L`art de la télévision comme « art brut

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L`art de la télévision comme « art brut
L’art de la télévision comme « art brut »
Pierre Schaeffer et Dubuffet
Guillaume Soulez
Université de Metz & CNRS (UPR 36)
Dans ce texte, l’auteur retrace l’histoire d’un film expérimental consacré au
peintre Jean Dubuffet et réalisé, au début des années 1960, dans le cadre
du Service de la recherche de l’ORTF dirigé par Pierre Schaeffer. Les différentes étapes de la réalisation de ce film donnent lieu à des échanges conflictuels entre Schaeffer et Dubuffet : les prises de position de l’un et de l’autre
conduisent à formuler la question d’un art de la télévision dans les termes de
l’art brut. Tirant le bilan de cette confrontation entre art brut et télévision,
l’auteur propose de considérer que l’audiovisuel pose d’abord un problème
morphologique à l’esthétique : de quelles formes faire émerger d’autres
formes ?
En 1962, Gérard Patris enregistre à son insu le peintre Jean Dubuffet
dans les locaux du Service de la recherche de l’ORTF, rue de l’Université
à Paris. Dans la lignée des recherches préconisées par Pierre Schaeffer,
le projet de film de Patris est de mêler ces plans aux tableaux et aux
expériences musicales et poétiques du peintre. Ces images volées nourrissent trois ans plus tard quelques échanges vifs entre Dubuffet et
Schaeffer, lorsque ce dernier souhaite diffuser ce film expérimental à la
télévision sous le titre Auto-portrait, suscitant l’opposition du peintre et
amenant l’un et l’autre à préciser leurs conceptions de l’art, et de la
télévision comme art et comme expérience. Comment l’« art brut »,
expérimental et attaché au matériau, art du « commun », peut-il frayer la
voie à un art de la télévision ?
Quelles reformulations de son projet esthétique sont-elles requises pour
concevoir, et recevoir, un tel art ? Après avoir présenté l’histoire du
film, nous verrons que trois points sont en jeu pour poser le problème
d’un art de la télévision dans les termes de l’art brut : la fonction esthétique du hasard, le statut artistique de l’enregistrement audio-visuel et la
question de la réception d’un art expérimental de la télévision. Quelques
pistes pour un art de la télévision, tirant le bilan de cette confrontation
entre art brut et télévision, seront proposées en conclusion.
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Histoire d’un film expérimental
Le film de Patris s’organisait autour du poème de Dubuffet, La Fleur de
Barbe, écrit en 1960 1, et des tableaux et petites sculptures des années
1953-60, premier grand tournant de l’œuvre de Dubuffet pour son intérêt et son utilisation de matériaux de tous ordres : plantes, mâchefer,
ailes de papillon, sable, ciment, poils, papier mâché… (cycles : « Petites
statues de la vie précaire », « Tableaux d’assemblage », « Phénomènes »,
« Barbes », « Éléments botaniques », « Texturologies » et « Matériologies » 2). En 1962, le poème donnait son titre au film. Une première
rétrospective de Dubuffet, suscitant des polémiques et faisant découvrir
le peintre au grand public, avait été organisée au Musée des Arts décoratifs en 1960. Un titre résume emblématiquement cette notoriété scandaleuse, celui de Télérama qui écrit, pour mieux apprivoiser ses lecteurs :
« Le peintre Jean Dubuffet qui veut donner aux graffiti ses [sic] lettres
de noblesse est-il un imposteur ? » 3. La même année, Dubuffet avait
entrepris de premières expériences musicales avec Asger Jorn 4, et, en
1961, réalisé chez lui un enregistrement sonore de son poème accompagné de petits « instruments de musique primitifs » selon l’expression
de Schaeffer 5.
Le corps du film est ainsi constitué, pour l’essentiel, des déclamations
de La Fleur de Barbe par Dubuffet – et de quelques essais de voix les
introduisant – articulées à certains tableaux. Le plan sonore, en l’occurrence le poème déclamé, sert de fil conducteur à la présentation des
tableaux, selon une technique déjà éprouvée pour les premiers films de
Patris, dans une visée à la fois pédagogique (contrepoint son/image :
« didactique œil/oreille » dans le langage du Service de la recherche) et
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Le poème est publié au milieu de textes-manifestes de Dubuffet, Prospectus
et tous écrits suivants (deux volumes publiés en 1967). Il figure dans une sélection de textes du peintre, L’homme du commun à l’ouvrage, publiée en 1973 et
disponible en poche aujourd’hui (Folio, 1991).
Cycles identifiés par les critiques – et par Dubuffet lui-même. Cf. le catalogue, Dubuffet. L’exposition, de la grande rétrospective récente (commissaire : Daniel Abadie) du Centre Pompidou, septembre-décembre 2001,
éditions du Centre Pompidou.
Télérama, programme du 30 janvier 1961.
Le peintre danois (qui participa à la fondation de Cobra et de
l’Internationale situationniste) réalisa avec Dubuffet des expériences de
« musique phénoménale », qui furent utilisées ensuite par Queneau à la fin
des années 1960 pour accompagner certaines de ses pièces de théâtre.
P. Schaeffer, Lettre ouverte à Monsieur Dubuffet pour la revue « Arts ».
Voir plus loin pour l’explication du sens et les circonstances de cette
« lettre ouverte » non publiée. Nous présentons à la fin de cette étude le
générique du film (partiellement reconstitué), le plan du film, les documents utilisés (correspondance, par exemple) ainsi qu’une chronologie
succincte.
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esthétique (synesthésies son/image), en ayant parfois recours à
l’animation. Musique concrète, ou plus généralement expérimentale, et
peinture abstraite ou cinétique étaient utilisées pour produire des effets
de contraste ou d’équivalence entre plans visuel et sonore. Dans La
Chute d’Icare, par exemple, sur une musique de Mireille Chamass
(compositrice contemporaine), Patris montrait comment un matériau
simple, du sable sur un écran, changeait de forme au moindre mouvement (1960, non diffusé). Dans Des peintres et du cinéma, diffusé en mars
1962, Patris faisait dialoguer peintres, cinéastes, critiques et même
public de ce genre de réalisations (utilisant entre autres sa Chute d’Icare),
en soumettant en conclusion le montage à Max-Pol Fouchet, célèbre à
l’époque pour son émission de vulgarisation et de critique d’art à la
télévision, Terre des Arts (commencée en 1959).
Précisément, par opposition à Des peintres et du cinéma, parce que ce film
part d’un poème « incantatoire » 1, au lieu d’adopter la forme « conférencielle » (Dubuffet) de l’entretien 2, afin de présenter le travail du
peintre à travers une recherche plastique et audio-visuelle, il y a au
départ d’Auto-portrait une entente profonde sur le projet et ses enjeux
entre Patris, Schaeffer et Dubuffet. Par comparaison, le peintre avait
même refusé de faire un film avec Clouzot, pourtant auteur de l’étonnant Mystère Picasso (1955). Faire une émission sur Dubuffet ne suffisait
pas à être d’« avant-garde », encore fallait-il que l’émission elle-même le
soit. La cohésion du projet, autour d’un jeu sur les matérialités visuelles
et sonores était aussi assurée par le fait qu’avait été écarté le nouveau
cycle de Dubuffet, moins tourné vers les matériaux, commencé en
1961, « Paris Circus » (sans parler de « l’Hourloupe », qui, en 1962,
venait de débuter). De même, il ne s’agirait pas d’une émission de parole
(c’est-à-dire de conversation) mais d’une recherche sur la parole (en l’occurrence poétique) 3, dans la lignée des travaux du peintre : « les accents
de la voix jouent [un] bien plus grand rôle dans le parler que les mots
(…) une certaine manière de prononcer un mot, ou de souligner une
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Expression employée dans la chronologie à la fin du catalogue Dubuffet.
L’exposition, 2001 (non paginé).
Max-Pol Fouchet revendique lui-même cet aspect dans un entretien publié
en 1966 : « La télévision nous redonne une forme d’enseignement oublié,
l’enseignement verbal… C’est en plein air que les maîtres du Moyen Âge
réunissaient leurs étudiants et développaient leurs idées philosophiques. La
télévision va un peu dans ce sens. », in Art, Musique et Littérature à la Télévision française (M. Simonnot dir., avec Joseph Rovan et Bénigno Cacérès),
collection PEC [Peuple et culture] Fiche technique. Paris : Peuple et
Culture, 1966 : 8.
Quant à la réflexion de Schaeffer sur la parole enregistrée et médiatisée, je
me permets de renvoyer à Soulez, 2001b.
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syllabe, ou d’élever la voix un tout petit peu autrement qu’il n’est
d’usage, donne subtilement le sens exact » 1.
Or, le projet évolua, en tout cas du point de vue de Dubuffet. Pour fabriquer un prologue et pour quelques plans de clôture, Patris utilisa plusieurs extraits d’une émission (diffusée en janvier 1961) que Terre des
Arts avait justement consacrée à Dubuffet à l’occasion de sa rétrospective aux Arts déco. Certains des plans de Terre des Arts semblent
d’ailleurs avoir été tournés par Raymond Queneau (ami de Dubuffet
depuis la fin des années 1940 2). Cette évolution se fit visiblement sans
l’accord initial de Dubuffet qui souhaitait que soient simplement utilisées ses bandes sonores sans apparaître dans le film 3. On y voit le
peintre déambuler dans les Halles de Bercy (où il tenait autrefois un
négoce en vins), commenter sa peinture dans son atelier de Vence (par
exemple : « [la beauté], je crois qu’elle n’existe pas, je crois que c’est un mirage, il
y a, je crois, ni beauté ni laideur, c’est complètement arbitraire (…) c’est une question de convention », etc. – Scénario d’Auto-portrait daté du 9 octobre 1963
& film de 1964 4), ou remplir ses poches de sable au pied d’un immense
rocher. Or, Patris poussa plus loin l’utilisation du peintre : prétexte initial ou non, Dubuffet vint en effet réenregistrer La Fleur de Barbe dans le
but de disposer d’une meilleure bande-son, mais Patris lui arracha le
principe de le filmer pendant ces enregistrements : « enfin, si vous voulez
un petit plan comme ça pour me voir en train de faire de la musique, c’est possible,
mais le film aurait gagné à ce que je n’apparaisse pas » (Ibid.). Patris ne se
contenta pas d’un « petit plan », mais organisa l’ensemble de la diction
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Dubuffet, « L’homme écrit sur le sable », in Prospectus et tous écrits suivants
(1967), in L’homme du commun à l’ouvrage, 1991 [première édition : 1973] :
57-58.
Dubuffet l’avait fait entrer dans le comité de l’Art brut, et ils partageaient
en particulier le goût pour l’invention verbale à base de jargons et de langage populaire. Schaeffer adresse une lettre à Queneau le 10 juin 1965 pour
lui restituer, non sans résistance, « l’ensemble du matériel cinématographique tourné par vous même à propos de l’émission « Dubuffet » [titre de
l’émission de Terre des Arts]. L’archiviste note qu’il s’agit du « chapeau » de
l’Auto-portrait (appelé ailleurs « prologue »), l’origine des autres éléments
étant composée de séquences filmées directement par le Service de la
recherche.
Position rappelée dans la lettre de Dubuffet à Schaeffer, 28 juin 1965. La
plupart des documents évoqués dans cette étude, y compris le film Autoportrait, ont été consultés au Centre d’études et de recherches PierreSchaeffer, installé à Montreuil depuis 1995, et chargé par Schaeffer de veiller après sa mort sur ses archives personnelles et professionnelles. D’autres
documents d’époque ont été consultés à l’Inathèque de France (BNF).
Pour plus de clarté, nous indiquons en italiques les citations de passage du
film, à la différence des autres citations (lettres, textes publiés de Schaeffer
et Dubuffet). Le film de 1964 est extrêmement fidèle au scénario d’octobre
1963.
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du poème sous la forme d’une alternance entre des plans de Dubuffet
récitant et faisant de la musique et des plans de tableaux. De plus, Dubuffet n’était pas prévenu qu’une caméra tournait en réalité depuis son
arrivée dans le studio – ce qui fit l’objet du litige principal. Cette caméra
put saisir son dialogue devant un piano avec Patris, qui avait disposé sur
un pupitre le nouveau plan du film, intégrant non seulement des vues
de Dubuffet faisant de la musique, mais la transcription des extraits de
Terre des Arts, extraits que le peintre critiquait sévèrement pour leur caractère artificiel : « Tout ça, c’est ce que je détestais dans ce film de la Télévision.
(…) surtout ne me faîtes pas parler de ma peinture, c’est tellement bête ça, un peintre qui explique des trucs comme ça » (Ibid.). Tout en faisant parler le peintre
pour la caméra cachée, Patris défendait ces extraits pour leur caractère
pédagogique : « c’est juste pour faire partir le film, pour que les gens comprennent
de quoi il s’agit. » (Ibid.).
Ce caractère pédagogique est pourtant bien un masque car, dans l’esprit
du projet de Patris et de la démarche expérimentale de Schaeffer, il
s’agissait de mettre en place les éléments d’une « recherche audiovisuelle ». Schaeffer, à l’occasion d’une lettre au producteur Pierre
Braunberger (co-producteur d’Auto-portrait) qui lui propose un scénario
de film sur le surréalisme, explique ce qu’il entend par là. C’est une
recherche à l’aide de la caméra, un « cinéma de recherche » qui s’oppose
tout à la fois au « film d’art », au « cinéma d’essai », au « film platement
didactique » et à « l’émission de télévision semblable à celle que JeanMarie Drot réussit sur des sujets analogues » 1 : « des recherches filmées
(…) qui nécessitent l’image pour s’exprimer, tout comme le livre
convient mieux pour l’expression de certaines idées (…) des fragments
de pensée visualisée. » 2. Impliquer le peintre, c’est donc, dans cette perspective, viser tout sauf l’« émotion », la « contagion » de la « rencontre » 3 avec l’artiste, ou avec ses proches, pour évoquer ses œuvres.
De fait, en dehors des plans de tableaux, comme le remarque Dubuffet,
ces enregistrements sont ce dont « est fait presque en totalité le film
final » (Lettre de Dubuffet à Schaeffer, déjà citée) : « l’association de ces
séquences dans lesquelles je me savais filmé avec celles où, l’année suivante, au studio de l’Université, je le suis à mon insu, est à coup sûr
fâcheuse. » (Ibid.). Ce procédé d’association, ou plutôt ce « dispositif »
(mot réinventé par Schaeffer), permettant un autoportrait malgré soi, est
pourtant de ceux qui furent les plus travaillés par le Service de la
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2
3
Il s’agit de la série L’art et les hommes, commencée en novembre 1955, qui
adopte la forme du journal de voyage et présente les œuvres à travers une
rencontre avec l’artiste, ainsi que des célèbres Les heures chaudes de Montparnasse, réalisées en 1962-63, cycle de dix émissions autour de Montparnasse
fondé sur un principe équivalent. Voir Bosséno, 1989 : 103-109.
Schaeffer, Lettre à Brauberger, 6 octobre 1964.
Trois termes-clé pour J.-M. Drot. Bosséno, ibid.
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recherche à partir de 1964-65, jusqu’à donner lieu à des émissions diffusées à l’antenne à partir de 1969, comme la série Vocations 1. On a là, dès
1962, à l’intérieur d’un travail plastique son/image, une autre piste qui
s’élabore, une « recherche physico-sociologique, ou portant sur la
communication » (Lettre de Schaeffer à Queneau, déjà citée). Conforme
à l’esprit de Schaeffer, c’était par ce biais une critique interne de la RTF
par le Service de la recherche, « une vive critique des méthodes journalistiques de la télévision », selon les propres mots du malheureux producteur de l’émission citée, Michel Chapuis 2. Cette tension traversait
en réalité déjà les premiers travaux de Schaeffer, avec des comédiens,
sur l’improvisation et la diction poétique ou dramatique à la radio pendant les années du Club d’essai, puis du Studio d’essai (1940-1944). La critique de Dubuffet est excessive, dans la mesure où le travail de composition musicale et visuelle de Patris autour des tableaux est réalisé avec
finesse et soin (en particulier le travail sur le matériau utilisé dans les tableaux, et sur les effets de lumière recherchés par Dubuffet lui-même,
qui souhaitait que ces tableaux soient vus comme des « nappes » et
changent d’aspect selon les heures de la journée 3). De plus, les alliances
son/image, ou les animations, sont souvent intéressantes, si bien que
l’argument quantitatif n’est pas le meilleur ; mais il est vrai qu’il est possible de ne voir, à l’inverse, dans ce document qu’une suite d’improvisations musicales et vocales, parfois un peu grotesques, simplement illustrées par des images de statuettes et de tableaux. Dans un passage, par
exemple, Dubuffet, lui-même détouré sur un fond noir, s’apparente à
l’une de ses statuettes, figure que les plans suivants s’amusent à « cloner », tout en jouant sur un léger décalage sonore sous forme d’un
refrain en canon 4. La question de savoir comment ces expériences plastiques et sonores sont interprétées touche la question du public auquel
elles sont destinées, question sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Dubuffet accepta néanmoins (par écrit, précise Schaeffer) que ce document soit utilisé à des fins de recherches et projeté dans le monde entier
au cours des nombreuses conférences du Service, et ce n’est que la
perspective de la diffusion à la télévision qui suscita son refus.
Le refus de Dubuffet entraîna une forte réaction de Schaeffer, qui,
selon ses mots, « milit[ait] » depuis quelques temps pour diffuser le
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Sur la série Vocations : A. Flageul (1999), F. Jost (2001 : 69-70), et G. Soulez
(2001).
Note pour P. Schaeffer, signée Blaise Gautier : « Visionnage de la copie
remaniée de Fleur de Barbe », 5 septembre 1962.
Dubuffet, « Éclairage convenable aux tableaux » (1946), in Prospectus…
1991 : 51-52.
Comme dans le refrain « — Frère Jacques… — Frère Jacques…
— m’entends-tu ? … — m’entends-tu ? … etc. ».
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document à l’antenne 1 : « De colère, j’ai failli vous envoyer une lettre
ouverte. » (Lettre à Dubuffet, juin 1965, sans date précise). Schaeffer et
le producteur Claude Nedjar concevaient même une série d’« Autoportraits » depuis avril 1965 2. Cette lettre ouverte à laquelle il est fait
allusion était destinée à être une « Lettre ouverte à Monsieur Dubuffet
pour la revue Arts », datée du 11 juin (lendemain de la lettre à Queneau
accompagnant la restitution des extraits du prologue), prenant à témoin
le public des contradictions du peintre. L’argument principal était que
Dubuffet s’était exposé avec la caméra cachée à une expérience assimilable à de l’art brut – un « cinéma brut » (Schaeffer) – et qu’il refusait en
somme de s’appliquer à lui-même ses propres principes artistiques, dûtil en souffrir un peu. Schaeffer, finalement, renonce à la publication de
la Lettre ouverte, et la joint à la lettre qu’il envoie effectivement à Dubuffet en terminant sur ces mots : « Qu’en pensez-vous, M. Dubuffet ? ». À ce courrier, répond la lettre de Dubuffet à Schaeffer du
28 juin (déjà citée) qui oppose un refus définitif et répond sur certains
points 3.
Hasard et « cinéma brut »
Contrairement à la lettre envoyée à Queneau qui évoque les expériences
« physico-sociologiques », l’argumentation de Schaeffer est essentiellement esthétique dans sa « Lettre ouverte ». En réalité, un dialogue
complexe s’établit entre Schaeffer et deux figures de Dubuffet, l’une qui
se serait prêtée de bonne grâce à l’expérience, et serait en cela fidèle à sa
propre conception de l’art, l’autre qui s’y refuse, figure psychologique
d’un artiste d’avant-garde, « susceptible », et qui craint l’incompréhension du grand public. Qui plus est, les deux figures sont présentes dans
le film de Patris, et Schaeffer y fait référence à de nombreuses reprises,
plus ou moins explicitement.
Schaeffer s’appuie sur un passage du film (tiré de Terre des Arts) dans
lequel Dubuffet, regardant le beau paysage de Vence depuis sa terrasse,
explique qu’il n’est « ni beau ni laid » pour mieux traverser cette appa1
2
3
Comme la citation plus haut l’indique, il dut faire face, dès septembre 1962,
aux réticences du producteur du « Dubuffet » de Terre des Arts, Michel
Chapuis (cité au générique de l’Auto-portrait). Il demanda à Patris une nouvelle version, organisa un visionnage et demanda l’arbitrage du directeur de
la RTF (Albert Ollivier). Le scénario d’octobre 1963 et le film de 1964 sont
donc probablement des versions édulcorées d’un premier film.
Lettre de Claude Nedjar à Pierre Fabre (responsable du Groupe « Image »
du Service de la recherche), envoyée en copie à Schaeffer, 27 avril 1965.
C’est ce qui permet de déduire que la lettre effectivement envoyée à Dubuffet a été écrite entre le 11 juin (Lettre ouverte) et le 28 juin (réponse de
Dubuffet).
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rence de beauté, cette « convention » du beau paysage qui « ne [l’]inspire
pas » ; Schaeffer développe l’idée, qu’en somme, Patris a traité le peintre
avec la même désinvolture que Dubuffet le paysage, « comme un objet
de l’Art brut, comme une racine, une cornemuse de votre musée ».
Ainsi, répond-il à Dubuffet qui demande (dans le film) « Alors c’est toutes
les idées que vous avez ? » :
« Puisque l’époque est toute entière tournée vers l’art engagé,
vers l’art total, vers l’action de peindre ou de découvrir de nouvelles musiques, n’est-ce pas que les artistes, à tort ou à raison, en
ont assez de représenter les apparences et sont talonnés eux aussi
par quelque profond besoin de connaître ? Quand vous dites :
“ce paysage ne m’intéresse pas, il n’est pas beau…” et que vous
vous tournez vers les cailloux et graffiti, une poignée de terre,
c’est bien ce que cela veut dire ? Dans ce cas, comment vous
refuser à l’expérience d’observer les réactions du sujet, réactions
d’autant plus intéressantes que le sujet est doué, créateur, affirmatif ? Vous demandiez quelle était notre recherche ? La voilà. »
(Lettre ouverte)
L’argument de Schaeffer est renforcé par le fait (qu’il n’a pas besoin de
citer) que, lorsque Patris l’ennuie avec son nouveau scénario qui inclut
des passages de Terre des Arts, Dubuffet lui-même pense à quelque chose
comme un enregistrement impromptu. Faisant tomber le ton « didactique », « conférenciel », « emmerdant », qui caractérisait les extraits (transcrits
sur le pupitre sous ses yeux, tandis que le spectateur vient de les voir),
cette discussion entre Patris et lui l’amène à s’exprimer plus naturellement sur son art et ses conceptions que ces extraits mêmes : « Alors c’est
toutes les idées que vous avez ? voyons non, non, expliquer la musique, non. [cut]
D’abord vous auriez dû enregistrer pendant tout ce temps qu’on était en train de
parler, vous en auriez là-dedans des trucs, c’est comme ça qu’il faut faire. »
En somme, partisan, et même théoricien, des improvisations en art, ce
qu’il appelle d’une formule l’« attelage avec le hasard », qu’il s’agisse de
peinture ou de musique 1, Dubuffet pense lui-même au potentiel
expressif de l’enregistrement inopiné, de « l’accident [qui] a commandé » 2 : « Combien la recherche et la rencontre de ces accidents favorables sont passionnantes ! » 3. Il précise qu’il ne s’agit pas de « n’importe quel hasard, mais d’un hasard particulier, propre à la nature du
matériau employé » 4. Reste à savoir si le matériau est, ici, davantage
1
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4
Il défend d’ailleurs le caractère plus spontané de ses « improvisations musicales » personnelles autour de La Fleur de Barbe réalisées chez lui au magnétophone par rapport aux enregistrements dans les studios perfectionnés de
la rue de l’Université. (Lettre du 28 juin)
Dubuffet, « Chasseur d’occasions » (1946), in Prospectus…, 1991 : 31.
Ibid.
Dubuffet, « Attelage avec le hasard » (1946), in Prospectus…, 1991 : 26-27.
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l’instrument, la caméra, semblable à « l’huile qui veut couler, le pinceau
insuffisamment chargé de couleur et qui ne laisse qu’une trace imprécise » 1 ou le « grattoir qui garde sa nature propre qui est de gratter sauvagement et maladroitement à tort et à travers » 2, ou s’il s’agit du matériau humain. Penser que l’on a parlé de façon plus naturelle que dans
l’émission Terre des Arts, c’est bien se considérer soi même comme
matériau d’une prise de vue (ou de son), dont Dubuffet croit qu’elle n’a
pas eu lieu. Quand il s’agit de sa peinture, Dubuffet fait dialoguer, à travers le hasard, l’artiste et les matériaux, y compris la matérialité de
l’instrument comme on vient de le voir, contre ce que les conventions
du « Beau », des « Beaux-Arts » empêchent de voir, ou obligent à
cacher, c’est-à-dire le matériau lui-même, sa résistance et son potentiel
expressif (« L’art doit naître du matériau » 3). La proximité avec Schaeffer est frappante : le chercheur propose ainsi une « référence esthétique » aux « compositeurs de sons ou d’images » : « que votre œuvre ne
soit pas inférieure à vos instruments, que votre création ne soit pas une
dégradation d’énergie, de substance, par rapport aux machines et aux
matières » 4. Ainsi, l’enjeu est plus exactement, comme chez Dubuffet,
de ne pas séparer l’instrument du matériau – « l’instrument » est à la
fois, on le voit, machine et matériau – et d’établir les liens internes, ou
« corrélations », comme dans la musique concrète, ou dans la méthode
phénoménologique, entre « les structures musicales [ou plastiques] élaborées à partir des matériaux, et la structure de ces matériaux même, qui
conditionnent tout le possible musical [ou plastique], qu’il s’agisse de
construction ou de signification » 5.
Le hasard est l’un des moyens pour ces corrélations, il fait voir l’instrument à l’œuvre, tout en permettant un accès aux matériaux, dans l’esprit
de la démarche anti-conventionnelle de l’art brut 6. Ainsi, pour Schaeffer, dans un texte-programme de 1962 : « L’utilité essentielle des machines à sons et à images n’est pas celle qui leur est trop communément
attribuée. Elle ne consiste pas d’abord à fabriquer en série des musiques
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4
5
6
Dubuffet, « Duetto », (1946), in Prospectus…, 1991 : 27.
Dubuffet, « Animer le matériau » (1946), in Prospectus…, 1991 : 29.
Dubuffet, « Le matériau est un langage » (1946), in Prospectus…, 1991 : 26.
er
Schaeffer, « Lettre au GÉC », 1 janvier 1962. Le GÉC est le Groupe
d’étude critique, sorte de « tête pensante », est l’un des sous-groupes du
Service de la recherche en 1962.
Schaeffer, projet de « Lettre au GÉC », daté « Noël 1961 ».
On trouve chez Dubuffet et Schaeffer des passages extrêmement semblables sur l’importance du « dé-conditionnement » de l’œil ou de l’oreille,
contre le poids de la tradition académique occidentale, arrivée à bout de
souffle pour Dubuffet, renversée sans qu’on le mesure bien par les nouvelles machines d’images et de sons pour Schaeffer. Tous deux critiquent
les illusions de la « culture » ou du « discours culturel » qui entretiennent les
anciens schémas et masquent les enjeux nouveaux, etc.
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et des œuvres plastiques “révolutionnaires” : micros, caméras, magnétophones nous servent avant tout à mieux comprendre, à pousser plus
loin l’analyse des matériaux dont se compose toute œuvre, qu’elle soit traditionnelle ou moderne » (1970 [1962] : 208) 1. Il y a là une « méthode
expérimentale en art » (Ibid. : 209, italiques de Schaeffer), au sens où,
contre les conventions qui opposent art et science 2, l’art dit expérimental est un art qui cherche à connaître, comme il le dit dans sa Lettre
ouverte à Dubuffet (cf. « les artistes (…) talonnés eux aussi par quelque
profond besoin de connaître »). C’est ainsi, inversement, une expérience
artistique fondée sur des « constats » et un « champ opératoire » propre
qui sont ceux de l’audio-visuel 3. C’est exactement le sens de la
démarche de Dubuffet lorsqu’il explique à propos des « “Phénomènes”
et autres peintures du même cycle » qu’il ne s’agit pas tant d’« exalt[er] la
“matière” », que de « propos[er] d’en faire de nouveaux inventaires et
nouvelles interprétations à partir de considérations tout à fait différentes de celles en usage, de points de vue inédits » 4, où l’on retrouve
précisément la démarche scientifique à la fois comme expérimentation
(« inventaires ») et comme passage d’un état de connaissance à un autre
(« interprétations », « points de vue inédits »).
Le « cinéma brut », qui dévoile l’instrument – la machine enregistreuse
d’images et de sons – tout en travaillant le matériau humain qui s’y est
laissé prendre, serait donc une de ces formes de la « méthode expérimentale en art ». Pour Schaeffer, en effet, il ne fait pas de doute que le
matériau est aussi – et peut-être avant tout – le matériau humain. « La
grande trouvaille des temps modernes, c’est de pouvoir par la caméra et
le micro, expérimenter sur l’homme et la société, comme, il n’y a pas si
longtemps, on découvrit d’expérimenter sur la matière (…) Épreuve
cruelle certes, mais nécessairement révélatrice » (Lettre ouverte). Expé1
2
3
4
Cette phrase de 1962 est amplifiée en 1970, insistant sur la continuité entre
arts et « arts-relais » (photographie, phonographie, cinéma, radio, télévision) : « (…) l’analyse des matériaux et des structures dont se composent, non
seulement toute œuvre, traditionnelle ou moderne, mais tout “message”
audiovisuel », in « Avènement des “arts-relais” », chapitre « Génétique des
mass media », Genèse des simulacres (Machines à communiquer, tome 1), 1970 : 26
(italiques de Schaeffer, je souligne).
Schaeffer distingue plusieurs phases dans l’histoire de chacun des « artsrelais ». La troisième est la phase expérimentale, qui suppose pour le
cinéma, ou la télévision qui en hérite, une « recherche au moyen de la caméra » (italiques de Schaeffer). Par là, « l’homme du constat audio-visuel pourrait atteindre à un mode nouveau d’investigation et de connaissance,
pourrait combler la fissure entre des spécialités antagonistes, dont chacune
relève étroitement soit de l’art, soit de la science », in « Avènement des
“arts-relais” », 1970 : 23-24.
Ibid., p. 24. Voir également note précédente.
Dubuffet, « Quatre notes sur les “Phénomènes” et autres peintures du
même cycle » (1970), in Textes inédits (1973), 1991 : 427.
138
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
rimenter sur la matière humaine, par exemple grâce à la caméra cachée,
c’est mettre à nu une certaine humanité à travers une expressivité moins
contrôlée, et donc plus propre au sujet étudié, comme il le dit, non sans
habileté à Dubuffet, et de Dubuffet lui-même : « observer les réactions
du sujet, réactions d’autant plus intéressantes que le sujet est doué,
créateur, affirmatif » (Ibid. déjà cité). C’est là sans doute que Schaeffer
se sépare de Dubuffet. Pour le chercheur, en effet, l’enregistrement a
un rôle de dessaisissement du « sujet » (on fait son portrait malgré soi),
et Schaeffer voit dans son propre Auto-portrait (1977, non diffusé) non
seulement une expérience de mise à distance, mais aussi une sorte
d’exercice de mortification, peut-être inspiré par sa culture religieuse
(cf. « épreuve cruelle… mais révélatrice »). D’où, de son point de vue, la
contradiction pour l’homme de l’art brut de ne pas laisser paraître
« l’homme du commun » (expression de Dubuffet) qu’il est, aux yeux
des autres hommes du commun. Il « refus[e] l’expérience de [sa] personnalité » : « Quel est ce public de privilégié auxquels vous réservez
votre visage, vos gestes, comme votre peinture ? » (Lettre ouverte).
Or, pour Dubuffet, « l’homme du commun » n’est pas tant une figure
du public qu’une figure de l’artiste lui-même, même si c’est un artiste
qui s’ignore (comme ceux dont il collecte les œuvres dans son Musée de
l’art brut). C’est un « homme du commun à l’ouvrage » 1. En ce sens,
« l’humain » est ce qui transparaît du peintre dans sa peinture, non pas
sous forme d’un dessaisissement, mais à l’issue d’une véritable lutte avec
le matériau : « duetto entre l’artiste et le matériau » 2, « à la loyale » 3,
« nécessaire pour un beau match (…) d’autant plus passionnant et évocateur sera le spectacle [le tableau] que plus farouches seront les animaux [les matériaux] que le dresseur oblige à se coucher », etc. ; et de
cette lutte, de ce « chœur des matériaux » et « chœur de toutes les
composantes de l’artiste », sort néanmoins un vainqueur : « aucune
contrainte n’est apparente, mais une direction, il y en a tout de même
une, il y a un chef à cet orchestre, mais souple et subtil. » 4 (je souligne).
C’est pourquoi l’expérience « brute » du hasard ne dessaisit pas le
peintre, elle l’entraîne, elle l’« enivre », mais il demeure, métaphore
comparable à celle du chef d’orchestre, le metteur en scène : « Plus la
main de l’artiste sera dans tout l’ouvrage apparente et plus émouvant,
plus humain, plus parlant il sera. (…) De même que les hasards propres
des matériaux employés (…) les hasards de la main (ses velléités, ses
1
2
3
4
Expression utilisée par Dubuffet dans Prospectus… en 1947. Rappelons que
c’est le titre de son recueil publié une première fois en 1973 et que nous
utilisons ici.
Dubuffet, « Duetto » (1946), in Prospectus…, 1991 : 27.
Dubuffet, « À la loyale » (1946), in Prospectus…, 1991 : 28.
Dubuffet, « Polyphonie » (1946), in Prospectus…, 1991 : 28.
139
MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
tics, ses réactions propres) doivent aussi paraître en scène à la fin de la
pièce, et saluer le public avec les acteurs. » 1.
Le simulacre audiovisuel :
enregistrement ou « empreinte » ?
S’opposent donc, sous l’accord quant aux matériaux, une pensée de la
marque (de l’« empreinte » 2, dit Dubuffet, qui propose une sorte de
lecture graphologique de la peinture 3) qui, sous certaines conditions 4,
fait la part belle au sujet créateur, à une pensée de l’enregistrement, dans
laquelle c’est le simulacre qui paraît plutôt que l’énergie du sujet. Pour
Schaeffer, en effet, « puisque le son et l’image désormais s’enregistrent,
nous devons reconnaître l’étendue de ce bouleversement. Il impose, à la
racine même des arts traditionnels, la nécessité d’une révision. (…) Il
s’agit d’étudier le nouveau conditionnement de l’œuvre. Cette recherche
fondamentale engage l’art tout entier. » 5). Pour Schaeffer, en somme,
une esthétique de l’audio-visuel suppose précisément de distinguer
l’enregistrement de l’empreinte. Contre l’illusion de la « fidélité » de la
« reproduction », les « arts-relais », dont le cinéma et la radiotélévision,
manipulent non seulement des « empreintes » (au sens physique, causal)
1
2
3
4
5
Dubuffet, « La main parle » (1946), in Prospectus…, 1991 : 34.
Dubuffet, lettre à Hubert Damish, 7 juin 1962 : « J’ai souvent considéré
l’œuvre comme une prise directe sur les mécanismes de l’esprit, dans la
même manière que nous émeuvent les diagrammes où les pulsations du
cœur ont inscrit eux-mêmes [sic] directement leur mouvement. On peut
attendre d’une peinture qu’elle soit plus qu’un diagramme : une sorte
d’empreinte qui porte trace de tous les divers mouvements de l’esprit. », in
Prospectus…, 1991 : 307. Comme on le verra plus loin, la machine (le cardiogramme ici) est en quelque sorte transparente pour Dubuffet : les pulsations « inscrivent eux-mêmes [sic] directement leur mouvement ». Pourtant le solécisme involontaire (pulsation est féminin) pourrait donner raison
à Schaeffer… Ce texte est très proche d’un passage où Dubuffet définit les
ouvrages de l’art brut comme ceux qui « traduisent (…) plus immédiatement les mouvements de l’esprit et livrent les mécanismes de l’esprit (pas
seulement de la pensée) plus chauds, plus crus. », « L’art brut » (1947), in
Prospectus…, 1991 : 84.
Dans le texte déjà cité « La main parle ».
Le « combat » avec les matériaux que nous avons vu en fait partie, comme
l’indique ce passage qui synthétise bien sa pensée : « Empreinte d’une
aventure : L’œuvre d’art est d’autant plus captivante qu’elle a été une
aventure et qu’elle en porte la marque, qu’on y lit tous les combats intervenus entre l’artiste et les indocilités des matériaux qu’il a mis en œuvre. »
(1946), in Prospectus…, 1991 : 26.
Schaeffer, « 1962. Vaste programme », in « L’audio-visuel comme thème et
comme moyen », Genèse des simulacres, 1970 : 208.
140
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
mais aussi des « “simulacres” d’une présence temporelle », c’est-à-dire
des « illusions, non d’optique, mais d’existence » 1. Là où, pour Dubuffet, les instruments sont ici assimilés aux matériaux, puisqu’ils sont
observés du point de vue de leur matérialité propre, des traces qu’ils
laissent eux-mêmes sur le tableau, et auxquelles le peintre va imprimer sa
marque, transformant par exemple un « grain de noir » inopiné en une
« moustache », une « effigie de femme » en « portrait d’homme » 2.
La position de Dubuffet est visible dans sa réponse à Schaeffer : pour
lui, pourtant partisan des « assemblages », le montage du Dubuffet de
1961 et du Dubuffet de 1962 n’est pas probant, il est « fâcheux »,
comme nous l’avons vu. C’est donc qu’il présuppose une continuité
– qui serait son identité – entre les deux séquences, ou du moins qu’il la
considère comme plus décisive que la contradiction qui naît de leur
montage (un Dubuffet « spontané », contre un Dubuffet « conférenciel »). Plus, précisément, il considère que l’enregistrement audiovisuel
pourrait garder la trace de son identité, assimilant plutôt qu’opposant
les deux séquences : « Je ne les [les images de Terre des Arts] aime pas
parce que je me suis laissé à tort là encore convaincre que je pourrais rester bien naturel et m’exprimer comme si de rien n’était face aux caméras
et aux projecteurs et je n’ai pu le faire » (Lettre du 28 juin, je souligne).
« Rester bien naturel », c’est faire passer une présence à travers l’enregistrement, présence dont Dubuffet voudrait garder la maîtrise. Le
début de la lettre est plus net encore de ce point de vue, à propos de
l’enregistrement de ses improvisations musicales :
« (…) arguant de la qualité technique médiocre de mes enregistrements sur un magnétophone d’amateur, on m’a demandé de
me rendre au studio avec mes instruments afin qu’y soient enregistrées dans les conditions requises de nouvelles improvisations,
je m’y suis d’abord refusé, ressentant que des improvisations
faites dans ces conditions n’auraient pas les mêmes qualités de
spontanéité et d’authenticité que celles qui avaient été enregistrées par moi-même dans la solitude. (…) [il avait été convenu]
que je participerais ensuite avec les techniciens à ces découpages 3 dans les bandes (…) or je n’y ai pas été convié ; tout a été
fait sans que j’intervienne, et le résultat est que la musique du
film, entièrement empruntée aux enregistrements faits au studio
sans aucun recours aux miens propres, manipulée ensuite par des
musiciens qui, malgré leur meilleure volonté de ne rien trahir,
étaient forcément enclins à substituer involontairement leurs ins-
1
2
3
Schaeffer, « Avènement des “arts-relais” » déjà cité, 1970 : 22.
Dubuffet, « Chasseur d’occasions » déjà cité, 1991 : 31-32.
Le projet apparemment déclaré à Dubuffet était de « rapiécer » les enregistrements personnels de Dubuffet avec les enregistrements du studio.
141
MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
pirations aux miennes, n’a plus avec mes propres visées qu’une
parenté adultérée. » (Lettre du 28 juin).
La lettre de Dubuffet est parfaitement claire : ne répondant pas à
l’argument schaefférien du potentiel expérimental d’un « cinéma brut »
fondé sur l’enregistrement à l’improviste, il distingue, à la différence de
Schaeffer, non pas enregistrement (« conditionnement ») et non-enregistrement, mais les deux « conditions » d’enregistrement (chez lui/au
studio). Les unes permettent, non seulement une maîtrise artistique,
mais le respect d’une impulsion créatrice « spontanée », « authentique »
(ce qui, tout autant que le rapport aux matériaux et instruments, définit
l’art brut affranchi des conventions), les autres au contraire dissolvent
ces « inspirations » en en substituant d’autres. Il y a même une forme de
posture de l’artiste en sa « solitude » qui s’oppose implicitement à la
société des hommes et des machines. Dubuffet considère donc que
l’enregistrement en studio, comparable en cela à la peinture, dépend de
celui qui tient les instruments, puisque, même s’ils ne voulaient pas le
« trahir », les musiciens-ingénieurs du Service de la recherche (en l’occurrence, essentiellement Luc Ferrari) ne pouvaient faire autrement que
d’imprimer leurs propres inspirations aux bandes sonores. Le caractère
partiellement « involontaire », comme on l’a vu avec la question du
hasard, et la dimension d’« inspiration » (« ivresse », « impulsions »,
« folie »… 1) est même une marque – assez classique mais revendiquée – de l’influx créateur dans la théorie de l’art brut.
S’il y a, bien sûr, pour Schaeffer, une matérialité de l’instrument, celui-ci
n’est ni un objet sans fonction, ni un simple accessoire – ou « conditions » au sens de Dubuffet 2 –, ni un sujet-machine 3 : il impose une
opacité propre puisqu’il participe en tant que « conditionnement », et
non pas en tant que simple matériau, au simulacre. L’enregistrement fait
changer de plan, donc sépare le simulacre des sujets qui y participent (c’est
l’idée du « constat ») : même dans l’auto-portrait, le sujet du portrait
figuré est séparé du sujet qui enregistre 4. Tandis que le « portrait
d’homme », qui est pourtant le portrait d’un autre que soi, garde la trace
1
2
3
4
Dubuffet, « La main parle » et « La grande noce », in Prospectus…, 1991 : 3435 et 53.
« Conditions » mêle exactement l’instrument comme simple outil (proche
de la notion d’« accessoire » dans la terminologie de Schaeffer) aux circonstances spatio-temporelles de la production esthétique, tombant sous la
critique du chercheur qui vise précisément à distinguer ces deux dimensions de l’instrument.
Schaeffer, « Le machinisme artistique », in « Génétique des mass media »,
1970 : 36-38.
Comparaison pour comparaison, les « rayons X » (Lettre ouverte) de
l’opération audiovisuelle qui dé-subjectivisent le patient s’oppose donc au
cardiogramme évoqué par Dubuffet qui stimule un imaginaire de la trace
(voir la note 42 comportant la lettre à Damish).
142
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
de la « main qui parle » du peintre, de sa « subjectivité ». Cela ne signifie
pas qu’il n’y ait rien du sujet dans l’enregistrement (qu’il s’agisse du sujet
capté ou du sujet capteur), mais ce n’est pas sous la forme d’une « empreinte » comprise comme présence (marque). Ainsi, considère-t-il, par
exemple, qu’on accorde trop d’importance au « direct » comme spécificité télévisuelle alors qu’il n’y a là qu’une illusion de présence « trop
ouverte aux interprétations les plus diverses » (Schaeffer, 1973 1).
À partir du statut de l’instrument et de l’enregistrement audiovisuel, le
désaccord théorique entre les deux protagonistes est donc réel, et ne
relève pas d’un simple « malentendu » comme l’écrit Schaeffer. Il est
donc logique que, dès lors que le peintre suppose que la diffusion à la
télévision l’éloigne de spectateurs susceptibles d’appréhender son projet
artistique – à la différence d’un public averti –, il la refuse 2. En effet, à
moins qu’on connaisse déjà son œuvre et sa démarche propre 3 (comme
les spectateurs des conférences du Service de la recherche), et que l’on
puisse, alors, goûter le jeu qu’instaure le film avec elles, c’est-à-dire en
quelque sorte les retrouver dans le film, Dubuffet est en quelque sorte
dépossédé de son projet par Patris et les musiciens. Tandis que pour
Schaeffer, il est simplement dessaisi d’une forme de maîtrise par les enregistrements, ce qui fait partie à part entière de la dimension expérimentale d’un art brut audio-visuel, en utilisant la « spontanéité », non en
cherchant à la retrouver ou à la maîtriser : « il n’y avait pas la moindre
dérision, le moindre humour dans [le] propos [de Patris], mais bien du
respect, de la passion (…) dans l’« autoportrait » qu’il avait décidé de
faire de vous, ou plutôt que vous feriez de vous-même, spontanément,
à travers un « cinéma brut » (Lettre ouverte). Explorons précisément cet
enjeu de la réception, qui se focalise ici autour du ridicule social (paraître
grotesque) ou de la visée esthétique de la dérision, et son lien avec une
approche expérimentale en art et en télévision.
1
2
3
On peut se reporter à Soulez, 2001b sur ce point.
« (…) la création d’art n’est pas chose à mettre par force, en n’importe quel
moment, sous les yeux de gens qui n’y aspirent pas, qui n’y sont pas prêts,
qui n’ont pas fait d’effort pour y accéder. Le public ressent alors très justement qu’il y a intrusion, qu’on veut le violenter, et se défend de s’y
prêter. » (Lettre du 28 juin)
« le film (…) demeure intéressant pour des personnes par ailleurs bien
informées de mes travaux et leur portant sympathie, et je n’ai pas fait obstacle à sa projection [lors des conférences du Service de la recherche] ».
(Ibid.)
143
MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
Réception : art expérimental et art populaire,
le statut de la dérision
Un spectateur peu au fait des expérimentations de Dubuffet, et en particulier incapable de faire le lien entre sa peinture et sa recherche sonore
ainsi exposée (c’est-à-dire incapable de connaître suffisamment sa peinture et ses enjeux pour apprécier aussi sa recherche musicale et les correspondances entre musique et peinture), risque en effet de trouver le
document étrange et le personnage du peintre saugrenu. Le poème, fait
pourtant de mots simples, comme les tableaux sont faits de matériaux
ordinaires, demeure ésotérique : « As-tu cueilli / La fleur de barbe / Sur la
mi-côte / C’est le printemps et voici / Que la barbe reverdit / S’en tisse le fil un
lundi / À la fin de la semaine / S’embarbe tout le pays etc. ». Plus, les modulations de Dubuffet, jouant de façon extrême sur la hauteur et le timbre
de sa voix pour approcher le cri, les interruptions musicales où l’on voit
le peintre siffler dans des flûtes, et la contemplation des tableaux toujours en mouvement (variation de lumière ou animation de figures), etc.
aboutissent à distendre le poème qui ne peut absolument pas servir de
fil conducteur. On obtient plutôt – mais on peut la refuser – une sorte
de rêverie sonore et visuelle régulièrement ponctuée de coups de voix du
peintre.
L’humour du prologue, qui n’est pas tendre avec les émissions sur les
peintres comme nous l’avons dit, n’est pas de nature à clarifier le propos – ce que souhaiterait Dubuffet. Les grandes formules, les déclarations solennelles du peintre sont affaiblies voire minées par la dérision
qui naît de la critique que mène Dubuffet contre son propre ton
« conférenciel ». Or, elles contiennent néanmoins sa conception de l’art
et de la peinture, que la dérision risque de rendre ridicule (d’où le « fâcheux » du peintre dans sa lettre à Schaeffer). Plus loin, dans le montage
autour de La Fleur de Barbe, les jeux animés (« clonage ») ou sonores
(refrain en canon) autour de la gestuelle ou du corps de Dubuffet
comparé à ses statuettes, ou du crâne du peintre, sphérique et nu
comme un haut-parleur du Service de la recherche, sans parler des
mimiques elles-mêmes (Dubuffet tapant des mains devant un micro et
martelant son texte) tirent le film du côté de la loufoquerie. Ce qui
aurait sans doute été évité si le peintre était resté invisible, forçant une
écoute du texte, là où le spectateur peut se perdre à regarder le personnage qui s’essaie et s’essouffle à produire le poème. Problème classique
à la télévision, qui fait que l’on peut s’abstraire de la bande sonore et
observer les gestes, les mimiques, les choix vestimentaires révélateurs
de ceux qui parlent, surtout s’ils ne nous parlent pas. Or, la déclamation
poétique a ceci de particulier – et le poème La Fleur de Barbe n’échappe
pas à la règle – qu’elle n’est pas directement adressée aux spectateurs,
en cela comparable au texte théâtral (ou à la fiction en général) qui suppose la coupure de la rampe. Le poète, ou l’interprète inspiré, est pour
une part dans un autre monde, ce que sa gestuelle « aberrante » (Dubuffet parle ici tout seul et s’échauffe) confirme. Certains poèmes, adressés
144
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
à un « tu » ou à un « vous », peuvent jouer sur la frontière 1, mais l’on
voit bien la différence entre ce monde construit sur un autre plan par la
déclamation poétique et la relation de parole qui s’instaure sur le même
plan dans les propos d’un présentateur ou d’une speakerine qui
s’adressent directement aux téléspectateurs.
Cette dimension, ce risque du ridicule et du dérisoire est à la fois identifié par le film et par l’esthétique de Dubuffet : « Art et plaisanterie : Il y
a du sang commun à ces deux ordres. L’imprévu, l’insolite est leur
commun domaine. Qu’on ne se méprenne pas, c’est bien aux points les
plus élevés de l’art que je pense. Aux contes de Poe, aux Chants de Maldoror, aux statues de l’île de Pâques. Donc pas ces petites plaisanteries
innocentes qui vous divertissent un quart d’heure (…) » 2. Ceci signifie,
en effet, que le film peut être interprété comme une « simple » plaisanterie divertissante, qu’un spectateur peu averti peut se « méprendre »,
alors que la plaisanterie est le moyen d’un retournement des habitudes
de pensée pour Dubuffet : « Où est l’effet de surgissement sans un
transport dans le saugrenu ? » 3. Pour clore la longue déclamation poétique, Patris insère une déclaration de Dubuffet sur la dérision : « Beaucoup de gens ont cru que c’était des plaisanteries. (…) je n’ai jamais eu la moindre
humeur de dérision dans mes travaux, et si j’ai recours à l’absurde, au grotesque et
au trivial, ce n’est jamais ni pour les moquer, ni pour les célébrer, c’est pour les
nier. » 4. C’est une manière de prendre à contre-pied, in fine, un spectateur qui se serait « mépris », qui s’y serait laisser prendre. Or, il est aussi
possible d’assimiler cette déclaration faite sur un ton péremptoire à
celles du début, qui étaient minées par les commentaires de Dubuffet
lui-même…
Ce film montre qu’il est impossible, en effet, sauf circonstances particulières et spectateurs avertis, de fixer une ligne claire de démarcation
entre la force artistique de la dérision et la chute dans le dérisoire. On
peut organiser le film selon deux registres de signification principaux
(même si l’on peut passer de l’un à l’autre) : l’un met l’accent sur la performance de Dubuffet (qu’on peut trouver ridicule si on ne la resitue pas
dans sa visée esthétique), l’autre sur les jeux d’assemblages visuels et
sonores, dont la performance n’est que l’un des composants. En faisant
paraître Dubuffet et ses gesticulations, en le piégeant et en jouant de sa
1
2
3
4
Patris ne se prive pas d’en jouer et de faire voir et entendre à quatre reprises un passage particulièrement « lyrique » où Dubuffet redressé (il est la
plupart du temps assis) joue avec véhémence un personnage qui s’adresse à
un autre : « À genoux jeune étourdi… ». L’adresse (fictive, ici) est d’autant
plus drôle que le réalisateur montre qu’elle est plusieurs fois essayée, ratée
et recommencée au début de l’enregistrement du poème.
Dubuffet, « Art et plaisanterie » (1946), in Prospectus…, 1991 : 53.
Dubuffet, Lettre à Queneau, 27 novembre 1963, in Prospectus…, 1991 : 314.
Scénario de 1963 et montage de 1964.
145
MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
silhouette et de ses ratés, Auto-portrait tend à rendre impossible la lecture plastique expérimentale et tend vers l’expérience divertissante, à
l’instar des émissions ultérieures du Service de la recherche, piégeant
comédien, avocat, professeur psychiatre, etc., tous spécialistes de la
parole publique confrontés à leur propre prestation. En somme, ici,
Patris a piégé le premier de ces spécialistes, le poète : un peu avant la
déclaration sur le dérisoire, un plan furtif montre une moue de Dubuffet, auquel on vient sans doute d’apprendre qu’il a été filmé, puis sur un
plan de tableau, on entend distinctement en voix-over : « Allez : il m’a eu
quand même » 1. C’est-à-dire que le lieu d’ancrage du film est bien plus le
studio du Service de la recherche (là où Dubuffet a été piégé) que le
monde plastique et sonore du poète de l’art brut. On comprend
l’importance dans les lettres de ce lieu de la « rue de l’Université », tandis que Dubuffet, sensible à la dimension plastique, à la surface, parle
de « l’écran de la Télévision française » 2. Cette tension est caractéristique, selon nous, du médium télévisuel, pris entre un registre formel de
la « tribune », organisée autour de la parole adressée depuis la scène
télévisuelle, et un registre formel de l’« écran », dans lequel « l’axe de la
parole est neutralisé pour considérer l’arrangement des formes entre
elles » (Soulez, 2001a : 130). Ce film en quelque sorte la porte à un
point de rupture.
La déclaration sur la dérision est, de ce point de vue, très ambiguë : elle
devrait relever de la tribune puisqu’elle a pour but d’éclairer le travail
plastique et sonore que le spectateur vient de voir pour éviter la plaisanterie-dérision, mais elle apparaît, du point de vue de la tribune réelle
qui est construite depuis le studio de l’Université, comme l’un de ces
fragments grotesques critiqués au début, et à ce titre, elle est l’un des
composants de la mosaïque sonore et visuelle, au même titre que les
jeux sur la silhouette de Dubuffet – dérisoire. Le film se donnant d’abord
comme un film plastique expérimental 3, la déclaration de Dubuffet ne
peut même pas être considérée comme sa réponse au piège, comme
dans les émissions ultérieures du Service de la recherche, dans lesquelles
la « victime » en studio avait toujours la parole pour commenter ce
piège. Au contraire, Dubuffet peut juste constater – au sens également de
Schaeffer : « il m’a eu ». On court le risque du simple « gag ». Peut-être
l’échec de la diffusion de ce document incita-t-elle d’ailleurs le Service
de la recherche à donner la parole à ses victimes par la suite, non pas
seulement par respect pour le « matériau » humain, mais peut-être aussi
1
2
3
Ibid.
Lettre du 28 juin.
C’est pourquoi Schaeffer écarte l’une des solutions, proposée par Michel
Chapuis lui-même, pour répondre aux réticences du producteur de Terre des
Arts, solution qui ferait basculer le document dans l’émission d’entretien, à
savoir : « nouveau tournage pour permettre de porter la contradiction à
Dubuffet », in B. Gautier, déjà cité.
146
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
pour la clarté du propos. Le nœud est ici impossible à trancher, sauf si
l’on fait le choix, en effet, de voir ce document dans la perspective de la
théorie de l’art brut, c’est-à-dire en considérant quand même la déclaration sur la dérision comme un point de repère adéquat.
Dubuffet souhaite donc maîtriser les enjeux de la captation audio-visuelle
là où Schaeffer fait du dessaisissement une condition de la « méthode
expérimentale en art » appliquée à l’audiovisuel, or, du point de vue de
la diffusion, c’est-à-dire du public, le peintre soulève une vraie difficulté 1.
En 1964, Schaeffer souhaite ne pas distinguer cinéma et télévision (ce
passage fait suite à la liste des genres cinématographiques et télévisuels
écartés par Schaeffer dans sa lettre à Braunberger que nous avons vue
au début) : « Des recherches filmées ne sont finalement ni du cinéma ni
de la télévision proprement dite. Je me refuse, en effet, à enfermer
l’expression visuelle dans ces deux moules. » 2. Le chercheur pointe à
juste titre que, du point de vue de l’expression – et la captation en fait
partie –, la distinction entre cinéma et télévision n’a pas lieu d’être, mais
du point de vue de la diffusion cette distinction est plus que prégnante :
c’est tout l’enjeu de la discussion – dans le film, entre Patris et Dubuffet, dans la correspondance, entre Schaeffer et Dubuffet – sur le
« public du Service de la recherche ».
Identifions les différents arguments et les différentes figures du public
qui vont et viennent de l’un à l’autre :
–
l’argument – ou le pseudo-argument – pédagogique (la nécessité
d’un prologue pour « faire passer les choses au public ») auquel
s’oppose Dubuffet (« les gens comprennent bien », « il n’y a pas à
dire tout ça au public, il y a à montrer le truc ») ;
–
la spécificité du public du Service de la recherche (Dubuffet : « c’est
un public particulier votre public » ou « alors, ce Service de la recherche, on
attend des choses surprenantes, inattendues », de même, Schaeffer : « il
s’agit d’une émission tardive pour un public motivé », Lettre
ouverte) ;
–
les « personnes par ailleurs bien informées de mes travaux et leur
portant sympathie » (Dubuffet, Lettre du 28 juin), qui peuvent
correspondre au public des conférences du Service de la recherche…
1
Schaeffer lui-même distingue nettement les deux phénomènes, en soulignant que, d’un point de vue généalogique, « il eût été historiquement possible d’inventer micro et caméra, magnétophone et magnétoscope sans
qu’eussent été seulement découvertes les ondes hertziennes. », « 1966. Vae
victis », chapitre « L’audiovisuel comme thème et comme moyen », in
Genèse des simulacres, 1970 : 227-228.
Lettre à Braunberger, octobre 1964.
2
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MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
–
… mais pas au public des émissions du Service de la recherche, qui
s’avère progressivement être « le public » en général : « le public
auquel s’adressent ces diffusions prévenu à juste titre contre les fins
publicitaires des émissions, et notamment de celles qui concernent
les peintres, jugerait cette présentation intempestive et déplaisante (…) la création d’art n’est pas chose à mettre par force, en
n’importe quel moment, sous les yeux de gens qui n’y aspirent pas,
qui n’y sont pas prêts (…) Le public ressent alors très justement
qu’il y a intrusion, qu’on veut le violenter, et se défend de s’y
prêter » (Ibid.) ;
–
le lien entre les positions personnelles et esthétiques du peintre
(« homme du commun ») et le « grand public » sous la figure du
« peuple » (« Pourquoi, homme rude, homme du peuple, homme de
la halle aux vins, mépriseriez-vous le grand public de la Télévision ? », plus loin : « Craindriez-vous (…) que le public ne soit pas
digne de vous ? », Schaeffer, Lettre ouverte) ;
–
la spécificité du discours de Dubuffet et son goût pour le
« scandale » (Schaeffer, Ibid., à propos de sa critique du « beau »
paysage : « banalités pour gens avertis, scandale pour les congés
payés »), contradictoire avec son refus de « passe[r] ensuite aux
rayons X de cette collectivité invisible des téléspectateurs (…)
qu’est-ce qui vous fait broncher, vous qui ne détestez pas parfois de
faire scandale ? » (Ibid.) ;
–
une figure « évangélique » du peuple qui expliquerait le refus du
scandale : « ne pas scandaliser les petits » (Ibid.) ;
–
une figure du public écartée par Schaeffer : « la masse » opposée au
« public motivé » (Ibid.).
Sans entrer dans le détail des argumentaires, dont il ne faut pas sousestimer le caractère parfois rhétorique visant à obtenir l’accord de
l’autre ou à trouver des arguments pour refuser 1, il est visible que tout
l’enjeu est de faire se correspondre l’« horizon d’attente » du public du
Service de la recherche avec celui visé par le peintre (sans exclure, justement, de scandaliser ce public), et ce d’une façon qui écarte précisément le passage par la pédagogie (c’est un faux argument et c’est une
médiation « didactique » qui a été écartée dès l’entrée par tous les protagonistes). Dubuffet voit le public des émissions du Service de la
recherche comme un public qui n’est pas dupe, qui n’a pas besoin d’explication, et non comme un public qui connaîtrait suffisamment sa
1
Schaeffer passe vite sur le fait que faire scandale de son propre chef n’est
pas exactement faire scandale un peu malgré soi ; Dubuffet passe vite du
public du Service de la recherche, qui suffisamment averti se méfie du
caractère « publicitaire » de certaines émissions, aux membres du « public »
tout court qui « n’aspirent pas » à la création d’art.
148
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
peinture, voire qui « n’aspire pas » à la « création d’art ». Schaeffer, au
contraire, fait feu de tout bois : tantôt le public est « motivé » (dans tout
son travail Schaeffer insiste sur le fait que le Service de la recherche
peut « prendre à témoin » un « certain public »), tantôt, au contraire,
c’est, sur le versant esthétique, un public-peuple avec lequel on pourrait
fraterniser (ou, sur le versant moral et religieux, qu’on pourrait protéger
du scandale), ou, sur le versant socio-politique un public-collectivité que
l’on peut – voire que l’on doit – scandaliser. Dans tous les cas, le Service
de la recherche s’adresse à des dimensions du « grand public » de la télévision qui ont à voir avec ses recherches. Là où Dubuffet cherche à circonscrire un public sur le modèle de celui des conférences ou des
« amateurs » d’art (entendu non à partir d’une pratique sociale, mais
d’une aspiration qui peut être celle d’un « homme du commun »),
Schaeffer cherche, au contraire, à construire des « corrélations » entre
les visées du Service de la recherche et ce « grand public », qui n’est pas
la « masse » parce qu’il n’est pas indifférencié comme elle. Ce que le
« grand public » tient de la « masse », en revanche, c’est une absence de
délimitation claire. C’est pourquoi Dubuffet refuse le scandale dans ces
conditions parce qu’il va au rebours d’une appréhension adéquate de
ses intentions esthétiques, voire les ruinent si on les ignore, tandis que
Schaeffer en fait le moyen d’utiliser la diffusion pour toucher un problème esthétique (la tension entre un travail plastique et sonore et la
mise au jour d’un simulacre) plutôt qu’une esthétique particulière (celle
de Dubuffet). Par là, pourrait-on ajouter, il considère en somme qu’il
est infidèle – du point de vue de la captation – à la lettre du projet plastique et sonore de Dubuffet, mais au profit d’une forme de fidélité à
l’esprit de l’art brut.
Schaeffer espérait peut-être trouver pour le Service de la recherche
l’équivalent à la télévision du public des étudiants et intellectuels qui
avait porté les ambitions esthétiques de la Nouvelle Vague à la fin des
années 1950 1, mais l’extension du public de la télévision rendit de ce
fait plus difficile l’identification des points de contact possibles, et le
« scandale » au sens des « avant-gardes » esthétiques paraît déjà appartenir à une autre époque. De ce point de vue, il y a bien une distinction
entre cinéma et télévision quant à la diffusion : le mouvement qui est en
cours pendant les années 1960 (1965 appartient alors déjà à une autre
époque que 1962 2) transforme la télévision en média de tous, tandis
1
2
L’une des vocations initiales du Service de la Recherche fut la co-production de films de cinéma (le plus connu est peut-être La Jetée de Chris
Marker). C’est dans une note interne de 1959 définissant les objectifs de la
coproduction que Schaeffer identifie ce public spécifique du cinéma.
La télévision, née après Guerre, s’est diffusée lentement dans les foyers
français. En 1957, ils sont seulement 6 % à la posséder. En revanche, le
début des années 60 est le moment d’une brutale accélération de l’équipement puisqu’on passe, en dix ans, de ces 6 % à 62 % en 1968 (le cap des
…
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MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
que le cinéma tend à se segmenter de plus en plus (développement d’un
cinéma pour un public particulier, celui des salles « Arts et Essais »). De
plus, entre 1962 et 1965, une nouvelle piste artistique s’esquisse à la
télévision, celle des Raisins Verts d’Averty (1963). Imaginaire de la bande
dessinée, art vidéo, variétés… le scandale a pris une autre tournure, plus
proche des innovations du pop art et de son regard décalé sur la
culture… de masse, et sur la nouvelle culture télévisuelle en particulier.
C’est alors une version, en effet, « populaire » des recherches (et du
scandale) sur les formes plastiques ou sonores, comme les Shadocks à
partir de 1968 (conçu par un ancien publicitaire, Jacques Rouxel, et
dont Patris fut l’un des réalisateurs), ou sur la caméra cachée et les
expériences sur le matériau humain (en sollicitant en particulier des personnalités connues et des journalistes de télévision), comme Vocations
(1969), que le Service de la recherche parvint à toucher un « certain
public » à la télévision. Victoire, peut-être, d’un rire « commun » devenu
ironie pop contre le potentiel de subversion esthétique de la dérision.
Conclusion : les belles infidèles, ou perspectives pour un
art de la télévision
Par delà le passage d’une culture à une autre, qui n’est pas au centre du
dialogue entre Schaeffer et Dubuffet, que retenir de cette tentative de
faire de la théorie de l’art brut l’esthétique d’un art de la télévision ? On
pourrait s’inspirer précisément de l’idée d’une forme d’infidélité créatrice. Dans les années 1950, on a considéré la télévision, en faisant abstraction de son opacité propre de simulacre, comme un « médium
impur », parce qu’elle mélangeait toutes les matières et tous les moyens
d’expression (paroles, musique, images, écrit…). Tant qu’on demeure
dans une perspective de la transparence (de l’empreinte ou de la marque), c’est en effet l’« impureté » qui frappe celui qui observe la télévision comme agencement formel. Or, une pensée du simulacre considère plutôt la transformation qu’opère l’enregistrement audiovisuel, c’està-dire se donne pour perspective l’analyse de traduction d’une forme dans
une autre forme (et non pas seulement d’une matière, ou d’un matériau,
dans une forme plastique ou sonore). La leçon paradoxale de l’art brut
appliqué à l’audiovisuel est donc de faire voir que l’instrument ne peut
se réduire ni à un matériau ni à un moyen (un « simple » instrument),
c’est-à-dire que l’audiovisuel pose d’abord un problème morphologique
à l’esthétique : quelle forme faire émerger d’autres formes déjà constituées
(suite de notes, tableau, déclamation poétique, etc.) ?
…
des 50 % [51,7] est franchi en 1966). Chiffres tirés de Bourdon, Chauveau,
Denel, Gervereau, & Meadel (dir.), La grande aventure du petit écran, INABDIC, 1997.
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L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
Deux pistes n’envisagent peut-être pas frontalement ce problème morphologique. La première serait de pousser jusqu’à la limite, grâce à
l’enregistrement (et son pendant, le montage), la tension entre des
formes existantes – y compris jusqu’à une forme de niveau « premier »
que sont les deux registres formels de la tribune et de l’écran –, mais il
n’est pas sûr que cela débouche sur de nouvelles formes, c’est-à-dire
autre chose que des « expériences ». La seconde, on l’a évoquée avec
Averty, propose un art du mélange électronique, qui vise à affaiblir les
frontières formelles existantes, en agençant les matières entre elles grâce à la
vidéo. Or, une troisième direction pourrait s’esquisser qui viserait à
produire un art de la transformation, c’est-à-dire un art dont la source
serait le processus de traduction lui-même. On dit des traductions de
textes antiques faites au XIXe siècle, souvent inspirées mais peu rigoureuses, que ce sont de « belles infidèles ». C’est-à-dire qu’elles produisent un autre texte que le texte initial, mais aussi que le texte auquel
aurait dû donner lieu la traduction. Transposé dans le domaine formel,
on voit que la transformation audiovisuelle produira une nouvelle
forme, une « belle infidèle », si elle s’écarte autant de ce qu’on attend
d’elle en tant que transformation, que de la forme dont elle s’empare.
Faisant suite à un « art expérimental », cet art traducteur pourrait par
exemple se décliner comme art de l’improviste plutôt que du « direct ».
Dans un art de l’improviste, le simulacre audiovisuel pourrait servir à
prendre à rebours une forme constituée pour en tirer une autre forme
en affectant sa dimension spatio-temporelle. Il s’agirait, par exemple,
d’un travail sur le rythme de l’enregistrement qui affecterait les formes
initiales, à la différence des « improvisations » que permet le « direct »
qui n’atteignent pas le niveau formel : toute forme préalable (chant,
conversation, scène de théâtre, danse…) peut être, en effet, « en direct »
sans véritablement subir une modification formelle si l’enregistrement
se calque sur la forme d’origine (par exemple un filmage et un découpage qui « collent » à la conversation ou aux dialogues de théâtre). De
même, si certains directs mettent en péril des dispositifs (comme des
intrusions de plateau, par exemple), ils les rendent simplement transparents et ne débouchent pas nécessairement sur de nouvelles formes. En
ce sens, il peut y avoir un « art » du direct au sens d’une habilité, de la
dextérité technique du réalisateur, mais pas un « art » qui renverrait à
une « esthétique » du direct. D’autres perspectives peuvent s’envisager
comme un travail d’interpolation ou d’inversion entre formes grâce à
l’enregistrement, etc. Cette « infidélité », tant redoutée par Dubuffet
(« [la musique du film] n’a plus avec mes propres visées qu’une parenté
adultérée » 1), est peut-être, au contraire, la voie possible pour un art
d’une télévision infidèle plutôt qu’impure, une réponse, sinon à la réception
de cet art, du moins à la question morphologique de la transposition de
formes.
1
Lettre du 28 juin.
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MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
Générique d’Auto-portrait
Producteurs : Service de la recherche et Films de la Pléiade * (P. Braunberger)
Auteurs : Gérard Patris * & Luc Favory *
Réalisateur : Gérard Patris
Assistant-réalisateur : Luc Favory
Collaboration : Michel Chapuis et Pierre Schaeffer.
Images de Queneau *
Éléments sonores : Luc Ferrari et Jean Dubuffet
(* ne figurent pas au générique dans le film)
Plan d’Auto-portrait
Prologue
(4 min)
Halle aux Vins. Générique.
Alternance de plans de Dubuffet dans son atelier à Paris et à Vence,
et de plans tournés en caméra cachée avec Patris tournés au Service
de la recherche.
Poème
Essais de voix.
(22 min)
Lecture du poème, plans de Dubuffet alternés avec des plans de
tableaux et de statuettes plus ou moins animés.
Fin
Moue puis « Allez, il m’a eu ».
(2 min)
Déclaration sur la dérision.
Plan de Dubuffet ramassant du sable.
Générique fin.
Chronologie succincte
1953-60
Dubuffet : « Barbes », « Éléments botaniques », « Phénomènes »,
« Matériologies »…
1960
Exposition Dubuffet au Musée des arts décoratifs. Poème « La
Fleur de Barbe ».
1960-62
Court-métrages de Patris.
1961
Dubuffet : expériences musicales, enregistrement du poème.
1962
Émission « Dubuffet » de Terre des arts.
Textes-programmes de Schaeffer (une « méthode expérimentale en
art »)
Enregistrement de La Fleur de Barbe au studio du Service de la
recherche.
Réticences sur le projet de Michel Chapuis (de Terre des arts).
1963
Scénario définitif d’Auto-portrait. Les raisins verts d’Averty.
152
L’art de la télévision comme « art brut »
G. Soulez
1964
Montage définitif d’Auto-portrait. Lettre de Schaeffer à Braunberger
(« cinéma de recherche »)
1965
Lettre de Nedjar à Schaeffer (projet d’une série d’Auto-portraits)
Dubuffet refuse la diffusion à la télévision.
Lettres à Queneau et Dubuffet (dont Lettre ouverte). Réponse de
Dubuffet.
Documents audiovisuels cités
Auto-portrait, 1964. Réal. : G. Patris, 28 min (non diffusé)
La Chute d’Icare, 1960. Réal. : G. Patris, 11 min (non diffusé)
Des peintres et du cinéma, 1962. Réal. : G. Patris, 26 min. Diffusé le 9 mars 1962
(première chaîne)
Illusions, 1962. Réal. : G. Patris, 25 min. Diffusé le 11 mars 1962 (deuxième
chaîne)
Correspondance de Pierre Schaeffer et notes internes du
Service de la recherche
J. Dubuffet, Lettre à Pierre Schaeffer, 28 juin 1965.
B. Gautier, Note pour M. P. Schaeffer. Visionnage de la copie remaniée de
Fleur de Barbe, 5 septembre 1962.
Cl. Nedjar à P. Fabre, copie à P. Schaeffer, 27 avril 1965.
G. Patris (probablement), Scénario d’Auto-portrait, 9 octobre 1963.
P. Schaeffer, Projet de lettre au GÉC, noël 1961.
P. Schaeffer, Lettre au GÉC, 1er janvier 1962.
P. Schaeffer, Lettre à P. Braunberger, 6 octobre 1964.
P. Schaeffer, Lettre à Queneau, 10 juin 1965.
P. Schaeffer, Lettre ouverte à Monsieur Dubuffet pour la revue « Arts », 11
juin 1965.
P. Schaeffer, Lettre à Dubuffet, ? juin 1965 (entre le 11 et le 28)
Références
Article et livre d’époque
M. Simonnot (avec J. Rovan et B. Cacérès), 1966. Art, musique et littérature à la
télévision française. Collection P EC « Fiche technique », Paris, « Peuple et
e
culture », 4 trimestre.
Télérama, programmes du 28 janvier au 3 février 1961.
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MEI « Médiation et information », nº 16, 2002
Travaux
D. Abadie, 2001. Dubuffet. L’exposition. Paris : Éditions du Centre Pompidou.
Ch. Bosséno, 1989. 200 téléastes français. Corlet.
J. Bourdon, A. Chauveau, F. Denel, L. Gervereau & C. Meadel (dir.), 1997. La
grande aventure du petit écran. Paris : INA & BDIC.
J. Dubuffet, 1991. L’homme du commun à l’ouvrage. Paris : Folio.
Flageul, 1999, pp. 123-130. « Télévision : l’âge d’or des dispositifs 1969-1983 ».
Hermès. Nº 25 (« Le dispositif »).
F. Jost, 2001. La télévision du quotidien, Paris : INA & De Boeck.
P. Schaeffer, 1970. Genèse des Simulacres. Machines à communiquer, tome 1. Paris :
Seuil, coll. « Pierres vives ».
G. Soulez, 2001a. « La tribune et l’écran ». In R. Gardies (dir.), Télévision :
questions de formes, colloque d’Aix-en-Provence de 1999, L’Harmattan, février
2001, pp. 119-150.
G. Soulez, 2001b. « Parole captée, parole capturée. De Pierre Schaeffer aux
années 1970 ». Intervention au séminaire du CEISME, 3 mai 2001 (à paraître en
2003 dans un ouvrage sous la direction de F. Jost sur la télévision des années
1970).
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