Théâtre ~ Miroir, mon beau miroir - Carrefour international de théâtre
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Théâtre ~ Miroir, mon beau miroir - Carrefour international de théâtre
Théâtre ~ Miroir, mon beau miroir ( * * * * ) Liv Laveyne Il y a sept ans, nous avons été livrés à notre imaginaire, les yeux bandés (The Smile off Your Face) ; il y a trois ans, notre vie sentimentale est devenue l'enjeu d'une discussion publique (Interne), et cette fois-ci, nous regardons dans le miroir. Avec le spectacle interactif A Game of You, la compagnie gantoise Ontroerend Goed propose une conclusion convaincante à sa trilogie de la connaissance de soi. La connaissance de soi est source de toute sagesse, dit-on, et cela s'applique incontestablement à ce que fait Ontroerend Goed. La compagnie de théâtre gantoise, qui fêtera ses dix ans l'année prochaine, a fait ses débuts en tant que collectif poétique proposant des performances en direct. Sous le titre de « Feel Estate », ce groupe organisait des fêtes artistiques teintées d'anarchie où se manifestait également la toute jeune compagnie de théâtre. Avec Porrortrilogie, une trilogie de sketches mâtinés de numéros de cabaret associant le porno, l'humour et la poésie, Ontroerend Goed put définitivement se faire une place, remportant même un prix du jeune talent au festival Théâtre sur Mer (à Ostende – NDLR. Depuis, la productivité d'Ontroerend Goed a été sans bornes, générant un grand nombre de spectacles. Avec des hauts et des bas prononcés, il faut bien l'avouer. Les plongeons sont intervenus quand Ontroerend Goed a tenté de s'assimiler à ceux qui « font du théâtre ». Mais petit à petit, les membres d'Ontroerend Goed ont compris que leur force réside en la présentation de spectacles plus proches des performances – dans ce domaine, ils atteignent des sommets. Et nous parlons bien de véritables sommets, et pas de gentilles collines flamandes. Pubers bestaan niet (*****), un spectacle réalisé par Alexander Devriendt (metteur en scène et directeur artistique d'Ontroerend Goed), en collaboration avec plusieurs jeunes participants aux ateliers du théâtre jeune public Kopergietery à Gand, a tourné dans le monde entier ces deux dernières années, du Canada à la Nouvelle-Zélande, de New York à Sydney. En voyant ce spectacle, Cate Blanchett, star hollywoodienne, mais aussi directrice de la Sydney Theatre Company, a été tellement impressionnée qu'elle a invité Ontroerend Goed a créer une nouvelle production dans son théâtre (création prévue en 2012). Trilogie de la connaissance de soi Les spectacles précédents d'Ontroerend Goed ont également connu un grand succès en Belgique et à l'étranger. Tant The Smile off Your Face que Interne ont obtenu un First Fringe Award au fameux Fringe Festival d'Édimbourg. Ces deux spectacles font partie d'une trilogie qui transforme le spectateur en protagoniste de l'événement théâtral. La trilogie se présente comme celle de l'autoconnaissance ou connaissance de soi. Dans The Smile Off Your Face, il s'agissait de se livrer tout entier aux autres. Les yeux bandés, on était assis dans un fauteuil roulant et conduit le long d'un parcours, pendant lequel on parlait à des gens et anticipait diverses expériences s'adressant à tous les sens. Dans Interne, la confrontation était radicale : après une conversation confidentielle avec un acteur, tous vos secrets étaient jetés en pâture aux autres spectateurs lors d'une session de groupe. Non, Ontroerend Goed n'aime pas rendre la tâche facile à son public, et encore moins aux critiques de théâtre. Comment parle-t-on de sujets qu'on préférerait garder pour soi ? Sans gâcher la surprise. Parce que ces expériences sont tellement personnelles. Qui vois-je dans le miroir ? A Game of You est une autre performance interactive et éminemment personnelle, cette fois-ci sous l'aspect d'un palais des glaces. Ce n'est pas une attraction de fête foraine, mais une forme de réflexion sur soi particulièrement intense. Qu'exprime sur sa propre personnalité ce que l'on pense et dit à propos des autres ? Et inversement : que pensent les autres en nous voyant ? Qu'exprime une première impression ? À quel point notre volonté de nouer des contacts est-elle simple et sincère ? Tout comme The Smile off Your Face et Interne, le spectacle commence déjà avant son véritable début. Dans le noir le plus total, le spectateur est livré pendant plusieurs minutes à son sort, à lui-même. Puis, quelqu'un le guide vers une chaise placée dans une petite pièce. Un grand miroir est accroché au mur, il y a une table où sont posés un bloc-notes, quelques personnages Playmobil, une bouteille d'eau et un verre. Une seconde personne entre dans la pièce. Est-ce un acteur ou un autre « spectateur » ? Il serait dommage d'en révéler plus sur la suite des événements, mais disons qu'au cours du périple le long de plusieurs pièces, on devient son propre avatar dans une espèce de jeu vidéo théâtral où l'aire de jeu est un compartiment généralement gardé secret, l'espace entre son reflet extérieur et l'image intérieure que l'on a de soi. Ce n'est qu'à la fin qu'on comprend combien le dispositif du spectacle est ingénieux, quand il apparaît qu'il est presque entièrement produit par nous-mêmes en tant que spectateur participant. Cela nous met face à l'unicité, mais aussi à l'interchangeabilité de chacun de nous. Ingénieux Cette ingéniosité se retrouve d'ailleurs dans les trois volets de la trilogie de la connaissance de soi. Une analyse dramaturgique révèlerait des structures similaires, une dissection comparable des rapports humains. D'abord on est livré à soi-même dans l'obscurité, ensuite on fait timidement connaissance avec quelqu'un d'autre, une relation de confiance s'instaure, puis elle est mise à l'épreuve et trahie : il s'avère que l'on n'est rien de plus qu'un rouage dans un mécanisme infernal, géré par Ontroerend Goed dans le rôle de « Big Brother ». Et si dans The Smile off Your Face, on recevait des friandises de Saint-Nicolas, et si on vous envoyait une carte postale dans Interne, cette fois-ci on vous remet comme « cadeau » un CD personnalisé intitulé « About you ». Si la connaissance de soi est la source de toute sagesse, cette trilogie nous rapproche très certainement de cette source. Quelle chance qu'Ontroerend Goed ne fasse pas du « théâtre ordinaire » ! Liv Laveyne