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Note de veille, 9 janvier 2012
Une prospective sur les devenirs possibles de la Libye
Compte tenu de la situation du pays, des rapports de force internes et du jeu des acteurs
extérieurs, quels sont les scénarios possibles pour la Libye ?
•
Situation fin décembre 2011
L’ère Kadhafi est définitivement tournée depuis sa disparition, le 20 octobre 2011, lors d’une
attaque combinée des forces de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et des
forces du Conseil national de transition (CNT) alors que l’ex-guide tentait de s’échapper en
convoi de la ville de Syrte après plusieurs semaines de combats acharnés. Les conditions de sa
mort, non totalement élucidées, empêchent la tenue d’un procès qui aurait pu être utile à la
constitution d’un état de droit en Libye. Le convoi a été touché par l’aviation de l’OTAN.
Mouammar
Kadhafi, blessé mais vivant, a ensuite été tué. Son corps a été transporté de Syrte
à Misrata et il a été ensuite enterré dans un lieu tenu secret.
Le 31 octobre 2011, un nouveau Premier ministre, Abdel Karim el-Kib a été élu par le CNT
en remplacement de Mahmoud Jibril. Professeur et homme d’affaires, il a cependant passé
l’essentiel de son existence au États-Unis, puis à Abu Dhabi. Il dispose de l’avantage d’être
anglophone, d’être de Tripoli et d’incarner un pouvoir de consensus. Après de longues
discussions, il est parvenu fin novembre à établir un nouveau gouvernement. La composition
du CNT fait cependant l’objet contestations de la part des Thowars, les ex-rebelles qui
récusent la présence d’anciens dignitaires de Kadhafi, mais aussi des Berbères, qui veulent
être mieux représentés. Tout ceci indique la difficulté de construire un consensus entre les
forces politiques représentées.
•
Appréciation des rapports de forces intérieurs
Le Conseil national de transition est composé d’une quarantaine de personnes choisies sur une
base régionale. Le nombre de représentants devrait augmenter pour intégrer les ex-rebelles et
des berbères. Il est difficile d’apprécier les rapports de forces intérieurs. Ce conseil est
composé de cadres de l’ancien régime, des chefs de tribus, d’intellectuels formés à l’extérieur
du pays, de militants des droits de l’homme, d’hommes d’affaires, de royalistes. On note la
faiblesse de la représentation des femmes et des jeunes. Les objectifs politiques et les visions
de l’avenir sont loin d’être convergentes, ce qui ouvre les choix politiques futurs (place de
l’islam et de la charia, régime politique, capacité à instaurer une démocratie). Il semble
cependant qu’un régime parlementaire, laissant une place au jeu des alliances entre forces
politiques diverses, assis sur une base régionale, permettant une autonomie des diverses
© Futuribles, Système Vigie, 9 janvier 2012
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régions, soit une solution de compromis.
Le prochain régime, s’il parvient à stabiliser une situation fragile, sera fondé en large partie
sur la charia, et sera marqué par un certain rigorisme traditionnel en matière de mœurs.
Ajoutons dans le tableau les djihadistes, qui sont en phase de reintégration dans le jeu
politique libyen voir international (négociations avec les Talibans, disparition de Ben Laden,
accords politiques en Libye…). Ils restent minoritaires mais ils sont proactifs, et représentent
un danger interne et externe en cas d’instabilité durable en Libye. Ils pèseront en raison de
leur participation active au conflit.
Le CNT ne dispose que d’une emprise limitée sur le pays. Cela tient à la force des logiques
régionales en Libye, mais aussi à la diffusion des armes et à la légitimité acquise sur le champ
de bataille par les différents groupes. Le nouveau Premier ministre a déjà renoncé à prendre
toute mesure coercitive pour récupérer les armes en circulation et compte sur des programmes
d’incitation et sur la bonne volonté de la population. Le CNT est de plus en plus contesté,
notamment à Benghazi. On lui reproche son opacité, l’absence d’amélioration sur le terrain et
la circulation des armes.
• Appréciations des positions des acteurs extérieurs
L’OTAN s’est désengagée du conflit malgré l’invitation du CNT à maintenir sa présence
militaire en Libye. C’était logique après la mort de Kadhafi. L’ONU et la communauté
internationale déclarent vouloir accompagner le processus de reconstruction. De nombreux
pays disposent d’un levier d’influence très puissant à travers les fonds gelés de l’ancien
régime, qui sont nécessaires pour assurer la survie du régime pendant une période de
transition d’un an environ. Le processus de restitution est cependant des plus opaques, d’où la
nécessité d’une très grande transparence en la matière pour éviter les détournements de fonds
et les utilisations frauduleuses. La capacité d’accompagnement globale de la communauté
internationale peut cependant être stérilisée par une trop forte compétition entre les pays
occidentaux.
• Scenarios pour les mois à venir
Scénario optimiste
Le CNT parvient progressivement à reconstruire un consensus politique entre les forces
tribales et régionales sur la base d’une répartition des rentes : (fonds gelés, pétrole, secteurs
économiques, pouvoirs) qui conduit dans un premier temps à la restauration de la sécurité et
de la stabilité. Les investisseurs et les travailleurs étrangers, notamment africains, reviennent,
et la croissance économique du pays reprend. Les perspectives de richesse, bien réparties,
transcendent les oppositions. Un processus de légitimation du régime s’opère par la
démocratie. Un début d’institutionnalisation des rapports politiques assure l’émergence d’un
État de droit. Le pari de l’intervention est gagné et il est même possible d’envisager un
nouveau souffle pour le partenariat euro-méditerranéen.
Scénario pessimiste
Le CNT ne parvient pas à créer ce consensus, notamment s’il est dans l’incapacité d’établir un
gouvernement stable et relativement légitime. Dans ce cas, il ne réussit pas à concilier et
harmoniser les tensions entre les forces politiques, ni à construire une vision cohérente et
commune de la Libye post-Kadhafi, ni enfin à redistribuer la rente pétrolière en fonction des
rapports de forces. Le pouvoir de nuisance des forces régionales se fait sentir dans la
perturbation de la production et du transport du pétrole. Les niveaux d’exportation restent
faibles. Le pays s’enfonce dans la pauvreté et les groupes armés tentent de préserver leurs
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intérêts en essayant de capter une part des ressources directement pour leur compte. On ne
peut exclure la violence, la résurgence des conflits entre tribus, réactivés par le dernier conflit.
L’insécurité rend impossible le retour des travailleurs africains et des investisseurs étrangers.
Le pays sombre dans le chaos. Les djihadistes ne sont plus encadrés par l’islam traditionnel
libyen, ni par un jeu politique global. Ils peuvent dans ce cas se servir de la Libye comme
d’une base de déstabilisation des pays voisins, voire de l’Europe.
Jean-Yves Moisseron
Groupe vigilance, JFC Conseil
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