Divorce : le cri de la seconde femme

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Divorce : le cri de la seconde femme
Edition du 9 mars 2006
Divorce : le cri de la seconde femme
400 000 familles souffriraient de la prestation compensatoire. Une avocate explique.
Journée des femmes mercredi, journée des deuxièmes femmes le samedi d'avant: les «secondes épouses» ont
défilé samedi dernier pour protester contre la prestation compensatoire qui, selon Suzanne Barthod, présidente
du Collectif des victimes de la prestation compensatoire, oblige les femmes qui vivent avec des hommes
divorcés «à vivre en bigamie». Rien de moins. Le problème concernerait «400 000 familles». Si le bilan de cette
mobilisation nationale fut très faible 80 manifestantes à Paris, 15 à Strasbourg , le problème posé n'en est pas
moins intéressant. Les manifestants, «des divorcés victimes de la prestation compensatoire, des veuves, des
enfants, des pacifistes en lutte contre une injustice», tenaient des ballons sur lesquels étaient inscrites les
«sommes faramineuses» versées à la première épouse. 150 000 euros, 136 000 euros, 98 000 euros. Et dont la
charge retombe parfois sur les épaules de la deuxième femme.
Muriel Laroque, avocate au barreau de Paris, présidente de l'Association des avocats de la famille (1), explique.
Qu'est-ce qu'une prestation compensatoire ?
Elle a été créée par la loi du 11 juillet 1975 pour remplacer les anciennes pensions alimentaires qui fluctuaient
trop en fonction du salaire de l'ex-mari. Elle permettait d'éviter les incessants allers-retours au tribunal des
anciens époux qui voulaient rectifier le montant de leurs pensions alimentaires suivant les changements de
salaires de l'homme. Les prestations compensatoires instaurent donc l'octroi d'une rente viagère (à vie) à la
première femme. Il faut savoir que, souvent, ces femmes n'avaient jamais travaillé, par choix du couple, et
qu'elles se retrouvaient donc à 40 ou 45 ans sans travail, et, à cet âge, avec très peu de chance d'en trouver. Elles
ont donc beaucoup profité de cette loi jusqu'en 2000.
Que s'est-il passé en 2000 ?
La ministre de la Justice Elizabeth Guigou s'est émue des 400 000 femmes, secondes épouses, qui étaient
obligées de payer, donc de travailler, pour régler les prestations compensatoires des premières, même quand le
divorce avait été prononcé plus de vingt ans auparavant. Le 30 juin 2000, la loi est modifiée et présente la
possibilité de réviser la rente uniquement à la baisse ou de la suspendre sur une demande de l'ex-mari. Dès lors,
les prestations pour les premières femmes se sont réduites comme peau de chagrin, les obligeant à travailler à 50
ans, et certaines se sont retrouvées quasiment dans la misère ! C'est donc, clairement, une loi au détriment des
premières épouses.
Il y a eu en 2004 une nouvelle modification de la loi, pourquoi ?
Depuis le 24 mai 2004, l'ex-épouse peut demander que sa rente soit transformée en capital si et seulement si la
situation financière du mari le permet. Ce sont des cas rarissimes.
Si l'ex-mari meurt, la rente continue-t-elle à être versée à la première femme ?
S'il a des biens, la rente ne s'éteint pas et passe à la charge des héritiers. S'il n'y a pas d'héritage, le versement
cesse.
Pourquoi les «secondes épouses» dénoncent-elles la loi de 2004 ?
Je pense que leurs maris ont divorcé avant 2000. Les montants des prestations compensatoires pour leurs exfemmes ont donc été décidés dans les termes de la loi de 1975 et les textes ne sont pas rétroactifs.
(1) Maison du Barreau, 2, rue Harlay, 75001 Paris.
Une militante raconte les déboires financiers de couples remariés:
«Ça fait vingt ans qu'ils paient»
Paulette Walter, originaire du Bas-Rhin, est membre du Collectif des victimes de la prestation compensatoire.
«Je suis divorcée et je n'ai pas demandé de prestation compensatoire (PC). J'ai 53 ans et j'ai travaillé trente-cinq
ans. Je vis depuis quelques années avec un monsieur qui est victime d'une PC. Il était veuf, avec cinq enfants de
son premier mariage. Il s'est remarié. Ça a duré dix ans, divorce compris.
«Depuis 1991, il verse 600 euros par mois à son ex-femme. Il a pris sa retraite à 72 ans seulement à cause de ça,
et perçoit aujourd'hui 3 200 euros. Le problème dans notre cas, c'est la question de l'héritage. Ce monsieur a 82
ans, il a une maison héritée de ses parents, c'est son seul bien. Le jour où il décédera, le montant de la prestation
compensatoire, calculé jusqu'à la 99e année de l'ex-épouse, sera retranché de la succession.
«Il y a aussi le cas d'une amie, originaire du Haut-Rhin. Elle est mariée depuis vingt ans à un homme qui était
chirurgien et qui a été condamné à payer une PC de 13 000 francs à son ex-épouse. Quand il a pris sa retraite de
praticien, le montant de la prestation est passé à 7 000 francs. Il a aujourd'hui 75 ans, mais il continue à faire un
travail administratif, et mon amie, qui a 55 ans, a dû retrouver un travail parce qu'ils ont eu une fille qui fait des
études supérieures et qui n'a droit à aucune bourse. Alors, depuis trois ans, elle est secrétaire, elle va tous les
jours à Strasbourg pour payer la PC de la première épouse, qui, elle, n'a jamais travaillé et ne travaillera jamais,
et vit confortablement, ça se voit ! C'est terrible. Mon amie est en dépression, mais elle travaille tout de même.
Ça fait vingt ans qu'ils paient !
«Quand les hommes ont été condamnés à verser des PC, ils travaillaient. Mais, aujourd'hui, les membres du
collectif sont des personnes âgées, à la retraite. Leurs revenus sont beaucoup plus faibles, mais le montant de la
prestation n'a pas baissé. Le versement n'est pas limité dans le temps. Ils paient, ils paient, pour un mariage qui
n'a parfois duré que deux ou trois ans. L'ancien divorcé ne peut pas refaire sa vie, parce que la prestation pèse
trop lourd, en moyenne 30 % des revenus. Et, si l'ex-épouse se remarie, la PC continue, sans diminuer. Depuis la
loi de 2004, la prestation compensatoire peut être convertie en capital. Mais la loi ne va pas assez loin, puisqu'on
ne peut pas retrancher du capital les sommes déjà versées. En cas de décès du divorcé, le capital restant à verser
est retranché de la succession. Il y a des situations dramatiques où les secondes épouses ont dû vendre leur
maison après le décès de leur mari.»
par Eve BOISANFRAY