La modélisation des changements
Transcription
La modélisation des changements
58 LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS mais aussi à modifier ses processus de prises de décisions afin d’y incorporer les nouvelles informations disponibles. Les prédictions ne suffisent pas Les personnes doivent comprendre les alertes et leur faire confiance, et elles doivent posséder les capacités d’y répondre de manière adéquate. En 2000, le bassin fluvial du Limpopo en Afrique australe a subi des chutes de pluie importantes pendant plusieurs jours en conséquence de cyclones hors-normes. Les experts savaient qu’il en résulterait des inondations sérieuses – d’une magnitude jamais encore connue des communautés rurales du Mozambique. Pourtant, peu de villages en avaient été informés. La plupart des communautés n’avaient ni radio, ni électricité, cependant par le passé les gens pouvaient prédire les inondations en observant les fourmis. Les fourmis construisent leurs nids sous terre ; lorsque le niveau de la nappe monte, elles quittent leurs nids – et les gens savent que l’eau monte. En l’occurrence, l’inondation s’est produite si rapidement que la nappe n’a pas eu le temps de monter, ni les fourmis le temps de réagir avant que la rivière déborde. Lorsqu’ une personne qui avait entendu les prédictions des experts s’est rendue en voiture vers un certain village pour prévenir les habitants d’évacuer, le chef local a demandé : “Qui êtes-vous et pourquoi est-ce que je devrais faire ce que vous dites? Depuis les temps ancestraux, les inondations ne sont arrivées que quand les fourmis ont quitté leurs nids. A présent les fourmis restent en place et vous venez me demander de partir ? “ Comme dans la majeure partie de la vallée du Limpopo, beaucoup de personnes n’ont pas voulu partir. Environ 700 personnes sont mortes noyées. Le climat global est en changement, et le savoir traditionnel est de moins en moins fiable parce que notre expérience passée n’est pas nécessairement applicable aux risques présents et futurs. Cela étant, l’élément-clé est d’apprendre comment communiquer le nouveau savoir sur les conditions futures de telle manière qu’il soit compris et que la confiance s’instaure. Alors que la plupart des gens dans les communautés vulnérables ont déjà remarqué que des extrêmes météorologiques hors-normes se produisent, ils les expliquent souvent comme des forces surnaturelles, comme une punition divine ou l’intervention d’ancêtres mécontents. Ce genre d’explications mène à croire que les choses vont bientôt retourner à la normale, ou au fatalisme et à l’inaction. Ainsi, une fermière du Mozambique a affirmé durant un atelier de la Croix-Rouge : “Si Dieu veut me punir, je serai punie, quoiqu’il en soit“. Toutefois, l’accès aux nouvelles informations permet de modifier cette façon de penser. Après avoir appris les bases élémentaires du processus de changements climatiques, et après avoir vu une brève vidéo des impacts des inondations plus fréquentes en Argentine et au Bangladesh, la même fermière a dit : “Je croyais que ma communauté était la seule à être si durement punie, et que cela ne se produirait plus ; mais maintenant je vois que les femmes souffrent de la même façon partout dans le monde. Il est peut-être vrai que les pluies sont en changement et qu’elles vont continuer à changer, et je peux peut-être y faire quelque chose“. A présent, le système d’alerte aux cyclones établi par le gouvernement au Mozambique fait usage de drapeaux de différentes couleurs pour indiquer l’approche de cyclones. La Croix-Rouge au Mozambique a aidé à concevoir le système et à le mettre en application, en s’informant auprès des communautés de leurs méthodes traditionnelles de prédiction et en partageant les informations sur les nouvelles façons d’effectuer des prédictions. Un système identifiable a été mis en place, fondé sur l’usage de radios, de sifflets et de drapeaux pour alerter les populations. Des itinéraires d’échappatoire et d’autres réponses ont été identifiés et les renseignements disséminés au niveau des communautés. Ceci a largement contribué à réduire les pertes en vies humaines lorsque les violents cyclones suivants ont frappé le pays. En Colombie, un certain nombre d’activités ont été organisées autour d’un forum sur les changements climatiques. Dans deux villages, les enfants ont écrit et produit une pièce dramatique sur les changements climatiques. Les étudiants en Communications de l’Université de Javerina ont fait des bannières et ont élaboré des matériaux pour les enfants, expliquant en quoi consistent les changements climatiques et ce que les enfants peuvent eux-mêmes faire pour contribuer à freiner les changements climatiques et à faire face aux risques croissants de catastrophes. Les étudiants ont aussi produit un spectacle de marionnettes à grand succès représentant la planète malade et souffrant de fièvre ; le texte, avec musique, est disponible en langue espagnole depuis le Centre Climatique de la Croix-Rouge / Croissant-Rouge. Les changements climatiques sont parmi nous et rendent dors et déjà les travaux humanitaires plus difficiles. Il faut s’attendre à ce que la situation s’aggrave. Il nous faudra faire preuve d’intelligence et d’efficacité, non seulement pour nous maintenir à niveau avec les changements climatiques, mais pour rester en avance sur ceux-ci. Maarten van Aalst ([email protected]) est Directeur Adjoint et Spécialiste Principal en Questions Climatiques au Centre de la Croix-Rouge/Croissant-Rouge. Cet article est basé sur des extraits du Guide Climatique de la Croix-Rouge/CroissantRouge, en ligne sur www.climatecentre.org La modélisation des changements Christopher Smith, Dominic Kniveton, Sharon Wood et Richard Black Les techniques empiriques de modélisation sont la seule manière effective de simuler les migrations dues à une combinaison complexe de pressions et d’opportunités. les perceptions et les comportements des personnes touchées par les changements climatiques varient considérablement. Il existe une incertitude considérable dans les prédictions des migrations dues aux changements climatiques. Premièrement, nous ne connaissons Une technique de modélisation axée sur les agents (agent-based modelling, ABM) est utilisable dans la simulation des rapports entre l’influence des facteurs pas l’étendue et la magnitude des changements climatiques responsables de faire fuir ou d’attirer les migrants. Deuxièmement, les contextes individuels, RMF31 RMF31 LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES DÉPLACEMENTS environnementaux, de la variabilité climatique et des changements dans les migrations. Selon les lois créées pour une simulation particulière, chaque ‘agent’ (représentant une personne ou un foyer) évalue sa propre situation, les risques climatiques, sa capacité d’action, et le comportement et les opinions d’autres avant de prendre les décisions appropriées pour atteindre ces buts. Un avantage de la technique ABM est de mieux comprendre qu’une série d’interactions entre individus peut produire des résultats plus complexes que ceux qui auraient pu être prédits par l’agrégation du comportement de nombreux individus. Les techniques ABM sont donc un moyen effectif d’analyser le comportement d’individus en interaction mais qui peuvent penser et agir de manière différente les uns des autres et qui démontrent aussi des traits émergeants nouveaux. Dans le contexte des changements climatiques, un élément important est la capacité de la technique ABM de permettre la simulation de scénarios pour lesquels n’existe aucun analogue historique (par exemple : l’expérience de phénomènes climatiques dans le passé). Les migrations Dans l’élaboration d’une technique ABM en vue de simuler l’impact des changements climatiques sur les migrations, il est important de tenir compte des structures sociales, des influence institutionnelles et des actions de la part des individus. Lorsque les risques perçus des changements climatiques dépassent un seuil déterminé, l’individu prend en considération l’adaptation et les options disponibles – qui peuvent inclure l’adaptation ou la migration, ou une stratégie mal adaptée comme le déni ou un ajustement inefficace des moyens de subsistance. Le processus cognitif entrepris par chaque agent en réponse aux stimuli climatiques, et la sélection qui en résulte de stratégies d’adaptation, est la pièce maitresse de l’élaboration d’une technique ABM. Cependant, le contexte individuel de la combinaison unique d’expériences, de biais, de biens et de perceptions pour chaque agent définit les différences parmi les agents individuels et leurs réponses différentes aux stimuli environnementaux ainsi qu’aux actions d’autrui. L’élaboration d’un modèle de simulation des flux existants de migrants offre une opportunité de faire des recherches sur la sensitivité au climat des causes de migration ainsi que des seuils et de l’étendue des conditions climatiques qui poussent aux migrations. Une conséquence de ces conclusions est qu’un tel modèle est aussi utilisable afin d’identifier les scénarios dans lesquels il existe une forte probabilité de migration des communautés et des individus. Ceci peut mener à une approche de modélisation axée sur les agents, plus précise qu’auparavant, capable de produire des prédictions plus détaillées du nombre de personnes poussées à se réinstaller en conséquence des conditions environnementales. En vue de mieux définir les attributs des agents et les lois de leur interaction dans une technique ABM, il est nécessaire de posséder des connaissances détaillées et spécifiques au pays.1 Avec des données adéquates à partir desquelles il est possible de développer les lois d’interaction et les seuils d’action des agents, la réponse d’une communauté à un scénario climatique donné peut être entreprise pour aboutir à une simulation de la manière dont va réagir cette communauté au niveau de l’individu, du foyer et de la communauté. Grâce au développement de la technique ABM à partir de données générales, il est possible dévaluer à quel point les mouvements de migrations récents ont été affectés par les stimuli climatiques, et l’influence climatique peut être isolée parmi les causes multiples de migrations. Christopher Smith (c.d.smith@sussex. ac.uk) est un Chercheur Doctorant en Philosophie à l’Université du Sussex, et Dominic Kniveton (d.r.kniveton@ sussex.ac.uk) est Maître de Conférences au Département de Géographie de l’Université du Sussex. Sharon Wood ([email protected]) est Maître de Conférences en Sciences Informatiques et en Intelligence Artificielle au Département de Sciences Informatiques de l’Université du Sussex. Richard Black (r.black@sussex. ac.uk) est Directeur Adjoint du Centre de Recherches sur les Migrations du Sussex (www.sussex.ac.uk/migration/). 1. Pour plus de détails, dont des renseignements sur le modèle existent pour le Burkina Faso, veuillez consulter www.informatics.sussex.ac.uk/users/cds21/publications/ Un programme de recherche mondial Koko Warner et Frank Laczko Au vu de l’intensité des défis à venir, il est urgent que nous mettions au point un programme de recherche mondial à orientation politique. Le changement environnemental, en particulier les changements climatiques, et son lien avec les migrations est un sujet qui est apparu soudainement sur les programmes politiques mondiaux. Pourtant, peu de recherches ont été effectuées, dont les résultats pourraient aider à prendre les décisions les plus censées. Afin de répondre au plus grand besoin de recherches empiriques et d’identifier comment mettre au point un programme mondial de recherche, l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université de l’ONU (UNU-EHS), en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), ont rassemblé, en avril 2008, 35 experts dans les domaines de la migration et de l’environnement. Ces derniers ont évalué les bases de connaissances actuelles et identifié les carences dans la recherche et les secteurs de recherche prioritaires, qui se divisent en trois domaines principaux : 1. Mesure et identification : Il faut continuer le travail visant à conceptualiser et à quantifier les réponses migratoires face au changement et à la dégradation de l’environnement. L’étendue possible des déplacements humains provoqués par l’environnement reste pour l’instant le sujet d’estimations et de spéculations. Cela nous rappelle que nous connaissons très peu les conséquences des changements environnementaux sur les migrations et que nous n’avons pas assez de données et de résultats de recherche pour concrétiser ces estimations. Nous ne comprenons pas très bien comment les événements à déclenchement lent, y compris la désertification, la montée du niveau des mers et la déforestation, affectent les migrations à l’intérieur des pays ou entre les pays. Nous ne comprenons pas non plus comment les changements prévus dans les flux migratoires affecteront l’environnement. Les responsables politiques ne sont pas en possession des informations nécessaires pour se préparer aux migrations environnementales, les prévenir ou y répondre efficacement. 59