Le devoir de loyauté : une obligation dans les négociations

Transcription

Le devoir de loyauté : une obligation dans les négociations
Le devoir de loyauté : une obligation dans les négociations commerciales
Rédigé par Nathalie Malkes Koster en janvier 2007
L’article 1134 al. 3 du Code civil l’affirme avec force : les conventions doivent être exécutées de bonne foi.
Cette obligation a progressivement été étendue dans le temps par la jurisprudence, qui a instauré un
véritable devoir de loyauté, lequel s’impose aux parties tant pendant la conduite de leurs négociations (§I),
qu’à l’occasion de la rupture de ces négociations (§II).
I - Le devoir de loyauté dans la conduite des négociations
Le devoir de loyauté dans les pourparlers recouvre plusieurs aspects. Il impose tout d’abord aux parties
une obligation d’information, sans laquelle il ne peut y avoir de consentement éclairé.
Concrètement, la jurisprudence impose à celui des négociateurs qui détient une information sur un fait
pertinent, susceptible d’influencer le consentement de son partenaire, de la lui transmettre afin que celuici s’engage en pleine connaissance de cause. Cette obligation, qui s’applique bien évidemment entre
particuliers, existe également entre professionnels, quand bien même seraient-ils de la même spécialité, en
application d’un principe de nécessaire confiance mutuelle entre cocontractants (ex. Aff. Publicis, Cass.
Com. 4 juillet 1989).
La partie qui dissimule une information de nature à influer sur le consentement de l’autre engage sa
responsabilité (voir en ce sens, deux arrêts importants de la Cour de cassation qui ont retenu la
responsabilité du dirigeant en matière de cession d’actions : Aff. Vilgrain, Cass. Com. 27 février 1996 et
aff. Beley, Cass. Com. 12 mai 2004).
Comme souvent en matière de responsabilité, l’obligation d’information s’impose toutefois avec plus ou
moins de vigueur, selon la qualité des parties en présence : l’obligation sera moins forte en présence d’une
partie avertie. Surtout, elle ne dispensera jamais le créancier de l’obligation d’information de son devoir de
se renseigner activement par lui-même, c’est à dire d’interroger l’autre partie et d’aller rechercher les
éléments publiés et disponibles.
Plus récemment, la jurisprudence a, en sus du devoir d’information, consacré un devoir de conseil qui
s’imposera surtout dans les relations entre professionnel et profane (ex. Cass. Com. 1er décembre 1992 et
4 janvier 2005).
En matière de vente de produits ou de prestation de services présentant un caractère technique ou un
risque particulier (ex. risque médical, financier ou spéculatif), il appartient désormais au débiteur de
l’obligation d’information de s’enquérir des besoins de son partenaire pour le guider dans ses choix en
lui délivrant des informations ciblées et pertinentes, orienter sa décision, voire même, au besoin, le
dissuader de contracter.
Le devoir de loyauté impose également aux négociateurs de respecter une obligation de confidentialité,
qui leur interdit d’exploiter ou de divulguer à des tiers les informations obtenues au cours de négociations.
Nathalie MALKES KOSTER – Avocat – 15, rue Massenet 75116 Paris – Tel : 01 45 27 13 80
http://www.nmk-avocats.com
1
Il met enfin à leur charge une obligation de sérieux et de sincérité, notamment dans leurs déclarations
d’intention, ainsi qu’une obligation de diligence dont l’objectif est de ne pas maintenir inutilement l’autre
partie dans l’expectative, une fois la décision arrêtée.
Ces orientations jurisprudentielles s’inscrivent dans un objectif, plus général, de moralisation des affaires,
la jurisprudence faisant désormais obligation aux négociateurs d’agir de façon transparente afin que
chacune des parties contractantes puisse se prononcer en pleine connaissance de cause.
II - Le devoir de loyauté dans la rupture des négociations
La liberté contractuelle implique bien évidemment celle de ne pas contracter. Mais si les parties restent
libres de ne pas conclure, encore doivent-elles s’abstenir de rompre les négociations de manière fautive.
La responsabilité de l’auteur de la rupture sera indiscutablement engagée si la rupture est intervenue dans
l’intention de nuire. Mais au-delà de cette hypothèque d’école, tout manquement à l’obligation générale
de bonne foi peut conduire les tribunaux à sanctionner la rupture abusive de pourparlers.
La jurisprudence a progressivement dégagé les critères de la rupture fautive, lesquels s’appliqueront
souvent de manière cumulative :
•
l’existence de pourparlers avancés ou de négociations très engagées (Cass. Com. 22 avril
1997) : plus les pourparlers sont avancés, plus la liberté des parties de ne pas conclure se restreint.
Le niveau d’avancement des négociations se déduira fréquemment - mais pas systématiquement de leur durée. Il en découle que la responsabilité de l’auteur de la rupture pourra être engagée
lorsque les négociations ont atteint en durée et/ou en intensité un degré suffisant pour faire croire
légitimement à une partie que l’autre est sur le point de conclure.
Les juges retiendront également facilement la faute lorsque l’auteur de la rupture laisse perdurer les
discussions, tout en sachant qu’elles n’aboutiront pas.
•
la brutalité de la rupture : les juges sont sensibles à la manière dont les négociations sont rompues
et sanctionnent volontiers l’attitude du négociateur qui met fin aux discussions de façon cavalière
ou tardive.
•
l’absence de motifs légitimes : même si la rupture n’a pas à être motivée, le fait de mettre fin à des
pourparlers avancés sans fournir la moindre explication est souvent retenu par la jurisprudence
comme étant l’indice d’une faute.
Ce faisant, la jurisprudence ne fait que transposer la notion classique d’abus de droit à la matière de la
rupture des pourparlers : rompre des négociations est un droit, qui doit être exercé de bonne foi, sans
abus.
Lorsque la rupture des négociations est jugée fautive, la victime peut demander l’indemnisation de son
préjudice. Sur ce point, la jurisprudence a récemment évolué, de manière assez paradoxale puisque si les
juges élargissent le contenu de l’obligation de loyauté, c’est pour, dans le même temps, réduire le droit à
indemnisation.
Traditionnellement, en effet, les juges retenaient trois postes de préjudice :
•
la perte subie : il s’agit des frais inutilement exposés dans le cadre des négociations (ex : les
honoraires des conseils, les frais d’étude et d’audit, le temps passé, les frais de déplacement, etc
…).
•
le préjudice moral : dès lors que l’existence de négociations est connue, leur rupture peut entraîner
une atteinte à l’image ou au crédit de la victime. L’évaluation de ce préjudice, qui est très subjectif,
est toutefois toujours extrêmement difficile à établir.
Nathalie MALKES KOSTER – Avocat – 15, rue Massenet 75116 Paris – Tel : 01 45 27 13 80
http://www.nmk-avocats.com
2
•
le gain manqué : en présence de négociations avortées, les tribunaux ont pu reconnaître à la
victime le droit d’être indemnisée de la perte de chance d’obtenir les gains espérés du contrat.
Par un arrêt du 26 novembre 2003, la chambre commerciale de la Cour de cassation est revenue sur cette
solution et considère désormais que le préjudice résultant de la rupture n’inclut que les seuls frais générés
par la négociation et les études préalables.
Après avoir résisté quelque temps, la 3ème chambre civile de la Cour suprême vient de se rallier à cette
analyse, par un arrêt récent du 28 juin 2006. Cette jurisprudence devrait inciter les négociateurs à recourir
plus fréquemment à la signature d’avant-contrats afin de prévoir, par avance, lorsqu’il y a lieu, les
conséquences financières de la rupture éventuelle de leurs négociations.
*
*
*
Nathalie MALKES KOSTER – Avocat – 15, rue Massenet 75116 Paris – Tel : 01 45 27 13 80
http://www.nmk-avocats.com
3