Toute vérité est-elle bonne à dire, Lettre d`information N

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Toute vérité est-elle bonne à dire, Lettre d`information N
Toute vérité est-elle bonne à dire ?
Je le constate en Gâtine durant la visite pastorale que j’effectue en ce printemps, comme je le
savais des normands, ces terroirs sont taiseux. Avant de parler, on prend le temps de savoir à
qui l’on à affaire, non d’abord par stratégie, mais afin d’évaluer ce que l’interlocuteur est en
capacité d’entendre et de comprendre. Parler sans avoir la chance d’être entendu peut faire
plaisir à celui qui se sera exprimé mais ne sera d’aucune utilité, si tant est qu’on estime que la
parole n’est pas faite que de sons et de mots mais a pour finalité de produire une action. La
modération dans les paroles devient dès lors une garantie de son efficacité : le faiseux est le
plus souvent un taiseux.
Les règles de la politesse, cette civilité qui semble s’être vue fermée la porte du XXIe siècle,
apprenaient aussi à faire un usage modéré de la parole, dans sa quantité certes, mais surtout
dans la manière de tenir compte de ce qu’elle peut produire. Or, avec le développement de
tweeter, chacun se croit autorisé à dire, tout au moins à écrire, la première pensée qui lui passe
par la tête. Et cette pratique sévit même dans des sphères qui hier auraient été qualifiées de
cultivées. Des élus nationaux, et même des ministres de la République, communiquent par ces
réseaux dits sociaux leur réaction à tous types d’événements, ceux qui peuvent concerner le
domaine sensé être celui de leur compétence, mais aussi les derniers potins touchant les
vedettes du petit écran – excusez-moi, j’aurais dû parler des news des people –.
L'exemple venant encore d’en haut, et il s’agit ici d’un mauvais exemple, les simples citoyens
que nous sommes ne disposant pas d’une armée de « communicants » pour rédiger les fameux
tweets, publient aussi des pensées immédiates mais sans que la délicatesse, l’intérêt, la
réflexion soient au rendez-vous. Il est vrai que l’on pourrait voir dans ces messages destinés
aux écrans une manière actuelle de pratiquer l’écriture automatique chère aux surréalistes… il
suffit de lire les gazouillis en question pour constater qu’il n’en est rien. Plus grave, la volonté
peut aussi être de nuire et de blesser, et je l’ai constaté même de la part de populations qui
s’estiment éduquées.
Les défenseurs des smartphones et de ce qu’ils permettent – à mon avis surtout des profits
records pour des investisseurs avisés – argueront qu’ils sont au service de relations plus vraies
et plus directes ; je pratique sur ce point le doute systématique.
En effet, on y parle vrai, on exprime ce qui vient à l’esprit, mais tout ce qui est pensé doit-il
être dit ? Et même si cela est vrai ? Je ne le pense pas. Encore une fois, celui ou celle qui
parle, et écrit, ne peut jamais le faire dans le vide, comme si celui ou celle à qui il s’adressait
n’était qu’un écran insensible.
Ceci renvoie à l’art de la conversation, cette manière suffisamment ouverte de formuler une
phrase pour qu’elle permette à l’interlocuteur d’y exprimer une pensée qui se saura libre et
non prédéterminée par un jugement péremptoire. Cet art demande du temps et suppose la
rencontre.
La vérité ne peut être exprimée tel un coup de marteau, elle doit parfois être tue, laissant le
temps de discerner le temps et les mots les plus opportuns pour l’exprimer. Tout simplement,
la vérité doit embrasser la charité. Toute vérité est certes bonne à dire, mais on ne peut le faire
en se dispensant de réfléchir aux moyens utilisés pour cela.
+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

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