Régulation de la rémunération des dirigeants
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Régulation de la rémunération des dirigeants
Le point sur... RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS Régulation de la rémunération des dirigeants : le rôle méconnu des actionnaires Par Frank Wismer, avocat associé, et Jean de Calbiac, docteur en droit. Fromont Briens Extrait du magazine Décideurs N°142 Octobre 2012 UNE PUBLICATION DU GROUPE RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS Régulation de la rémunération des dirigeants : le rôle méconnu des actionnaires Le gouvernement envisage de déposer à l’automne un projet de loi relatif à l’encadrement des pratiques de rémunération et à la modernisation de la gouvernance des entreprises. Pourtant, les sociétés cotées et leurs actionnaires disposent déjà d’un arsenal juridique méconnu mais très fourni leur permettant de contrôler et, dans certaines hypothèses, de remettre en cause les rémunérations excessives ou injustifiées de leurs dirigeants. SUR LES AUTEURS Frank Wismer, avocat associé, et Jean de Calbiac, docteur en droit, exercent au sein du cabinet Fromont Briens. L’activité du cabinet, qui compte 120 avocats dont 32 associés, est exclusivement dédiée au droit social. Une équipe unique est consacrée au droit de la protection sociale d’entreprise et aux rémunérations complémentaires. Le cabinet s’est vu décerner les Trophées « Droit social » d’or (2005 – 2007) et d’argent (2009-2011). Le cabinet est membre des réseaux internationaux Terralex et ELA. Frank Wismer, avocat associé L e décret n° 2012-915 du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l’État sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques dont le principal objet est le plafonnement de la rémunération annuelle brute de ces derniers à 450 000 euros constitue la dernière incursion des pouvoirs publics dans le domaine de la rémunération et des avantages sociaux des dirigeants. En une décennie, ce ne sont pas moins d’une dizaine de lois qui ont encadré les conditions de détermination de la rémunération des dirigeants. Dans ces conditions, est-il opportun de légiférer à nouveau ou ne conviendrait-il pas, notamment dans les sociétés cotées, de laisser le temps aux actionnaires de s’approprier les actuels instruments de contrôle et de contestation des rémunérations des dirigeants ? Contrôle des rémunérations Au cours de cette dernière décennie, les interventions du législateur ont permis aux actionnaires de sociétés cotées d’exercer un réel contrôle sur la rémunération des dirigeants d’entreprise. Jean de Calbiac, docteur en droit Transparence. La condition préalable à tout contrôle est de permettre aux actionnaires de connaître le montant et la structure de la rémunération de leurs dirigeants. Or, pendant longtemps, ceux-ci n’ont disposé que d’informations très parcellaires lorsqu’ils n’appartenaient pas au conseil d’administration. La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (NRE) a imposé que le rapport de gestion rende « compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés durant l’exercice de chaque mandataire social »1. Le rapport doit notamment faire apparaître, pour chaque mandataire social, de façon distincte, les éléments de rémunération, fixes, variables, exceptionnels ainsi que les éléments de rémunération « post mandat social » (régimes de retraite, indemnités de départ). Les actionnaires sont également informés par des rapports spécifiques sur les attributions de stock-options ou d’actions gratuites2. Vote sur les rémunérations complémentaires. En raison du risque de dilution du patrimoine des actionnaires, la mise en place d’un plan de stock-options ou d’actions gratuites nécessite l’autorisation préalable de l’assemblée générale3. En outre, la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 (Tepa) a soumis les engagements « correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions » (essentiellement les indemnités de départ et certains régimes de retraite) à une procédure dite renforcée des conventions réglementées. Celle-ci implique, outre des conditions de performance et une publicité spécifique, un vote nominatif des actionnaires sur ces éléments de rémunération lors de leur mise en place ainsi qu’à chaque renouvellement du mandat4. En d’autres termes, les actionnaires disposent désormais d’un pouvoir décisionnaire sur une grande partie des rémunérations complémentaires des dirigeants qui représentent, rappelons-le, une part non négligeable de leur rémunération globale. Mais, de nombreuses questions subsistent et n’ont, à ce jour, pas encore été résolues. À titre d’exemple, la procédure Par Frank Wismer, avocat associé, et Jean de Calbiac, docteur en droit. Fromont Briens LES POINTS CLÉS Traditionnellement, la rémunération des dirigeants sociaux ne relève pas de la compétence de l’assemblée générale mais de l’organe exécutif. Dans un souci de moralisation des pratiques des entreprises, le législateur a introduit de nouvelles dispositions dans le Code du commerce visant à renforcer le rôle et l’information des actionnaires. Les actionnaires peuvent exercer une action sociale en responsabilité contre les dirigeants lorsque leurs rémunérations ont été attribuées en méconnaissance des dispositions légales et de l’intérêt social. renforcée des conventions réglementées ne s’applique pas au financement d’un régime de retraite à cotisations définies lorsqu’il bénéficie de l’exclusion d’assiette régie à l’alinéa 6 de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale. Or, cette exclusion est admise dans des limites fixées à l’article D.242-1 du même code. Si le régime comporte un financement excédant ces limites, doit-on considérer que ce dépassement non exonéré est soumis à la procédure renforcée ? Plus largement, quelle attitude adopter lorsque le bénéfice de l’exonération est remis en cause à la suite d’un contrôle Urssaf ? De ce point de vue, le dispositif issu de la loi Tepa n’est probablement pas encore « assimilé » et la première préoccupation des pouvoirs publics devrait être d’en assurer l’application effective plutôt que d’envisager une nouvelle réforme. Contestation des rémunérations irrégulières dure des conventions réglementées7. À ce titre, le juriste ne peut qu’être frappé par l’hiatus entre l’extrême formalisme de la Cour de cassation et la pratique beaucoup plus souple des entreprises. Certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs mis en œuvre aucune procédure d’autorisation sans que cela pose le moindre problème aux dirigeants intéressés, faute Action ut singuli. En cas d’inertie des dirigeants (ce qui peut être le cas s’agissant de leur propre rémunération), les actionnaires disposent d’une action ut singuli5 leur permettant ainsi, sous certaines conditions, d’intenter une action sociale en responsabilité contre les dirigeants sociaux lorsque leurs «Un hiatus entre une jurisprudence stricte rémunéraet la pratique de certaines entreprises » tions ne sont pas attribuées conformément aux dispositions pour les autres dirigeants et actionnaires d’appréhender cette problématique. légales. Actions civiles. Les actionnaires peuvent Les actionnaires disposent donc d’un veiller au respect des dispositions du pouvoir, souvent méconnu, de faire Code de commerce relatives à la déter- constater la nullité des rémunérations mination de la rémunération des man- attribuées au dirigeant en méconnaisdataires sociaux. Pour mémoire, la sance des dispositions impératives du méconnaissance de ces règles (contenu Code de commerce. de la délibération, compétence de l’or- Actions pénales. L’actionnaire peut se gane, conditions de performance, publi- porter partie civile lorsque, dans cercité…) est sanctionnée par la nullité de taines hypothèses extrêmes, la violation des règles relatives à la rémunération l’avantage. La Cour de cassation fait, au cas par- des dirigeants est constitutive d’un délit ticulier des régimes de retraite, une (abus de biens sociaux, abus de pouapplication rigoureuse de ces disposi- voir…). À titre d’exemple, la chambre tions. À titre d’exemple, elle considère criminelle de la Cour de cassation a que l’autorisation par le conseil d’ad- récemment confirmé la condamnation ministration d’un régime de retraite d’un ancien dirigeant d’une société à prestations définies différentiel (le cotée pour avoir obtenu du conseil montant des prestations était calculé d’administration de modifier la compar référence aux douze derniers mois position du comité des rémunérations de salaire) ne peut intervenir qu’au qui avait refusé le déplafonnement de moment où le conseil a connaissance sa rémunération variable8. du montant en valeur absolue du comC.com., art. L.225-102-1. C. com., art. L. 225-184, L.225-197-4. plément de retraite, à savoir « après la C.com., art. L.225-177, L.225-197-1. liquidation de son assiette constituée par C. com., art. L.225-42-1, al.4, art. L.225-90-1, al.4. 6 le salaire brut fiscal » . De même, la C. civ., art. 1843-5. Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-70302. mise en place de garanties de retraite Cass. com., 14 janvier 1999, n° 93-41796. supplémentaire dont bénéficient, en Cass. crim., 16 mai 2012, n° 11-85150. leur qualité de salariés, des mandataires sociaux doit être soumise à la procé1 2 3 4 © nali - Fotolia.com 5 6 7 8