LA STASE DU VIRTUEL

Transcription

LA STASE DU VIRTUEL
LA STASE DU VIRTUEL
Thomas GAON, OMNSH et Centre Littoral
Transcription de l’intervention au colloque
Je suis très content, je n’ai pas pu être là hier parce que hier « la guilde » justement, un réseau
de cliniciens organisait sa première journée d’étude à Paris qui s’intitulait « Figure clinique et
arsenal thérapeutique » et qui essayait d’offrir un panorama de cette question-là et du travail
thérapeutique, des propositions de soin dans ce domaine. Je vais essayer de résumer un peu ce
qui s’y est dit parce que ça a modifié inévitablement mon exposé précisément sur le terme
d’addictions. Dans ce groupement, la plupart des participants préféraient le terme d’usages
problématiques jugé plus neutre.
1. Introduction
Quand j’ai reçu la proposition d’intervenir à ce colloque : « Addictions, aliénation ou structure
de résilience ? » Je me suis interrogé sur ce « ou », c’est-à-dire au final pourquoi pas aliénation
« et » structure de résilience, pourquoi serait-ce soit l’un, soit l’autre ? Puisque dans une logique
psycho-dynamique, la logique addictive est une logique de défense, comme le dit Freud, un
échafaudage de secours ou, au travers de la clinique que j’exerce dans un centre d’addictologie
depuis 5 ans (consultation de jeunes consommateurs) dans laquelle je reçois principalement des
adolescents ou jeunes adultes pour des usages problématiques de jeux vidéo. Bien entendu ce
que je constate, c’est dans quelle mesure le jeu vidéo sert à tenir le coup, à tenir – j’insiste sur ce
terme de tenir – tenir par soi-même, être tenu également, tenir dans une société dont on se
demande si elle tient encore debout et si elle tient encore les individus dans un contexte de
chute des institutions.
Je vais commencer mon propos qui s’élaborera par « touche », et qui sera organisé autours de
certains textes afin de proposer un parcours général, jusqu’à quelques vignettes cliniques en fin
d’intervention.
Souvent lorsque j’interviens lors de formations, de séminaires sur cette question « addiction
au virtuel », j’aime bien citer ce texte :
« Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de
Cyrus envers les Lydiens. » - Cyrus était un empereur perse qui a capturé la Grèce, enfin ce qui
n’était pas encore la Grèce – « Cyrus, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour
captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient
révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville
ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en
assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une
ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la
suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes
sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient
ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi. »
Ce texte date de 1546, il a été écrit par Etienne de la Boétie dans son ouvrage intitulé « De la
servitude volontaire ». Ainsi, quand on commence à parler d’addiction, il semble que la servitude
volontaire va nous intéresser. Les bordels, les tavernes et les jeux : le sexe, la drogue et le jeu.
Mais évidemment, Etienne de la Boétie utilise son texte, enfin utilise l’histoire pour son propos
politique, si on se rapporte à Hérodote qui écrit en quelque sorte la première version de
l’histoire, voilà ce que dit véritablement Crésus à Cyrus : « Pardonnez aux Lydiens, mais de crainte
qu’à l’avenir ils ne se soulèvent et qu’ils ne se rendent redoutables, défendez-leur d’avoir des armes
chez eux et ordonnez-leur de porter des tuniques sous leur manteau, de chausser de brodequins, de
faire apprendre à leurs enfants à jouer de la cithare, à chanter, et les arts propres à les rendre
efféminés. Par ce moyen Seigneur, vous aurez bientôt des hommes changés en femmes et il n’y aura
plus à craindre de révolte de leur part. »
Ce qui est intéressant ici, c’est bien sûr la question du conflit, la question aussi de la
construction de la masculinité. Or, dans nos consultations, les joueurs de jeux vidéo sont 98%
des hommes, ce qui nous renvoie très clairement aussi à cette question de la construction du
genre masculin.
Cet axe nous indique –je n’étais malheureusement pas là précédemment pour reprendre la
question de la fonction du jeu et la question du jeu vidéo– que le jeu vidéo est à la fois un
dispositif technique, une machine à jouer, c’est-à-dire quelque chose qui permet aux individus de
jouer– et là, je reprends Platon, je reprends aussi Derrida. Cela nous relie à la question suivante :
à partir du moment où l’individu délègue à une technique, à une machine, une faculté
personnelle, une faculté à soi, il s’en rend de toute de façon dépendant.
2. Jeu solitaire
Ainsi, désormais, quand on joue à ce jeu vidéo, on a besoin d’une machine pour jouer. Or le
jeu vidéo, ce qui l’institue, ce qui le démocratise, c’est la pratique du jeu solitaire. Le jeu solitaire
n’est pas quelque chose de très répandu avant l’arrivée de l’informatique. Dans la plupart des
jeux, vous avez la nécessité d’avoir un partenaire, un adversaire, et le genre de relation que cela
implique. Les jeux solitaires arrivent avec l’arrivée de la modernité. Ce sont ainsi les Réussites
aux cartes par exemple, ou encore ce sont les Solitaires. Il s’agit de jeux qui émergent aussi dans
la bourgeoisie avec une origine divinatoire également.
Ce qui démocratise le jeu vidéo, c’est la pratique du jeu solitaire c’est-à-dire de pouvoir, d’une
certaine manière, jouer pour son plaisir pouvoir faire l’économie de l’autre. Je vous donne un
exemple très simple : le Monopoly. Ce jeu de société a des contraintes intrinsèques. Afin de
pouvoir jouer au Monopoly –si tant est que mon seul plaisir soit de jouer au Monopoly– j’ai
besoin des autres. J’ai besoin même de prendre soin des autres. Parce que si je les insulte, si je
triche, au bout d’un certain temps, ceux-ci vont me dire « on ne joue plus avec toi ». D’où la
question de la fonction en un certain sens « sociale », la nécessité sociale de l’autre pour jouer.
Or, le lien social est ici central. Bien entendu, je ne suis pas spécialiste de cette perspective –
mais dans mon acception, il s’agit simplement de l’interdépendance des individus entre eux, si
on n’a pas besoin les uns des autres pourquoi faire une société finalement. Or, le jeu vidéo, au
départ, peut faire cette économie-là. Or – et c’est là où l’on rejoint la question de l’addiction chez
Freud – au final la masturbation, qu’est-ce ? C’est également faire l’économie de l’autre. Et
quand Freud parle de la masturbation, il déclare que c’est le modèle de toutes les addictions
futures, ne plus passer par l’autre. Or, la masturbation a elle aussi un autre avantage, quelque
part, de savoir toujours comment cela va finir. Alors qu’à l’inverse la relation sexuelle est
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incertaine, on ne sait pas comment cela va s’achever ; et c’est d’ailleurs un des plaisirs aussi, le
fait de ne pas savoir ce qui va arriver.
Concernant la question du jeu, et notamment le cas du jeu de carte des Réussites ou des
Solitaires, je vais prendre un autre texte. Ce texte est extrait de « Des jeux et des hommes » de
Caillois. Il traite d’un type de jeu bien particulier. Il est intéressant parce que Caillois y parle de
2 jeux vidéo qu’on trouve souvent qui sont la Réussite, un jeu à sensation stable, et l’ancêtre du
jeu vidéo : le flipper, un appareil à sous, c’est un des parents, l’autre parent, c’est le jeu de rôle
principalement qui donnera le jeu d’aventure, et ça se mélangera.
3. Jeu, excès et dépendance
Déjà dès les salles d’arcade, avant les jeux de rôle en ligne, aux Etats-Unis on parlait d’effets
captateurs, d’addictions aux jeux vidéo et vous avez des descriptions de maladies où les enfants
sèchent l ‘école, volent de l’argent pour aller mettre des pièces de 25 cents dans les salles
d’arcade, ce qui est effrayant, véritablement puisque c’est dans les années 80, dans les salles
d’arcade qui sont des lieux assez particuliers, des mauvaises fréquentations bien sûr.
La question de l’addiction, c’est une question extrêmement importante parce que c’est un
type de maladie qui est toujours à l’intersection entre la philosophie, la politique et la médecine.
C’est-à-dire que cette question n’est pas nouvelle. La question de l’addiction, c’est la question de
la dépendance mais c’est aussi la question de l’excès, « L’hybris » en grec. Au final, cette question
de l’excès et de la dépendance a été une question qu’on dû gérer pendant presque la majeure
partie de l’humanité, les pouvoirs politiques et philosophiques, notamment avec beaucoup de
textes de Platon, d’Aristote concernant la question du contrôle de soi, de ce qu’est une bonne vie,
de ni trop, ni trop peu, la médiocrité au final.
Le mythe de Icare vaut cela – Icare est un adolescent, il va trop haut alors son père lui dit
« sois médiocre » - « médiocre » veut dire en grec « sois moyen ». Vous voyez aujourd’hui
comment être moyen c’est de la médiocrité, ce n’est pas assez en tout cas. Donc, ce sont les
pouvoirs politiques et bien sûr religieux qui ont dû s’occuper de gérer les passions humaines –
qui sont profondément individuelles. Encore une fois, j’insiste sur le côté fondamentalement
antisocial des problématiques addictives qui sont par exemple l’amour, la faim, le sexe, la
drogue, et ce genre de choses. Et comment ne pas être dans l’excès et ne pas devenir dépendant.
Etre dépendant, c’est un autre aspect que celui de l’excès. Il faut le différencier – et j’insiste
beaucoup sur la différenciation entre ce qui est de l’ordre de l’excès et ce qui est de l’ordre de la
dépendance. Il s’agit de la dépendance comme façon de gérer, d’équilibrer, un fonctionnement
psychique, une tentative d’équilibrage d’un fonctionnement psychique qui a perdu son point
d’équilibre. C’est toujours une tentative de lutte ou de restauration contre un vacillement
identitaire qu’il soit inné, acquis depuis longtemps, ou traumatique, d’origine accidentel. En
d’autres termes, le sujet a son économie psychique qui ne fonctionne plus et il va se servir de
l’objet pour pouvoir se réguler et continuer à fonctionner, c’est-à-dire éviter l’effondrement tout
simplement. Généralement l’effondrement veut dire la dépression ou de trop fortes angoisses et
cela peut s’appliquer avec énormément d’objets.
4. Jeu vidéo et dépendances
Comment le jeu vidéo rentre-t-il dans ces débats sur l’addiction ? Depuis longtemps on
connaissait l’addiction aux produits. On connaît aussi l’addiction aux jeux d’argent et de hasard,
qui est une addiction reconnue, sans produit. Elle est même le modèle de toutes les addictions
sans produit : le jeu pathologique. Le jeu vidéo rentre dans ce spectre à partir des années 199596 par l’addiction à Internet. On peut dire qu’il rentre au niveau épistémologique avec
l’addiction à Internet, avant on avait des discours, mais on avait très peu de cas. A partir de
1996-97, vous commencez à avoir des cas. Ici, il est essentiel de vous rappeler que les maladies
mentales sont des constructions, ce sont des gens qui disent « je définis des critères, les gens qui
remplissent ces critères sont malades, ceux qui ne les remplissent pas, ils ne sont pas malades.
Cela peut avoir l’air assez simple. La question de « est-ce qu’on est addict ou pas addict ? »
devait être reformulée. La réalité est plus subtile, plus ambiguë : c’est plus ou moins, ça peut
être une variante, et puis il y a des gens qui peuvent avoir des périodes et puis s’arrêter,
beaucoup de gens ont des périodes d’addictions et puis s’arrêtent d’eux-mêmes ou avec de l’aide.
En tout cas, avec le jeu vidéo, la problématique émerge très rapidement en 1996-97 avec les
jeux de rôle en ligne comme « Everquest ». A ce moment-là, les joueurs même qualifie d’ailleurs
ce jeu d’« Evercrack » ou « Nerverest » - « Evercrack » en lien à la cocaïne. Cela renvoie à ces
joueurs qui sont pris dans la spirale du loot, c’est-à-dire du butin et qui passent des heures pour
obtenir ces objets virtuels de valeurs. De fait, pour la première fois dans l’histoire des
techniques, nous avons affaire à un objet, c’est-à-dire un jeu qui n’a pas de fin. Il n’y a pas de
« game over » dans les jeux de rôle en ligne – qui sont communautaires, collectifs, « je ne suis pas
le seul » et donc, et finalement, il n’y a pas d’habitude de consommation ni de capacité de gestion
de ce jeu.
Comment consomme-t-on au final un MMORPG ? La réponse n’est pas simple. Or, comme
Castronova l’explique, ces jeux de rôle en ligne peuvent devenir de véritables lieux d’exil pour
certaines personnes, des véritables refuges et la caractérisation des refuges des individus en
terme d’addiction est toujours problématique – problématique selon la définition d’addiction
qu’on retient. On peut avoir une lecture de la psychiatrie mondialisée notamment cognitivocomportementale américaine qui considère encore une fois qu’au final la personne a un trouble,
qu’elle possède un trouble, et qu’il suffit d’éliminer le trouble et puis tout ira mieux. On enlève le
jeu vidéo et puis tout va bien. Cela signifie qu’au final, le problème ce n’est pas le sujet. Le
problème c’est l’objet. En enlevant l’objet, il n’y a plus de problème. Cette perspective ne se pose
pas le question de savoir « mais pourquoi ce sujet a choisi cet objet ? » et ce n’est pas un hasard.
Personnellement, je pose les choses différemment. On peut considérer que les jeux vidéo
sont une activité de qualité. Effectivement, les jeux en ligne sont infinis. On n’y risque rien. On
peut devenir très fort si on y trouve une place ; et encore une fois, tous les désagréments de la
vie et le côté imprévisible de la vie sont réversibles ou contrôlables dans un jeu vidéo.
Effectivement, tous ces éléments, sont des motifs pour lesquels les gens s’y investissent. Mais
avant tout, il s’agit de se poser la questions de pourquoi les gens émigrent, pourquoi les gens
partent de là où ils sont vers ces univers? Or, en clinique, que voyons-nous ? Nous voyons que
nous avons des individus qui ont toutes les raisons de partir dans ces espaces digitaux. Cette
optique est le modèle psycho-pathologique de l’addiction. Il considère qu’il y a une maladie
primaire et que, au final, s’inscrit sur elle une maladie secondaire qui va être la problématique
addictive. Donc, effectivement, la dépendance aux jeux vidéo ressemble à de l’addiction et
effectivement, il y a des éléments communs dans la fonction qu’occupe le jeu vidéo pour
certaines personnes.
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Quelles sont-elles ? Je l’ai déjà évoqué: équilibrer un fonctionnement psychique, ne pas
penser, ne pas souffrir, ne pas être seul. Les jeux vidéo en ligne développent beaucoup de
dimension de l’humain. Mais des questions plus graves se posent. J’ai rencontré des personnes
qui étaient handicapées et qui passaient en clinique. Ces personnes passaient entre 50 et 70
heures par semaine dans le jeu vidéo et s’y sentaient très bien. Est-ce que l’addiction est une
question de quantité ? Non, la personne s’y sentait très bien, elle disait « je n’ai rien à faire, on me
donne une indemnité, la société me donne une indemnité, dans la vie je ne suis pas reconnu, je ne
suis personne. Là, je m’occupe de 100 personnes, je dirige une guilde, je suis très content. Je ne peux
pas travailler, même si je le voulais, je ne peux pas travailler, j’ai un handicap, voilà, j’ai une
existence. » C’est très intéressant, encore une fois, de considérer ces espaces comme des espaces
sociaux. Mais, il y a un moment où effectivement, le jeu vidéo s’utilisait comme un équilibrateur.
Et c’est là où on marque la différence, là où le jeu vidéo ne devient plus un plaisir mais a une
utilité dans le fonctionnement psychique, notamment d’éviter la souffrance. Quand le jeu vidéo
devient le moyen d’éviter la souffrance, alors, les choses changent. C’est-à-dire que, pour le
joueur, il doit jouer sinon il souffre. Or, on a des cas rares mais qui existent où, effectivement, le
fonctionnement psychique a tellement été appauvri, ou la personne a tellement utilisé le jeu
vidéo de manière à avoir un lien avec d’autres, de manière à se sentir bien ou à ne pas penser
que il en est, au final, dépendant.
Il y a une dernière problématique qu’il faut prendre en compte, c’est l’âge. A l’adolescence, il
est très compliqué de parler d’addiction, même si beaucoup d’addictions commencent à
l’adolescence. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce terme affuble d’une étiquette lourde à
porter, et que, en un an, il suffit de changer un adolescent d’environnement ou qu’il rencontre
une petite copine et tout d’un coup, du jour au lendemain, il abandonne le jeu vidéo. Et il n’y a
plus de problème. Tout repart comme avant, il change de classe.
5. Conclusions
L’important au final dans l’approche qu’on peut avoir de la question de l’addiction c’est quel
intérêt y a-t-il à en faire une maladie ? Sachant que, dans une logique psychiatrique américaine,
on a une inflation des termes et des troubles psychiatriques. Entre la première version du DSM,
et la cinquième, je crois qu’il y a 400% d’augmentation du trouble. C’est-à-dire qu’on trouve,
qu’on crée des nouvelles maladies pour tout et n’importe quoi.
Et quel intérêt y a-t-il à trouver ces nouveautés ? D’autant avec le risque sous-jacent de
perdre de vue la chose la plus importante : le sujet. Le risque avec l’addiction est de considérer
que le problème c’est l’objet et non le sujet. Or, c’est ce que fait précisément l’addiction. Elle dit :
« moi je disparais, et je ne mets devant que l’objet ». En d’autres termes, les joueurs, comme
d’autres personnes, comme les toxicomanes, peuvent dire parfois « moi, je suis un joueur », c’està-dire que ma seule identité au final c’est celle d’un joueur. Je ne fais pas d’amalgame au sens des
effets que provoque un produit et ou ceux créés par le jeu vidéo. Simplement, je veux souligner
que le problème majeur est toujours la réduction d’un individu à un comportement. Cette
posture réductionniste est toujours préjudiciable pour lui, parce qu’il est prisonnier de ce
comportement. Et de ce point de vue-là, il est conforté par la société, les familles qui lui disent
« le problème, c’est l’objet. Retirer l’objet et tout va mieux ». Et le joueur lui-même dit alors « si on
considère que le problème, c’est l’objet, moi je suis finalement sain, et tout va bien. Aidez-moi ». Et
c’est cela qui est terrible.
En clinique, les personnes arrivent avec l’idée que finalement « enlevez-moi le jeu vidéo et tout
ira mieux ». Or, ce qu’on voit, c’est qu’au final les jeux vidéo servaient à quelque chose. Cela
l’aidait et ne peut pas d’emblée, parce qu’on considère que c’est mauvais être enlevé. C’est parce
qu’on a une mauvaise compréhension du fonctionnement psychique, qu’on ne respecte pas le
fonctionnement psychique humain. On retire d’emblée le jeu vidéo et vous avez des gens qui
peuvent se suicider. Vous avez des gens qui peuvent aller encore plus mal.
En définitive, on peut parler d’ « addiction aux jeux vidéo », car ils font trop bien leur travail.
C’est-à-dire que le jeu vidéo je le considère dans ma clinique, comme un antidépresseur. Or, le
problème avec les antidépresseurs est que parfois ils fonctionnent très bien, c’est-à-dire que les
personnes ne se sentent plus déprimées, mais elles ne fonctionnent plus non plus, elles
s’handicapent un peu ou tout à fait la vie. Or, à l’adolescence, cela pose des problèmes parfois
dramatiques voire insoluble. Soit on enlève le jeu et le jeune peut être au bord du gouffre, soit
on le maintien et on oublie la vraie douleur…