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Entreprise & expertise
Juridique
Par Eléonore Gaulier,
avocat,
STC Partners
Rémunération des dirigeants des
sociétés cotées : des prérogatives
renforcées pour les actionnaires
Les récentes circonstances de la fixation de la rémunération du président-directeur
général du groupe Renault-Nissan ont conduit les députés et le gouvernement ainsi
que l’Afep et le Medef à proposer de nouvelles dispositions relatives aux conditions de
fixation de la rémunération des dirigeants de sociétés cotées. Afin de faire un état des
lieux et de mieux appréhender les nouvelles propositions de modification afférentes
aux rémunérations des dirigeants, un rappel des règles en vigueur dans les sociétés
anonymes s’impose.
1. L’insuffisance de la transparence
et du «say on pay»
La rémunération des directeurs généraux, directeurs généraux
délégués, président du conseil d’administration et membres du
directoire est fixée, selon le cas, par le conseil d’administration ou par le conseil de surveillance d’une société anonyme et
ce depuis des décennies. Depuis plusieurs années néanmoins,
le niveau des rémunérations de certains dirigeants a créé une
polémique quant à la compétence exclusive du conseil d’administration ou du conseil de surveillance dans la fixation des
rémunérations des dirigeants.
Ainsi la loi NRE1 a imposé de rendre compte de la rémunération
totale et des avantages de toute nature versés, durant l’exercice, à chaque mandataire social dans le rapport de gestion
présenté à l’assemblée générale des actionnaires par le conseil
d’administration ainsi que le montant des rémunérations et des
avantages de toute nature que chacun de ces mandataires a
reçu durant l’exercice de la part des sociétés contrôlées2. Ces
dispositions s’appliquent à toutes les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions, que celles-ci fassent ou non
offre au public de leurs titres financiers.
Dès lors, l’assemblée générale des actionnaires bénéficie ainsi
d’une information sur le montant des rémunérations et avantages que chacun des mandataires a reçu durant l’exercice. Une
certaine transparence est alors assurée par une information no-
24 Option Finance n°1371 - Lundi 20 juin 2016
minative et non plus globale puisque le rapport susvisé décrit
en les distinguant les éléments fixes, variables et exceptionnels
composant ces rémunérations et avantages ainsi que les critères en application desquels ils ont été calculés ou les circonstances en vertu desquelles ils ont été établis pour chacun des
mandataires.
Ce rapport est présenté en assemblée mais est aussi obligatoirement envoyé aux actionnaires qui en font la demande3. Enfin,
rappelons également que les tiers peuvent avoir accès à ces
informations puisque le rapport de gestion doit être déposé au
greffe du tribunal de commerce pour les sociétés qui se conforment à leur obligation de dépôt ainsi que le comité d’entreprise.
L’alinéa 1er de l’article L. 225-102-1 du Code de commerce prévoit que le rapport de gestion «rend compte» des éléments de
rémunération. Il s’agit donc d’un compte rendu sur les rémunérations et avantages versés et non pas d’une simple indication
des montants. Toutefois, la suite de l’article prévoit une simple
indication des montants reçus, ce qui semble exclure la possibilité pour le conseil d’administration ou directoire d’expliquer
la politique de rémunération des dirigeants menée au sein des
sociétés contrôlées.
S’agissant enfin des sanctions prévues par les textes, aucune
nullité ou sanction pénale spéciale n’est prévue. Le seul recours
existant lorsque le rapport annuel ne comprend pas les mentions prévues par la loi est la possibilité pour toute personne
intéressée de demander au président du tribunal statuant en par la société elle-même ou par toute société contrôlée ou qui
référé d’enjoindre sous astreinte au conseil d’administration ou la contrôle, et correspondant à des éléments de rémunération
au directoire selon le cas de communiquer ces informations4.
d’activité ou à des avantages de toute nature liés à l’activité
S’agissant des cotées, la place financière a mis en place en feraient l’objet d’une résolution soumise au moins chaque anencadrement plus strict encore dès 2007 et renforcé en 2013. née à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires
Dans son code de gouvernement d’entreprise des sociétés co- dans les conditions prévues à l’article L. 225-98 du Code de
tées, l’Afep et le Medef ont émis une série de recommandations. commerce.
Tout d’abord, pour les sociétés ayant choisi de se soumettre à A ce titre, les projets de résolution établis par le conseil d’adce code, les conseils d’administration de ces dernières doivent ministration (ou le conseil de surveillance) seraient présentés
s’appuyer sur des préconisations du comité des rémunérations dans un rapport (joint au rapport de gestion), qui détaillerait
et respecter six principes généraux : exhaustivité, équilibre, les éléments de rémunération fixes, variables ou reflétant la
benchmark, cohérence, intelligibilité et mesure.
De surcroît, le code Afep-Medef
Le législateur a adopté le 9 juin dernier, dans le cadre du
a introduit depuis 2013 le prinprojet de loi «Sapin 2», un amendement visant à soumettre
cipe du «say on pay» prévoyant
les rémunérations des dirigeants de sociétés anonymes
un vote consultatif des actiondont les titres sont admis à la négociation sur un marché
naires5 sur la rémunération des
réglementé, à l’approbation de l’assemblée générale des
dirigeants après présentation
actionnaires.
par le conseil d’administration
à l’assemblée des actionnaires
de la totalité de la rémunération
due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant performance des dirigeants ainsi que les critères retenus pour
mandataire social. Rappelons toutefois que les sociétés cotées leur détermination.
qui se réfèrent à ce code peuvent s’écarter de cette recomman- Une fois ces éléments présentés à l’assemblée des actionnaires,
dation en fournissant une explication dans leur document de l’approbation de cette dernière serait requise pour toute moréférence ou dans leur rapport annuel.
dification des éléments de rémunération liés à l’activité et à
Si ce dispositif n’avait alors pas été incorporé dans la loi, il chaque renouvellement du mandat exercé par les personnes
semblerait, comme l’avaient anticipé à l’époque certains au- concernées.
teurs, que l’introduction du «say on pay» n’était qu’une «escale» Aucun versement de quelque nature que ce soit ne pourrait
vers une nouvelle réforme imposant un vote contraignant de intervenir avant que le conseil ne constate leur approbation par
l’assemblée6.
l’assemblée générale. Dans l’hypothèse où l’assemblée n’aurait
pas approuvé la résolution, le conseil devrait lui soumettre une
2. La décision de fixation
nouvelle proposition à la prochaine assemblée générale.
de la rémunération bientôt
S’agissant de la sanction, à l’image de ce qui existe déjà pour
aux mains des actionnaires
les engagements de rémunération susceptibles d’être dus à raiLe 20 mai 2016, l’Afep et le Medef ont annoncé une révision son de la cessation ou du changement des fonctions du dirimajeure du code de gouvernement d’entreprise des sociétés co- geant, tout versement effectué en méconnaissance des dispositées visant notamment à rendre un peu plus contraignant le tions nouvellement prévues serait nul de plein droit.
vote de l’assemblée des actionnaires sur la rémunération du di- Le projet de rendre le vote de l’assemblée générale des actionrigeant. Un vote négatif des actionnaires devrait alors conduire naires sur les rémunérations des dirigeants de sociétés cotées
le conseil d’administration à éventuellement modifier la rému- contraignant, appuyé par les parlementaires et le gouvernenération due ou attribuée au titre de l’exercice clos ou à la ment, adopté à l’issue de la troisième séance du 9 juin derpolitique de rémunération future.
nier, s’il est suivi par le Sénat, pourrait ainsi voir le jour et être
La polémique déclenchée par le refus du conseil d’administra- accompagné d’autres dispositions restrictives sur les modalités
tion de tenir compte de l’avis consultatif de l’assemblée des d’encadrement et de fixation desdites rémunérations. ■
actionnaires du groupe Renault-Nissan a conduit le législateur
lui-même à doubler l’Afep-Medef pour adopter le 9 juin dernier, dans le cadre des débats de l’Assemblée nationale sur le
projet de loi «Sapin 2»7, un amendement visant à soumettre les 1. Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
rémunérations des dirigeants de sociétés anonymes dont les économiques.
Art. L. 225-102-1 C. com.
titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé, à 2.
3. Art. L. 225-115 C. com.
4. Art. L. 225-102 al. 3 et 4 sur renvoi de l’article L. 225-102-1 al. 6 C. com.
l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires.
Art. 24.3 du Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées.
Plus précisément, les engagements pris au bénéfice de leurs 5.
6. A. Viandier, «L’avis consultatif de l’assemblée des actionnaires sur la
dirigeants (présidents, directeurs généraux ou directeurs géné- rémunération des dirigeants sociaux», JCP E juill. 2013, n° 29 ; P. Durand«Le guide de la gouvernance des sociétés», guide Dalloz 2016-2017.
raux délégués, membres du directoire ou du conseil de sur- Barthez,
7. Relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation
veillance, président et vice-président du conseil de surveillance) de la vie économique.
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