090112 Libye
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Mouammar Kadhafi, blessé mais vivant, a ensuite été tué. Son corps a été transporté de Syrte à Misrata et il a été ensuite enterré dans un lieu tenu secret. Le 31 octobre 2011, un nouveau Premier ministre, Abdel Karim el-Kib a été élu par le CNT en remplacement de Mahmoud Jibril. Professeur et homme d’affaires, il a cependant passé l’essentiel de son existence au États-Unis, puis à Abu Dhabi. Il dispose de l’avantage d’être anglophone, d’être de Tripoli et d’incarner un pouvoir de consensus. Après de longues discussions, il est parvenu fin novembre à établir un nouveau gouvernement. La composition du CNT fait cependant l’objet contestations de la part des Thowars, les ex-rebelles qui récusent la présence d’anciens dignitaires de Kadhafi, mais aussi des Berbères, qui veulent être mieux représentés. Tout ceci indique la difficulté de construire un consensus entre les forces politiques représentées. • Appréciation des rapports de forces intérieurs Le Conseil national de transition est composé d’une quarantaine de personnes choisies sur une base régionale. Le nombre de représentants devrait augmenter pour intégrer les ex-rebelles et des berbères. Il est difficile d’apprécier les rapports de forces intérieurs. Ce conseil est composé de cadres de l’ancien régime, des chefs de tribus, d’intellectuels formés à l’extérieur du pays, de militants des droits de l’homme, d’hommes d’affaires, de royalistes. On note la faiblesse de la représentation des femmes et des jeunes. Les objectifs politiques et les visions de l’avenir sont loin d’être convergentes, ce qui ouvre les choix politiques futurs (place de l’islam et de la charia, régime politique, capacité à instaurer une démocratie). Il semble cependant qu’un régime parlementaire, laissant une place au jeu des alliances entre forces politiques diverses, assis sur une base régionale, permettant une autonomie des diverses © Futuribles, Système Vigie, 9 janvier 2012 1 régions, soit une solution de compromis. Le prochain régime, s’il parvient à stabiliser une situation fragile, sera fondé en large partie sur la charia, et sera marqué par un certain rigorisme traditionnel en matière de mœurs. Ajoutons dans le tableau les djihadistes, qui sont en phase de reintégration dans le jeu politique libyen voir international (négociations avec les Talibans, disparition de Ben Laden, accords politiques en Libye…). Ils restent minoritaires mais ils sont proactifs, et représentent un danger interne et externe en cas d’instabilité durable en Libye. Ils pèseront en raison de leur participation active au conflit. Le CNT ne dispose que d’une emprise limitée sur le pays. Cela tient à la force des logiques régionales en Libye, mais aussi à la diffusion des armes et à la légitimité acquise sur le champ de bataille par les différents groupes. Le nouveau Premier ministre a déjà renoncé à prendre toute mesure coercitive pour récupérer les armes en circulation et compte sur des programmes d’incitation et sur la bonne volonté de la population. Le CNT est de plus en plus contesté, notamment à Benghazi. On lui reproche son opacité, l’absence d’amélioration sur le terrain et la circulation des armes. • Appréciations des positions des acteurs extérieurs L’OTAN s’est désengagée du conflit malgré l’invitation du CNT à maintenir sa présence militaire en Libye. C’était logique après la mort de Kadhafi. L’ONU et la communauté internationale déclarent vouloir accompagner le processus de reconstruction. De nombreux pays disposent d’un levier d’influence très puissant à travers les fonds gelés de l’ancien régime, qui sont nécessaires pour assurer la survie du régime pendant une période de transition d’un an environ. Le processus de restitution est cependant des plus opaques, d’où la nécessité d’une très grande transparence en la matière pour éviter les détournements de fonds et les utilisations frauduleuses. La capacité d’accompagnement globale de la communauté internationale peut cependant être stérilisée par une trop forte compétition entre les pays occidentaux. • Scenarios pour les mois à venir Scénario optimiste Le CNT parvient progressivement à reconstruire un consensus politique entre les forces tribales et régionales sur la base d’une répartition des rentes : (fonds gelés, pétrole, secteurs économiques, pouvoirs) qui conduit dans un premier temps à la restauration de la sécurité et de la stabilité. Les investisseurs et les travailleurs étrangers, notamment africains, reviennent, et la croissance économique du pays reprend. Les perspectives de richesse, bien réparties, transcendent les oppositions. Un processus de légitimation du régime s’opère par la démocratie. Un début d’institutionnalisation des rapports politiques assure l’émergence d’un État de droit. Le pari de l’intervention est gagné et il est même possible d’envisager un nouveau souffle pour le partenariat euro-méditerranéen. Scénario pessimiste Le CNT ne parvient pas à créer ce consensus, notamment s’il est dans l’incapacité d’établir un gouvernement stable et relativement légitime. Dans ce cas, il ne réussit pas à concilier et harmoniser les tensions entre les forces politiques, ni à construire une vision cohérente et commune de la Libye post-Kadhafi, ni enfin à redistribuer la rente pétrolière en fonction des rapports de forces. Le pouvoir de nuisance des forces régionales se fait sentir dans la perturbation de la production et du transport du pétrole. Les niveaux d’exportation restent faibles. Le pays s’enfonce dans la pauvreté et les groupes armés tentent de préserver leurs © Futuribles, Système Vigie, 9 janvier 2012 2 intérêts en essayant de capter une part des ressources directement pour leur compte. On ne peut exclure la violence, la résurgence des conflits entre tribus, réactivés par le dernier conflit. L’insécurité rend impossible le retour des travailleurs africains et des investisseurs étrangers. Le pays sombre dans le chaos. Les djihadistes ne sont plus encadrés par l’islam traditionnel libyen, ni par un jeu politique global. Ils peuvent dans ce cas se servir de la Libye comme d’une base de déstabilisation des pays voisins, voire de l’Europe. Jean-Yves Moisseron Groupe vigilance, JFC Conseil © Futuribles, Système Vigie, 9 janvier 2012 3