Mes plus jolies courses - Les Contamines

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Mes plus jolies courses - Les Contamines
Mes plus « jolies » courses
Par pudeur, ou simplement par négligence, il y a toujours des paroles que l'on garde au fond de soi et que
l'on ne dit pas aux gens qui ont compté dans notre vie.
Par ce petit texte je ne veux pas remercier une personne, mais un duo, ou plutôt une équipe de deux petits
bonshommes qui ne ressemblent en rien à des héros mais qui pourtant ont été pour moi des mecs
formidables.
C'est donc à ces deux gaillards que j’adresse le récit qui va suivre. Car c’est à eux que je dois mes plus belles
courses en montagne…
L'un d’eux me fait penser à Gepetto, avec ses mains de menuisier, ses lunettes de travers, sa timidité, sa
gentillesse. Et l'économie de ses paroles.
L'autre, c'est plutôt Benjamin le lutin, petit personnage à la barbe blanche et aux yeux malicieux, pas
beaucoup plus bavard que son cousin, à moins que le morgon ne lui délie la langue, et qui nous a
malheureusement quittés trop vite.
Tout a commencé lors d’une course de ski alpinisme où André tu étais comme moi, parmi d'autres,
bénévoles. Par je ne sais quel hasard, je suis monté aux Conscrits avec toi et c'est tout simplement que tu
m’as proposé une randonnée pour le week-end suivant.
Je ne sais plus quelle était cette rando, mais en tout cas elle a été la première d'une longue série qui a duré
plusieurs hivers.
A la fin de ce premier hiver, Hubert, tu avais terminé ton travail à la patinoire et tu as rejoint ton compère
et je me suis retrouvé mêlé à votre équipe.
La saison de ski achevée, vous avez enchaîné sur les courses en rocher ou en neige et sans trop vous
préoccuper de mon manque d’expérience, de mon palpitant pas trop solide ni de la frousse qui
m'accompagnait à chaque sortie, vous m’avez embarqué avec vous.
C'est ainsi, entre vous, Dédé et Zub, que j'ai pu faire une quinzaine de courses en montagne, sans compter
les sorties à ski de rando ou les simples matinées de grimpe.
Votre équipe avait tacitement mis au point un rituel immuable mais ô combien efficace. Zub, plus apte à te
documenter, tu te chargeais de choisir l’objectif en fonction de la période, de la météo, ou simplement de
ton humeur. Tu étudiais scrupuleusement l'itinéraire, les topos, les horaires.
Dédé, toi meilleur grimpeur et plus doué pour trouver les passages, tu passais en tête.
Quant à moi, ma place était toute désignée : entre les deux à raconter des âneries pour donner le change
quand j’étais vert de trouille.
Beaucoup pensent que faire de la montagne avec vous était tranquille ; oui, en effet vous ne preniez jamais
de risques non mesurés, vous aviez l’expérience des vieux montagnards mais quand vous avanciez de votre
pas lent mais régulier, les arrêts étaient rares, les hésitations quasiment inexistantes et je vous garantis que
le rythme n'était pas mollasson.
La plus belle course que j’eus la joie de faire avec vous fut sans doute la Bionnassay : peut-être parce que
depuis tout gamin je regardais cette pointe sans imaginer qu'un jour je serais au sommet, peut-être parce
que j’avais écouté Bertrand me raconter la traversée de l'arête effilée ; mais ce fut surtout pour les
conditions dans lesquelles nous l’avons gravie.
Partis un samedi matin vers 5h, nous ne sommes pas montés à Durier en passant simplement par Plan
glacier. Pour agrémenter la chose, Zub tu avais décidé de partir à pied du Cugnon, et de passer boire le café
à Tré-la-tête, puis aux Conscrits.
Malheureusement le temps s'est couvert et c'est sous la pluie que nous sommes arrivés à Durier, vers 14h.
« Bon, nous dormirons au refuge et demain nous redescendrons par Plan glacier. » C'est ce que tu as prévu
Zub, d'autant que la météo n'était pas bonne pour le lendemain.
C'est donc après un bon coup de rouge, un peu déçu mais finalement soulagé (toujours cette maudite
frousse) que je me couchai ce soir-là. Vers 5h, le gardien dans un « psssit » nous réveilla. « Zub, Zub, ça
vaut le coup de vous lever, on aperçoit la lune à travers le brouillard, ça passe peut-être. »
Il aurait fallu partir à 4h mais paisibles comme à votre habitude, vous avez décidé qu'on ne prendrait pas
grand risque à essayer de monter, quitte à faire demi-tour si le brouillard persistait…
Il ne faisait pas froid ce matin-là et revenant depuis peu d'un voyage au Pérou avec Bertrand, où nous avions
gravi un 6 000 m, je me sentais vraiment bien. Au bout d'une heure de marche sur l’arrête en rocher, nous
sommes sortis au-dessus du brouillard. Tous les gars qui la veille au soir à Durier, se vantaient de passer du 8
étaient restés couchés. Vous, les deux anciens du Cugnon, toujours discrets et humbles avec votre niveau de
5 sup mais aussi votre expérience de la montagne, avez tenté le coup, et moi j’étais fier d'être de votre
cordée…
Après la partie en rocher nous avons attaqué l’arête en glace, vraiment impressionnante ; la glace craquait
fort : « Zub, Zub c'est normal ? » «Mais oui, il faut bien que la montagne vive !». Bon, si tu l'avais dit, je ne
devais plus m’inquiéter. Puis l'arête redevint en rocher presque jusqu'en haut.
A 8h, nous sommes sortis au sommet, c'était magique, le soleil, la mer de nuages, et nous trois à boire
notre thé face à tant de beauté. J'aurais dû vous embrasser les deux cousins...
Pour la descente et la traversée du col de Bionnassay il fallait faire gaffe car les conditions de gel n'étaient
pas très bonnes et les crampons bottaient. Pourtant, je me sentais en sécurité avec ces montagnards
aguerris et le reste de la course m’a semblé une promenade.
A la Lex Blanche vous avez su me rassurer quand, au milieu de la face, j’ai pris une peur telle que je ne
pouvais plus bouger. «Taille-toi des marches, je vais mettre des broches » m'a dit tranquillement André. Zub
derrière moi tu m’as dit de ne pas m'inquiéter, de faire juste attention à bien planter mes pointes avant, et
que tout allait bien se passer. Et puis, face à votre calme et à votre patience j'ai réussi à reprendre confiance
et à repartir. Il faisait chaud ce jour-là et nous étions un peu justes en eau. A notre retour sur le glacier de
Tré-la-tête j'avais si soif que j'ai bu dans une gouille sous tes quolibets, Zub. Tu me prédisais une colique
terrible, mais je n'ai pas été malade.
Ce jour-là, les deux cousins, vous n'aviez pas pu monter la veille au soir dormir au refuge, et vous m’avez
récupéré en passant à 1h du matin à Tré-la-tête. Pour ma part j'ai marché environ quatorze heures, vous un
peu plus, ce qui a fait dire à Poyète, » ces deux-là, plus ils sont vieux, plus ils sont... »
La course que j'ai trouvée la plus difficile fut Les Grandes Jorasses.
Prévenu juste la veille, je n'étais pas très préparé et un peu en manque de sommeil. La montée au refuge de
Boccalatte est déjà une bonne bavante. Le refuge est vraiment sympa, posé au-dessus d'une langue de glace
et le soleil s'y couche tard. Par contre, le repas fut le plus minable que j’aie jamais mangé en refuge ! Le
départ s’est fait à 1h et je n’ai pas entendu sonner le réveil. Il a fallu, Dédé, que tu viennes me secouer
pour que je me lève. Dès le départ, la course est assez engagée, il faut passer sous des séracs
impressionnants puis monter dans un couloir «pierraillu». Zub, tu m’as d’ailleurs « roffé » parce que j'ai fait
partir quelques cailloux et que les cordées se suivaient de près. Bon, la montée s'est passée, mais à une
centaine de mètres je crois du sommet, j'ai fait, comme on dit, un coup d'hypo : plus aucune force, plus
moyen d'avancer, mal au ventre. Zub, tu n'as pas voulu que je mange, tu m'as dit que ça me rendrait malade
mais sans explications, tu es passé devant pour la fin. C'est donc littéralement tiré par le petit bonhomme
que tu étais que j'ai atteint le sommet. Il est clair que, sans ta détermination à me traîner au sommet, je ne
serais pas arrivé en haut.
La descente était encore longue, je crois même que nous nous étions un peu trompés dans les rappels. Et
puis, une fois arrivés au refuge il fallut encore rejoindre la vallée et quand on est crevé, c'est dur. Arrivés en
bas, nous nous sommes assis à une terrasse pour boire notre bière du retour et je me suis tout simplement
endormi sur ma chaise… Ah ils ont bien ri, les anciens....
Pour l'Aiguille d'Argentière, Zub, tu avais choisi un itinéraire pas très classique, par la face ouest. Nous avons
dormi au refuge des Dorées, atteint par le col du Tour. Ce coin est magnifique et le petit refuge non gardé
très agréable. Bien sûr, le lever eut lieu très tôt car il fallait d'abord traverser un glacier avant d'attaquer la
face. C'est dans cette traversée qu’en te suivant Dédé, je me suis soudain retrouvé dans un trou, les jambes
dans le vide, posé sur les bras. Le pont de neige, affaibli par ton passage, venait de céder sous mon poids.
Mais derrière moi, mon Zub, vigilant comme toujours, tu tendais la corde comme un beau diable, avec je
crois bien un petit sourire narquois sur les lèvres. Vous n’avez pas fait grand cas de cette mésaventure et
l'on a bien vite repris la marche.
La montée commence par une partie en rocher puis la pente devient raide et en glace. J’étais terrorisé bien
sûr, mais en même temps j'ai adoré cette partie bien technique où l'on progresse rapidement, corde
tendue. Dédé avançait comme un chat, les crampons mordaient bien, le temps était magnifique et il n'y
avait que nous dans cette voie peu connue.
Le retour s'est fait par la voie normale, puis par un arrêt obligatoire au refuge d'Argentière, pour dire
bonjour aux anciens gardiens des Conscrits en buvant quelques verres. Nous étions bien gais pour rejoindre
la vallée et malgré la fatigue, notre marche s’en est trouvée bien légère.
Quand les conditions n'étaient pas bonnes, souvent en fin de saison, Zub tu choisissais des courses en
rocher. Pour la Pierra Menta, nous sommes partis dans l'après-midi en 4x4, par le col du Joly. Nous avons
laissé le véhicule au milieu d'un troupeau de Tarines pour aller planter la tente au bord du lac d'Amour. C'est
un petit coin de paradis, tout en pelouse alpine et la bouteille de vieille vigne que tu as sortie de ta grande
« tâque » était excellente. C'est donc sans peine que nous nous sommes endormis, bercés par le bruit
lointain des «carons » et par le chant des grillons.
Tu avais choisi de faire l’arête nord, seule voie accessible pour notre niveau. Bien, mais alors pourquoi nous
réveiller à 5h du matin ? Qui d'autre que nous aurait eu l'idée de partir si tôt en cette fin d'été pour faire
une voie toute à l'ombre ?
C'est donc les doigts gelés que nous avons grimpé, Dédé et moi, la majeure partie de la voie. Toi Zub? Mais
tu n'avais jamais froid Zub, jamais faim, jamais soif et tu n'étais jamais fatigué...Pourtant Dédé et moi, nous
avons un secret sur cette course, mais je t’ai promis, Zub, de ne pas le dévoiler...
La Persévérance dans les Aiguilles Rouges, nous l'avons faite par une arête où je n'ai pas souvenir d'avoir eu
peur. Par contre, quand, une fois le sommet atteint, il a fallu entamer le premier rappel en surplomb, je ne
faisais pas le malin. Vous avez su me rassurer pour que finalement je parvienne, le dos au vide et les pieds
bien posés, à me lancer dans ce rappel impressionnant, d’où l'on voit la vallée toute petite.
A l'aiguille de Praz Torrent, Xavier et Manu s'étaient joints à notre équipe. Il y a eu ce guide de Chamonix
qui, arrivé derrière nous avec ses deux clients anglais s'est permis de se moquer de la lenteur des anciens et
de leurs sacs comme des «fnils». Quelle colère il m’a fait celui-là ! La voie quant à elle est impressionnante,
elle surplombe Vallorcine qui ressemble à un village miniature. Les relais se trouvent sur des vires où il n'y a
pas de place, et c'est le cul dans le vide que l'on doit assurer son copain ! Je n’étais pas très à l'aise, mais
pourtant je suis arrivé en haut. Encore une fois, les deux cousins, vous m’avez poussé à me surpasser.
Les soirées en refuge ont été d’agréables moments d'échange. Vous me racontiez vos aventures, vos virées
entre compères, en moto par le col du Joly ou le tunnel du Mont-Blanc, avec vos énormes «tâques». En fait,
vous êtes allés à peu près partout dans le massif du Mont-Blanc et j’étais admiratif en écoutant vos exploits
qui pour vous paraissaient si banals. «C'était joli», voilà le terme souvent employé par toi André pour
qualifier ces courses, comme si c'était de simples balades.
Je me souviens des départs comme de moments magiques, quelquefois angoissants, toujours excitants. Il
fallait être bien organisé, avoir tout préparé la veille car on ne devait pas trainer. Les crampons devaient être
vite attachés et pas question de chercher encore les gants au fond du sac quand vous vous mettiez sans un
mot en mouvement.
On dit que les choucas sont des réincarnations des guides morts en montagne. Tu n'étais pas guide Zub,
mais je suis bien sûr que la confrérie des choucas du Val Montjoie t'a immédiatement et respectueusement
intégré à ses rangs.
Quant à toi, Dédé, si mon cœur trop souvent réparé ne me permet plus de t'accompagner en altitude,
j'aimerais bien retourner cet été dormir avec toi à Plan glacier pour boire un coup en regardant le coucher
du soleil.
Je suis sûr que viendra piailler au-dessus de nous un petit oiseau noir au bec jaune, à la voix calme et
rassurante...