« Comprendre et penser le monde dès l`école maternelle »
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« Comprendre et penser le monde dès l`école maternelle »
« J’ai entendu pour vous » « Comprendre et penser le monde dès l’école maternelle » communication à partir des propos de Viviane Bouysse lors de l’introduction du congrès AGEEM 2010 à Annecy Une ambition affichée Parler de « comprendre et penser le monde dès l’école maternelle » peut paraître prétentieux (au regard des programmes où l’on parle de « découvrir le monde »). Il est en fait ambitieux et cette ambition reflète la richesse de l’école maternelle. On aurait pu ajouter « parler le monde ». C’est en partant des besoins de mouvement, de sécurité, de relation, d’expression, de sens (c’est la période des « pourquoi ») de la curiosité enfantine que l’école met les élèves en situation de « faire plus et mieux » que seulement « agir ». N’importe quelle garderie peut mettre les enfants en situation d’agir. Le projet scolaire est beaucoup plus ambitieux. Dès l’école maternelle, avec des moyens adaptés, on conduit les élèves à se représenter qu’il y a quelque chose au delà de l’agir, au delà même de la réussite de l’action et qu’il y a bien quelque chose à comprendre. C’est peut être cela d’abord, être devenu élève, à la fin de l’école maternelle : avoir acquis ce que Catherine Le Drapier par exemple, appelle « une posture cognitive seconde ». Donc être dans l’après coup de l’action. Le poète Yves Bonnefoy (à un tout autre propos mais qui correspond à ce que nous cherchons) parle de cette « intelligence du second jour, désormais conceptualisée ». La base d’un projet d’instruction Le contenu du domaine « découverte du monde » évoqué dans les programmes, est précurseur de ce que seront plus tard l’histoire, la géographie, les sciences, les mathématiques, tous les univers disciplinaires dans lesquels les enfants ne rentreront que progressivement. On en pose les bases à l’école maternelle, c’est le cœur du projet d’instruction. Il y a une école parce qu’il y a des choses à comprendre et à apprendre dans tous ces domaines. Le « concept » est un horizon, une perspective. A la maternelle on amorce un parcours qui conduira à l’acquisition de concepts. Cela induit l’idée d’équipe et de connaissances de ce que l‘enfant vit en amont et en aval dans son parcours d’élève. Il est en devenir et on pose les fondations. D’autre part nos visées ne sont pas que conceptuelles. Elles sont aussi de l’ordre de l’attitude, du comportement, de l’épanouissement. Des priorités croisées On pourrait penser que ce domaine est considéré comme second quand on affirme que le langage est la première priorité de l’école maternelle. Si on ne peut compenser précocement les écarts entre les enfants, écarts liés à leur milieu d’éducation, de vie et qui se marquent prioritairement dans le langage dont ils usent et la langue qu’ils utilisent, on les met en situation délicate dans le parcours scolaire qui les attend. C’est cette maîtrise là qui est fondamentale si on veut faire de l’école maternelle un instrument au service de l’égalité des chances. Mais ce que nous devons avoir en tête c’est que cette maîtrise du langage ne s’acquiert pas, ne se travaille pas indépendamment des autres domaines. Si on a rien sur quoi parler et qui puisse intéresser les autres, on ne progressera pas C. Gastard 2010 en langue (système de signes verbaux propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux) et langage (faculté d’exprimer et de communiquer sa pensée propre à l’être humain). Si on ne devait se fonder, comme certains le croient, que sur l’expérience des enfants, leur capacité et désir d’expression à partir de ce qu’ils vivent dans leur milieu, on ne ferait que renforcer les inégalités initiales. Et ce sont bien les élèves des milieux où on parle peu, qui ont le plus besoin de nous. Un rôle primordial du maître L’école maternelle est un ensemble de « classes d’expérience » où l’enfant s’engage avec toutes ses ressources : sensibles, physiques, cognitives…. On part du vécu, du faire, du pratique…pour aller vers le conçu. C’est par son savoir faire sur la conduite des enfants sur ce chemin que l’école maternelle se distingue d’autres institutions d’accueil. Lorsque l’on se situe dans l’ordre du « faire» il faut être vigilant pour partir « à hauteur d’enfant » et éviter l‘idéalisation. Il faut rester à leur portée (donc au niveau qu’ils sont susceptibles de pouvoir atteindre) en accord avec la zone proximale de développement telle que définie par Vygotski et créer les conditions pour que des questions se posent, le langage se mette en place. Il faut prendre conscience de l’importance de la manière de poser les questions, veiller à ne pas laisser « errer ». Tout ne peut pas (et ne doit pas) venir de l’enfant. Il convient d’éviter le « faire stérile » (qui tourne à l‘occupationnel) et veiller à ce qu’il y ait des acquis partagés. Il ne faut pas s’interdire d’intervenir en tant que maître et poser les choses pour que les activités débouchent sur un apprentissage fécond. Cela passe par l’anticipation, c'est-à-dire une préparation raisonnée des possibles axes de travail à partir de situations proposées. C’est donc bien par la richesse des situations pédagogiques, des objets d’étude qu’on va mettre en place à l’école que l’on peut induire un langage qui sorte des ornières de nos habitudes et qui d’une certaine manière libère. C’est une manière d’insister sur le fait que ce n’est pas une priorité aux dépends des autres mais qui se nourrit des autres. La priorité de la langue et du langage ne peut vivre vraiment que s’il se passe des choses intéressantes dans tous les autres domaines. Il faut bien se représenter que le langage ne peut fonctionner à vide. Des apprentissages complémentaires et transversaux Au delà de ce domaine « découverte du monde », au delà de la question de la langue, finalement tous les autres domaines d’activités sont concernés par la compréhension du monde. On est là sur le champs des langages : corporel, sensible, artistique qui contribuent à cette « lecture », cette « pensée » du monde. Ainsi, les enfants qui font des expériences avec leur corps et tout un tas d’objets à la piscine apprennent tout autant, que s’ils font flotter des objets dans une bassine. De la même façon on peut dire que ce que l’on fait en arts plastiques met les enfants en situation de s’intéresser à des changements d’état de la matière de manière aussi intéressante qu’à partir d’expériences crées explicitement là-dessus. Ces apprentissages croisent ceux menés de façon plus ciblés. Ils permettent des transferts de compétence, des ré-appropriations, d’autres expérimentations plus personnelles. L’important est que l’enseignant ait lui bien conscience de ce qu’il est en train d’enseigner et le but qu’il cherche à atteindre. On met en évidence ici l’importance de la polyvalence des apprentissages qui contribuent tous à la formation de l’être pensant. La place de l’imaginaire est également à prendre en compte comme un des leviers pour apprendre à l’école maternelle. Source de connaissances elle aide à penser comment pourrait être le monde, à construire des hypothèses pour le comprendre et l’expliquer, à jouer à faire semblant pour aider à distinguer le vrai du faux et enclencher des raisonnements logiques.* * conférence Agnès Florin « l’imagination chez l’enfant » C. Gastard 2010 Une acculturation indispensable La compréhension du monde, le développement d’une pensée sur le monde ne peut se mettre en place dès l’école maternelle sans les ressources de la culture, que cela soit par le biais des explication sûres, issues de la science, ou par d’autres un peu plus hasardeuses issues de l’imaginaire des hommes et d’un certain univers de conception. Ce sont les ressources de la culture qui d’une certaine façon nous amènent à éprouver le monde, à le voir autrement, à s’interroger plus avant. Cette dimension est renforcée par la puissance de ce qui porte la plupart du temps en maternelle ces apports culturels, en l’occurrence : le récit. On peut se référer à Bruner qui dit « le récit donne forme à la pensée ». Dans la ressource culturelle il y a ce dont on parle mais aussi la manière dont on le transmet. Donc « faut il opposer le mensonge du mythe à la vérité de la raison ? »* cette question est une manière pour nous de revenir aux origines de quelques explications par la lecture des récits fondateurs de notre civilisation par exemple et de nous en rappeler la puissance en tant qu’adulte et pas seulement en tant que pédagogue. * conférence Dominique Borne : « vérité de la raison, vérité du mythe » Se représenter le monde Un aspect concerne les modalités de représentations du monde, utilisant diverses formes de langage (scriptural, corporel, imagier, technologique…). Il semble que la manière dont nous avons considéré le langage ces dernières années nous a peut être fait oublier, alors que cela a été longtemps une idée force de la maternelle, les facettes variées de la fonction symbolique. Le langage est une modalité d’expression, mais il y en a d’autres que nous avons peut être un peu déserté collectivement. La question des médiations symboliques Notre rôle est de faire comprendre la distinction entre le réel et le code. Il s’agit d’aller lentement, de s’assurer d’une perception qui s’affine progressivement. L’enfant doit comprendre le symbole pour ce qu’il signifie et représente dans notre monde, largement rempli de symbolisme. Il faut préciser le statut des choses. * Un exemple simple : Romane montre la lettre « R » et dit : « c’est le R de moi ». Lorsqu’on lui dit « c’est aussi le R de Roméo, elle répond : « non, c’est le R de moi ». Il convient de s’interroger quant à la représentation symbolique mentale de Romane par rapport à la lettre R. * conférence Michel Fayol : «Le passage au symbolique » La production S’il est évidemment important de faire produire et par la production de faire construire des connaissances et des compétences, cela ne signifie pas l’effacement de la réception (de récits, d’histoires, de contes….). Ce sont des fils que l’on tisse entre ce que l’on reçoit et ce qu’on produit. En conclusion Par la richesse des sujets qu’elle aborde, des situations qu’elle fait vivre aux enfants, par une réflexion mûrie et partagée au sein des équipes, l’école maternelle peut remplir sa mission de lutte contre une forme de déterminisme qui conduit à l’échec. Les fondations qu’elle construit constituent alors un socle solide sur lequel les apprentissages de l’école élémentaire pourront s’appuyer. Il s’agit de ne pas primariser l’école maternelle mais faire en sorte que l’enfant le plus éloigné de l’idéal de l’écolier puisse devenir cet être de langage, de pensée et de relation nourri de l’universel et de ses valeurs. C. Gastard 2010