Qui a peur du Dieu de l`Ancien Testament

Transcription

Qui a peur du Dieu de l`Ancien Testament
Traduit du livre Who's afraid of the Old Testament God ?
Paru en 2011 aux Editions Energion Publications.
ISBN : 9781893729902
1ère parution en 1988.
Copyright © 2015 Éditions Vie et Santé
60, avenue Émile Zola
77190 Dammarie-les-Lys, France
www.viesante.com
Tous droits de reproduction totale
ou partielle et de traduction réservés.
ISBN (Livre) : 978-2-85743-438-2
ISBN (eBooks) : 978-2-85743-439-9
Mise en page et corrections : IS Edition
Traduction : Evelyne Nielsen
Illustration de couverture : Shutterstock
L'auteur assume toute la responsabilité pour l’exactitude de tous les faits et
des citations exposés dans le livre.
Sauf mention contraire, les citations bibliques sont empruntées à la version
Bible Segond 1975.
Alden THOMPSON
QUI A PEUR DU DIEU DE
L'ANCIEN TESTAMENT ?
PRÉFACE DE L'AUTEUR
Ce livre aurait dû être écrit depuis longtemps. La pression des
amis, le besoin des élèves et la responsabilité que je me sens envers
notre communauté chrétienne sont tous des arguments suffisants qui
auraient dû me pousser à achever cette tâche depuis un bon
moment. Chaque chapitre contient matière qui a prouvé être une
vraie bénédiction dans ma propre expérience chrétienne.
Finalement, l’urgence de partager cette expérience a été la
motivation qui, au bout du compte, a permis de terminer le travail.
J’écris comme un chrétien conservateur très inquiet pour la vie de
la communauté chrétienne conservatrice. J’espère que ce livre plaira
à la fois à ceux qui, toute leur vie, ont fait partie de cette
communauté, et à ceux qui sont attirés, pour une raison ou une
autre, par le genre de vie et d’expérience qu’offre une approche
conservatrice à la tradition chrétienne.
En me basant sur mes propres observations, je suis convaincu que
cette approche du christianisme est potentiellement pour le meilleur
et pour le pire. Les fortes convictions religieuses qui font
généralement partie du christianisme conservateur peuvent conduire
à une expérience belle et libératrice, mais mal orientées, amertume,
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hostilité ou désespoir peuvent en résulter. En fin de compte, que
notre expérience soit épanouissante ou desséchante, elle dépend de
quel Dieu nous servons et du Dieu que nous trouvons révélé dans
les Écritures.
Vous pouvez trouver surprenant que ce soit justement l’Ancien
Testament qui ait donné vie à mon expérience chrétienne. Le Dieu
de l’Ancien Testament a plutôt une mauvaise réputation, même dans
les milieux chrétiens. Mais c’est vraiment l’étude de l’Ancien
Testament qui m’a forcé à réexaminer ma compréhension de Dieu et
m’a conduit à saisir plus clairement ce qu’Il voulait de moi et ce
qu’Il voulait que je crois à son sujet.
Tout au long du livre, vous trouverez des échanges entre le
Nouveau Testament, les positions chrétiennes traditionnelles, les
connaissances modernes et l’expérience chrétienne. Ce livre n’est
pas vraiment conçu pour être « savant », mais il essaie de montrer
comment les connaissances modernes peuvent jeter une nouvelle
lumière sur l’interprétation biblique. J’ai découvert qu’un nouveau
regard sur les Écritures, à la lumière des connaissances modernes,
peut amener à augmenter profitablement la compréhension des
Écritures et, par là même, l’expérience chrétienne.
Les conservateurs ont souvent été hostiles aux connaissances
modernes ; une des raisons de cette hostilité provient sans doute de
ce que leur approche a parfois été mal reçue par des biblistes
érudits. En tous cas, plus d’aigreur que de lumière en a résulté, ce
qui est regrettable. C’est de la faculté de New College, à l’université
d’Edimbourg, que vient mon contact personnel sérieux à la science
biblique moderne, sous la direction d’hommes qui ont été
extrêmement utiles, même s’ils ne partageaient pas toujours mes
convictions. Ils ont posé les questions auxquelles j’avais besoin de
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faire face, questions que les conservateurs souvent évitent.
L’expérience m’a forcé à confronter Dieu et Sa parole d’une manière
qui, finalement, a conduit à ce livre.
Le verset fondamental à mon approche est que « Toute l’Écriture
est inspirée de Dieu » (2 Tm 3.16), ce qui veut dire l’Ancien
Testament aussi bien que le Nouveau. En outre, je suis convaincu
que nous ne devrions jamais laisser la tradition chrétienne, ou même
un autre passage des Écritures, nous voler l’occasion d’une approche
nouvelle de chaque passage comme une parole de Dieu pour nous.
La Bible est normative, mais nous ne devons pas lui imposer une
fausse unité qui aurait pour effet pratique de nier la canonicité de
certaines parties. Les conservateurs ont souvent négligé ce principe
de canonicité, si pas en théorie, au moins en pratique, car nous
avons souvent admis que le Nouveau Testament doit toujours avoir
le dernier mot, même pour l’interprétation de passages de l’Ancien
Testament. Je développe cet argument dans le premier chapitre,
probablement le plus crucial du livre, bien que d’autres puissent être
plus utiles dans d’autres domaines.
La découverte que je veux partager par-dessus tout est que les
Écritures de l’Ancien Testament peuvent rester vivantes et nous
conduire à une appréciation nouvelle de tout ce que Dieu a fait pour
nous. C’est là vraiment tout le thème de l’Évangile.
Alden Thompson
Walla Walla College. College Place, WA 99324
1988
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CHAPITRE 1
NE LAISSEZ PAS VOTRE NOUVEAU TESTAMENT
BLOQUER LA ROUTE DE VOTRE ANCIEN TESTAMENT
« Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de
plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes,
Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils,
qu’il a établi héritier de toutes choses par lequel il a
aussi créé le monde. » (He 1.1-2.)
« Un de ces jours je vais écrire un livre sur tout ce qui n’est pas
chrétien dans le Nouveau Testament ». C’est ainsi que, sur un ton
mi-sérieux, un bibliste bien connu, spécialiste de l’Ancien
Testament, a montré son mécontentement devant la prétention
– souvent moins que subtile – de ses collègues du Nouveau
Testament de la supériorité de leur Testament. On voit
communément dans le Nouveau Testament la source de tout ce qui
est bon et aimant, incarné dans la personne de Jésus-Christ qui
révèle le visage aimable de Dieu. Dans la même veine cependant,
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l’Ancien Testament est au mieux un mélange varié. Un éclair
occasionnel peut illuminer le chemin du croyant, mais dans
l’ensemble, la colère, le vindicatif, le sang sont de loin les plus
frappants !
Maintenant, je soupçonne qu’il y a au moins un grain de vérité
dans ce point de vue courant sur les deux parties de la Bible
chrétienne. Je n’ai du moins jamais entendu un chrétien comparer la
beauté et le charme de l’Ancien Testament avec les horreurs du
Nouveau. Non, les chrétiens ont toujours trouvé refuge dans le
Nouveau Testament quand les problèmes de l’Ancien Testament
menaçaient de les submerger. En fait, certains chrétiens vont si loin
qu’ils proclament avec insistance qu’ils sont des chrétiens du
Nouveau Testament pour qui l’Ancien ne fait plus autorité.
Même si les problèmes que pose l’Ancien Testament sont issus de
quelque monumental malentendu, le fait est qu’un tel malentendu
est si fréquent qu’il est nécessaire de le prendre en considération.
Mais peut-être, pour commencer, devrais-je vous rappeler les aspects
apparemment non chrétiens du Nouveau Testament que contiendrait
le livre éventuel de mon ami. N’est-ce pas Jésus qui a suggéré que
certaines personnes méritaient d’avoir une meule de moulin attachée
au cou et d’être noyées dans les profondeurs de la mer (Mt 18.6) ? Et
n’a-t-il pas ouvertement taxé certains d’aveugles hypocrites, les
comparant à d’anciens sépulcres pleins d’ossements (Mt 23.27-28) ?
Et puis, il y a eu Pierre, qui a tout simplement menacé de mort
Ananias et Saphira (Actes 5.1-11). Pour en rajouter, Paul a dit à
l’église de Corinthe de livrer un de leurs frères à Satan pour la
destruction de la chair (1 Co 5.5) et de chasser le méchant de leur
communauté (1 Co 5.13). Finalement, nous ne devons pas oublier le
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livre de l’Apocalypse, avec sang, dragons, puits de feu, et même un
Dieu qui vomit les gens de sa bouche (Ap 3.16).
Vous pourriez, à juste titre, m’accuser de grandement déformer la
foi en faisant état de cette collection particulière de paroles et
d’évènements sans respect du contexte ou de l’intention apparente
de l’auteur. Mais c’est précisément ce qui arrive à l’Ancien
Testament. Ayant grandi au sein d’une communauté chrétienne, je
connais plutôt bien la « liste » classique de l’Ancien Testament. La
palme est pour le pauvre Uzzah, qui essayait seulement d’être utile
quand les bœufs qui trébuchaient mirent en danger l’arche de Dieu ;
cependant, Dieu le frappa à mort (2 S 6.6-9) ; deux ours en colère
malmenèrent quarante-deux enfants « innocents » qui manquaient
de respect à des personnes âgées (2 Rois 2.23-25). Si vous avez
l’audace de vous plaindre de la manière dont Dieu agit, il enverra
des serpents pour vous mordre (Nb 21.4-9) ou il commandera à la
terre de vous avaler vivant (Nb 16.21-35). Si vous le souhaitez, vous
pouvez ajouter à la liste le déluge de la Genèse et la destruction par
le feu de Sodome et Gomorrhe, car ces évènements-là ont souvent
été cités comme faisant partie de la réalité d’un Dieu de l’Ancien
Testament à la main puissante qui est pris d’une rage destructrice
quand quelqu’un le contrarie ou transgresse un de ses
commandements.
Maintenant, j’espère que vous me pardonnerez d’avoir fait une
liste de ces horribles histoires. Si ce n’est pas déjà trop tard, c’est
maintenant que je devrais vous demander de ne pas jeter de côté un
livre aussi irrévérencieux que celui-ci. J’ai quelques bons amis qui
pensent qu’il est hautement inapproprié de faire même la moindre
allusion à la plus légère imperfection au style de gouvernance de
Dieu (peut-être se basent-ils sur Romains 9.20), et ils sont prompts à
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m’avertir des dangers du doute. Je suis sensible à ce qu’ils ressentent,
car, moi aussi, je m’inquiète des dommages causés par le doute.
Dans ce monde, personne n’est jamais épargné par le doute, mais en
écrivant ces mots, je dois dire que mes convictions sur la bonté de
Dieu sont plus profondes et plus fortes, parce que j’ai carrément
affronté mes « petits » doutes et ai trouvé des réponses qui m’ont
apporté d’authentiques bénédictions.
Quand je dis « petits » doutes, je fais allusion au fait que mon
expérience a toujours été à l’intérieur de la communauté chrétienne.
Je suis le produit d’une famille attentive et pieuse – à laquelle je suis
immensément reconnaissant. En même temps, les histoires de
l’Ancien Testament (et celles du Nouveau) du genre mentionné plus
haut peuvent laisser des marques profondes si elles sont traitées avec
maladresse et appliquées incorrectement, même par des chrétiens
bien intentionnés. Je sais que je ne suis pas le seul à avoir eu au
moins quelques « petits » doutes à cause de textes bibliques mal
compris et improprement utilisés. De petits doutes peuvent
facilement grandir rapidement et devenir extrêmement destructeurs.
Même les petits doutes ne sont pas amusants. Mais ce qui est peutêtre le plus important par rapport à ce livre, c’est que les textes
mêmes qui, tout d’abord, ont été cause de doute, sont maintenant
devenus la source de grandes bénédictions.
J’ai donc l’intention de parler franchement de « quelques »
problèmes de l’Ancien Testament. J’espère vraiment que ceux qui se
sont débattus avec les mêmes problèmes seront aussi capables de
transformer leurs doutes en pierres angulaires de leur foi. Je suis
convaincu, par expérience, que, quand nous avons trouvé la foi,
nous devons résister à la tentation de l’imposer aux autres. J’ai
rarement, même jamais, imposé mes doutes, et encore moins
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imposé de ne pas douter ! Je dois sérieusement prendre mes
problèmes en main. Posséder la foi est précieux, et je le désire pour
tous les enfants de Dieu. Et bien que je sois convaincu que pas deux
d’entre nous ne trouvent jamais exactement le même chemin vers la
foi, j’aborderai les problèmes directement, en supposant que les
points de vue qui m’ont été d'une grande aide peuvent aussi l’être
pour quelqu’un d’autre.
Une « meilleure » révélation
Dès le début de ce chapitre, j’ai fait remarquer le net contraste qui
est souvent tiré entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Ce contraste
est très important, et nous ne pouvons pas simplement le nier, car
que Dieu ait choisi de se révéler de différentes manières fait partie
de la vérité qu’il veut nous faire comprendre. Nous n’avons pas
besoin d’une plus grande autorité que le livre des Hébreux pour
nous rappeler que d’une certaine manière tout au moins, la
révélation de Dieu dans le Nouveau Testament est, en fait, meilleure.
Le thème du livre tout entier est que la révélation de Dieu en JésusChrist est « meilleure ». Le premier verset même nous rappelle que
dans les temps passés, Dieu a utilisé d’autres méthodes pour révéler
sa volonté, mais ensuite, il a parlé par son Fils (He 1.1-2). Au
chapitre 12, le contraste est encore plus explicite : vous n’êtes pas
venus à une montagne en fumée, de feu et de peur, mais au Mont
Sion et à Jésus (He 12.18-24). Quand j’ai finalement réalisé ce que
ces versets voulaient dire, j’ai été stupéfait, car j’ai grandi dans une
communauté chrétienne qui avait souligné la signification de la
révélation au Sinaï. Ainsi, à la lumière d’une « meilleure » révélation
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(ce qu’éclaire le livre des Hébreux), que devions nous faire de
l’ancienne révélation, celle centrée sur Sinaï ?
Pour commencer, le mot « meilleur/mieux » peut exprimer deux
idées différentes. D’abord, il est souvent le contraire de « pire » :
hier votre rhume était « pire » – yeux larmoyants, toux déchirante,
voix éraillée –, mais aujourd’hui, le rhume et vous-même allez
« mieux ». Si c’est ce contraste qui existe entre le « meilleur » JésusChrist et le « pire » Mont Sinaï, alors le Dieu du Sinaï est en
problème – comme quelqu’un qui essaie de proclamer que les deux
révélations font partie de la foi chrétienne.
La seconde façon de considérer « meilleur » est de le voir tout
simplement comme le comparatif de « bon » ; la révélation du Sinaï
était bonne, et la révélation de Jésus-Christ est « meilleure ». Nous
pourrions peut-être même ajouter le superlatif : l’union personnelle
avec Dieu dans son royaume sera « la meilleure ». Si nous pouvons
avoir une telle approche aux deux révélations historiques de Dieu, il
n’est pas alors besoin de rejeter la première révélation ; nous
pouvons plutôt la voir comme un pas important dans le plan de
Dieu pour la restauration de l’humanité, et c’est un bon plan pour y
contribuer. En fait, la révélation du Sinaï était précisément ce dont le
peuple de Dieu avait besoin à ce moment-là.
Une illustration qui m’a aidé à imaginer la relation entre
« meilleur » et « bon » fait partie de mon expérience de jeune
garçon avec les voitures de ma famille. C’était à moi de prendre
soin, de nettoyer et de faire briller la « poussette », comme nous la
surnommions affectueusement. Au long des semaines et des mois, la
voiture et moi sommes devenus de bons amis. J’en connaissais
toutes les égratignures, toutes les rayures, et je m’appliquais soit à les
réparer, soit à les faire disparaître en frottant fort. Cette amitié
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personnelle avec notre voiture est devenue un problème quand il est
apparu évident qu’une nouvelle et meilleure auto était nécessaire. Je
me souviens bien quand nous avons vendu notre bien-aimée
Chevrolet 1950. Elle avait été une bonne voiture, même si nous
avions dû passer à quelque chose de meilleur – une Ford 1956.
Après, il m’est arrivé de jeter un coup d’œil à la Chevy maintenant
entre les mains de nouveaux propriétaires. J’étais alors frappé d’une
bizarre sensation d’excitation et de déception : « Voilà notre vieille
voiture ! Oh, mais elle n’est plus à nous ! ». Peut-être que ces
sentiments expliquent pourquoi la suivante, la Ford 56, est toujours
dans la famille. Elle est consciencieusement astiquée, et la vue de sa
couleur vert métallique réchauffe encore le cœur. Des voitures plus
récentes et meilleures sont venues et parties, mais cette vieille-là est
encore « bonne ». Elle ne possède pas l’air conditionné, ce qui est
très utile dans les régions désertiques de l’Ouest et probablement ne
la prendrions-nous pas pour un long voyage, mais c’était, et c’est
toujours, une bonne voiture. Quand, tout d’abord, nous l’avons
achetée, elle était juste ce dont la famille avait besoin, et
maintenant, elle est à la fois une source de chauds souvenirs et un
véhicule qui va toujours, pour de courtes excursions.
Je considère de la même manière la relation entre le Mont Sinaï et
Jésus-Christ. Je trouve la révélation de Dieu en Christ plus claire et
meilleure, mais je n’ai certainement pas besoin de nier la
merveilleuse expérience que Dieu a donnée à son peuple au Mont
Sinaï. C’était juste ce dont il avait besoin, et c’était bien. Encore
aujourd’hui, je peux revivre cette expérience et être béni. L’ampleur
de la révélation en Jésus peut être reçue avec joie comme la
Seconde Partie du grand drame de Dieu, sans diminuer
moindrement les merveilles de la Première Partie telle qu’elle est
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décrite dans l’Ancien Testament. Avec n’importe quel bon livre, il est
possible de le survoler et d’aller à la conclusion sans se donner la
peine de lire ce qui précède. Si nous agissons de telle sorte avec nos
Bibles, nous nous privons d’un plaisir réel, et nous laissons le
Nouveau Testament bloquer la route à l’Ancien. Oui, la révélation
de Dieu dans le Nouveau Testament est plus claire, et donc, en
quelque sorte, meilleure. Mais si nous négligeons l’Ancien au profit
du Nouveau, nous ne vivrons jamais cette joie particulière qui vient
d’expérimenter le grand plan de Dieu dans ce mouvement du
« bon » vers le « mieux » – et vers le « meilleur ».
Deux approches à l’Ancien Testament : la ligne droite et les
chemins de traverse
Une autre manière avec laquelle, souvent, le Nouveau Testament
bloque l’Ancien, est illustrée par le livre des Hébreux. Je pense en
particulier au fameux chapitre de la « foi », dans Hébreux 11. Si
vous lisez soigneusement ce chapitre et que vous y comparez les
histoires avec les récits originaux racontés dans l’Ancien Testament,
vous noterez une forte tendance dans les Hébreux à raconter les
histoires de telle manière que les hommes de Dieu de tous les âges
passés sont vus comme des grands hommes de foi. On pourrait peutêtre, sans trop se tromper, comparer ce qui arrive à la liste de ces
histoires à ce qui se passe lors de funérailles. Quelle qu’ait été la vie
de la personne décédée, le service officiel du souvenir ne rappelle
que les bons côtés. Le défunt peut avoir été un vrai bandit, mais vous
ne pourriez le deviner par ce qui est dit en public ! Hébreux 11 ne
va pas si loin, mais certainement les hauts faits de foi tendent à
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exclure les traits moins élogieux de l’original des histoires de
l’Ancien Testament. Voyons juste quelques exemples.
L’image d’Abraham dans la Genèse est celle d’un homme de foi
– mais d’un homme dont les convictions vacillent quand elles sont
testées. Les demi-vérités à Pharaon au sujet de Sarah montrent non
seulement son manque de foi, mais aussi son égoïsme et son
manque de respect pour sa femme (Gn 12.1-20). De même, quand
il décide qu’Hagar porterait l’enfant de la promesse (Gn 16), il trahit
une foi incertaine. Il est sûr que ces défaillances peuvent être en fait
un encouragement pour nous, car voici un homme avec de sérieuses
difficultés, déclaré être fidèle (He 11.8-19). Ce que je voudrais
souligner, cependant, c’est que l’original de l’histoire dans l’Ancien
Testament est essentiel si l’on veut récolter le maximum de bénéfices
de l’histoire dans les Hébreux. Hébreux 11 seul est une belle
histoire, mais prise avec l’histoire de l’Ancien Testament, elle devient
magnifique.
La mention de Sarah et de Moïse dans Hébreux 11 donne d’autres
exemples de la manière partiale dont sont rendues les histoires de
l’Ancien Testament. Hébreux 11.11 dit que « c’est par la foi que
Sarah a conçu ». Auriez-vous deviné qu’en fait elle a ri quand Dieu
lui a fait la promesse – à moins que vous n’ayez lu l’histoire de
l’Ancien Testament (Gn 18.9-15) ? Et le contraste avec le cas de
Moïse est encore plus grand, car l’histoire dans l’Exode du meurtre
de l’Égyptien et de la fuite de Moïse montre clairement que Moïse a
fui parce qu’il a eu peur (Ex 2.14). Mais Hébreux 11.27 dit que c’est
par « la foi » qu’il a quitté l’Égypte, « sans avoir eu peur » – ! – de la
colère du roi. L’apparente contradiction entre les deux histoires
trouve une solution dans une compréhension plus claire du sens de
« par la foi » dans Hébreux 11, à savoir que la foi peut faire des
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merveilles même quand l’agent humain n’apparaît pas comme étant
réellement fidèle. Cette compréhension particulière de la foi n’est
cependant possible que si l’on compare soigneusement l’histoire
originale de l’Ancien Testament avec l’interprétation de cette même
histoire dans Hébreux 11. Maintenant, j’arrive à croire que les deux
histoires ont chacune, indépendamment, leur valeur propre et
devraient être appréciées pour elles-mêmes, mais en reliant les deux,
nous augmentons notre capacité à comprendre comment Dieu agit.
Je reviendrai sur ce point plus tard, mais auparavant, je voudrais
noter ce qui est arrivé à l’interprétation générale de l’Ancien
Testament au vu du traitement qu’elle a reçu dans Hébreux 11.
Exactement comme Hébreux 11 a tendance à se focaliser sur les
hauts faits des personnages de l’Ancien Testament, en mettant
l’accent sur leur fidélité, leur piété, leur engagement, l’interprétation
chrétienne a alors tendance à glorifier cette « voie royale » de ceux
qui craignent Dieu. Une telle insistance est valable ; à une époque
où les héros sont rares, il est important de comprendre ce qu’est un
vrai héros. Néanmoins, je me rappelle ma surprise quand, de fait, je
me suis mis à lire les histoires de l’Ancien Testament après avoir
seulement entendu les interprétations chrétiennes de ces histoires.
Quelques-uns des aspects réalistes et sordides des personnages
bibliques m’ont vraiment surpris. Je n’avais pas vraiment saisi les
horreurs de la polygamie avant l’histoire de la famille de Jacob. Le
livre d’Esther est encore plus surprenant. Je me l’étais figurée comme
une jeune femme vertueuse et sans tache – l’équivalent féminin de
Daniel. Mais quand j’ai lu le compte-rendu biblique, j’ai commencé
à réaliser que les normes de sa moralité étaient tout à fait différentes
des miennes. Non seulement elle acceptait de taire ses convictions
(Esther 2.10), mais elle acceptait de faire partie des femmes du
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harem du roi de Perse (Esther 2.12-18) ! Les convictions et les
normes morales que Daniel a fermement gardées correspondent à
celles d’un chrétien moderne. Mais il y a Esther… !
J’ai commencé à réaliser que les chrétiens ont souvent pris une
approche « ligne droite » dans leur lecture de l’Ancien Testament ce
qui, dans mon cas, ne m’a pas du tout préparé pour la lecture de la
Bible elle-même. Inconsciemment, je me suis forgé une image
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob comme celle de saints classiques qui
auraient pu facilement s’habiller à la mode du 20 e siècle et qui, si on
le leur avait demandé, auraient aisément assumé des positions de
premier plan dans la communauté chrétienne. Je soupçonne que
cette conception magnifiée des saints de l’Ancien Testament est, au
moins en partie, la raison pour laquelle beaucoup de chrétiens ont
tendance à lire des interprétations et des adaptations de l’Ancien
Testament au lieu de le lire réellement lui-même. L’accent sur les
qualités des personnages de l’Ancien Testament est nécessaire
surtout dans la formation des jeunes enfants, mais je sens
profondément le besoin d’initier des chrétiens à une vraie lecture de
l’Ancien Testament, et de les préparer à affronter les vraies histoires
de l’Ancien Testament même si beaucoup d’entre elles ne sont pas
jolies d’un point de vue purement esthétique.
J’emploie parfois l’expression « chemins de traverse » pour décrire
une approche de l’Ancien Testament qui tient compte des défauts
des personnages bibliques et leurs coutumes étranges, voire
barbares. Les implications de cette approche « chemins de traverse »
seront poursuivies dans le chapitre 2, mais ce que je voudrais
souligner ici, c’est que si l’approche « ligne droite » (cf.
Hébreux 11) n’est pas accompagnée des « chemins de traverse », on
n’est pas préparé pour la lecture de l’Ancien Testament lui-même.
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Quand une personne sensible arrive à une histoire qui décrit
jusqu’où est allée la déchéance du peuple, au lieu de lire jusqu’à
quel point il a grandi, la réaction naturelle est de battre en retraite et
de chercher refuge dans les Évangiles. Dans un sens, alors, le
Nouveau Testament, entrave la route à l’Ancien.
Cette prédominance de l’approche « ligne droite » par rapport à
l’Ancien Testament m’a fortement frappé un jour, pendant un cours
d’hébreu élémentaire. La classe était composée d’étudiants à
quelques mois de leur entrée dans le ministère. Les exercices dans
notre livre de grammaire étaient copiés sur le modèle de phrases
bibliques pour préparer les élèves à la lecture de passages bibliques,
et c’est un de ces exercices qui a posé un problème intéressant à
plusieurs membres de la classe. Correctement traduit, un exercice
particulier aurait dû être lu : « Et Samuel coupa la tête du roi ».
Puisque l’hébreu n’était pas difficile même pour des étudiants de
première année, j’ai demandé pourquoi cette phrase posait
problème. Un étudiant s’est porté volontaire pour répondre, et sa
réponse a été très révélatrice : « Nous pensions que la traduction
était juste, mais nous ne pensions pas que Samuel fût capable de
faire une chose pareille ! ». J’ai suggéré que nous prenions nos
Bibles pour lire (en anglais) l’histoire d’Agag dans 1 Samuel. À un
bon connaisseur de l’Ancien Testament, l’histoire d’Agag peut
soulever certaines questions, mais les détails n’en seraient pas
surprenants. Cependant, c’est un groupe de futurs pasteurs qui a
entendu avec quelque étonnement les mots suivants : « Samuel dit :
Tout comme ton épée a privé des femmes de leurs enfants, que ta
mère entre les femmes soit privée de son enfant ! Et Samuel exécuta
Agag devant le Seigneur à Guilgal » (1 Samuel 15.33).
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Dans la discussion qui suivit, il est devenu évident qu’ils avaient
été profondément impressionnés par l’image du petit Samuel
innocent et obéissant qui, dans le temple, a dit : « Parle, ton serviteur
écoute » (1 S 3.10). Comment ce petit garçon pouvait-il prendre une
épée et tailler un homme en pièces – même si c’était devant le
Seigneur ? Quelle étrange action pour un si bon garçon ! Pour
revenir à notre époque, il serait encore plus étrange que mon pasteur
prenne une épée et taille en pièces devant le Seigneur un mauvais
ancien ou un mauvais diacre. Mais cela fait partie de l’image de
l’Ancien Testament que nous devons chercher à comprendre, et sur
laquelle nous devons revenir plus tard.
Quand le Nouveau Testament interprète l’Ancien
Il reste encore une manière importante par laquelle le Nouveau
Testament a eu tendance à barrer la route à l’Ancien, relative à la
façon dont les interprètes chrétiens ont tendu à considérer pour
corrects, et seuls possibles, le dernier usage ou la dernière
interprétation d’un passage. En pratique, cette approche a signifié
que quand un auteur du Nouveau Testament donne à un passage de
l’Ancien cette dernière interprétation, elle fait autorité d’une façon
qui implique subtilement que l’étude du passage original n’est
vraiment plus nécessaire. Une telle attitude tend à grandement
limiter l’étude de l’Ancien Testament, car, quand quelqu’un étudie
l’original d’un passage de l’Ancien Testament, il peut trouver que
l’auteur a accordé une importance différente de celle du Nouveau
Testament. Pour illustrer, nous pouvons simplement comparer
l’interprétation de Moïse tuant l’Égyptien dans les Hébreux à celle
donnée dans l’Exode. Les auteurs inspirés sont souvent légitimement
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créatifs dans leur utilisation d’autres textes inspirés, mais demander
aux Hébreux, par exemple, d’être la source et l’ultime interprétation
du passage de l’Exode est tout à fait inapproprié. Cependant, les
interprètes chrétiens sont fortement tentés de le faire.
L’exemple classique d’une interprétation du Nouveau Testament
faisant obstacle à un passage de l’Ancien est peut-être l’utilisation
que fait Matthieu d’Ésaïe, comme le texte qui prouve l’Immaculée
Conception, dans Matthieu 1.22-23. Les chrétiens conservateurs ont
toujours fait appel à Matthieu 1 pour établir la naissance virginale de
Jésus. Et le sens dans Matthieu est clair : Jésus est né d’une vierge.
Mais l’interprétation d’Ésaïe est une autre histoire. Si nous essayons
de lire Ésaïe 7 comme quelqu’un de l’époque d’Ésaïe l’aurait
compris, il faudrait un gros effort pour voir dans les paroles d’Ésaïe
une prophétie de la naissance de Jésus-Christ. Le contexte d’Ésaïe 7
suggérerait, en fait, que l’enfant à naître, Emmanuel, devait servir de
signe pour le monarque régnant alors, le roi Achaz, à l’époque
même d’Ésaïe. Quand Matthieu cite ce texte, il donne un sens
second à la prophétie, un sens qui « accomplit » l’original ou, en
d’autres termes, qui donne à la prophétie une nouvelle signification.
L’emploi par Matthieu du terme « accomplir » est un sujet sur lequel
je reviendrai plus tard (voir chapitre 7), mais ce que nous devons
faire ici est de trouver ce que Matthieu voudrait que nous tirions de
son texte, et trouver ce qu’Ésaïe voudrait que nous tirions du sien.
Que les chrétiens conservateurs aient souvent opposé ce principe,
consciemment ou inconsciemment, est illustré par le fait que, quand
la Revised Standard Version (RSV) de l’Ancien Testament a été
d’abord publiée, une opposition considérable s’est levée en rapport
avec le traitement d’Ésaïe 7.14. La version King James avait utilisé le
terme « vierge » dans Ésaïe 7.14 comme dans Matthieu 1.23 : ainsi,
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les mots « prophétie » et « accomplir » correspondaient bien. Mais
les traducteurs de la RSV ont, à juste titre, gardé le mot « vierge »
dans Matthieu tout en choisissant d’utiliser « jeune femme » dans
Ésaïe, terme qui reflète plus exactement l’original hébreu. En fait, il
existe une superbe ambiguïté à propos du mot hébreu almah, qui
permet à la fois l’application originale à l’époque d’Ésaïe et celle,
secondaire et plus complète, à Marie, la mère de Jésus. Les
traducteurs de la RSV ont malgré tout été accusés de falsifier la
doctrine de la naissance virginale de Jésus dans le texte d’Ésaïe. Des
chrétiens furieux protestèrent en organisant des rencontres bibliques
enflammées, une évidence de la violence des sentiments.
Ce n’est pas ici le lieu pour une étude étendue sur la manière dont
le Nouveau Testament traite l’Ancien. Mais les exemples que nous
avons cités illustrent la liberté qui, généralement, caractérise le style
des auteurs du Nouveau Testament. Je ne veux pas nier aux écrivains
bibliques cette liberté d’interprétation et d’application, mais je crains
que cette liberté, originellement un résultat de l’action de l’Esprit, ne
devienne une excuse pour échapper à notre responsabilité de venir à
la parole de Dieu pour y chercher une nouvelle connaissance de sa
volonté guidée par son Esprit.
En laissant tous les auteurs parler par eux-mêmes, nous avons fait
un pas significatif en avant, en nous dégageant de quelques-uns des
problèmes soulevés par les différences entre l’Ancien Testament et le
Nouveau. L’Écriture ressemble beaucoup plus à la riche harmonie
d’un orchestre qu’à la sonnerie monotone d’une seule trompette. Les
nombreux instruments, les différents tons et harmonies peuvent
symboliser la grande variété de méthodes que Dieu a employées
pour travailler avec ses enfants. Les circonstances changent, le
peuple progresse ou régresse, Dieu adapte son message aux besoins
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de l’heure. Pour des gens depuis longtemps esclaves dans une
culture païenne, la révélation du Sinaï était juste ce qu’il fallait : un
peu de tonnerre et de fumée pour capter leur attention. Mais, avec le
temps, une nouvelle révélation était devenue nécessaire pour
corriger certaines idées fausses au sujet de Dieu, et pour jeter de
nouvelles lumières sur le chemin de son peuple. La beauté de cette
nouvelle révélation de Dieu en Jésus-Christ est quelque chose de très
précieux pour tous ceux qui s’appellent chrétiens. Mais si nous
étions tentés de ne voir que cette nouvelle révélation, nous devrions
nous rappeler que Jésus lui-même a fait la déclaration surprenante
que son Père était le Dieu de l’Ancien Testament, le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et ce n’est pas tout, car l’Évangile de
Jean suggère que Jésus lui-même a été assez audacieux pour
déclarer qu’il était le grand « JE SUIS », le Dieu d’Abraham
(Jean 8.58). Il n’y a aucun doute que les deux Testaments forment un
tout. Mais après avoir dit cela, nous devons reconnaître qu’il y a
toujours deux Testaments, chacun avec un message particulier. Alors,
pourquoi laisserions-nous obscurcir la beauté et la vérité de l’autre ?
FIN DE L'EXTRAIT
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TABLE DES MATIÈRES COMPLÈTE
Préface de l'auteur
Chapitre 1
Ne laissez pas votre Nouveau Testament bloquer la route de
votre Ancien Testament
Une « meilleure » révélation
Deux approches à l’Ancien Testament : la ligne droite et les
chemins de traverse
Quand le Nouveau Testament interprète l’Ancien
Chapitre 2
Voici tout était très bon – Puis tout a mal tourné
Une révélation partielle de Dieu
Le peuple de Dieu : montée et chute
La lutte cosmique entre le bien et le mal
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Chapitre 3
Qu'est-il arrivé à Satan dans l'AT ?
Les dangers d’attribuer trop d’importance aux forces démoniaques
Pouvons-nous dater les textes de l’AT ?
Satan et le problème du mal
Les noms donnés à Dieu dans l’AT
La cour céleste
Chapitre 4
Aux gens étranges, d'étranges lois
La Loi de Dieu – Ses conséquences négatives
La Loi de Dieu – Un don de la grâce
La Loi de Dieu – Son objectif déformé
Des lois bizarres pour des gens bizarres ?
La Loi de Dieu et la responsabilité humaine
La grâce précède la loi
Chapitre 5
Inviteriez-vous un Cananéen à déjeuner chez vous ?
Israël et les dieux de Canaan
Deux points de vue sur l’histoire
Le calendrier des fêtes juives
Concessions à la culture cananéenne
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Chapitre 6
La pire des histoires de l'Ancien Testament : Juges 19-21
Pourquoi Israël avait besoin d’un roi
L’idée du messie
Les caractéristiques-clés
Problèmes
Conscience tribale et personne sociale
Les coutumes qui nous laissent perplexes
L’activité de Yahvé dans l’histoire
Chapitre 7
La meilleure histoire de l'Ancien Testament : Le Messie
Les prophéties « messianiques »
Chapitre 8
Quelles prières publieriez-vous si vous étiez Dieu ?
Le Problème de l’Inspiration
Prier avec les psalmistes
Poser des questions à Dieu
Quelques principes de base
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