il y a cent ans, Verdun plongeait dans l`enfer
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il y a cent ans, Verdun plongeait dans l`enfer
Date : 20 / 21 FEV 16 Page de l'article : p.1,13 Journaliste : Adrien Jaulmes Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 1/4 21 février 1916: il y a cent ans, Verdun plongeait dans l'enfer A l'occasion de la réouverture ce dimanche du Mémorial de Verdun Un numero special agrandi et rénové, Le Figaro en vente actuellement revient sur les traces des poilus en kiosque et sur qui, durant 300 jours, combattirent www.figarostore.fr courageusement dans la Meuse. Un siècle plus tard, nos reporters sont allés à la rencontre des gardiens des villages martyrs, qui cultivent la mémoire de ces lieux hantés. Tous droits réservés à l'éditeur MEUSE2 9117207400524 Date : 20 / 21 FEV 16 Page de l'article : p.1,13 Journaliste : Adrien Jaulmes Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 2/4 REPORTAGE pVerdun, champ dè bataille, 'champ de mémoire En juin 1916, le fort de Vaux pres de Verdun, subit le pilonnage de l'artillerie allemande pendant plusieurs jours avant que la garnison, conduite par le commandant Raynal, ne se rende au terme d'une resistance désespérée Tous droits réservés à l'éditeur MEUSE2 9117207400524 Date : 20 / 21 FEV 16 Page de l'article : p.1,13 Journaliste : Adrien Jaulmes Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 3/4 Adrien Jaulmes ajaulmesia>lef igaro fr Envoyé special a Verdun D ^k apres les memoires de ceux ^m qui ont pris paît a la ba* taille, la boue de Vel dim a une consistance semblable a aucune autre Retourne, martelé, reduit en fine poussière par le pilonnage d'artillerie, mélange a des excréments et des cadavres en putréfaction, le sol de Verdun est a l'époque un magma gluant dans lequel s'enfoncent hommes et matériels Cent ans plus tard, même si le terrain ne ressemble plus a « lu peau humide d un monstrueux crapaud », selon la description d'un aviateur de l'époque, mieux vaut se munii d'une bonne paire de bottes pour visiter les lieux Les collines qui surplombent Verdun de part et d'autre dc la vallee dc la Meuse, ou se déroulent les combats de fevrier a decembre 1916, dorment l'impi essieu d'appartenir a un autre monde 4 la difference d'autres champs de bataille de la Premiere Guerre mondiale, comme la Somme, la Champagne ou les Flandres, celui de Verdun n'a ete ni reconstruit iii cultive Classe en zone rouge inconstructible, l'endroit est leste a part, comme pieserve par un maléfice Le sol frappe d'abord par son aspect Pas un metre carre qui n ait ete profondement creuse par les obus, dont les cratères en partie combles grêlent le sol entre les sapins Une mousse d'un vert electrique ajoute a l'impiession irréelle des lieux Parfois, on tombe sur la cicatrice piofondc d une tranchée qui zigzague dans la foret Et la, dans un silence inquiétant, on a soudain le sentiment étrange de n'être pas tout a fait seul, comme si I on sentait la presence dcs dizaines dc milliers dc morts qui reposent encore la ou ils sont tombes Cent ans après le choc entre Français et Allemands, le champ de bataille a conserve ime atmosphère particulière, comme si l'on sentait encore la présence des soldats tombés sur les lieux. Dans la végétation apparaissent le sol tourmenté et les vestiges des forts autour desquels s'est livré l'essentiel des combats. Quarante obus par minute Le bois des Caures est l'endioit ou commence la ba taille, le 21 fevrier 1916 A un carrefour dans la foret, un monument de pierre s'élève a la memoire du colonel Emile Driant et de ses deux bataillons de réservistes, qui sont en premieie ligne ce jour-la face a I attaque allemande Quarante obus par minute en moyenne s'abattent sur leurs positions, en tout dix mille tonnes de projectiles Pourtant, quand le pilonnage cesse et que les Allemands passent a l'attaque, avec une arme nouvelle ct terrifiante, Ic lance-flammes, les survivants du bombardement les accueillent par des tirs nourris Au bout d'un sentier se trouve encoi e l'abn de Dnant, longue construction de beton a demi enterrée et a moitié inondée, entourée de stèles reliées par des chaines Catholique fervent, militaiie, gendre du general Boulangei Driant serait dénonce aujourd'hui comme un dangereux neo reac Elu de Nancy, il ulce re le commandement en chef par ses rapports alarmistes sur l'impréparation du front a Verdun envoyés directement au gouvernement Driant cst aussi un auteur a succes de romans de politique-fiction et de guerres imaginaires, qu'il publie a la chaine sous le pseudonyme pas tres difficile a percer de Capitaine Danrit II imagine une invasion musulmane de l'Europe, anetee in extremis devant Pai is, l'évasion de Napoleon de Sainte-Hélène en sous-marin et des i omans d'anticipation dans lesquels revient, lancinante, la Tous droits réservés à l'éditeur f crainte de l'invasion étrangère Dnant appartient a une espèce disparue celle de l'intellectuel double d'un homme d'action Quand l'invasion devient une réalité, il est en premiere ligne pour l'arrêter Dnant est tue d'une balle dans la tete, mais les quèlques jours de retard qu'il inflige aux Allemands sont cruciaux, et permettent de rétablir in extremis la situation L'autre endioit ou l'on ressent le plus l'atmosphère particulière de Verdun est aussi le plus connu le fort de Douaumont Clef de la defense de Vel dim, le fort est pins par les Allemands au tout début de leur offensive le 25 fevrier 1916, a la suite d'une invraisemblable ne gligence française D'abord prive de ses canons et de sa garnison par loffre, qui ne croît plus aux fortifications Douaumont n cst mcmc pas défendu Une escouade de sapeurs brandebourgeois s'en empaie sans tirer un seul coup de feu, et fait prisonnière la petite garnison Les tentatives pour reprendre Douaumont, devenu un bastion allemand pendant toute la bataille, échouent les unes apres les autres Un certain capitaine de Gaulle est blesse tout pres pendant I un de ces assauts, et fait piisonnici Cc n'est qu'a la fin dc la bataille, Ic 24 novembre 1916, que les Français parviennent a reprendre le toit, pilonne par des canons de 400 inm jusqu'à ce que les Allemands l'evacuent Sous la pluie battante les restes dc cette forteresse sont impressionnants Grosse masse de pierre noue a moitié enfouie dans un sol de gazon vert encore crible par les obus, comme par une acné particulièrement virulente, le fort a l'aspect d'un vaste tombeau antique \ l'intérieur, Tam biance est oppressante L eau qui s'egoutte des platonds le long de minces stalactites blanchaties plique ct ploquc dc facon sinistre ct, malgre l'cclairagc electrique, le dédale des couloirs, les puits de communication avec leurs échelons de fer, les tourelles letractables qui permettaient de tirer comme les canons d'un cuirasse terrestre, restent plein de recoins inquiétants Deux démineurs tra\ aillent seuls sur le site, ferme au public ces derniers mois David Kuster et Lionel Clement, anciens Nedex, spécialistes militaires des explosits, sont charges de la depollution du terrain avant des travaux d'aménagement de l'entrée du fort « On a bosse dans pas mal de sites et d'anciens champs de bataille, disent-ils, maîs Douaumont est vraiment particulier ( ommesicequis'etaitpasseiaconhnuaitaimpregner l'atmosphère Le sol est tellement rempli de ferraille qu'on ne peut même pas utiliser de détecteur de metal On retrouve évidemment des obus, parfois non exploses, a l'époque entie 10 "o et 10% des projectiles n'explosaient pas, maîs aussi des corps ll y en a partout, on marche sur un vaste cimetière » Les restes rnidentifiables de 130 000 soldats incon nus, Français et Allemands tombes a Verdun, ont ete rassembles dans I ossuaire voisin de I )ouaumont Surmonte d'une tour semblable a un sémaphore, le long batiment de pierre blanche est un heu poignant Sous la crypte de petites lucarnes permettent de von depuis l'extérieur, alignées comme dans des catacom- Tî Avec deux bataillons de réservistes, le colonel Émile Driant est en première ligne, le 21 février 1916, face à l'attaque allemande. Il sera tué d'une balle dans la tête après une défense héroïque au Bois des Caures MEUSE2 9117207400524 Date : 20 / 21 FEV 16 Page de l'article : p.1,13 Journaliste : Adrien Jaulmes Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 4/4 bes, des piles d'ossements humains, cranes, humérus et tibias allant du blanc au jaune, soigneusement empiles comme du bois de chauffage Les restes de 70000 a 80000 autres soldats sont encore ensevelis sur le champ de bataille Sur le gazon vert en contrebas sont alignées les 16000 croix blanches des tombes individuelles, avec leurs prénoms d'il y a un siecle Marius, Mathurin, Camille, Martial, Augustin, Gustave, Théophile, Gaston, Eugene, Jules, Alphonse, Leon A côte de l'ossuaire, L'Abri du Pelerin est un restaurant ou le temps semble s'être arrête autour de 1957 Un poêle a bois irradie une bonne chaleur Des visiteurs transis cassent la croûte, et des chasseurs de retour de battue boivent une goutte de gnôle dans leurs tenues orange fluorescentes Deux passionnes en uniformes de campagne français de 1916, avec bandes molletières et pantalons de flanelle bleu horizon, commandent un chocolat chaud La gérante, Mme Sylvaine Vaudron, est aussi maire de la commune de Douaumont, six habitants (dont elle-même) Le bureau de la mairie est une piece a l'arriére du restaurant «C'est sûr que c'est un endroit special, ici On vit entoures par l'Histoire » Des collines comme un volcan en éruption De l'autre côte de la Meuse, les deux collines de la Cote 304 et du Mort-Homme, la bien nommée, ont aussi garde les traces des combats qui s'y livrent quand les Allemands tentent de s'en emparer La fumée des bombardements monte jusqu'à 800 metres d'altitude, et les témoins décrivent les collines comme un volcan en éruption pendant des jours et des nuits La Cote 304 aurait perdu sept metres d'altitude du fait des pilonnages incessants Un obélisque célèbre le courage des défenseurs Au Mort-Homme, c'est la statue d'un squelette, sinistre, avec la curieuse legende « Ils n'ont pas passe » Rive droite, la bataille se livre encore autour des forts, qui ont retrouve leur rôle de digues Au bout d'un chemin détrempe apparaissent les restes du fort de Vaux, plus petit mais presque aussi massacre que Douaumont La garnison cette fois ne s'est pas laisse surprendre Ecrases sous les obus, les Allemands sur le toit, enfermes dans le noir a l'intérieur, rendus fous par la soif, les défenseurs ne se rendent qu'après une resistance désespérée le 7 juin avec les honneurs Le chef de la petite garnison, le commandant Raynal, devient le troisieme heros de Verdun, avec le commandant Driant et le general Petain Apres la chute de Vaux, c'est au tour du fort de Souville, le dernier ouvrage fortifie qui se dresse au début de l'été entre les Allemands et Verdun Ses vestiges sont plus difficiles a trouver et ont ete recouverts par la forêt comme ceux d'un temple disparu Somalie est le lieu ou la bataille se joue encore une fois le 12 juin 1916 Précèdes par un bombardement chimique au phosgene, les Allemands parviennent presque a enfoncer les lignes françaises Le 23 juillet, ils sont sur le toit du fort, en vue de Verdun Ils n'iront pas plus loin, et seront repousses, cette fois pour de bon Cent ans apres la bataille, ces bois et ces collines détrempées ont conserve, comme des morceaux de brume, le souvenir de la derniere victoire française • Tous droits réservés à l'éditeur MEUSE2 9117207400524