Entrevue avec Dr Nallam Président de l`Alliance française de

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Entrevue avec Dr Nallam Président de l`Alliance française de
Entrevue avec Dr Nallam
Président de l’Alliance française de Pondichéry
Christine Devin & Claude Arpi pour le Pavillon de France
Pondichéry - août 2004
Le Dr. Nallam Venkataramayya est né à Mummidivaram dans ce qui est
aujourd’hui l’État de l’Andhra Pradesh. Son père qui, comme nous le
verrons dans l’interview, a beaucoup marqué sa vie était chirurgien des
hôpitaux de Pondichéry avant l’intégration. Toute sa famille est originaire
de Yanaon.
Aujourd’hui, le Dr Nallam est une personnalité pondichérienne fort
connue. Propriétaire de la plus importante clinique privée de la région, il
est aussi Président de l’Alliance française de Pondichéry et son intérêt et
sa connaissance de l’histoire des Établissements français l’ont porté à
assumer la présidence de la Société historique de Pondichéry. Il se
passionne pour le sport et est même président de l’Association de tennis
de l’État de Pondichéry.
Il nous parle ici des origines et de la carrière de son père, de son choix
pour l’Inde au moment du transfert de jure, et des conséquences de ce
choix. Il nous raconte également la libération de Yanaon comme il l’a
vécu lui-même, souvenir différant quelque peu de la version officielle.
Nous publions également une lettre de Nehru adressée à Sanjeeva
Reddy, ministre en chef adjoint de l’État d’Andhra (et futur Président de
la République indienne) qui corrobore les dires du Dr. Nallam.
PdF : Parlez-nous de vos origines et de votre relation avec Yanaon.
Dr Nallam : Mon père est né Yanaon en 1908. Il a été le premier bachelier de
Yanaon. A l’époque, il faut dire que ce n’était pas facile. A Yanaon les gens ne
continuaient pas après le certificat [d’étude]. C’était trop loin, trop difficile, les
conditions de voyage étaient difficiles, et puis c’était un langage différent, ici [à
Pondichéry] c’est le tamoul, là-bas c’est le télougou. Lorsqu’il s’est présenté au
concours d’entrée en 6e, il y avait trois messieurs qui étaient dans le jury : un
juge, Monsieur Rassendren, qui était très attaché à l’Ashram, un Français, et
puis un autre qui était directeur de l’école. Les trois lui ont fait passer le
concours. Mon père était brillant, il répondait à toutes les questions. Mais
pourtant le Français qui était venu là voulait le coller. Il disait, « Oh, ça sert à
rien de l’envoyer à Pondichéry ». C’était la politique qui avait été décidée, on
ne voulait pas envoyer les élèves à Pondichéry, même s’ils le méritaient, parce
que c’était pas possible pratiquement. Ils ont donc voulu le coller. Alors le
juge, Mr Rassendren a dit : « C’est pas possible, un garçon aussi brillant que
ça, pourquoi voulez-vous le coller ? » C’était le juge de Yanaon. Il a appelé le
directeur, il lui a dit : « Emmenez ce monsieur-là [le Français], faites-lui boire
un petit café, entre temps je vais faire passer ce garçon. » [rires] Mais les
parents de mon père lui ont dit : « Ca sert à rien d’aller à Pondichéry, on
connaît personne là-bas, il vaut mieux que tu restes ici. » La seule option qu’ils
avaient c’était de faire des études pour obtenir un brevet en télougou. C’est-àdire qu’ils pouvaient faire un brevet mais en langue indigène. La plupart des
gens faisaient ça, ils restaient à Yanaon à l’époque.
Même mon grand-père ne voulait pas envoyer mon père à Pondichéry. Alors
Monsieur Rassendren l’a appelé : « Il a tellement d’avenir, il faut l’envoyer ».
Mon grand-père a objecté : « Non, vous savez, à Pondichéry on n’a personne,
il va être perdu, il est trop jeune, il n’a que 10 ans, etc. », alors M Rassendren
a dit, « N’ayez aucune crainte, moi je vois qu’il a un très bon avenir, il peut
rester chez moi. »
C’est ainsi qu’il a été hébergé dans une grande maison de M Rassendren, dans
la rue Montorsier. Rassendren c’était une grande famille à l’époque, une famille
politique illustre, une grande maison, vaste, et c’est là que mon père a fait ses
études – avec une bourse française, et la bourse était fameuse : 15 ou 20
roupies par mois, à l’époque c’était une grande fortune. C’est le gouvernement
qui l’avait donnée. Il avait passé le concours de bourse. Autrement il était venu
avec deux culottes, deux chemises, c’est tout, et il ne connaissait personne à
Pondichéry. Et là il a fait ses études et comme il était extrêmement brillant,
jusqu’au bac (1931).
A l’époque le bac était très difficile. On collait facilement les élèves. On
annonçait : « Résultats du bac ! » Tout le monde écoutait : « Série A, néant,
néant ! » C’était comme ça, néant, néant, néant. [rires] On collait pour
n’importe quoi.
PdF : Y avait-il des Français qui passaient le bac ici aussi ?
Dr Nallam : Oui, mais très peu. C’était mixte, ça a toujours été mixte. C’était le
Collège colonial. D’abord ça avait été le Collège royal, puis le Collège colonial,
et puis le Collège français. Quand moi j’ai fait mes études, c’était le Collège
français.
Donc mon père est devenu médecin. En 1939-40, il était en poste à Bahour,
c’était la période de la guerre, alors les médecins étaient aussi faits maires de
la ville. Alors il est devenu médecin et maire de la commune de Bahour. Làbas, le médecin était un petit dieu. Les gens aimaient beaucoup mon père, il
était très actif. Il se promenait jusqu’à 20 kilomètres aux alentours, on lui avait
donné une charrette à boeufs, c’était son taxi en quelque sorte, il n’y avait pas
d’ambulance à l’époque (juste une à Pondichéry) -- ça avait été donné par les
malades, ce n’est pas le gouvernement qui l’avait acheté – un char à bœufs
avec le drapeau français et des petites clochettes, ding-ding-ding, c’est le
médecin qui arrive !
Quand il a été muté à Yanaon dans les années 40-41, tout le village était là
pour lui dire au revoir, ils ont fait une photo avec tous les villageois, ils l’ont
tous accompagné en procession jusqu’à Cuddalore (plusieurs km de là).
A Yanaon, il a été chef du dispensaire [du gouvernement], il faisait de la
chirurgie avec les petits instruments qu’il avait. Même ici quand on a monté la
clinique ici (car mon père a été un des premiers à ouvrir une clinique privée,
en 1952), il travaillait à l’hôpital et il avait une clinique privée, eh bien il faisait
de la chirurgie avec un minimum d’instruments. C’était un notable de
Pondichéry, très proche de tous les politiciens, tous les politiciens l’aimaient, il
était très connu dans la ville, le no 1 docteur de la ville, le no 1 chirurgien, les
Français venaient apprendre avec lui, il opérait des deux mains, il était
ambidextre. Très humain, très proche des pauvres.
Ce qui m’a beaucoup choqué moi-même, c’est qu’un type comme lui, qui était
professeur à l’Ecole de médecine, qui a formé tous les médecins ici, qui était
chirurgien par excellence, qui faisait des autopsies, lorsqu’ il y a eu le transfert,
l’Ecole de médecine a été convertie en Collège médical (en 1956), mon père
était toujours en service, mais lui n’avait pas opté [pour la France], il était
resté indien : eh bien le gouvernement français n’a rien fait [pour lui] et le
gouvernement indien n’a rien fait. Il était pris entre les deux. Il touchait une
somme minable des Indiens et il n’a pas été intégré dans le cadre
métropolitain.
PdF : Son diplôme était reconnu par le gouvernement indien ?
Dr Nallam : Non, justement.
PdF : Il continuait à exercer ?
Dr Nallam : Oui, c’est ça le comble. S’il avait pris sa retraite, au moins ça
aurait été bien. Mais il continuait à exercer. Il était professeur à l’Ecole de
médecine : après le transfert, on lui a dit non, vous n’êtes plus médecin. Il ne
pouvait pas enseigner en anglais. Le Collège médical, c’était en anglais. Alors
les derniers élèves de l’école de médecine, ils avaient le choix : soit partir en
France terminer les études et obtenir un diplôme d’université, ou bien refaire
toute la médecine en France pour obtenir un doctorat d’état. C’était ça l’option.
Ou bien les gens qui avaient terminé ici pouvaient devenir médecins mais [ils
ne pouvaient] pratiquer qu’à Pondichéry. Et mon père, qui tout de même
gagnait beaucoup, parce que, à l’Ecole de médecine où il exerçait, chaque
heure on lui donnait 30 Rs, c’était une grosse somme à l’époque, pour chaque
autopsie on lui donnait 35 Rs, avait un salaire de 750 Rs, c’était un des
meilleurs salaires de toute l’Inde à l’époque, mais ces 750 sont restés 750.
PdF : On ne parle jamais de ces problèmes-là.
Dr Nallam : Je sais. Et quand le gouverneur a dit : « Mais ces gens-là qui ont
tellement travaillé depuis tant d’années, pourquoi ne voulez-vous pas leur
donner de promotion, aux cadres indiens au moins ! », eh bien ils n’ont pas
voulu donner.
PdF : Cette directive venait du gouvernement central ou du gouvernement de
Madras ?
Dr Nallam : Du gouvernement local. Ce sont des gens d’ici. Ces gens-là n’ont
pas voulu encourager leurs propres concitoyens. Vous connaissez l’histoire de
l’option. Si le gouvernement français avait expliqué aux Pondichériens « Vous
pouvez faire l’option, et tout en faisant l’option vous pouvez toujours rester à
Pondichéry en gardant le statut de Français », tous auraient opté. Des gens
comme mon père, pourquoi n’ont-ils pas opté ?
A 57 ans, à la veille de la retraite avec neuf enfants, des filles à marier,
comment voulez-vous qu’il refasse sa vie en France ? Parce que c’était ça, ils
pensaient que s’ils optaient pour la nation française, il étaient obligés d’aller en
France refaire leur vie.
PdF : Ils ne pouvaient pas faire une carrière ici ?
Dr Nallam : On pensait qu’il fallait aller en France. Des gens comme mon père
pensaient qu’il fallait laisser la famille. Qui allait s’occuper de la famille ? Et
eux-mêmes, qu’est-ce qu’ils allaient devenir en France ? Ils ne savaient pas
comment l’avenir se présenterait en France. Ce que je veux dire, c’est qu’ils
étaient mal renseignés. Les quelques personnes qui ont opté, c’est des gens
qui ont pris un risque, des gens qui n’avaient rien à perdre, des commis, des
soldats, des gendarmes. Pas des intellectuels, il n’y a pas eu beaucoup
d’intellectuels qui ont opté.
[Certains ont choisi l’Inde] mais ils ont pu réussir à cause de leur brillance, de
leur compétence professionnelle. Autrement beaucoup ont été anéantis ici -des gens qui étaient très bien mais qui n’ont pas pu progresser parce qu’ils ont
été écrasés sous le joug de l’administration indienne.
Le régime indien ne voulait pas employer les Français, c’est sûr !
L’équivalence des diplômes n’a pas été donnée. C’est pour cela que j’en veux
au traité de cession. Les MBBS, par exemple, pour les médecins locaux -- ils
ont donné l’équivalence à un diplôme nommé LMP [Local Medical Practitioner,
ce qui correspond à un aide soignant] qui est le moins élevé en médecine.
Vous n’avez qu’à voir dans le traité de cession. Les équivalences, c’était
horrible. Le comité dit « d’équivalence » -- il y avait un comité qui avait été
formé -- ils ont donné des équivalences horribles.
Je reproche aux Français ici de ne pas faire suffisamment pour promouvoir la
langue française. Ce n’est pas au gouvernement indien de s’occuper de la
francophonie.Ils n’encouragent pas. Lorsqu’il y a eu cette passation de pouvoir,
nous, nous avons choisi de faire des études jusqu’au bac, on aurait pu changer
et faire en anglais, mais mon père a voulu … l’amour de la francophonie, etc., il
militait à fond pour ça, il parlait un excellent français, il était très fort en
littérature, il a vécu [toujours] comme un Français dans ses habitudes, ses
manières.
Alors après 1956 lorsque le Collège médical a remplacé l’École de médecine, il
n’était plus professeur, il sentait déjà un grand vide, il n’avait plus le
département de chirurgie parce qu’il y avait [maintenant] le département de
chirurgie de JIPMER, alors on lui a fait une toute petite faveur en lui disant
« Bon, vous pouvez toujours opérer vos malades avec 4 lits, on vous donne 4
lits dans l’hôpital » (General Hospital). Là il pouvait exercer. Et puis il y a eu
des jalousies, des collègues indiens qui ont essayé de le faire muter à Karikal.
Ils avaient fait une campagne de signatures, ils étaient allés voir le
gouverneur. Heureusement c’était Goubert un ami de mon père, ils ont retiré
l’ordre de transfert.
PdF : Pouvez-vous nous dire un peu ce qui s’est passé à Yanaon en 1954 ?
Yanaon était relativement calme entre 1947 et 1954.
Dr Nallam : Quand j’ai fait un colloque sur Yanaon ici dans les années 1985,
j’ai dit que Yanaon avait été capturé et que malheureusement, même dans la
Gazette de Pondichéry, on avait dit « Yanam was delivered by its own citizens
peacefully, no bloodshed. » [Yanaon a été libéré par ses propres citoyens, sans
effusion de sang]. Ce n’est pas vrai ! On dit no bloodshed. Mais [il y avait] un
vieux bonhomme de 78 ans, maire de la ville, qui grelottait de peur dans un
petit coin, ah celui-là il faut le tuer, paf, on l’a tué !
PdF : Qui l’a tué ?
Dr Nallam : L’armée indienne, la police.
PdF : Ils disaient « libérer »
Dr Nallam : Oui, ce n’était pas libérer, c’était capturer, c’est ça le vrai mot,
mais dans tous les journaux, ils ont dit que ça a été « libéré» par les habitants.
PdF : C’était au moment où il y avait les négociations à Paris, donc ils n’avaient
pas intérêt à dire que l’Inde avait envoyé une armée pour capturer Yanaon.
Dr Nallam : Le monsieur qui est mort, c’était un poète, un historien, et en plus
un médecin ayurvédique.
PdF : Alors comment la population réagissait ? Tout le monde savait que c’était
des Indiens en mufti [sans uniforme] qui arrivaient.
Dr Nallam : Je vais vous dire quelque chose d’important, c’est que d’après moi,
Yanaon n’a jamais vu de freedom struggle proprement dit, jusqu’en 50.
Jusqu’en 50. A Pondichéry il y avait eu quelques remous, des étudiants, à
Karikal il y en a eu, à Mahé il y en a eu, mais pas à Yanaon.
PdF : En août 1947 ?
Dr Nallam : Rien, il ne s’est rien passé. Je peux vous assurer. Même jusqu’en
1950.
PdF : Même des gens comme Subbaiah ?
Dr Nallam : Ils n’avaient aucun rôle. C’est ça qui est important pour Yanaon et
que personne ne mentionne. Et c’est seulement juste avant 1954 avec
l’influence de Goubert, qui a contacté Kamichetti, Yerra, Kanakala et
Maddimsetti, les quatre leaders de Yanaon, c’est juste au début de 1954, c’est
là qu’on a commencé à prendre du bakchich, et ils sont partis de l’autre côté
du territoire, pour commencer le freedom struggle, et naturellement il y avait
quelques jeunes comme Bouladou etc., qui avaient un sentiment national, mais
ils n’ont pas fait tellement de remous. Maintenant tous disent qu’ils sont des
freedom fighters, ce sont des filous.
Tous ces gens qui se disent « freedom fighters » ne le sont pas. D’autant plus
qu’à Yanaon il n’y a pas eu vraiment de freedom struggle. Seulement au début
de 1954, il y a eu quelques petits remous, et ces quatre leaders [Kamichetti,
Yerra, Kanakala et Maddimsetti], comme ici Goubert, ont changé de côté.
C’est à ce moment-là que M Samthan est devenu maire intérim. Il y avait des
gens qui étaient furieux contre Maddimsetti, le maire d’avant. Ils sont allés
piller sa maison parce qu’il s’était enfui. Juste pour dire, c’est le contraire [de
ce qu’on raconte] : les gens étaient furieux que ces leaders aient quitté la ville
et ils ont pillé la maison de M. Maddimchetti. Et Maddimchetti il a gardé
rancune, et lorsqu’il est rentré au moment de la soi-disant libération, il en a
voulu à ce maire. Il pensait que c’était ce maire qui avait fait faire ce pillage. Il
a voulu le tuer. Et un des ses fils -- le fils de Maddimchetti -- est allé chercher
ce monsieur qui s’était réfugié dans une bibliothèque à l’étage à côté de sa
maison. Il grelottait de peur. On a crié : « Faites attention, il est violent, il a un
pistolet, il va vous tuer ». Les soldats ne connaissaient personne. Le policier a
tiré. Samthan s’est écroulé. Un vieux bonhomme comme ça, ils l’ont fait tuer !
Et l’histoire dit que celui qui a tiré, le lendemain il a eu une crise cardiaque, il
est mort. C’était un policier de l’armée indienne. Les gendarmes français ont
résisté et ils ont été tous battus.
PdF : Combien étaient-ils?
Dr Nallam : Quinze, ils étaient quinze mais ils étaient menés par Guiry, un
ancien adjudant en chef de l’armée française qui avait fait Dien Bien Phû, et
qui venait [juste] de rentrer.
Dadala, lui, était inspecteur de police, ici à Pondichéry. Il est entré à Yanaon
comme un héros. Dadala avait commencé la lutte ici à Pondichéry, il avait
déserté de la police pour aller travailler du côté indien. Alors – il n’avait pas
terminé son bac, c’était le copain de classe de mon père --, on lui a donné
cette chance de rentrer avec l’armée à Yanaon. Dadala a été le premier
administrateur de Yanaon, c’est lui qui a « libéré » Yanaon.
Guiry, lui, avait formé les gendarmes, organisé la résistance de Yanaon en
faisant de petites rondes jusqu’au pont. Au delà du pont, c’était le côté indien.
PdF : Il travaillait sous les ordres de George Sala ?
Dr Nallam : Oui, absolument. Sala était le dernier administrateur, qui ne
voulait pas laisser entrer l’armée [indienne]. Il a fait son devoir. Mais le
gouvernement français ici avec Ménard a rappelé Sala [à Pondichéry] pour
éviter le scandale [ou la violence]. En juin 1954, on ne voulait pas qu’un
administrateur français soit tué.
PdF : Une dernière question personnelle. Vous sentez-vous davantage français
ou davantage indien, ou les deux ?
Dr Nallam : J’ai été imbibé par la culture française, je suis très francophone et
francophile, mais je ne regrette pas d’être indien. Parce que je pense que
c’était une évolution normale. Peut-être que si vous m’aviez posé la même
question quand j’étais jeune, quand j’avais 16 ans, peut-être j’aurais dit : je
veux être français. Non, je pense que ce que mes parents ont choisi pour moi,
c’était correct, ce que moi-même j’ai choisi pour mon avenir, c’est correct.
C’est une évolution tout à fait normale. C’est ce que j’ai dit à mon prof de
philo. Lorsqu’on a terminé le bac, il a demandé à tous les élèves : alors qu’estce que vous voulez devenir ? – Je veux partir en France faire ma licence en
math. – Qu’est-ce que vous allez devenir ? – Je veux aller en France faire
ceci… – Je veux aller en France, etc.
C’était en 1961, avant le transfert de jure. Lorsqu’on m’a demandé, j’ai dit,
très misérablement : « Je vais rester à Pondichéry, Monsieur, je compte faire
ma médecine. » Il a dit « Bravo, Bravo Nallam, ce que vous faites, c’est
correct. Vous avez bien choisi. Vous avez fait le bon choix.» Alors je ne
regrette pas. J’ai fait ma médecine, mais je suis très francophile. Mais c’est
normal tout de même qu’on soit indien.
PdF : Que pensez-vous de la double nationalité, le gouvernement indien en
parle.
Dr Nallam : L’Inde ne la donnera jamais !
Si l’Inde veut avoir des avantages [de la France], oui, mais …C’est juste pour
théoriser. Si on me donnait cette option… Mais quel avantage j’aurais ? Quel
avantage excepté d’aller travailler là-bas ? Excusez-moi de dire, mais je ne
suis pas confortable en France, je ne suis pas du tout confortable, même
lorsque je fais un petit voyage, je suis obligé de trimballer ma carte d’identité,
on arrête la voiture,
« Monsieur, votre carte d’identité », je ne suis pas
habitué à ça. Je suis habitué à vivre librement sans carte d’identité. Je suis
libre ici. En France non. J’ai beaucoup d’amis en France, beaucoup, des amis
très intimes, mais en France je ne suis pas confortable. C’est la vérité. Ma
couleur me trahit. Je me suis fait arrêter. Même mon ami
professeur de
l’université de Bordeaux, Singaravallu, on était ensemble, on faisait un petit
tour, on l’arrête, juste comme ça : « Carte d’identité, carte d’identité !» Sa
femme qui est française, bordelaise était furieuse. « Vous nous arrêtez juste
parce que vous voyez des gens de couleur. C’est pas correct. Vous faites la
même loi pour tous ! » Lui, il est en France depuis l’âge de 17 ans, président
de l’université de Bordeaux. Il était plus calme, mais sa femme était furieuse,
elle se sentait un peu humiliée : « Ce Monsieur est chirurgien à Pondichéry, il
vient en visite, nous sommes tous professeurs, et vous nous arrêtez sans
motif, c’est ça la démocratie ? » Enfin elle a protesté. Moi je ne suis pas
habitué à ça. Cela me gêne. Enfin, je sais qu’il y a aussi un autre aspect, ils
sont obligés de faire comme ça parce qu’il y a des gens qui abusent, c’est vrai.
Mais moi je ne suis pas à l’aise, un point c’est tout.
Ce n’est pas parce que je n’aime pas la France. Pas du tout. J’aime beaucoup
la France. Mais malheureusement, la situation change, la situation politique a
changé.

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