Comme un ange…

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Comme un ange…
Comme un ange...
Une nouvelle
de
Stéphane Kneubuhler
Stéphane Kneubuhler – Conteur – Auteur – Comédien
13 rue Madame de Vannoz 54000 Nancy Tél : 03.83.44.53.53 / 06.88.60.03.48
[email protected] / www.colporteurdereves.com
C’était un homme gravement malade.
Il souffrait d’une de ces maladies sans cause précise, qui s’attaquent plus à l’âme
qu’au corps, mais dont les effets se font ressentir sur l’être tout entier. L’homme
dépérissait de jour en jour. Il avait même cessé de s’alimenter. Alors on l’avait conduit
à l’hôpital.
Là, tous les médecins de la création s’étaient succédé à son chevet : des externes,
des internes, des docteurs, des spécialistes ! des professeurs ! et enfin des sommités !
Aucun ne pouvait dire exactement de quoi l’homme souffrait. C’était une maladie qui
ne figurait pas dans les livres… Les hommes de l’art se réunirent pour décider de ce
qu’il fallait faire, et l’un deux, titulaire d’une chaire de médecine à Paris, avança
l’hypothèse que c’était la vie elle-même qui semblait se désintéresser de cet homme, et
qu’elle le quittait lentement. Tout simplement. C’est pourquoi il était dans ce triste
état. Le pronostic était mauvais : on ne lui donnait que quelques jours à vivre.
On le plaça dans une chambre, tout au bout d’un couloir, tout au bout de l’aile la
plus reculée d’un bâtiment à l’écart de l’hôpital lui-même. On l’avait placé loin des
autres malades pour éviter qu’il ne les contamine — le mal dont il souffrait était peutêtre contagieux, allez savoir — et c’est pourquoi le personnel soignant évitait autant
que possible de venir le soigner. De toute façon, il n’y avait rien à faire !
Tout le monde évitait la chambre. Tout le monde, sauf une jeune infirmière qui
avait accepté de s’occuper de l’homme. Oh ! sa tâche n’était pas bien compliquée, à
vrai dire : l’homme passait tout son temps à dormir, et ne se plaignait jamais.
Un jour, justement, que la jeune femme se trouvait dans la chambre, l’homme ouvrit
les yeux. Il battit des paupières, et ses prunelles délavées se fixèrent sur le doux visage
de l’infirmière. Il la regarda ainsi, avec une grande intensité, pendant un long moment
sans rien dire. Et puis, pour la première fois depuis de longs mois de souffrance, ses
lèvres exsangues esquissèrent un sourire.
— Ça y est, dit l’homme dans un souffle âpre. Je le savais bien. Cette fois, j’ai
réussi. Je suis enfin au paradis !
— Au paradis ?! s’étonna la jeune femme. Non, vous n’êtes pas au paradis, vous
êtes dans votre chambre, à l’hôpital. Je suis votre infirmière.
— Vous voulez dire que vous n’êtes pas un ange ?
— Enfin, voyons, vous savez bien que les anges ça n’existe pas.
— Pourtant j’avais cru, en vous voyant…
L’infirmière sourit sans rien dire, et partit s’occuper des autres malades.
L’homme, lui, se sentait tout remué de l’intérieur. Il ne put pas dormir de toute la
journée.
Stéphane Kneubuhler – Conteur – Auteur – Comédien
13 rue Madame de Vannoz 54000 Nancy Tél : 03.83.44.53.53 / 06.88.60.03.48
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Jour après jour, il se mit à attendre avec impatience les visites de la jeune femme. A
chacune de ses apparitions, il semblait aller mieux, mais dès qu’elle repartait, il
redevenait tout gris.
N’y tenant plus, l’infirmière lui demanda pourquoi il se laissait aller ainsi.
— Pourquoi ? demanda l’homme. C’est évident pourtant : rien, absolument plus
rien ne m’intéresse en ce monde. Les hommes sont si vils, si méchants, si mesquins…
Il n’y a plus d’espoir ici-bas. Je crois que je n’ai plus envie de vivre, tout simplement.
Alors l’infirmière lui prit la main, et la posa contre son coeur.
— Tout n’est pas perdu, dit-elle. La vie peut aussi être belle. Je repasserai après
mon service, ce soir, avec une surprise.
L’homme eut bien du mal à attendre le soir. Il compta les heures, les minutes, les
secondes qui le séparaient du moment où il allait retrouver la jolie infirmière.
La nuit avait déployé son manteau d’oubli sur le monde.
Le plus grand calme régnait dans l’aile déserte. L’homme entendit le pas feutré de
la jeune femme dans le couloir, qui se rapprochait. Quand elle entra dans la chambre, il
vit qu’elle portait une grosse valise noire, presque carrée, lourde et encombrante.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.
— Vous allez voir. Asseyez-vous.
Alors qu’il s’asseyait sur son lit, l’infirmière ouvrit la valise et en sortit un superbe
accordéon rutilant, étincelant, rouge et blanc.
— Autrefois, quand j’étais petite, quand j’étais triste, ma mère me disait que la
musique avait un pouvoir magique, qu’elle pouvait soigner tous les maux de l’âme.
Quand je vous ai entendu, si désespéré, je me suis dit que ça valait le coup d’essayer
ce remède.
Et elle se mit à jouer.
L’homme fut fasciné par l’harmonie de notes qui s’envolait du bel instrument. Il
suivait les doigts agiles qui couraient sur les touches, montant et descendant comme
des abeilles affairées butinant des fleurs précieuses, et il regardait le visage angélique
de l’infirmière qui vibrait à l’unisson avec la respiration de l’accordéon.
— Dieu, que vous êtes belle !
L’infirmière s’arrêta de jouer, laissant en suspens une petite note cristalline qui resta
accrochée en l’air comme une fée mutine, tandis qu’elle levait ses yeux saphir vers
l’homme.
— Vous savez, dit-elle, ma mère me disait autrefois que la danse, tout comme la
musique, est aussi capable de soigner les maux de l’âme.
Elle posa son instrument, et tendit une main délicate comme un oiseau blanc et
fragile vers l’homme qui s’en saisit prudemment. Et ils se mirent tout deux à tourner
dans la chambre.
L’accordéon, qui devait certainement être un peu enchanté, s’était remis à jouer
sans que personne n’y touchât. L’homme et l’infirmière dansèrent toute la nuit.
Quand les premières lueurs de l’aube blanchirent le ciel à l’horizon, ils s’arrêtèrent
enfin de tourner.
Stéphane Kneubuhler – Conteur – Auteur – Comédien
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— Je crois que je n’avais jamais connu un tel bonheur ! dit l’homme, un peu
essoufflé.
— Comment vous sentez-vous ? demanda l’infirmière.
— Je crois bien que ça va. Je suis guéri. Je sens la vie en moi, qui bouillonne
comme jamais. Je veux vivre. Je veux vivre !
L’infirmière le regarda tendrement. Les premiers rayons du soleil venaient frapper
son visage resplendissant.
Elle se retourna vers son accordéon, qu’elle remit dans son étui.
— Il faut que je parte, dit-elle.
L’homme s’avança, levant une main pour la retenir.
— Non, ne partez pas. Pas encore. Ce moment est si… magique.
— Je sais. Mais vous allez mieux maintenant, et j’ai d’autres malades à visiter.
Elle se dirigea vers la porte, lui souriant une dernière fois.
— Quand vous reverrai-je ? demanda l’homme.
Elle sortit sans un mot.
Mais au lieu d’entendre ses pas feutrés qui s’éloignaient, l’homme entendit
provenant du couloir comme un grand bruissement d’ailes. Il courut jusqu’à la porte et
sortit à son tour, mais il n’y avait plus personne.
L’infirmière venait de s’envoler…
D’elle, ne restait plus qu’une petite plume. Une toute petite plume.
Une plume d’ange…
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