La modélisation des changements

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La modélisation des changements
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LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS
mais aussi à modifier ses processus de
prises de décisions afin d’y incorporer
les nouvelles informations disponibles.
Les prédictions ne suffisent pas
Les personnes doivent comprendre
les alertes et leur faire confiance, et
elles doivent posséder les capacités d’y
répondre de manière adéquate. En 2000,
le bassin fluvial du Limpopo en Afrique
australe a subi des chutes de pluie
importantes pendant plusieurs jours en
conséquence de cyclones hors-normes. Les
experts savaient qu’il en résulterait des
inondations sérieuses – d’une magnitude
jamais encore connue des communautés
rurales du Mozambique. Pourtant, peu
de villages en avaient été informés.
La plupart des communautés n’avaient ni
radio, ni électricité, cependant par le passé
les gens pouvaient prédire les inondations
en observant les fourmis. Les fourmis
construisent leurs nids sous terre ; lorsque
le niveau de la nappe monte, elles quittent
leurs nids – et les gens savent que l’eau
monte. En l’occurrence, l’inondation s’est
produite si rapidement que la nappe n’a
pas eu le temps de monter, ni les fourmis
le temps de réagir avant que la rivière
déborde. Lorsqu’ une personne qui avait
entendu les prédictions des experts s’est
rendue en voiture vers un certain village
pour prévenir les habitants d’évacuer, le
chef local a demandé : “Qui êtes-vous et
pourquoi est-ce que je devrais faire ce que
vous dites? Depuis les temps ancestraux,
les inondations ne sont arrivées que
quand les fourmis ont quitté leurs nids.
A présent les fourmis restent en place et
vous venez me demander de partir ? “
Comme dans la majeure partie de la vallée
du Limpopo, beaucoup de personnes
n’ont pas voulu partir. Environ 700
personnes sont mortes noyées. Le climat
global est en changement, et le savoir
traditionnel est de moins en moins
fiable parce que notre expérience passée
n’est pas nécessairement applicable aux
risques présents et futurs. Cela étant,
l’élément-clé est d’apprendre comment
communiquer le nouveau savoir sur les
conditions futures de telle manière qu’il
soit compris et que la confiance s’instaure.
Alors que la plupart des gens dans les
communautés vulnérables ont déjà
remarqué que des extrêmes météorologiques
hors-normes se produisent, ils les
expliquent souvent comme des forces
surnaturelles, comme une punition divine
ou l’intervention d’ancêtres mécontents. Ce
genre d’explications mène à croire que les
choses vont bientôt retourner à la normale,
ou au fatalisme et à l’inaction. Ainsi, une
fermière du Mozambique a affirmé durant
un atelier de la Croix-Rouge : “Si Dieu veut
me punir, je serai punie, quoiqu’il en soit“.
Toutefois, l’accès aux nouvelles informations
permet de modifier cette façon de
penser. Après avoir appris les bases
élémentaires du processus de changements
climatiques, et après avoir vu une brève
vidéo des impacts des inondations plus
fréquentes en Argentine et au Bangladesh,
la même fermière a dit : “Je croyais que
ma communauté était la seule à être
si durement punie, et que cela ne se
produirait plus ; mais maintenant je vois
que les femmes souffrent de la même façon
partout dans le monde. Il est peut-être
vrai que les pluies sont en changement
et qu’elles vont continuer à changer, et je
peux peut-être y faire quelque chose“.
A présent, le système d’alerte aux cyclones
établi par le gouvernement au Mozambique
fait usage de drapeaux de différentes
couleurs pour indiquer l’approche de
cyclones. La Croix-Rouge au Mozambique
a aidé à concevoir le système et à le mettre
en application, en s’informant auprès
des communautés de leurs méthodes
traditionnelles de prédiction et en partageant
les informations sur les nouvelles façons
d’effectuer des prédictions. Un système
identifiable a été mis en place, fondé sur
l’usage de radios, de sifflets et de drapeaux
pour alerter les populations. Des itinéraires
d’échappatoire et d’autres réponses ont été
identifiés et les renseignements disséminés
au niveau des communautés. Ceci a
largement contribué à réduire les pertes
en vies humaines lorsque les violents
cyclones suivants ont frappé le pays.
En Colombie, un certain nombre
d’activités ont été organisées autour
d’un forum sur les changements
climatiques. Dans deux villages, les
enfants ont écrit et produit une pièce
dramatique sur les changements
climatiques. Les étudiants en
Communications de l’Université de
Javerina ont fait des bannières et
ont élaboré des matériaux pour les
enfants, expliquant en quoi consistent
les changements climatiques et ce
que les enfants peuvent eux-mêmes
faire pour contribuer à freiner les
changements climatiques et à faire face
aux risques croissants de catastrophes.
Les étudiants ont aussi produit un
spectacle de marionnettes à grand
succès représentant la planète malade
et souffrant de fièvre ; le texte, avec
musique, est disponible en langue
espagnole depuis le Centre Climatique
de la Croix-Rouge / Croissant-Rouge.
Les changements climatiques sont parmi
nous et rendent dors et déjà les travaux
humanitaires plus difficiles. Il faut s’attendre
à ce que la situation s’aggrave. Il nous faudra
faire preuve d’intelligence et d’efficacité,
non seulement pour nous maintenir à
niveau avec les changements climatiques,
mais pour rester en avance sur ceux-ci.
Maarten van Aalst ([email protected])
est Directeur Adjoint et Spécialiste
Principal en Questions Climatiques au
Centre de la Croix-Rouge/Croissant-Rouge.
Cet article est basé sur des extraits du Guide
Climatique de la Croix-Rouge/CroissantRouge, en ligne sur www.climatecentre.org
La modélisation des changements
Christopher Smith, Dominic Kniveton, Sharon Wood et Richard Black
Les techniques empiriques de modélisation sont la seule manière
effective de simuler les migrations dues à une combinaison
complexe de pressions et d’opportunités.
les perceptions et les comportements des
personnes touchées par les changements
climatiques varient considérablement.
Il existe une incertitude considérable
dans les prédictions des migrations
dues aux changements climatiques.
Premièrement, nous ne connaissons
Une technique de modélisation axée
sur les agents (agent-based modelling,
ABM) est utilisable dans la simulation
des rapports entre l’influence des facteurs
pas l’étendue et la magnitude des
changements climatiques responsables
de faire fuir ou d’attirer les migrants.
Deuxièmement, les contextes individuels,
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LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS
environnementaux, de la variabilité
climatique et des changements dans les
migrations. Selon les lois créées pour
une simulation particulière, chaque
‘agent’ (représentant une personne ou
un foyer) évalue sa propre situation, les
risques climatiques, sa capacité d’action,
et le comportement et les opinions
d’autres avant de prendre les décisions
appropriées pour atteindre ces buts.
Un avantage de la technique ABM est
de mieux comprendre qu’une série
d’interactions entre individus peut produire
des résultats plus complexes que ceux qui
auraient pu être prédits par l’agrégation du
comportement de nombreux individus. Les
techniques ABM sont donc un moyen effectif
d’analyser le comportement d’individus
en interaction mais qui peuvent penser
et agir de manière différente les uns des
autres et qui démontrent aussi des traits
émergeants nouveaux. Dans le contexte
des changements climatiques, un élément
important est la capacité de la technique
ABM de permettre la simulation de scénarios
pour lesquels n’existe aucun analogue
historique (par exemple : l’expérience de
phénomènes climatiques dans le passé).
Les migrations
Dans l’élaboration d’une technique ABM en
vue de simuler l’impact des changements
climatiques sur les migrations, il est
important de tenir compte des structures
sociales, des influence institutionnelles et des
actions de la part des individus. Lorsque les
risques perçus des changements climatiques
dépassent un seuil déterminé, l’individu
prend en considération l’adaptation et les
options disponibles – qui peuvent inclure
l’adaptation ou la migration, ou une
stratégie mal adaptée comme le déni ou
un ajustement inefficace des moyens de
subsistance. Le processus cognitif entrepris
par chaque agent en réponse aux stimuli
climatiques, et la sélection qui en résulte
de stratégies d’adaptation, est la pièce
maitresse de l’élaboration d’une technique
ABM. Cependant, le contexte individuel
de la combinaison unique d’expériences,
de biais, de biens et de perceptions pour
chaque agent définit les différences parmi
les agents individuels et leurs réponses
différentes aux stimuli environnementaux
ainsi qu’aux actions d’autrui.
L’élaboration d’un modèle de simulation
des flux existants de migrants offre une
opportunité de faire des recherches
sur la sensitivité au climat des causes
de migration ainsi que des seuils et de
l’étendue des conditions climatiques qui
poussent aux migrations. Une conséquence
de ces conclusions est qu’un tel modèle
est aussi utilisable afin d’identifier les
scénarios dans lesquels il existe une forte
probabilité de migration des communautés
et des individus. Ceci peut mener à
une approche de modélisation axée sur
les agents, plus précise qu’auparavant,
capable de produire des prédictions
plus détaillées du nombre de personnes
poussées à se réinstaller en conséquence
des conditions environnementales.
En vue de mieux définir les attributs des
agents et les lois de leur interaction dans une
technique ABM, il est nécessaire de posséder
des connaissances détaillées et spécifiques au
pays.1 Avec des données adéquates à partir
desquelles il est possible de développer
les lois d’interaction et les seuils d’action
des agents, la réponse d’une communauté
à un scénario climatique donné peut être
entreprise pour aboutir à une simulation de
la manière dont va réagir cette communauté
au niveau de l’individu, du foyer et de la
communauté. Grâce au développement
de la technique ABM à partir de données
générales, il est possible dévaluer à quel
point les mouvements de migrations récents
ont été affectés par les stimuli climatiques,
et l’influence climatique peut être isolée
parmi les causes multiples de migrations.
Christopher Smith (c.d.smith@sussex.
ac.uk) est un Chercheur Doctorant en
Philosophie à l’Université du Sussex,
et Dominic Kniveton (d.r.kniveton@
sussex.ac.uk) est Maître de Conférences
au Département de Géographie de
l’Université du Sussex. Sharon Wood
([email protected]) est Maître de
Conférences en Sciences Informatiques et
en Intelligence Artificielle au Département
de Sciences Informatiques de l’Université
du Sussex. Richard Black (r.black@sussex.
ac.uk) est Directeur Adjoint du Centre
de Recherches sur les Migrations du
Sussex (www.sussex.ac.uk/migration/).
1. Pour plus de détails, dont des renseignements sur le
modèle existent pour le Burkina Faso, veuillez consulter
www.informatics.sussex.ac.uk/users/cds21/publications/
Un programme de recherche mondial
Koko Warner et Frank Laczko
Au vu de l’intensité des défis à venir, il est urgent que nous
mettions au point un programme de recherche mondial à
orientation politique.
Le changement environnemental, en
particulier les changements climatiques,
et son lien avec les migrations est un
sujet qui est apparu soudainement sur les
programmes politiques mondiaux. Pourtant,
peu de recherches ont été effectuées, dont
les résultats pourraient aider à prendre
les décisions les plus censées. Afin de
répondre au plus grand besoin de recherches
empiriques et d’identifier comment mettre
au point un programme mondial de
recherche, l’Institut pour l’environnement
et la sécurité humaine de l’Université
de l’ONU (UNU-EHS), en partenariat
avec l’Organisation internationale pour
les migrations (OIM) et le Programme
des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE), ont rassemblé, en avril 2008, 35
experts dans les domaines de la migration
et de l’environnement. Ces derniers ont
évalué les bases de connaissances actuelles
et identifié les carences dans la recherche
et les secteurs de recherche prioritaires, qui
se divisent en trois domaines principaux :
1. Mesure et identification : Il faut
continuer le travail visant à conceptualiser
et à quantifier les réponses migratoires
face au changement et à la dégradation
de l’environnement. L’étendue possible
des déplacements humains provoqués
par l’environnement reste pour l’instant le
sujet d’estimations et de spéculations. Cela
nous rappelle que nous connaissons très
peu les conséquences des changements
environnementaux sur les migrations et
que nous n’avons pas assez de données et
de résultats de recherche pour concrétiser
ces estimations. Nous ne comprenons
pas très bien comment les événements
à déclenchement lent, y compris la
désertification, la montée du niveau des
mers et la déforestation, affectent les
migrations à l’intérieur des pays ou entre
les pays. Nous ne comprenons pas non
plus comment les changements prévus
dans les flux migratoires affecteront
l’environnement. Les responsables
politiques ne sont pas en possession des
informations nécessaires pour se préparer
aux migrations environnementales, les
prévenir ou y répondre efficacement.
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