La loi sur le prix unique, bilan et perspectives à l`ère numérique

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La loi sur le prix unique, bilan et perspectives à l`ère numérique
Assises Professionnelles
du Livre
A l’heure du numérique
La loi sur le prix unique, bilan et perspectives à l’ère
numérique
Hervé Gaymard, Député, Président du Conseil régional de la Savoie
17 mars 2009
Salon du Livre de Paris
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La loi sur le prix unique, bilan et perspectives à l’ère numérique
Hervé GAYMARD Député et Président du Conseil régional de la Savoie, souhaite revenir
sur l’origine de ce travail, qui a été collectif puisqu’il a associé tous les acteurs de la
chaîne du livre. Après plus d’une centaine d’auditions au cours des six derniers
mois, après des déplacements en Allemagne à la Foire du livre et en GrandeBretagne, ont été mis à contribution à la fois le Bureau international de l’édition
française et les postes culturels dans les ambassades pour procéder à une évaluation
comparative dans vingt-cinq pays, ce qui n’avait jamais été fait avec un tel sérieux et
une telle exhaustivité.
Ce travail est né d’un débat parlementaire, il y a un peu moins d’un an, concernant la
Loi sur la modernisation de l’économie. Deux parlementaires avaient déposé des
amendements qui, s’ils avaient été adoptés, auraient remis en cause l’esprit, sinon la
lettre, de la loi sur le prix unique. À l’époque opposé à ces amendements, les
parlementaires ont été convaincus de les retirer et ils n’ont finalement pas été
discutés. Mais il a semblé au Conseil du livre, sous l’autorité de Christine Albanel,
qu’il ne fallait pas en rester là et qu’il fallait procéder à une évaluation bien comprise
de cette loi du 10 août 1981. S’agissant du Parlement, si on connaît bien sa fonction
législative, on connaît moins bien une deuxième fonction qui devrait être encore plus
développée et qui est la fonction d’évaluation.
Ce rapport est articulé autour de trois moments : le premier est l’évaluation de la loi
sur le prix unique ; le deuxième porte sur les autres aspects de la politique du livre
qu’il faut consolider ; le troisième est l’irruption du numérique dans le papier.
S’agissant de la loi sur le prix unique, la conclusion est qu’il ne faut surtout pas la
modifier. Ce n’est pas du tout par conservatisme ni par paresse intellectuelle : après
avoir évalué cette loi dans le temps et dans l’espace, ce que confirment les
comparaisons internationales, force de constater qu’elle a incontestablement satisfait
aux objectifs qui étaient les siens, à savoir maintenir l’accès du plus grand nombre de
citoyens au plus grand nombre d’œuvres, favoriser la création littéraire et éditoriale
et protéger les canaux de diffusion du livre et notamment la librairie.
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S’agissant des canaux de distribution du livre, il existe aujourd'hui un peu plus de
3500 librairies en France, avec d’ailleurs un renouvellement plus important qu’on ne
le dit. Si des librairies ferment, d’autres ouvrent aussi, et il est tout à fait clair qu’en
l’absence de la loi sur le prix unique, leur nombre aurait certainement diminué de
moitié comme on peut le constater dans des pays comparables. Quant au nombre de
maisons d’édition, on observe en France comme partout ailleurs une concentration
importante, même si cette concentration maintient l’autonomie éditoriale de
nombreuses maisons de petites ou de moyennes dimensions. Cela n’empêche pas
que se créent de nouvelles maisons d’édition. En tout cas, dans les pays dépourvus
de loi sur le prix unique, il n’y a pas beaucoup de nouvelles maisons d'éditions et une
concentration extrêmement importante.
Il faut ajouter que le maintien d’un important réseau de libraires n’a pas interdit le
développement de la lecture publique, puisqu’il y a aujourd'hui trois fois plus de
livres prêtés dans les bibliothèques publiques que ce n’était le cas il y a vingt ans.
Cela mérite d’être souligné et là, c’est l’élu local, le président du Conseil général en
charge
de
la
lecture
publique
dans
son
département,
qui
s’exprime.
Incontestablement, cette loi a permis cette diversité et cette vitalité de la création et
de la diffusion de la lecture.
On entend souvent dire que le livre est trop cher à cause de la loi sur le prix unique.
Savoir si le livre est cher relativement à d’autres biens, cela ne se discute pas, cela
dépend de l’utilisation que l’on fait de son budget domestique, c’est une question de
choix personnel. En revanche, ce que l’on peut observer de manière précise, c’est le
prix du livre en France et dans d’autres pays comparables. On se rend compte alors
que le livre n’est pas plus cher en France qu’ailleurs, et si on regarde les prix sur la
durée, on s’aperçoit que depuis trente ans, le prix du livre a plutôt évolué moins vite
en moyenne que le reste des prix à la consommation. Jusqu’au début des années
1990, le prix du livre a évolué un peu plus vite que l’indice des prix à la
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consommation parce qu’il y avait sans doute un effet de rattrapage lié à des
évolutions antérieures à 1981, mais depuis le début de la décennie 1990 le prix des
livres a évolué moins vite que l’indice des prix à la consommation. Donc on ne peut
pas dire que la loi sur le prix unique soit inflationniste.
On a souvent dit aussi que la loi sur le prix unique causait un pilon excessif. C’est un
sujet qu’il ne faut pas négliger : pour le grand public, la question du pilon, à l’ère du
développement durable, est un sujet important. Certes le pilon français est plus
écologique que le pilon américain puisque le papier des livres est entièrement
recyclable, alors qu’aux Etats-Unis seule la couverture est retournée comme preuve
de non-vente tandis que le livre lui-même est jeté, mais cette remarque n’épuise pas
la question.
Première question : le pilon est-il trop important ? Avec un taux de 22 ou 23%, à
l’évidence la réponse est oui. Deuxième question : peut-on éliminer le pilon ? La
réponse est non, puisque le pilon, hélas, est consubstantiel au livre. Chaque livre, en
effet, est un prototype et pour qu’il trouve son public, il faut bien le mettre en vente.
Or on ne sait jamais s’il va trouver son public ou pas, donc on aura toujours, quelle
que soit la gestion des stocks, un pilon. Troisième question : est-ce que le pilon
excessif est provoqué par la loi sur le prix unique ? La réponse est non, les
comparaisons internationales montrant qu’il n’y a pas de corrélation entre l’existence
ou non d’une loi sur le prix unique et le montant du pilon. On pourrait même oser
l’hypothèse que là où il n’y a pas de loi sur le prix unique la concurrence se fait par
les prix, ce qui justifie des mises en place énormes et, comme le disait Jérôme Lindon,
il n’y a rien de plus triste qu’un best seller qui ne se vend pas. Quatrième question :
que fait-on ? Le député va répondre qu’il ne faut surtout pas voter de loi ou prendre
de décret, car ce n’est pas un sujet juridique mais une question de bonne gestion des
relations entre les éditeurs, les diffuseurs et les libraires, sachant que les systèmes
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d’information immédiate pour les éditeurs de l’état réel de leurs ventes pourraient
aider grandement à améliorer les choses.
Plusieurs pays ont adopté ce système : la Grande-Bretagne, la Nouvelle Zélande et
l’Australie dans le domaine anglo-saxon ; l’Italie y est venue depuis quelques années.
Par exemple, la Grande-Bretagne est parvenue, grâce à ce système de book tracking, à
diminuer de 22 à 14% le taux de pilon, ce qui est remarquable. Il est clair, et c’est une
recommandation de ce rapport, qu’il faut vraiment que les acteurs de la chaîne du
livre se mettent au travail parce que c’est de l’intérêt bien compris de tout le monde,
de réduire les retours, le pilon étant coûteux pour toute la chaîne du livre.
Le rapport est disponible sous forme numérisée et il le sera en septembre prochain
sur papier puisque les Éditions Gallimard et la Documentation Française ont coédité
l’ouvrage. Il était très important de le faire, parce que sur cette loi couraient un
certain nombre de contre-vérités.
La dernière remarque porte sur la dimension internationale qui est consubstantielle à
ce travail. Les vingt-cinq pays sous revue sont principalement les pays européens,
l’Amérique du Nord, les Amériques Centrale et Latine, qui ont un marché du livre
important, et évidemment le Japon. On a là un bon échantillon du marché du livre
mondial. Sur ces vingt-cinq pays, quatorze ont un système qui s’apparente à une loi
sur le prix unique et onze qui n’en ont point. Ainsi, contrairement aux idées reçues,
une majorité de pays ont adopté un système comparable au système français.
L’évolution contemporaine est très intéressante, puisqu’il y a quelques années on
comptait trois catégories de pays : ceux dans lesquels il n’y avait pas de dispositif ;
ceux dans lesquels on avait un accord interprofessionnel, comme l’Allemagne depuis
1885, la France avant 1978 ou l’Angleterre avant la dénonciation du National Book
Agreement ; et ceux enfin dotés d’une loi telle que la loi française actuelle.
Aujourd’hui le paysage s’est éclairci puisqu’il reste très peu de pays à accords
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interprofessionnels : la plupart d’entre eux se sont orientés vers une législation.
Parmi les pays sous revue, certains n’ont pas de loi, comme la Suède, mais la
situation du marché fait que cela ressemble beaucoup à une forme de prix unique
puisque la moitié des livres est en réalité achetée par les bibliothèques publiques.
C’est donc l’État et les collectivités locales qui, en tant que plus gros acheteurs, fixent
de fait les prix, ce qui limite singulièrement les effets de la théorique liberté des prix
en Suède.
Sur le deuxième sujet, le rapport recommande simplement de doper les différents
aspects de la politique du livre, parce qu’il suffirait de peu plus d’argent public en
plus pour démultiplier les effets dans tous les domaines. Quand on considère
d’autres secteurs de la politique culturelle, on ne peut pas dire que la politique du
livre soit la politique culturelle la mieux lotie. Il convient donc de renforcer les
moyens budgétaires par rapport à la politique du livre. Il faut évidemment
poursuivre et amplifier tout ce qui se fait dans le sillage du rapport d’Antoine
Gallimard en faveur de la librairie, et enfin il faut très rapidement exonérer le livre de
la loi de modernisation de l’économie, en ce qui concerne la question des délais de
paiement. Un accord interprofessionnel dérogatoire est actuellement en discussion,
ce qui est tout à fait utile mais il serait encore mieux qu’on modifie la loi. C’est la
raison pour laquelle le ministre a déposé, en consensus avec des collègues issus de
tous les groupes parlementaires de l’Assemblée, une proposition de loi pour
exonérer la chaîne du livre de la LME pour ce qui concerne la question des délais de
règlement.
Enfin, le troisième paquet concerne le numérique, sujet déjà abondamment traité tout
au long de la journée. Il s’est simplement agi d'écrire la table des matières de la
problématique pour que les non-initiés puissent avoir un guide de lecture sur un
sujet dont on pressent qu’il sera très important mais sur lequel on a assez peu de
certitudes et de visibilité aujourd’hui.
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