1940-1943. Au cours de son temps passé dans trois stalags et un

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1940-1943. Au cours de son temps passé dans trois stalags et un
NOTE de la maison d’édition :
1940-1943. Au cours de son temps passé dans trois stalags et un Kommando où la
carte d’identité est KG (Kriegs Gefangener) peinte dans le dos, Emmanuel CORNO
nous raconte au travers de ses carnets ce que fut sa vie entre 1940 et 1943.
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Les représailles attendues à la suite des évasions, ont commencé et d'abord, nous avons
été marqués d'un grand KG à la peinture blanche dans le dos (Kriegs Gefangener), ce qui
veut dire prisonnier de guerre en allemand ; comme des moutons !... Puis on nous a parlé
de nous couper les cheveux à ras mais ce n'est pas encore arrivé et nous attendons ! D'autre part, interdiction aux civils de communiquer avec nous sous peine de prison. Madame D. se voit interdire l'entrée de son jardin trop près de notre camp. Comment vais-je
faire maintenant pour recevoir les lettres de ma petite femme chérie. Enfin, je tâcherai de
trouver une combine.
Hier, j'ai fait ma lessive mais maintenant, je n'ai plus de savon. Plus de tabac non plus,
plus de ravitaillement, cela devient grave ! Les représailles sur la nourriture sont dures également. De l'orge et du boudin, le soir, fromage, et cela pendant quinze jours !...
Voilà bientôt, l'heure de la reprise du travail. Je fais tous les métiers ici : menuisier, charpentier, maçon, terrassier, employé de gare et ce matin pompier ! Un feu qui couvait depuis le bombardement s'est ravivé et nous avons été l'éteindre et nous continuons ce tantôt.
Ça y est : le sort en est jeté. Mes pressentiments ne m'avaient pas trompé, je vogue depuis
ce midi en direction de l'Autriche, je crois !... Enfin, c'est cela ce que l'on nous a dit au
départ. Juste avant de partir, un Allemand avec qui j'avais travaillé m'a fait écrire à ma petite femme chérie et mettra ma lettre à la Poste.
A 12H15, nous étions chargés dans des wagons à bestiaux. Nous sommes quarante hommes là-dedans et tout est bouclé.
De 9H à 9H30, casse-croûte. Fin de travail à 12H30. Repas sur le terrain, même par tous
les temps. Reprise à 13H15, sans arrêt jusqu'à 18H30/19H. Rentrée au cantonnement
vers 19H30. Epluchage des patates aussitôt pour nous tous et pour les Polonaises (elles
sont une centaine), soupe vers 20H15 et nous sommes enfin bouclés dans les chambres
vers 21H30. Pour nos besoins, un baquet sans couvercle !... La nourriture est assez abondante. Nous mangeons dans une petite cuvette qui nous sert d'assiette, des patates midi et
soir, jamais de viande sauf le dimanche, un ou deux morceaux, gros comme une noisette,
si on a encore la chance de tomber dessus car tout est mélangé ! Les mercredis et samedis,
nous touchons un pain de trois livres et tous les matins une cuillérée de confiture ou un
morceau de margarine pour le casse-croûte (c'est notre meilleur repas). Le matin, égale-
ment un demi-litre de café au lait. Pas de boisson, le soir, un peu de lait avec les patates,
on mélange généralement !...
Pour dormir des paillasses et deux couvertures ayant servi déjà, à je ne sais qui, et n'ayant
jamais été désinfectées aussi comme elles sont pleines de poux, nous sommes tous dévorés. Comme hygiène, zéro, on n'a pas le temps puisqu'on travaille le dimanche toute la
journée. Pas moyen de se laver convenablement, ni de se raser ni de laver notre linge, du
reste nous n'avons pas de savon. Les sentinelles qui nous gardent s'en fichent et veillent
plutôt à notre travail qu'à un essai de bien-être envers nous ! La ferme est une ferme
d'Etat nationalisée, des inspecteurs impitoyables qui n'hésitent pas à nous cravachés au
besoin, s'ils ne sont pas contents, des contremaîtres qui agissent de même à l'aide de
coups de manche de fourche ou de coup de pied dans le derrière. Quelle vie ! Un forçat
est plus heureux. En plus de cela, ce qui ne devrait pas être, aucune camaraderie ou presque : les caractères sont trop aigris !
Tout à coup, à 3H du matin, le train s'est arrêté. On a entendu des bruits de pas et des
ordres. Les soldats ont ouvert la porte et un Sous-off dirigeant une lampe électrique a désigné cinq parmi nous. Je faisais partie du nombre. Ils nous ont fait descendre à coups de
crosses puis ils nous ont alignés en contre bas du remblai. J'ai tout de suite compris qu'ils
allaient nous fusiller. Le champ descendait en pente douce vers un petit-bois mais c'était
trop loin pour que je puisse m'y échapper. Je reverrai toute ma vie, cette pleine lune en
entendant les ordres de l'Officier Allemand et le bruit des culasses manipulées par les soldats. J'ai revécu, en l'espace de quelques secondes ce qui avait été ma vie. Je ne reverrai
plus ma Nisette, je ne connaîtrai jamais mon petit Joël.
L'ordre a été donné puis un bruit assourdissant. Deux de mes camarades à côté de moi
sont tombés. Mais je n'ai rien senti, nous n'avions rien, le peloton avait tiré en l'air. L'émotion sans doute pour ces deux camarades ?
Les sentinelles nous ont fait remonter brutalement dans le wagon et l'Officier nous a dit
que la prochaine fois, le peloton viserait plus bas.
Je me suis installé en travers de la porte et j'ai prévenu les autres que je tuerai tous ceux
qui essaieraient de sortir !...
Le 4 août 1943
J'ai essayé de dormir mais trop d'énervement et assez serré, huit par compartiment.
Nous sommes passés par Cologne et Coblentz dans la nuit et en ce moment nous sommes arrêtés sur une voie de garage à Trêves.
Départ de Trêves, 8H. Passons la frontière à Surk à 9H30. Voici la France !
Thionville, 10H. Metz, 11H, Nancy, 14H. Ravitaillement de la Croix-Rouge. 22H, Dijon.
2H30, Chalon-sur-Saône. Nous descendons pour nous séparer avec la zone libre et effectuons quelques formalités de remise aux autorités françaises.
Quelle joie de respirer l'air de France à pleins poumons ! J'ai commencé à réaliser dès
l'instant que nous avons parlé à des petites Françaises et à des enfants. Il y avait trois ans
que cela ne m'était pas arrivé !
Quel doux langage, le français, dans la bouche d'une femme !
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