'après le paysage de l'illustration. 15 Ateliers Ces ateliers ce sont déroulés tout au long de la semaine. A la fin du regroupement précédant cet atelier, j'ai montré aux enfants les étiquettes des personnages qui apparaissaient dans l'album. Un élève était chargé de retrouver à quel animal correspondait chaque étiquette-empreintes. Ce travail en atelier avait surtout pour but de vérifier que les plus petits avaient compris le lien entre les empreintes et les pattes des animaux (ou les bottes du Père Noël). Mais pour cela, il leur fallait observer chaque étiquette de façon fine, afin de repérer la forme des pattes, qui leur permettait de déduire de quelle forme devait être l'empreinte. Les apports de cette séance : Réalisée en deux temps, cette séance avait pour but de donner aux enfants les moyens d'analyser une image en contexte : ici, il ne s'agissait pas d'une photographie documentaire, mais l'utilisation d'illustrations d'album m'a permis d'aborder, de manière implicite, certains des différents éléments plastiques qui composent une image, quelle qu'elle soit. Les différents éléments qui m'ont semblé abordables en toute petite et petite sections de maternelle sont : ● le format ● le cadre ● champ / hors champ Ici, c'est surtout la notion de champ qui a pu être abordée, dans la mesure où cet album ne faisait pas varier ni les formats ni le cadre des images. Mais les notions de champ et de horschamp ne pouvaient s'aborder sans une prise de conscience préalable de celles de cadrage et de format : lorsque j'interrogeais les enfants sur « où va le personnage ? », nous abordions déjà, de manière implicite, l'idée selon laquelle le choix du cadre, et éventuellement celui du format, était fait dans un certain but par l'illustrateur. En effet, le fait de cadrer d'abord les empreintes, puis le personnage, permettait de mettre en place une situation de suspense qui plaçait les enfants dans l'attente. Cette impression était d'autant plus forte que dans cet album, le texte était très réduit, et répétitif. Pour aborder de manière plus explicite les trois notions essentielles de hors-champ, de format et de cadrage, j'ai donc mis en place d'autres séances autour de l'illustration d'albums, en utilisant des caches pour faire découvrir aux enfants les images de façon progressive. J'ai utilisé cette forme d'entrée dans l'album à plusieurs reprises, et à chaque découverte d'album (lorsque les illustrations s'y prêtaient). Cela consistait à présenter la première de couverture recouverte d'une feuille, où l'on pouvait petit à petit soulever les caches recouvrant les fenêtres (de tailles et de formes différentes). Ces séances de découverte se déroulaient globalement de la même manière : au 16 début, un seul élément est visible. Il s'agissait pour les enfants de deviner ce que cela représente, et de formuler des hypothèses, d'abord sur ce qui était caché, et ensuite sur ce dont pouvait parler l'album. Aussi souvent que possible, je faisais verbaliser les élèves sur la forme de la fenêtre et sa taille. Cette activité répétée, de même que celle réalisée autour de Où est passé le Père Noël, permettait là encore d'aborder la notion de hors-champ, mais surtout d'approfondir celles de cadre et de format. Cette découverte ne se faisait plus de façon implicite : ce système de caches permettait en effet de mettre en parallèle plusieurs cadrages possibles d'une même image. L'illustration entière existe, mais selon la sélection que l'on fait parmi tous les éléments qu'elle contient, le sens qu'on lui donne n'est plus le même. Les enfants ont en effet interprété différemment les images selon ce qu'ils en voyaient. Cependant, j'ai constaté que lors des premières séances, et pour l'ensemble des enfants, il était mal aisé d'intégrer la « partie d'image » qu'ils voyaient dans le grand ensemble que constituait la couverture : il s'agissait pour eux d'éléments distincts, non constitutifs d'une seule et même image. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de répéter ce type d'activité, aussi souvent que possible. Cette approche de l'image par le biais de l'illustration d'album m'a donc permis d'aborder quelques notions essentielles pour la lecture d'image. Bien entendu, les enfants n'ont pas appris à nommer leur action et à organiser leur lecture d'image (ça n'était pas notre propos, et ne pouvait en aucun cas être envisageable puisque les programmes spécifient bien qu' « il n'est pas question de faire une analyse formelle qui laisserait de côté la question du sens »3). De plus, l'assimilation de réflexes pour la lecture d'image efficace se déroule sur le long terme : c'est à travers la lecture de différents albums (choisis pour le rôle que les illustrations y jouaient dans le récit) que cela a pu être abordé, et c'est au contact d'images de différents types que les enfants de petite et toute petite section de maternelle pourront se constituer un « bagage » d'images aussi diverses que possible. Ces séances sur les illustrations d'albums étaient donc conçues comme des approches de l'image visant à donner aux élèves quelques bases d'analyse d'image. Afin de leur donner tous leur sens, elles ont été répétées aussi fréquemment que possible. II. II. Découverte de l'objet-image : utilisation de l'imagier Pour poursuivre cette approche, et davantage l'orienter sur la lecture de photographies documentaires, j'ai donc choisi de me consacrer également à l'analyse de photographies dans les imagiers, pour permettre aux enfants de « découvrir le monde ». Les documents d'application précisent à ce sujet que « toute activité de « lecture d'image » doit contribuer à améliorer la 3 Documents d'application des programmes « La sensibilité, l'imagination, la création, école maternelle », 2002 17 perception de messages. »4 Il est important toutefois de noter que dans certaines images, et notamment les oeuvres modernes ou contemporaines, il n'y a pas toujours un « message », mais plutôt un « sens ». Il s'agit donc bien, par le contact actif et fréquent avec des images, de donner aux enfants les moyens de donner du sens aux images. Le choix des imagiers se justifie par le fait que, peut-être davantage que les illustrations d'albums, ils permettent aux enfants de faire le lien entre représenté et réel. Cependant, la difficulté réside dans le fait que les enfants de deux ou trois ans n'ont pas encore pleinement conscience de la différence entre dessin et photographie. Je me suis donc appuyée sur des imagiers photos où de nombreux éléments représentés étaient similaires aux objets de la classe. a. L'imagier pour aborder les formes Dans le domaine « découverte du monde » les enfants étudiaient les formes et les couleurs, c'est la raison pour laquelle j'ai utilisé L'imagier photos de l'éveil afin de lier leur découverte des formes à l'analyse d'images photographiques. Cet ouvrage présente en effet plusieurs thématiques (dont les formes et les couleurs) par le biais de photographies diverses (objets de la vie courante, jouets et oeuvres d'art). A l'aide de ce support pédagogique, j'ai étudié d'une part les couleurs, et d'autre part les formes. Mon analyse portera ici sur l'étude de la forme ronde uniquement, car le principe était le même dans le cas des couleurs. Dans un premier temps (et lors d'une première séance), j'ai donc choisi d'analyser la double page 28-29 de l'imagier. J'avais déjà eu l'occasion de travailler avec les enfants sur cet imagier, dans le cadre de la découverte des couleurs. Ils avaient donc déjà acquis quelques réflexes, quelques habitudes pour la lecture d'images, et pour la mise en relation image / réel. Cette séance se déroulait en trois moments : d'abord lecture d'image (il s'agissait dans un premier temps pour les élèves de décrire ce qu'ils voyaient sur telle ou telle image). Cette première activité avait pour but de développer le langage des enfants, et surtout d'aborder la notion de forme : cela permettait de voir que la notion de rond ne s'applique pas qu'aux situations bidimensionnelles, puisque les photographies de l'imagier représentaient à la fois des dessins de ronds, et des objets ronds. Cependant, il n'était pas évident pour des enfants de cet âge de prendre conscience du caractère tridimentionnel de la balle, du bouton ou du cerceau dans la mesure où il s'agissait uniquement, à ce moment de l'activité, de photographies, que les enfants ne rapprochaient pas nécessairement de la réalité. J'ai donc fait le lien en leur faisant manipuler les objets correspondants aux photographies, lorsqu'il s'agissait d'éléments moins connus des enfants. Le second temps d'activité avait pour but de favoriser cette représentation en mettant les enfants en situation de recherche et de manipulation. 4 ibid. 18 Après cette première activité, la consigne donnée aux élèves était donc de retrouver les objets représentés en photo dans l'imagier, à l'intérieur de la classe. Cela a pu se faire dans la mesure où tous les objets de la page 29 avaient déjà été manipulés, puis rangés par les enfants, à plusieurs reprises (et notamment lors de temps informels comme le moment d'accueil), ce qui avait permis à chacun des élèves de « faire sien » tous ces objets. De plus, l'avantage de cet imagier était que la plupart des objets représentés étaient effectivement présents tels quels dans la classe; il n'y avait donc pas de difficulté particulière pour faire le lien entre « une assiette » (en général), et l' « assiette photographiée dans l'imagier », puisqu'il s'agissait des mêmes objets. Il s'agissait donc de voir que les photographies de l'imagier représentent une réalité. Durant cette seconde activité, j'ai cherché à faire verbaliser les enfants autant que possible, afin de leur faire nommer à la fois ce qu'ils voient sur l'image, ce qu'ils ont trouvé dans la classe, et les différents noms de formes qu'ils connaissent, en axant davantage sur le rond avec les plus petits. Enfin, le troisième temps consistait, sous forme d'ateliers, à demander aux enfants de classer des images selon la forme de l'objet qu'elles représentaient. Il s'agissait donc, en quelque sorte, de « compléter » l'imagier ainsi étudié, en y ajoutant des photographies. La difficulté, pour les tous petits, résidait dans la forme de l'image. Certains avaient du mal à classer les images selon ce qu'elles représentaient, et non pas selon leur propre forme. Pour réduire cette difficulté autant que possible, j'ai choisi de découper toutes les photographies selon la même forme (carrée). De plus, j'ai utilisé ce moment d'atelier avec les tous petits également comme un moment de langage : il leur était difficile, seuls, de prêter attention à la forme de l'objet représenté. J'ai donc choisi d'être présente dans cet atelier, afin de les faire verbaliser sur le contenu de l'image et la forme représentée. b. L'imagier pour développer le langage (cf annexe 3) En second lieu, j'ai utilisé un autre imagier (L'imagerie photos de Noël). L'objectif de ces séances autour des décorations de Noël était de développer le vocabulaire des enfants. Certes, l'activité précédente visait à développer le langage des enfants, mais ici, il s'agissait du vocabulaire spécifique aux décorations de Noël. Ces séances se sont déroulées l'après-midi, avec un nombre réduit d'élèves (cinq à six). Ce petit effectif m'a permis de donner la parole à chaque enfant, autant que possible. Chacun de ces temps de langage s'est déroulé mi-décembre, et lors de la première séance, les enfants avaient remarqué en début d'après-midi (avant la sieste) que le sapin de Noël avait été apporté dans la classe. Les enfants ont ensuite découvert, près d'Alfred (au coin regroupement), deux grands sacs (dans lesquels j'avais placé les décorations, ainsi que l'imagier). 19 Déroulement de l'activité : Après avoir formulé quelques hypothèses sur le contenu du sac les enfants ont découvert l'imagier de Noël. Très vite, ils ont fait le lien entre les photographies de l'imagier et les décorations de Noël. J'ai donc ensuite utilisé l'imagier pour faire le lien entre image photographique et réel : tout d'abord, nous avons découvert quelques décorations sur l'imagier. Il s'agissait pour les enfants de les nommer, et ensuite de les retrouver, si cela était possible, parmi les décorations présentes dans les sacs. Cette activité était organisée de façon à alterner les moments de lecture d'image, de recherche et de motricité fine (afin de placer les décorations sur le sapin). C'était un moment très riche, où les plus avancés parmi les enfants situaient, à l'oral, les décorations en fonction de leur place à l'intérieur de l'imagier, tandis que les plus jeunes (ou les plus réservés) participaient activement à la décoration du sapin. Ainsi cela m'a permis de développer le vocabulaire pour situer un objet dans l'espace, notamment « en haut », « en bas », et « à côté de » : pour les plus jeunes des enfants, je leur demandais (c'était parfois un autre enfant qui formulait cette demande) de placer sa décoration « à côté » de telle autre, par exemple. Ces deux séances autour de l'imagier avaient pour but de faire découvrir le lien entre image photographique et réel. J'ai ensuite voulu approfondir cet apprentissage par une seconde activité. Cela avait aussi pour but de faire partager aux élèves absents l'après-midi, ce que l'on fait lorsqu'ils sont absents. Il s'agissait de réaliser leur propre « imagier de Noël », à partir de photographies que j'avais faites du sapin décoré par les enfants. J'avais, dans ce but, photographié plusieurs détails du sapin, en faisant varier les formats, et en sélectionnant principalement les objets qu'ils avaient déjà pu voir en photo dans L'imagerie photos de Noël. Cette activité était assez difficile, surtout pour les plus petits, qui n'ont sans doute pas perçu les différences de formats. Cependant, le fait d'avoir travaillé au préalable sur les illustrations d'albums à travers les fenêtres, puis sur l'imagier, m'a permis de faire plus aisément le lien entre les différents formats, dans la mesure où les enfants étaient ainsi familiarisés avec les différentes représentations photographiques des décorations. Avec le groupe des petits, pour montrer que l'on pouvait sélectionner des parties plus ou moins grandes de l'objet photographié (ici, le sapin), j'ai photocopié d'une part la photographie du sapin, en l'agrandissant suffisamment pour pouvoir ensuite mettre en place un jeu sur les variations de formats, et d'autre part plusieurs éléments constitutifs du sapin (essentiellement des éléments de décoration), en les agrandissant à la même échelle que la vue d'ensemble. Les photographies des éléments de décoration étaient découpées dans des formes et des tailles différentes, que j'ai ensuite réutilisé pour découper plusieurs « fenêtres » aux mêmes formats. Le jeu consistait à choisir une image-détail, et à la replacer sur la vue d'ensemble du sapin. Lorsque ce jeu a été acquis, j'ai ensuite 20 pu ajouter une nouvelle consigne : trouver la fenêtre correspondant à l'image détail. Cette activité, davantage destinée aux petits, était aussi réalisée en parallèle avec les tout petits, mais en faisant varier la consigne : il s'agissait alors uniquement de retrouver la décoration correspondante à chaque photographie, sans insistance particulière sur la notion de format. II. III. Pour mieux regarder les images En toute petite et petite sections de maternelle, l'utilisation des images pour découvrir le monde favorise l'enrichissement de l'expérience sensible de l'enfant : il apprend ainsi à comprendre les messages délivrés par les images. Mais à 2-3 ans, les enfants manquent encore de recul face à l'image. Il m'a donc semblé important, outre le travail réalisé sur les illustrations d'albums et les imagiers, de permettre aux enfants de s'exercer à mieux regarder les images. Le but, à travers ces activités, n'est pas de demander à l'enfant de formuler une expression précise à partir d'une image donnée, comme s'il n'existait qu'une lecture possible. Il s'agissait au contraire de permettre une réelle communication langagière, où les enjeux sont méthodologiques, et de l'ordre de l'action : il n'était en aucun cas question d'attendre des productions orales prédéfinies. L'enfant doit pouvoir être réellement acteur lors de l'échange oral. L'essentiel était ici de chercher dans l'image un support rendant nécessaire l'expression, en vue de permettre une situation de communication (c'est à dire, comprendre et se faire comprendre). De plus, les activités qui vont suivre visaient à faire le lien entre image et imagination. En effet, les programmes ne parlent pas, en maternelle, d'arts visuels comme à l'école élémentaire. Ils font apparaître ce domaine sous le titre « La sensibilité, l'imagination, la création ». J'ai donc utilisé l' image comme support signifiant. a. Trouver une image La première séance avait pour objectif d'amener les enfants à observer attentivement des images, afin de les classer ensuite de manière justifiée, à partir de critères judicieux. Cette activité de langage a eu lieu en ateliers (avec 4 à 6 élèves). Diverses photographies étaient mises à la disposition des élèves. Le jeu consistait à deviner quelle était l'image que j'avais choisie (l'ensemble des images restant étalées face aux élèves). Au départ, et notamment pour les groupes d'élèves les plus jeunes, je leur donnais un indice, un élément constituant de l'image (un objet, par exemple, que l'on ne pouvait trouver que dans une des photographies). Par la suite, j'ai mentionné des éléments qui demandaient une lecture plus fine de l'image, et mettant en comparaison toutes les images présentées : par exemple, « une image où il n'y a pas de rouge », « une image où l'on sait qu'il a 21 plu », etc. Les images sélectionnées étaient toutes des photographies. Elles représentaient des paysages et objets divers, et faisaient varier autant que possible les formats, les couleurs, les points de vue. Il n'était pas question ici de faire verbaliser les élèves à ce sujet et de manière consciente, cependant il m'a semblé important de donner aux enfants l'occasion de côtoyer des images aussi diverses que possible. Cette activité, réalisée sous forme de jeu, permettait de faire participer tous les enfants, à la mesure de leurs moyens (tous ne parlant pas encore spontanément, ils n'étaient pas toujours en mesure d'expliciter leur choix). A l'issue de cet atelier, un bref rappel était fait de quelques critères employés pour décrire les images, et des principaux indices que les enfants ont utilisés pour les trouver. Afin de donner à ce jeu de découverte plus de poids, je l'ai mis plusieurs fois en place lors de l'accueil, ou pendant des moments plus informels de la journée, puisqu'un travail réalisé avec de tous jeunes enfants n'a de sens que s'il est répété suffisamment souvent pour créer des habitudes et un cadre permettant aux enfants d'organiser leur lecture d'images. En effet, lors des premiers essais, ce jeu était très difficile pour la plupart des enfants. Je l'ai donc fait varier : parfois, il consistait à voir ce qui différenciait deux images très proches. Les règles du jeu étaient alors les mêmes, mais les images étaient très semblables, de manière à faire porter l'attention des élèves sur un indice en particulier. Le but de cette activité était de dépasser la vision globale d'une image et de donner aux enfants des habitudes d'exploration approfondie. En outre, le fait de répéter ce jeu assez fréquemment m'a permis de donner une certaine autonomie, pour les plus âgés des enfants, face à une image nouvelle. En effet, les enfants ont ainsi découvert comment établir leur propre description d'une image, à partir d'un schéma global qui leur donnait suffisamment de liberté, puisque je n'attendais en aucun cas une réponse toute faite. Pour autant, les habitudes de lecture n'étaient pas acquises par tous les élèves à l'issue de mon stage. De plus, les images sélectionnées m'ont permis de déterminer avec les enfants deux grandes catégories d'images documentaires : il s'agissait du paysage et du portrait (au sens large). Cette distinction essentielle n'était pas évidente pour chacun, je l'ai donc ensuite employée de nouveau lors de l'activité de classement des images. Par ailleurs, l'intérêt de ce jeu est de donner libre court au langage, et c'est en ce sens que je l'ai repris ensuite avec les enfants les plus avancés dans le domaine du langage. Dans ce second temps de jeu j'ai utilisé des images que les enfants connaissaient déjà pour les avoir découvertes lors des ateliers. Mais ici, je leur donnais une description qui pouvait parfois s'adapter à plusieurs images. Dans ce cas, les enfants choisissaient une image, et s'ils n'étaient pas d'accord, ils 22 expliquaient leur choix. Cela a donné lieu à des temps de langage et de communication entre les enfants très riches. A plus long terme (vers la fin de l'année), il aurait d'ailleurs été possible et très intéressant de renouveler cette activité en demandant à un enfant de faire deviner à ses camarades l'image qu'il a sélectionnée. b. Classer des images A partir de ce premier travail de découverte des images, j'ai pu mettre en place une seconde activité (sur la seconde partie de la semaine, et toujours en parallèle avec des temps de jeu « libres » de description et de lecture d'image). L'activité précédente avait pour but de permettre aux élèves de s'approprier les images, afin qu'ils les connaissent suffisamment bien pour pouvoir ensuite en faire un classement selon des critères appropriés. Cependant, cette seconde activité ne s'appuyait pas uniquement sur ces images connues : elle comportait également quelques images nouvelles. La séance consistait, à partir d'un ensemble d'images variées, à classer ces images selon différents critères, établis collectivement. Pour cette activité, les enfants étaient répartis par groupes de 5 environ, par demi classe. Après avoir observé librement les images, les enfants devaient déterminer lesquelles pouvaient « aller ensemble ». Le travail préalable de description fine de ces photographies avait déjà permis aux élèves de faire quelques remarques, lorsqu'ils observaient des similitudes entre elles. De ce fait, ils ont assez rapidement pu répondre à la consigne de « ranger les images selon un critère ». Les enfants ont ensuite expliqué pourquoi ils ont choisi tel critère, et ce qui leur a permis de mettre ensemble certaines images. Ce travail effectué en maternelle m'a paru essentiel : il m'a permis de prendre conscience de la quantité de notions non évidentes qui entrent en jeu pour comprendre les images, qu'elles soient documentaires ou non. De plus, les enfants de toute petite et petite sections de maternelle portent un regard spontané sur l'image, ils laissent facilement aller leur esprit dans l'imaginaire, ce qui leur permet de donner assez aisément du sens aux illustrations et photographies. Cependant, la différence entre image documentaire et image fictionnelle n'est en aucun cas évidente, et à aucun moment primordiale à leurs yeux. C'est pourquoi j'ai choisi de diversifier les activités permettant de faire le lien entre représenté et réel (pour les photographies documentaires), afin de leur faire ressentir autant que possible la différence de fonction entre ces deux types d'images. 23 III.Transformer des images pour mieux les analyser au cycle 3 (CM2) Au cycle 3, l'objectif de l'éducation du regard est, nous l'avons vu en première partie, très éloigné de celui du cycle 1. Pourtant, les deux participent à une même progression, qui a pour but de permettre aux enfants de fin de CM2 de disposer des connaissances nécessaires pour leur rentrée en sixième. En effet, les premières découvertes, en maternelle, sont essentiellement basées sur l'image, et j'ai utilisé cet aspect de l'enseignement pour enrichir leur culture visuelle, au contact d'images variées, tant du point de vue de leur fonction que de leur technique de production. Au cycle 3, les connaissances des élèves en matière de lecture d'image sont déjà bien ancrées, c'est pourquoi il m'a semblé essentiel, en partant de leurs savoirs, de les placer face à des « images qui mentent » (le mensonge pouvant se faire par diverses techniques), afin de faire de l'éducation du regard, une éducation au regard critique. La classe où j'ai fait mon stage était constituée de 26 élèves, à Dijon. Dans l'ensemble, il s'agissait d'enfants sans grandes difficultés, et d'une classe très vivante, c'est pourquoi j'ai pu aisément mettre en place des séances collectives de lecture d'image. Par ailleurs, j'ai pris en charge trois séances d'arts visuels avec quinze élèves de CE2 / CM1 / CM2, en ateliers lors d'un décloisonnement. Dans le cadre de ces séances, j'ai lié travail plastique et analyse, afin de mettre en évidence la notion de transformation d'image. J'ai repris cette logique avec ma classe de CM2, mais de manière plus approfondie, dans le domaine des arts visuels. A travers ces séances, j'ai commencé par la pratique artistique, en vue d'éclairer des productions non artistiques, et surtout afin de donner aux élèves des clés pour analyser les images en prenant du recul. Ce dernier temps d'apprentissage s'est fait avec différentes séances (dans des disciplines variées) utilisant comme support des images informatives qui présentaient une difficulté d'analyse demandant une prise de distance de la part du lecteur par rapport à l'objet image. III.I.La transformation d'image (cf annexe 4) Ces séances se sont déroulées dans le cadre du décloisonnement. Parmi les quinze élèves, cinq étaient issus de la classe dont j'avais la charge. C'est la raison pour laquelle il ne s'agissait pas par ces séances d'apporter un bagage théorique important, mais bel et bien d'explorer les techniques de transformation en dessin. A l'issue de chacune des séances, a eu lieu un temps de verbalisation, afin de donner un sens à l'activité. Ces deux séances constituaient en réalité un tout, dont l'objectif était de créer un visage de monstre, à partir du dessin d'un visage humain. 24 La première séance de décloisonnement avait pour but à la fois de voir les habitudes de travail des élèves, de situer le sujet et de vérifier leurs connaissances sur quelques notions. L'activité que j'ai présentée consistait à repérer les différents plans d'un paysage, et de les séparer afin de le modifier. L'image choisie était un paysage de bord de mer, en noir et blanc afin de faciliter le découpage en plans. Les élèves ont très vite su découper cette image, j'ai donc pu rapidement les amener à inventer leur propre paysage : il s'agissait, à partir des bandes ainsi obtenues, de les déplacer, puis de les combler, afin d'en changer totalement la structure. Le paysage de départ était plat, assez monotone, et je leur ai demandé d'imaginer une vue toute autre. Ils ont ainsi pu explorer les différentes méthodes de déformation de l'image, en orientant et en plaçant les bandes de différentes façons, mais également en soulignant ensuite, à l'aide du crayon à papier, de nouvelles lignes importantes. En dernier lieu, les élèves ont eu à présenter ce qu'ils avaient fait, à décrire aussi bien leurs actions que l'évolution de leur projet, puisque beaucoup d'entre eux, partis « au hasard », avaient fini par cibler un type de paysage assez précis. Ce dernier temps a permis à tous les élèves de tirer profit de ce que chacun avait fait. Ce premier travail était une simple ébauche, que la seconde séance avait pour but de compléter. Ici, il ne s'agissait plus de découverte plastique, mais d'un temps où les élèves devaient réutiliser les techniques qu'ils avaient employées lors de la séance précédente, ou qu'ils avaient observées au moment de la mise en commun. A la question « comment pouvons-nous transformer ce visage en visage de monstre ? », plusieurs suggestions ont été formulées, faisant référence aux travaux réalisés lors de la séance précédente et que l'on pourrait catégoriser ainsi : ajouter des éléments modifier l'organisation du visage (certains élèves ont fait référence à Picasso) étirer / incliner le visage ou certaines parties du visage Dès lors, les élèves ont repris la technique du découpage / collage pour créer leur visage de monstre. Mais auparavant, je leur ai demandé de construire leur projet. En effet selon les programmes, quel que soit leur niveau, les élèves dessinent, explorent des techniques pour s'exprimer et inventer, et non pas simplement pour « représenter le réel ». Mais au cycle 3, ils comprennent que « fabriquer une image, c'est avoir des intentions et faire des choix »5. Il ne s'agit donc pas de se contenter, comme ils l'avaient fait lors de la séance précédente, d'utiliser une ou plusieurs techniques au hasard, « pour voir ce que cela fait ». La séance précédente n'était en effet qu'un prétexte à l'exploration, et le but lors des deux séances suivantes était de faire en sorte que chaque élève puise dans son imaginaire afin de créer son propre monstre. C'est pourquoi, avant même de lancer les élèves sur un projet, j'ai préféré d'abord les réunir afin de les faire verbaliser sur « qu'est-ce que c'est 5 Documents d'application des programmes « Education artistique, école élémentaire », 2002 25 qu'un monstre ? ». Ce temps, très important, était orienté autour du portrait. Il s'agissait en fait d'imaginer ce qui différenciait un visage humain d'un visage de monstre. J'ai ainsi pu recueillir plusieurs idées que nous avons ensuite réuni en critères plus généraux : la couleur, la forme, le nombre d'éléments (yeux, oreilles, bouche, etc.), et la présence d'éléments nouveaux. Mais j'ai surtout fait remarquer aux élèves qu'il y avait plusieurs façons de concevoir un monstre : il peut être effrayant ou laid, ou simplement plus ou moins différent de l'être humain, ce qui lui confère sa monstruosité. Après ce premier travail, j'ai présenté aux élèves plusieurs portraits au crayon de personnages humains de bandes dessinées. J'ai fait ce choix afin de donner plus de facilité aux élèves lors de la « recréation » : la technique du crayon était ici plus simple à « copier ». En effet ce travail de transformation demandait aussi aux élèves de repérer, sur l'original, les différentes nuances, et de repérer les traits de crayon importants et qui leur permettaient de compléter correctement les blancs de leur production. La fin de cette séance, ainsi que la séance suivante, ont consisté à transformer ce visage en réutilisant la technique du découpage-collage. En outre, tout au long de ce travail, je leur ai demandé de conserver leurs différentes étapes de réalisation (les ébauches éventuelles, les dessins inachevés).Ce travail a été très riche, et la phase préalable de verbalisation a permis aux élèves de réaliser un portrait de monstre correspondant à leur projet. Ils ont ainsi découvert qu'à partir d'une image, qu'elle soit portrait ou visage, il était possible de créer une représentation toute autre. Afin de mutualiser tout ce qui avait ainsi été découvert, j'ai terminé ma deuxième séance par un moment de regroupement, où chacun des élèves présentait ce qu'il avait fait. Pour cette présentation, la consigne était de présenter ce qu'ils avaient fait en expliquant quel était leur projet de départ, et comment il avait évolué au fur et à mesure qu'il effectuait sa réalisation. Ce temps d'explication, assez difficile pour les plus jeunes, et notamment pour les élèves de CE2, s'est fait avec l'aide des différents éléments représentant les étapes de réalisation. Ce travail m'a permis d'insister sur plusieurs choses, non seulement au moment de la mise en commun, mais également tout au long du projet, en fonction de l'avancée de chacun. Tout d'abord, les élèves ont pris conscience de l'importance d'un travail préalable pour toute réalisation plastique, d'une intention — et c'est là l'un des points forts de l'image (qu'elle soit artistique ou documentaire). En effet, lors de la mise en commun, les élèves se sont rendu compte de la relativité de la représentation plastique. Très souvent, ce qui était perçu par les élèves observateurs n'était pas ce que l'élève producteur visait : ils accordaient de l'importance à des détails auxquels l'élève n'avait pas fait attention, ou encore prêtaient une intention à l'auteur du dessin des intentions que celui-ci n'avait pas (notamment sur l'expressivité du monstre). Je leur ai donc fait remarquer cette divergence de point de vue, et les élèves de CM2 ont très vite fait le rapprochement 26 avec l'intention de l'auteur que nous avions pu voir en classe entière, lors de lectures d'images documentaires en histoire (cf III.III.). En second lieu, nous avons mis en exergue l'importance des différentes étapes de réalisation, en fonction d'un projet : là encore, la notion de point de vue, d'intention intervient, dans la mesure où le projet de chacun des élèves était fait dans un but particulier, ou, en tout cas, en vue de produire un effet particulier. Dès lors, chaque étape est importante pour expliquer ce projet : elles participent toutes au résultat final. Enfin, et tout particulièrement à partir du travail d'une élève, nous, avons pu mettre l'accent sur la facilité qu'il y a à transformer une image. Dans la production de cette élève, les bandelettes découpées étaient réunies de façon à ce que le second portrait reste très proche de l'original. Pourtant, le léger décalage qu'il y avait entre certaines parties suffisaient à « re-créer » le visage, à modifier son identité. J'ai donc insisté sur le fait que pour transformer une image, lui faire dire un message différent, il suffit de peu de choses. En effet, en comparant cette production avec d'autres, les élèves ont constaté que beaucoup d'entre eux avaient ajouté de nombreux éléments, s'éloignant beaucoup du portrait initial (afin de créer un monstre aussi effrayant que possible). Nous avons donc pu voir qu'un changement minime suffisait à modifier toute l'expression d'un visage. Cette séquence d'arts visuels, en permettant aux élèves de pratiquer la retouche plastique, ne suffisait pas pour englober toutes les possibilités de manipulations de l'image. Cependant, en s'appuyant sur un travail de dessin personnel, les élèves ont pris conscience de l'intention de l'artiste derrière chaque oeuvre, et de l'importance du travail préalable de recherche. Les séances que j'ai ensuite mises en place dans ma classe de CM2 avaient pour but de mettre l'accent à la fois sur la manipulation de l'image, et sur la manipulation par l'image. III.II L'analyse d'image : apports théoriques Afin de donner aux élèves les moyens de faire une analyse critique de toute photographie documentaire, j'ai, parallèlement à de fréquentes séances d'analyse de photographies documentaires (par exemple en sciences, en histoire et en géographie), mis en place plusieurs séances en arts visuels, autour de la manipulation d'images. L'objectif était, de même que dans le cadre du décloisonnement, de donner aux élèves l'occasion de manipuler les techniques, et de verbaliser afin d'en déduire des connaissances théoriques. Comme j'avais alors la classe entière, j'ai pu introduire de manière explicite les différents éléments essentiels de l'image. Ceux-ci sont les mêmes que ceux abordés en maternelle en première partie, mais ils sont bien évidemment étudiés de manière explicite. Il ne s'agit plus de se contenter de découvrir les différents formats et cadrages 27 possibles, mais de les utiliser en vue d'une production plastique personnelle. Cette séquence d'arts visuels s'est déroulée en 3 séances. Elle avait pour objectif de démontrer l'importance du cadrage et du format dans toute image, et du rôle joué par ces deux éléments pour le sens de l'image. La première séance mettait l'accent sur la double de notion de cadrage et de format (cf annexes 6, 7 et 8). La première partie de cette séance consistait à faire émerger des remarques, aussi libres que possible, autour d'une oeuvre projetée au tableau. En réalité, il s'agissait d'un détail de l'oeuvre de Van Gogh Terrasse de café la nuit. Les élèves ont donc formulé des hypothèses, proposé des titres possibles, que j'ai notés au tableau. Très vite, du fait du manque de netteté et de précision de l'image, certains ont suggéré qu'il s'agissait peut-être d'une image agrandie. On touchait là à la notion de format et d'échelle. J'ai ensuite projeté l'oeuvre entière : ils ont très vite repéré d'où avait été tiré l'extrait. Je leur ai ensuite demandé de faire le même travail d'analyse du tableau : dire ce que l'on voit, quand cela se passe, qui sont les personnages, ce qui se passe, etc. J'ai relevé leurs propositions, dans une colonne en vis-à-vis des remarques concernant le détail. Celles-ci présentaient des différences importantes, ce qui m'a permis de mettre l'accent sur l'importance du cadrage, pour le sens d'une image. De la même façon, et cette fois-ci à partir d'autres oeuvres, choisies en fonction du nombre d'éléments ou d'objets qu'elles comportent, la consigne donnée était, dans un travail individuel, de « créer une nouvelle image, en sélectionnant une partie de l'oeuvre ». Pour réaliser ce nouveau cadrage, les élèves disposaient d'une feuille de papier qu'ils pouvaient découper comme ils le souhaitaient. Après avoir ainsi « recadré » l'image, je leur ai demandé de lui donner un titre. Lors de cette séance, l'objectif était donc de prendre conscience de la diversité des formats possibles des images : il s'agissait pour les élèves, non pas de découper une fenêtre quelconque dans leur feuille de papier, mais de la penser, en fonction du détail de l'oeuvre qu'ils voulaient mettre en valeur. C'est pourquoi l'exercice a dû être parfois renouvelé, afin de leur montrer qu'à chaque détail peut correspondre un format particulier. De plus, lors du choix du titre, le seul objet représenté n'était pas suffisant pour les justifier. Lorsque le format sortait de l'ordinaire, il leur était possible de l'intégrer au titre. Ainsi, une forme ronde peut faire penser à une bulle, une forme d'étoile à un objet qui éclate, etc. Ce travail devait permettre aux élèves de voir que l'image n'est pas seulement ce qu'elle représente, mais aussi la manière dont elle représente. Cela fait ressurgir de nouveau l'importance que l'on peut donner à l'intention de celui qui produit une image : en fonction de ce que l'on veut lui faire dire, on ne la présentera pas de la même façon. A l'issue de cette séance, les élèves devaient présenter aux autres ce qu'ils avaient choisi, au moyen du rétroprojecteur : ainsi, leurs camarades ne voyaient que l'image sélectionnée, dans le format choisi. L'intérêt de ce moment d'échange était de montrer que, sur une même oeuvre (ou sur 28 une même image), chaque lecteur donne une importance relative et personnelle aux différents éléments qui la composent. De plus, pendant ce temps de verbalisation, l'importance du titre donné à une image est apparu : certains élèves avaient sélectionné, sur une même oeuvre, un même élément. Mais, en fonction du sens qu'ils lui prêtaient (et parfois simplement en fonction du format qu'ils avaient choisi), ils ne lui ont pas donné le même titre. Par ailleurs, le choix que j'ai fait lors de cette séance de ne pas utiliser l'image photographique s'explique par l'objectif même de cette séance. En effet ici, il ne s'agissait pas d'apprendre à lire une photographie documentaire, mais de voir dans l'image certains éléments qui la constituent. Or, il m'a semblé plus judicieux, pour favoriser la libre expression des élèves, d'employer des oeuvres comportant des éléments, des objets pouvant être porteurs de sens aux yeux des enfants. Le but n'était pas de faire le lien entre représenté et réel comme nous l'avions fait en maternelle, ou comme nous avons pu le faire lors d'autres séances, mais de voir l'importance du cadrage et du format dans tout type d'image. A partir de ce premier travail, j'ai choisi, lors d'une séance de littérature, de faire le lien entre l'image et le texte. Cet objectif était, comme le précédent, directement lié à la lecture d'images documentaires, puisqu'alors, le texte (qu'il soit légende, titre ou passage explicatif de l'image) a toujours une influence très importante sur le sens que l'on donne à l'image. Il s'agissait d'une séance de découverte d'un oeuvre longue, Le journal d'Adèle. L'objectif de cette séance était d'entrer dans ce nouveau roman, et, en ce qui concerne la lecture d'image, de prendre conscience du lien étroit que l'image entretient avec le contexte dans lequel elle se trouve. En effet, nous avions pu voir lors de la séance d'arts visuels sur le cadrage que le sens d'une image dépend fortement du titre qu'on lui donne. Mais dans le cas de la première de couverture du Journal d'Adèle, c'est tout l'environnement textuel qui est important. Certes, il ne s'agit pas d'une photographie documentaire, et cette image présente les éléments essentiels de l'illustration de roman, mais dans le cadre de cette séance, j'ai choisi de la considérer comme une image à fonction informative. En effet, les élèves ne connaissant pas l'ouvrage que je leur présentais, je leur ai demandé de déduire, à partir des éléments dont ils disposaient (c'est-à dire tous les éléments présents sur la première de couverture : titre, auteur, illustration), « de quoi parle ce roman ». Ensuite, j'ai projeté la quatrième couverture, qui, en donnant davantage de renseignements, devait leur permettre de « donner du sens » à cette illustration, et notamment d'identifier le personnage que l'on aperçoit au fond, et les sentiments que l'on peut deviner sur le visage de la jeune fille. Cette séance de lecture d'image, comprise très facilement et par l'ensemble de la classe, n'avait pas pour objectif de placer les élèves devant une difficulté particulière. Il s'agissait simplement, à partir d'une lecture d'illustration seule (c'est-à dire sans prendre appui sur le contexte pour l'interpréter), de déduire l'importance du contexte environnant l'image. Cela m'a semblé 29 important, dans la mesure où il est rare de présenter, dans la vie courante, une image dépourvue de son contexte. Bien au contraire, selon les éléments (textuels ou iconographiques le plus souvent) qui l'entourent, il est possible de donner à une même image des sens très différents. Je prendrai l'exemple flagrant d'Internet (mais on le voit également, et depuis plus longtemps, dans les périodiques), où il est très aisé de trouver le cas d'une même image documentaire, utilisée à des fins différentes, sans pour autant que le contenu plastique en soit modifié. Dans le cas de cette séance cependant, même s'il s'agissait d'ouvrir ensuite plus généralement sur la lecture d'images documentaires, l'analyse était précisément celle d'une illustration de roman, en première de couverture. Après une première découverte de cette page, et quelques hypothèses de la part des élèves, je les ai placés en situation de choix : quel était, d'après eux, le contenu de l'ouvrage, et est-ce que cela leur donnait envie de le découvrir ? A ce moment de la séance, il s'agissait d'une activité proche de celle que j'ai ensuite pu mettre en place en BCD. En effet, le but était de les amener à faire des choix d'ouvrages, selon leurs goûts, et éventuellement selon une thématique précise. Ici, les élèves n'ont certes pas eu à chercher le roman, mais ils retrouvaient le même processus de réflexion que s'ils se trouvaient devant un roman trouvé en BCD ou à la bibliothèque. Ils devaient être en mesure, sans lire le contenu de l'ouvrage, de trouver suffisamment d'informations sur la première et la quatrième de couverture, pour effectuer un choix. Il s'agit donc bien ici d'une lecture d'image porteuse d'information, dont une bonne analyse permet de mieux imaginer ce qu'elle présente. Par ailleurs, les séances de littérature autour de ce roman m'ont permis de donner du sens aux apprentissages en histoire : dans ce roman, il est question d'une jeune fille, Adèle, qui écrit son journal pendant la Grande Guerre. A plusieurs reprises, des descriptions très précises des conditions de vie très rudes des soldats y apparaissent. J'en ai donc fait une étude approfondie qui m'a ensuite permis de faire le lien avec des documents photographiques dont la lecture efficace demandait des connaissances préalables. III.III La photographie documentaire en histoire Ces différentes séances d'analyse d'image ont permis aux élèves de nommer les différents éléments de l'image qui lui donnent du sens. Ce travail s'est déroulé en parallèle avec plusieurs séances en histoire, géographie et sciences, autour de la lecture de photographies documentaires. Ici, même si le principe d'analyse reste le même, certaines connaissances étaient préalablement nécessaires pour faire une « bonne » lecture d'image. Dans cette partie, je me bornerai à analyser une séance en particulier, concernant la lecture de photographie documentaire en histoire. Les photographies que je leur ai proposées au cours de ces diverses séances présentaient 30 des éléments divers qui en faisaient des photographies manipulatrices, ou en tout cas des photographies « qui mentent ». Ce travail visait donc à mettre en évidence les possibilités des modifications du sens d'une image par recadrage, mise en scène, changement de légende, ou même retouche. Mais il m'a aussi permis de faire référence à la distanciation nécessaire entre volonté de celui qui produit une image, et sensibilité du lecteur. Tout au long de l'histoire, les hommes ont cherché à influencer leurs semblables de bien des manières. Or, si le langage peut être un moyen approprié de manipulation d'autrui, l'image présente elle aussi bien des intérêts dans ce domaine : pouvant être véhiculée, elle ne nécessite, de prime abord, aucun apprentissage préalable (contrairement au texte, qui pendant longtemps n'a été accessible qu'à un nombre réduit de lettrés). C'est justement cette apparente facilité de lecture qui a permis, et d'autant plus maintenant avec l'apparition de la photographie et de toutes les nouvelles techniques audiovisuelles, d'utiliser l'image à des fins de persuasion ou pour convaincre. Il s'agit alors de la fonction conative de l'image. Cette fonction est celle des images publicitaires notamment, mais également celle des images de propagande. Or, c'est cette fonction, associée à une image documentaire, qui présente un risque pour le lecteur non averti. La photographie documentaire est d'autant plus concernée par ce phénomène que, dès l'apparition de cette technique, elle a donné lieu à des manipulations. En histoire, et pas seulement au cycle 3, les connaissances se fondent sur la base de documents, qu'ils soient historiques ou contemporains, textuels ou iconographiques. C'est donc là que se situe l'un des risques majeurs d'une mauvaise lecture d'image. C'est aussi dans ce domaine que l'on trouve le plus d'images falsifiées, et d'images manipulatrices. Mon stage en CM2 s'est déroulé au deuxième trimestre, et la période au programme en histoire était la Première Guerre Mondiale. Cette époque fut très riche, et m'a semblé très intéressante pour aborder le thème de la manipulation par l'image. En effet, l'essentiel des documents de toutes sortes qui nous viennent de cette période a subi des modifications : que ce soient les lettres de poilus, les photographies du front, ou les articles de journaux, ils ont très fréquemment été modifiés ou établis en fonction d'une volonté du gouvernement. Ces documents (qui étaient alors des documents d'actualité) avaient pour but de rassurer la population de l'arrière. Même s'ils sont repris aujourd'hui pour donner une image de la guerre, il faut savoir les analyser en prenant le recul nécessaire. J'ai choisi de faire travailler les élèves sur la Première Guerre Mondiale en s'appuyant sur des dossiers documentaires divers, composés à la fois d'images (photographiques ou autres), de textes, de cartes et de chronologies. De plus, la lecture quasi quotidienne d'une partie du Journal d'Adèle a permis de renforcer leurs connaissances. La principale séance consacrée à l'analyse de 31 photographie documentaire « manipulatrice » a eu lieu vers la fin de la séquence, afin que les élèves aient suffisamment de connaissances préalables pour l'analyser correctement. Il s'agissait de la photographie intitulée Dans une tranchée française avant l'assaut (cf annexe 9). Lors de cette séance collective, l'objectif était d'amener les élèves à exercer leur regard critique sur une photographie documentaire, à l'aide de leurs connaissances sur une époque. Déroulement de la séance : Dans un premier temps, la consigne était, après avoir observé en silence l'image, de commenter librement ce qu'ils voyaient (le document étant projeté au tableau). Les élèves avaient déjà, au cours des différentes séances de lecture d'image, pris l'habitude d'organiser leurs remarques. En premier lieu, ils effectuaient une analyse plastique de l'oeuvre. Ce premier temps de lecture a permis aux enfants de dire ce qu'ils voient, d'une part, et ce qu'ils comprennent, d'autre part. A partir de ces remarques, plusieurs hypothèses ont été formulées par l'ensemble de la classe, déjà fortement orientées par ce qu'ils avaient déjà appris du déroulement de cette guerre. La lecture plastique du document s'est ensuite poursuivie de manière à faire émerger le danger que représente la pseudo réalité d'une photographie. Il était question de faire la différence entre le « réalisme » d'une photographie (j'entends par là son degré de ressemblance avec le monde qui nous entoure, par opposition avec le dessin ou la peinture, et la réalité qu'elle est censée plus ou moins représenter). Il s'agit en effet d'une photographie ayant été prise en 1917 : elle est donc contemporaine des événements qu'elle représente. De ce fait, certains élèves l'ont spontanément reconnue comme « vraie » : selon eux, il s'agissait nécessairement d'une photographie représentant la situation réelle des soldats dans les tranchées. Mais d'autres élèves ont alors réagi en disant qu'une photographie ne représentait pas nécessairement la réalité, puisqu'il est possible de la retoucher. D'autres ont également évoqué la possibilité que cette photographie ne représente pas la situation dans son ensemble, qu'elle ait été recadrée de manière à cacher des soldats blessés. A partir de cette réflexion, nous avons rappelé les notions de hors-champ, de cadrage et de format que nous avions déjà étudiées : la notion de réalisme a ainsi pu être définie plus spécifiquement pour cette situation. Ce que les élèves se demandaient alors était de savoir si cette photographie avait été retouchée. Les élèves ont donc conclu provisoirement qu'ils ne pouvaient pas savoir s'il s'agissait d'une situation réelle ou non. Dans un second temps, je leur ai demandé de porter leur attention sur les objets, les personnages représentés sur cette photographie. Il s'agissait d'une description iconique, visant à donner du sens à cette image. Les élèves ont ainsi relevé les différents objets (gourde, fusil, masque à gaz, casque, barbelés) et l'attitude générale des soldats : Ils ont ainsi très vite pu réinvestir leurs connaissances sur les conditions de vie dans les tranchées : les raisons du masque à gaz, le rôle des 32 barbelés, etc. Ils ont donc ainsi fait émerger tout le contexte historique auquel fait référence cette image. C'est à partir de ce travail d'analyse méthodique que les élèves ont pu répondre à leur question première, qui était de savoir si cette image avait subi des retouches ou non. En effet, après avoir comparé cette photographie avec ce qu'ils savaient des conditions de vie des soldats dans les tranchées, les élèves ont pu constater qu'il y avait là un décalage important. Après la lecture et l'analyse du Journal d'Adèle, ils avaient en effet appris que les conditions d'hygiène, notamment, ainsi que les attaques fréquentes de la part de l'ennemi, étaient loin de permettre aux soldats de rester dans cette posture courageuse, vêtus d'uniformes propres. C'est de là qu'ils ont conclu que cette image n'était pas réaliste. Ils ont en revanche noté qu'ici, le trucage n'avait pas lieu après tirage, mais au moment de la prise de vue, par le biais d'une mise en scène : en effet, bien qu'elle ait été effectivement prise dans une tranchée, il ne peut s'agir d'une photo instantanée, puisque, comme un élève l'a noté, les appareils photo de l'époque ne permettaient pas de prendre des photographies « sur le vif », puisque le temps de pose requis par le matériel (et notamment les pellicules) de l'époque était très long. Je leur ai ensuite demandé pourquoi cette photographie avait été prise. Les élèves ont très vite noté qu'il pouvait s'agir d'une photo pour montrer ce qui se passe à la guerre aux gens de l'arrière. Je leur ai donc demandé, puisqu'ils avaient noté l'écart entre la situation présentée sur cette image et les conditions de vie réelles des soldats, quel était l'objectif de cette photo. Ils ont alors pris conscience qu'il s'agissait d'une photographie prise non pas pour montrer ce qui se passe, mais pour faire croire, pour rassurer. Ainsi apparaissait la notion de propagande, qui durant la Grande Guerre est passée par toutes sortes d'images, et notamment par des photographies dites d'actualité, qui répondaient à une demande du gouvernement. Cette séance, mise en relation avec l'analyse d'autres documents (lettres de Poilus censurées, affiches de propagande), a permis aux élèves de prendre conscience de la relativité de l'information, et de l'importance d'une prise de distance par rapport à ce que l'on voit. 33 Conclusion De la toute petite section de maternelle à la terminale, l'éducation du regard est un enjeu essentiel de l'enseignement. Même s'il revêt des formes très diverses au courant des différents apprentissages, c'est à l'école primaire qu'il est essentiel de donner aux enfants les bases nécessaires à la bonne compréhension des images de toutes sortes qu'ils côtoient chaque jour. C'est en multipliant les contacts variés et conscients avec des représentations visuelles, que chaque élève de fin de cycle 3 pourra se construire un référentiel personnel, qu'il pourra mettre en relation avec toute nouvelle image qu'il aura à analyser. En effet, au collège, puis plus tard au lycée, l'élève doit de plus en plus « donner du sens » à des documents iconographiques, de manière à en tirer des informations. Or c'est en connaissant l'importance de chaque élément constitutif de l'image pour son interprétation, qu'il sera en mesure de prendre du recul par rapport à ce qu'il perçoit. Le but, à travers les séances que j'ai mises en place, mais qui demandent à être prolongées et renouvelées, était de donner aux élèves les clés nécessaires pour acquérir des méthodes efficaces d'analyse de la photographie documentaire. En maternelle, il s'agissait d'un type d'image parmi d'autres, puisqu'il est essentiel pour des enfants de cet âge de découvrir des images aussi variées que possible, à la fois dans leurs modes de production (dessin, photographie), dans leur fonction (information, illustration, expression) et dans leur support (livre, affiche, étiquettes). Cependant, et pour donner à la photographie toute son importance, je n'ai pas été en mesure d'utiliser un appareil photo au sein de la classe, devant les élèves de manière à ce qu'ils prennent davantage conscience du lien entre photographie et réalité. L'utilisation d'un appareil photo numérique aurait alors eu un intérêt certain, puisqu'il aurait permis d'avoir un résultat immédiat et de donner à voir directement aux élèves le lien entre image et prise de vue. Au cycle 3, les élèves étant en mesure d'exprimer un avis et d'appuyer leur suggestion par des arguments, la lecture de photographie documentaire, en utilisant les connaissances théoriques de l'image que nous avons pu voir, permet de faire le lien entre ces différents éléments, et, plus important encore, de créer un lien entre ceux-ci et le sens, aussi objectif que possible, que l'on peut donner à l'image. En ce sens, la lecture d'image en contexte m'a semblé essentielle dans cet apprentissage, puisque ce qui construit le sens d'une image, c'est un ensemble d'éléments qui ne sont pas tous présents à l'intérieur du cadre. Pourtant, ces séances d'apprentissage autour de la lecture d'image, en 34 maternelle comme au cycle 3, ne suffisaient pas pour donner aux élèves toutes les clés nécessaires à une autonomie réelle face aux images. En effet, ce type de connaissances, à la fois méthodologiques et théoriques, ne peuvent se construire que sur le long terme, et en CM2 cet apprentissage ne fait que s'amorcer. Le but de mes séances était donc de montrer l'importance de chaque élément constitutif d'une image, aussi infime qu'il paraisse de prime abord. Par ailleurs, j'ai souhaité varier les situations dans lesquelles j'ai pu mettre en place une lecture d'image. En effet, l'un des intérêts de l'image, à l'école comme à tout niveau d'enseignement, est d'avoir une réelle place dans toutes les disciplines. La photographie documentaire a, à ce titre, de grands avantages dans la mesure où, si elle est bien choisie, elle suffit à résumer une situation, et tout particulièrement dans des disciplines liées aux sciences exactes et humaines. J'ai d'ailleurs pu constater au cours de mes différents stages un réel intérêt de la part des élèves pour la lecture d'image, quel que soit le contexte. Il est évident que cet intérêt ne se limite pas aux situations de classe, c'est pourquoi cette éducation à un regard critique me semble essentielle, non seulement pour donner accès à des connaissances, au sein d'une situation d'enseignement, mais également pour donner aux élèves les moyens de devenir des lecteurs conscients d'images. 35 BIBLIOGRAPHIE 36 Bibliographie Images et médias BALLE Francis, Les médias, Flammarion, 2000 FREUND Gisèle, Photographie et société, Seuil, 1974 GERVEREAU Laurent, Un siècle de manipulations par l'image, Somogy, 2000 LEPRETTE Jacques, PIGEAT Henri, Ethique et qualité de l'information, PUF, 2004 Image et Histoire COLODIET François, « L'analyse de la photographie d'histoire », in L'école des lettres – Collèges n°11, mars 2001 BONVOISIN Samra (dir.), Historiens et géographes face à la médiatisation de l'événement, CNDP, 1999 JADOULLE Jean-Louis, DELWART Martine, MASSON Monique, L'histoire au prisme de l'image, T.1 : « L'historien et l'image fixe », 2002 Image et pédagogie BATTUT Eric, BENSIMON Daniel, Lire et comprendre les images à l'école – cycles 2 et 3, Retz, 2003 BON Catherine, CHAUVEL Denise, Images et langage à l'école maternelle, Retz, 2004 CUSSOL Robert, « Pour lire les photos de presse » in Les cahiers pédagogiques, n°357-358, octobre-novembre 1997 FOZZA Jean-Claude, Petite fabrique de l'image, Magnard, 1995 HEBUTERNE-POINSSAC Béatrice, L'image éducatrice ? PUF, 2000 LA BORDERIE René, Education à l'image et aux médias, Ed. Nathan pédagogie, 1997 LETZ France, JOLLY Francis, Une rentrée photographique... CRDP de l'académie de Créteil, 2002 MARTIN Michel, Sémiologie de l'image et pédagogie, PUF, 1982 SALLES Didier, « La photographie de presse », in Lire au collège, n°41, 1995 SCEREN, Des images à l'école maternelle, SCEREN, 2004 SOURDILLON Marie-Laure, « La presse à l'école. Pour former des lecteurs 37 vigilants. Quelques pistes d'approche des images de presse », in Intercdi, n°151, janvier-février 1998 Manuels, albums et imagiers RAICK Fabienne, COPPOLA Chris, ROUX Phillippe, Mon imagier photos de l'éveil, Hatier, 2004 L'imagerie photos de Noël, avec Moustilou Documents officiels Documents d'application des programmes « La sensibilité, l'imagination, la création, école maternelle », 2002 38 ANNEXES 39 ANNEXE 1 : Couverture de l'album Où est passé le Père Noël ? ANNEXE 2 : Extrait de l'album Où est passé le Père Noël ? 40 ANNEXE 3 : Extrait de L Imagerie photos de Noël 41 ANNEXE 4 : Une production d'élève sur la création d'un visage de monstre 42 ANNEXE 5 : Première de couverture du Journal d'Adèle 43 ANNEXE 6 : Terrasse de café la nuit, Van Gogh 44 ANNEXE 7 : Moi et mon village, Marc Chagall 45 ANNEXE 8 : Exemple de production d'élève (Cadrer : le tableau dans le tableau) Titre : L'invasion des martiens 46 ANNEXE 9 : Dans une tranchée française avant l'assaut (source : Magnard cycle 3) 47 L'ENFANT FACE AUX IMAGES MANIPULÉES : Comment exercer le regard critique ? Résumé : Dans de nombreux champs disciplinaires, l'image est un support pédagogique privilégié. Cependant, avec tous les risques de manipulation qu'elle comporte, elle demande un apprentissage spécifique, qui permette à l'enfant d'exercer son regard critique, et notamment face aux photographies documentaires. Cette « éducation du regard » se traduit par des objectifs très différents, et néanmoins complémentaires, de la TPS au CM2. Mots clés : Image Manipulation Esprit critique Photographie documentaire 48