Adel Hakim : C`est la deuxième pièce de Lionel Spycher que tu
Transcription
Adel Hakim : C`est la deuxième pièce de Lionel Spycher que tu
Adel Hakim : C’est la deuxième pièce de Lionel Spycher que tu montes puisque l’année dernière tu as monté 9 mm, tu as apparemment de grandes affinités avec l’écriture de Lionel, c’est formidable de mettre en valeur l’écriture d’un jeune auteur. Est-ce qu’il y a beaucoup de différences entre ces deux pièces ? Stéphanie Loïk : Je crois que ce qui correspond parfaitement à mon écriture scénique c’est que c’est écrit comme de la tragédie, c’est très proche de la tragédie contemporaine. La différence forte avec 9 mm c’est qu’il y avait un personnage qui parlait énormément et les autres quasiment pas. Dans Pit-Bull il y a beaucoup de monologues que j’ai mis en dialogue, mais les personnages parlent tous. C’est une chose très différente. Dans 9 mm, les femmes ne parlent quasiment pas alors qu’elles existent complètement dans Pit-Bull. Il est possible que l’écriture de Pit-Bull me convienne plus dans cet aspect qui me permet toute une chorégraphie. Dans 9 mm, je n’aurais pas pu travailler autant sur le corps, sur la chorégraphie et la musique, la pièce s’y prêtait moins. Là c’est une histoire de guerriers, je traite ça comme un rêve, ça pourrait être une réalité ou pas, c’est pour moi entre des guerriers, des anges… . La différence, elle est là. A. H. : Il semble que Pit-Bull soit chorale. Dans 9 mm il y a des mondes assez différents, dans Pit-Bull, personnages, socialement c’est plus une bande de jeunes au fond. une pièce plus sociaux qui sont au niveau des homogène, c’est S. L. : Tout à fait, les personnages se rejoignent tous dans cet espace entre ciel et terre, ils se rejoignent tous dans une même histoire, alors que dans 9 mm il y avait des histoires différentes. A. H. : Ce qui est intéressant c’est que les femmes sont aussi guerrières que les hommes, elles sont dans un combat permanent, elles ne sont pas du tout passives. S. L. : Oui c’est ce qui manquait tout à fait pour moi dans 9-mm où les femmes étaient totalement inexistantes : la mère était une femme effacée et la secrétaire une femme qui n’existait pas, qui n’avait pas la parole du tout. Dans Pit-Bull, elles l’ont et même la jeune fille Princesse est celle qui a peutêtre le plus la parole, c’est celle qui mène la bande, la plus jeune, et l’autre fille, qui est sacrifiée, aussi. C’est vrai qu’il y a un équilibre plus grand entre les personnages. A. H. : Est-ce que cela donne une vision particulière de la banlieue ? Car ce sont des personnages de banlieue, ce sont des jeunes qui vivent dans des cités, dans des HLM. Qu’elle est la vision que soit Lionel, soit toi - avec les acteurs - vous cherchez à donner de ce monde de la périphérie ? S. L. : Quand j’ai cherché les acteurs, je n’ai pas cherché du tout d’acteurs qui viennent de la banlieue. Le mot banlieue pour moi ne m’importe pas beaucoup, ce qui m’intéresse dans cette histoire-là c’est l’enfermement, l’urbanisme, là où on habite, qui est une chose qui stigmatise énormément : les tours, les blocs, les nuages sur les tours, là où on est tous entre ciel et terre, là où il n’y a plus de repères, ça donne déjà une situation d’enfermement. Après ce qui est important pour moi c’est leur situation de combat contre des choses que l’on ne peut plus combattre. Ces jeunes-là sont bien évidemment plus défavorisés que d’autres, certainement, avec un avenir moins ouvert que celui de jeunes venant d’un milieu plus favorisé, c’est évident. Mais ce n’est pas du tout ce que je raconte, je raconte cette espèce de rêve qu’on peut avoir tous, des grands rêves, quand on est très jeune, rêve de changer le monde, que tout puisse exister, qu’on puisse rencontrer les autres, avoir de l’amour, en même temps changer cette société terrible, implacable où les règles sont établies. Et puis quand on s’aperçoit qu’on ne peut pas, on se défenestre. Tout le travail est là-dessus, sur comment à partir du moment où l’on s’aperçoit que ces règles existent et qu’on n’a pas la force de les adopter, ou de partir, d’inventer un autre monde, comment on se jette ? Toute la thématique est là. A. H. : On a aussi l’impression que ces personnages s’identifient à des guerriers, mais on ne sait pas trop contre quoi ils cherchent à combattre, mais peutêtre eux-même ne savent pas. Là on a l’impression que ce qu’ils cherchent à conquérir n’est pas très bien défini, est-ce qu’ils se réfugient dans ces combats de pit-bulls, dans ces nuages qui sont peints sur les murs de leur cité ? guerriers au fond ? Quel est l’objectif de ces S. L. : C’est écrit dans le texte, alors après on l’interprète comme on veut un texte. La référence première ce sont les premiers guerriers, ceux qui sont venus en France, pour servir la France, pour survivre, et qui je crois étaient pour eux des vrais guerriers, ceux d’avant. Ces personnages sont la deuxième ou la troisième génération de ces guerriers, qui ont survécu difficilement, et un jour qui sont retournés chez eux. Ça fait tout le temps référence à ça, au père…. Eux leurs rêves, ce serait d’être ceux qui pourraient vraiment combattre pour une cause, pour aussi survivre, vaincre une solitude, une situation sociale et ils sont dans un mélange entre les guerriers d’avant - les vrais guerriers - et ceux d’aujourd’hui. J’ai beaucoup travaillé sur les samouraïs, ceux qui se battent pour de vraies idées, de vraies causes, avec la force du guerrier. En même temps eux en face n’ont plus ces combats-là, il n’y a plus que des combats avec des chiens, avec de la drogue, avec la police, avec de petites choses… Pour survivre, avoir « des nike air », ils volent, ils ont des armes, mais ils tirent pour avoir de petites choses, pour dealer alors qu’ils ne tirent pas pour de grands combats. Ils sont tous dans cette problématique-là. A.H. : C’est ça qui est désespérant, ils ne peuvent combattre que pour des choses qu’ils savent eux-mêmes être dérisoires, mesquines, minables, par rapport à leur rêve de grandeur. S.L. : Ils ont un potentiel, ils ont tous la possibilité d’être de vrais guerriers. Sauf que, dans ces cités, on ne peut pas être de vrais guerriers, l’ennemi c’est la police. Ils s’inventent des ennemis, mais l’ennemi c’est soi-même, c’est aussi la drogue qu’on se met dans les veines, c’est tout ça. Une société où l’on ne peut plus être des guerriers, sauf si on s’en va, sauf si on rêve autre chose et si on devient vraiment quelqu’un d’autre, ce qui est très difficile dans ces sociétés. A.H. : Les corps, la chorégraphie, tiennent une place très importante dans ta mise en scène. Je crois même que cela a été le point de départ de ce projet, cette envie de faire participer la danse et de l’associer au texte de Lionel. Est-ce particulier ? Ce n’est, décoratif ? que cela a un sens évidemment, pas juste S.L. : Au départ je n’aurais pas monté ce texte si je n’avais pas pensé tout de suite à la chorégraphie et à la musique. La vitalité qu’amène les corps dans l’espace. Pour moi ce sont des gens entre ciel et terre, ça se passe sur les hauts, il y a des échafaudages, ça se passe entre des dieux et des humains. Le corps, quand on voit le hip-hop, a une importance énorme. Quand on voit danser les jeunes des banlieues, il y a une vraie discipline, une vraie énergie, une vraie possibilité, une vraie perceptibilité extraordinaire. Cela amène, j’espère, à ce texte une vitalité, cela lui enlève le côté « noir c’est noir ». C’est une note d’espoir. À la fin du spectacle, la dernière chorégraphie raconte l’inverse : ils ne sont plus morts, ils sont ensemble et ils dansent. Tout est alors possible, le corps, sa beauté et la manière de se situer dans l’espace raconte d’autres choses. La manière de réagir c’est aussi le corps, il n’y a pas que la tête. Dans nos sociétés c’est d’abord la tête, mais il n’y a pas que la tête, il y a aussi le corps dans l’espace. A.H. : Finalement toute la discipline, la violence, l’agressivité, la précision de ces guerriers se réinvestit dans l’art, puisque cette danse est un véritable art, c’est une lumière d’espoir non ? Que la violence des guerriers, en ces temps de cauchemar que nous vivons, montre que l’art est un bon lieu pour que cette agressivité s’investisse ? S.L. : Tout à fait. En plus là on parle de guerriers qui s’autodétruisent, il ne s’agit pas de combattants qui vont détruire les autres. Le travail, c’est sur les vrais guerriers, ceux qui ont un code d’honneur, ceux qui ont un regard sur l’autre, qui savent attaquer quand il le faut mais qui savent aussi se retirer. C’est ça dont ils rêvent, ils rêvent d’être des vrais guerriers – pas des G.I. qui sont en train d’aller en Irak - ce sont des gens qui tentent d’avoir des vrais codes comme les anciens. Mais quand ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas, alors ils s’anéantissent, ils se droguent, ou ils se réfugient derrière des choses. Ils ne sont pas dupes, ils s’accrochent à des choses qu’on leur propose ou qu’ils se fabriquent, détruire. pour survivre mais aussi pour se A.H. : Leur vraie libération passe par cette forme. Cette façon d’investir leur corps, un peu comme les noirs d’Amérique qui se sont libérés à travers le jazz, à travers leur danse et toute la nouvelle culture qu’ils ont apportée aux Etats-Unis. Est-ce que ce type de danse, ce type de culture qui vient des banlieues est une nouvelle façon de se libérer ? S.L. : Je pense que oui, en tout cas là il y a une possibilité. Parce que tu es obligés d’être ensemble, d’être avec l’autre, de le tenir, c’est-à-dire quand il tombe dans tes bras, il faut le prendre, ce que l’on ne fait pas dans nos sociétés, si tu ne tiens pas, l’autre tombe. Tu as une responsabilité vis-à-vis de toi-même et vis-à-vis de l’autre. C’est une tentative forte, et on le voit bien dans ce spectacle, comme ça danse et qu’il y a des acrobaties, si on n’est pas complètement avec l’autre, si on n’est pas attentif à l’autre, si on n’est pas à la parade, si on est replié sur soi-même, l’autre tombe. C’est toute la tentative que je fais sur ce spectacle. Ça raconte un constat terrible en même temps, ça dit « ça serait possible autrement », c’est une utopie et en même temps pas, l’être humain peut et il le fait. Là où je suis très heureuse c’est que cela fait des années que l’on dit de mes spectacles qu’ils sont chorégraphiques. C’est vrai que depuis très longtemps, au moment de Made in Britain de David Leland, c’était beaucoup plus dans cet univers-là. Dix ans ont passé et mon retour en arrière sur une chose totalement chorégraphique est très important pour moi. Je commence à toucher un vrai rêve, pas une interdisciplinarité car ce n’est pas mon truc, mais la musique pour moi est très importante, la musicalité des mots, la musique dans l’espace et les corps tout ça se réunit pour raconter une autre histoire que le mot. Le mot est là mais dessous il y a d’autres énergies. Pour moi il s’agit d’une boucle, peut-être qu’après j’irai ailleurs. A.H. : D’autant plus qu’en ce moment on oppose beaucoup les arts les uns contre les autres : la danse contre le théâtre, les marionnettes contre les acteurs, etc.… Et finalement un spectacle fait appel à toutes les dimensions de l’art, de la chorégraphie, de la danse, du marionnettes S.L. : Tout théâtre et même du théâtre à fait, et même de la musicalité, parole, le mot peut aussi être un chant. de la A.H. : C’est sans doute pour ça que l’intermittence des acteurs et le fait qu’ils soient rémunérés quand ils ne sont pas sur le plateau c’est aussi pour développer toutes ces qualités-là. S.L. : Tout à fait ça s’apprend, l’acteur doit savoir tout faire. Il faut qu’il aille s’enrichir, qu’il regarde le monde, puis qu’il enrichisse son instrument. Souvent en France l’acteur a une formation, mais il n’est pas assez enrichi, il doit enrichir son champs jusqu’au bout, jusqu’à sa mort.