Parcours d`intégration : un pas en avant mais pas suffisant

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Parcours d`intégration : un pas en avant mais pas suffisant
2013/01
Parcours d’intégration :
un pas en avant
mais pas suffisant
par Pascal De Gendt
Analyses &
Études
Migrations
1
Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente,
sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de
SIREAS sous la direction de Mauro Sbolgi, éditeur responsable. Les questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui intéressent notre public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de rendre
les textes accessibles à l’ensemble de notre public.
Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes
Monde et droits de l’homme
Notre société à la chance de vivre une époque où les principes des Droits de l’Homme
protègent ou devraient protéger les citoyens contre tout abus. Dans de nombreux pays ces
principes ne sont pas respectés.
Économie
La presse autant que les publications officielles de l’Union Européenne et de certains
organismes internationaux s’interrogent sur la manière d’arrêter les flux migratoires. Mais
ceux-ci sont provoqués principalement par les politiques économiques des pays riches qui
génèrent de la misère dans une grande partie du monde.
Culture et cultures
La Belgique, dont 10% de la population est d’origine étrangère, est caractérisée, notamment,
par une importante diversité culturelle
Migrations
La réglementation en matière d’immigration change en permanence et SIREAS est confronté
à un public désorienté, qui est souvent victime d’interprétations erronées des lois par les
administrations publiques, voire de pratiques arbitraires. Les questions d’émigration sont
également abordées dans cette thématique.
Société
Il n’est pas possible de vivre dans une société, de s’y intégrer, sans en comprendre ses
multiples aspects et ses nombreux défis.
Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur nos sites www.lesitinerrances.com et www.sireas.be, elles sont aussi disponibles en version
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Avec le soutien
de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
E
n fin d’année 2012, le gouvernement wallon adoptait son parcours
d’intégration pour les primo-arrivants. Et rejoignait ainsi, dans cette
démarche, la Flandre où la politique d’« inburgering » (que l’on peut
traduire par « intégration civique ») est en vigueur depuis 2004. En Région
bruxelloise, les institutions rendent la chose un peu plus compliquée : côté
flamand, l’ « inburgering » existe également, moyennant quelques petites
adaptions par rapport au décret flamand, tandis que côté francophone, un
accord a été trouvé par le gouvernement pour qu’un parcours d’intégration
voit également le jour au début de l’année 2014. Sous peu, les trois régions
du pays disposeront donc d’un dispositif répondant à la même philosophie
globale : accueillir les primo-arrivants en leur donnant les informations
nécessaires à leur installation dans leur nouvel environnement mais en les
incitant, voire les obligeant, également à montrer leur volonté d’intégration
notamment en apprenant les rudiments de la langue de leur région
d’adoption.
Dans un premier temps, regardons d’un peu plus près en quoi consistent
ces « parcours d’intégration pour primo-arrivants » à l’appellation, à notre
sens, fallacieuse. Parcours d’accueil eût sans doute été plus juste, l’intégration
étant un processus qui prend plusieurs générations et ne dépend pas
uniquement de cours de langue.
L’inburgering flamand (1)
Le parcours d’intégration civique primaire est un programme de
formation se composant d’une orientation sociale, de cours de néerlandais
et d’une orientation professionnelle. Il s’adresse aux étrangers de dix-huit
3
ans et plus qui viennent s’installer durablement en Flandre ou à Bruxelles
(sous le régime linguistique néerlandophone) ainsi qu’aux Belges qui ne
sont pas nés en Belgique et dont au moins l’un des parents n’est pas né en
Belgique. S’il est accessible à tous les membres de ces groupes-cibles, il est
obligatoire (sauf à Bruxelles) pour les personnes qui ont récemment immigré
en Belgique et se sont installées en Flandre ainsi que pour les ministres du
culte, ne connaissant pas le néerlandais, officiant dans une église ou une
communauté religieuse locale reconnue par le gouvernement flamand. Ceux
qui ne respectent pas cette obligation sont susceptibles de se voir infliger
une amende administrative. Les citoyens d’un État membre de l’Union
européenne, de l’Espace économique européen et de la Suisse ainsi que les
membres de leur famille sont exempts de l’obligation.
Les cours d’orientation sociale, suivi dans la langue maternelle ou dans
une « langue de contact », durent 60 heures. Le primo-arrivant y apprend les
valeurs et les normes sur lesquelles reposent les sociétés flamandes et belges.
Un volet pratique se concentre sur des questions pratiques telles l’accès à
l’enseignement pour les enfants, les modalités de demandes d’allocations
familiales, l’utilisation des transports en commun ou encore la manière
de se faire soigner. Pour ce qui est des cours de « Néerlandais deuxième
langue », le niveau du primo-arrivant sera déterminé par un consultant de
la « Huis van het Nederlands » (« Maison du Néerlandais »). En fonction
des résultats, il sera dirigé vers un cours de base de 240 heures (600 heures
pour les analphabètes ou très peu qualifiés) ou un module de 120 heures
pour les personnes ayant déjà une certaine connaissance de la langue.
Enfin l’orientation professionnelle part des expériences et qualifications
éventuelles du nouvel arrivant pour l’aider à faire un choix de carrière ou
d’études.
Durant ce parcours, l’individu a toujours un accompagnateur de référence
chargé de répondre à ses questions et problèmes éventuels. Pendant chaque
partie du programme de formation, le primo-arrivant doit suivre au moins
80% des cours sous peine d’amende (sauf à Bruxelles). À l’issue de celui-ci,
il reçoit un certificat d’intégration civique qui lui donne accès au parcours
d’intégration civique secondaire (cours complémentaires de néerlandais,
formation professionnelle ou en entreprise, poursuite des études,…).
Parcours wallons et bruxellois
Depuis le 1er janvier 2013, le primo-arrivant s’établissant en Région
wallonne doit se présenter à un bureau local où il reçoit une information
sur ses droits et devoirs. Un bilan de ses connaissances linguistiques et
compétences professionnelles est établi et une aide à l’accomplissement des
4
démarches administratives est fournie. Il peut ensuite passer une « convention
d’accueil et d’intégration », d’une durée maximale de deux ans, qui dresse un
plan de formation. S’il accepte ce contrat, le primo-arrivant devra s’engager à
participer pleinement au parcours d’intégration et d’accueil qui comprendra
des cours de français, un module de citoyenneté et un accompagnement
socioprofessionnel. La présentation au Bureau d’accueil, l’information sur
les droits et devoirs ainsi que le bilan des connaissances est obligatoire pour
« toute personne étrangère séjournant en Belgique depuis moins de trois ans
et disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois, à l’exception des citoyens
d’un État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen
et de la Suisse et les membres de leurs familles. » (2) Les contrevenants
s’exposent à des amendes administratives allant de 50 à 2.500 euros.
À Bruxelles, pour le régime linguistique francophone, on préfère parler
simplement de parcours d’accueil. Il sera divisé en deux volets. Le volet
primaire consistera en la présentation d’information sur le parcours, sur
les droits et devoirs de toute personne résidant en Belgique ainsi que d’un
bilan social et linguistique. « Le bilan social consiste dans l’identification
des besoins et des acquis du bénéficiaire sur le plan social et économique
ainsi que sa connaissance du pays d’accueil. Il s’agit notamment des
besoins en matière de logement, de moyens d’existence, de soins de santé,
d’insertion socioprofessionnelle, d’accueil et de scolarisation des enfants. Une
information sur les dispositifs d’aide est fournie. » (3) Les personnes pouvant
en bénéficier doivent répondre aux mêmes conditions que celles prévues
en Région wallonne. Cette étape d’accueil sera obligatoire, tout comme la
formation linguistique pour les personnes ne disposant d’une connaissance
jugée suffisante du français.
À l’issue de ce premier volet, le primo-arrivant reçoit une attestation et
peut passer au volet secondaire qui consistera en une convention d’accueil
qui fixera un programme d’accompagnement et de formation individualisées
et des objectifs à atteindre définis avec le bénéficiaire. L’entrée en vigueur de
ce dispositif est prévue pour le 1er janvier 2014.
Du pour et du contre
De tels dispositifs d’accueil ne sont certainement pas à rejeter d’un bloc,
au contraire. Leur premier grand avantage est d’amener de la cohérence et
de la clarté dans un secteur qui existait déjà mais est caractérisé par son
éclatement. Ce travail d’accueil était notamment effectué par les services
d’insertion socio-professionnelle (ISP). Au Sireas notamment, en plus de
l’aide sociale et de la formation professionnelle, le servie ISP s’occupait, et ce
dès 1978, d’actions culturelles afin de faciliter l’intégration des participants
5
dans le pays et le milieu du travail. Il est vrai aussi que les services ISP
ont dû revoir leurs ambitions en ce domaine à la baisse par manque
de moyens. On pense notamment à la non-indexation de subsides
provenant du fonds social européen (FSE).
En Région wallonne, les sept Centres Régionaux d’Intégration
(CRI) ont déjà pour tâche de coordonner, accompagner voire
donner l’impulsion aux initiatives dont l’objectif est l’intégration,
que ce soit les cours de langue ou de promotion sociale. Mais ces
offres dépendent principalement du secteur associatif, ce qui pose
certains problèmes. « Le cafouillis pour trouver les acteurs en
matière d’intégration et l’absence d’offres structurées feront que
seuls les plus vaillants et motivés des primo-arrivants trouveront
chaussure à leur pied. Les autres passeront leur tour, d’autant plus
que la mobilité est difficile pour beaucoup. Les CRI ne parviennent
pas à démultiplier les actions dans chaque sous-région et le manque
de transport en commun, pénalisant les migrants, contribuent aussi
à les éloigner des réseaux de formation. Par ailleurs, la couverture
des CRI en Wallonie est incomplète ». (4) La centralisation de l’offre
des cours permettra peut-être aussi de leur assurer un semblant de
contenu et de méthodes communes. Le niveau d’apprentissage du
français peut, en effet, fort varier d’une association à une autre, ou du
niveau associatif à celui de la promotion sociale. On peut d’ailleurs se
questionner sur la manière dont ces cours d’apprentissage vont tenir
compte des différentes cultures et du niveau de chacun. Pour prendre
deux extrêmes, un universitaire provenant d’un pays francophone
(Congo, Maroc,…) n’aura sans doute pas les mêmes besoins qu’un
analphabète provenant d’un pays non-francophones.
À Bruxelles, le système reste compliqué par le bricolage
institutionnel. Surréaliste même si l’on se met quelques secondes à
la place du migrant qui se voit sommer de choisir entre un parcours
en flamand ou en français avec, en sus, les explications de ce que
sont la Cocon (Commission communautaire flamande), la Cocof
(Commission communautaire française) et la Cocom (Commission
communautaire commune).
On retiendra cependant la volonté de généraliser ces cours de
langue « Français Langue Étrangère » ou « Néerlandais Deuxième
Langue ». L’acquisition d’une langue nationale est, en effet, une étape
essentielle dans un processus d’intégration. En plus de faciliter la vie
quotidienne du primo-arrivant et de favoriser son autonomie, elle
lui permettra aussi d’entrer plus facilement en relation avec les autres
citoyens du pays et contribuera donc, du moins peut-on l’espérer, à
augmenter la tolérance de la population d’accueil envers ces nouveaux
6
arrivants. C’est du moins une des enseignements que le directeur du Centre
pour l’Égalité des Chances tirait, en 2008, d’une étude réalisée conjointement
par la Fondation Roi Baudouin et son organisme (5) : « la conclusion la plus
frappante est que la tolérance envers les minorités ethniques est d’autant plus
grande que l’on est en contact régulier, voire quotidien avec des personnes
issues des minorités » (6).
Fallait-il pour autant rendre ces cours obligatoires ? Les principales
associations intéressées par la question ne voient en tout cas pas cela d’un
mauvais œil. Ainsi, pour la directrice du Ciré (Coordination et initiatives
pour Réfugiés et Étrangers), Fred Mawet, « L’obligation peut être une
exigence positive qui tire vers le haut. On pense à l’obligation scolaire,
l’obligation de voter » (7). Surtout, l’expérience flamande de l’inburgering a
permis de démontrer que si la qualité était au rendez-vous, ces cours étaient
vus de manière positive. « La vision des primo-arrivants qui ont suivi le
parcours flamand est positive. Cela leur a permis de prendre pied dans la
société », ajoute encore Fred Mawet (4).
À part l’ancienneté du dispositif flamand, une différence entre le Nord
du pays et la Wallonie et Bruxelles est à noter : la Flandre, grâce à ses caisses
régionales bien remplies, a pu dégager des moyens pour mettre sur pied un
parcours d’intégration souvent cité en exemple. En sera-t-il de même en
Région wallonne et à Bruxelles alors que les budgets sont et les politiques
guidées partiellement par la recherche d’économies à réaliser ? Pour être
efficaces, les parcours d’intégration devront pourtant disposer d’une
offre de cours suffisante, sans quoi ils risquent de se réduire rapidement à
l’inscription sur une liste d’attente.
Surtout, ces parcours semblent oublier un élément fondamental :
l’intégration ne se limite pas à la connaissance, même rudimentaire, des
rouages administratifs et des langues du pays d’accueil. Il faut aussi que le
nouvel arrivant arrive à décrypter les codes de sociabilité. Toute personne
ayant vécu un certain temps à l’étranger connaît ce phénomène : une
phrase et un geste peuvent, selon ces codes, avoir des significations tout-àfait différentes d’un pays à l’autre. Le fait est que la rapidité avec laquelle
nous comprenons une autre personne n’est pas le simple résultat d’un
raisonnement logique, des mécanismes cognitifs entrent également en jeu.
Et maîtriser ces codes de comportement et de langage, verbal et non-verbal,
est un travail de longue haleine qui s’étale parfois sur plusieurs générations.
En occultant cette dimension, les parcours d’intégration ne peuvent pas
faire figure de recette miracle pour améliorer le vivre ensemble.
7
Intégration ou assimilation ?
De plus, un processus d’intégration ne peut être un mouvement à sens
unique. Les politiques d’accueil des migrants mises en place dans notre
pays restent principalement marquées par un principe : c’est à l’individu qui
vient s’installer en Belgique de s’intégrer au groupe majoritaire. « L’intégré,
nous dit-on, est celui qui parle correctement, se comporte poliment, s’habille
comme ses accueillants, respecte les lois du pays d’accueil, cherche et trouve
un travail correct, réussit à se soigner et se nourrir à ses propres frais,
éduque correctement ses enfants, respecte les droits de sa femme et de sa
fille, n’importe pas ostentatoirement les mœurs de son pays d’origine ici.
L’intégré, c’est supposé être quelqu’un de rangé, qui se tait souvent et qui
sait filer droit. Un homme sans histoires, sans problème et sans prétention. »
(8) Or, pas d’intégration sans dialogue fondé sur la conviction qu’aucune
culture ne détient la vérité et que chacune de ces cultures peut intégrer les
valeurs et connaissances des autres. Il faut pourtant bien constater que le
terme « intégration » recouvre, dans notre société, des aspects plus proches
de l’assimilation, cette politique qui vise à gommer toutes les spécificités
culturelles de la personne ayant une autre culture d’origine pour en faire un
autre « nous ».
Cette conception est plus que visible en Flandre depuis qu’un parti
nationaliste, la N-VA, y est devenu la formation la plus importante. Avec
comme preuve la plus éclatante, ce « Coffret d’introduction. Migrer vers
le Flandre » (9) que le ministre flamand des Affaires Intérieures Geert
Bourgeois, met à disposition des candidats à l’installation en Flandre. À
côté d’informations pratiques et utiles, ils peuvent ainsi y apprendre, entre
autres, que les Flamands ne vivent pas dans la rue, qu’on ne peut plus faire
de bruit après 10 heures du soir, qu’on ne se rend pas visite sans prévenir
ou encore que les enfants essayent d’aller habiter seuls le plus vite possible
et ne restent pas vivre chez leurs parents ou beaux-parents. Soit une somme
de clichés caricaturale mais représentative d’une vision globale de l’immigré
comme une personne devant changer ses usages culturels s’il veut trouver sa
place dans notre société. Ce qui est irréaliste : tout immigré porte en lui une
culture, une expérience et la mémoire de son histoire. Si les codes et valeurs
qui sont le fondement de son identité, et constituent des éléments essentiels
de sa capacité à communiquer, à comprendre et être compris, ne sont pas
reconnus, il se sentira inévitablement exclu et se repliera sur lui-même
ou sa communauté d’appartenance. Une attitude normale car nul ne peut
accepter que son identité soit niée ou méprisée. Cette manière d’intégrer ne
peut donc mener qu’à des problèmes d’incompréhension mutuelle et donc
d’incommunicabilité.
8
Le problème des discriminations
Lorsqu’il faut chercher de bons exemples européens en matière sociale,
les yeux se tournent souvent vers les pays nordiques. La Norvège a adopté
en 2004 un parcours d’insertion mais connaissait déjà depuis environ 25
ans, tout comme la Suède, une formule embryonnaire de ce dispositif. Des
pionniers, donc. Ce qui ne les empêche pas de se retrouver aux deux plus
mauvaises places au sein de l’OCDE lorsqu’on inspecte l’ouverture du
marché du travail aux étrangers. Juste derrière ces deux pays vient la Belgique
(10). Chez nous, les personnes de nationalité étrangère auraient 2,6 fois plus
de chance de se retrouver au chômage que les personnes nées en Belgique
(10). Mais parmi les personnes nées en Belgique, les discriminations sont
également une réalité pour les personnes ayant des parents ou grands-parents
issus de l’immigration. À tel point qu’on en arrive à vouloir instaurer les CV
anonymes afin de supprimer une première barrière discriminatoire, celle du
nom, lors de la réponse à une demande d’emploi. Or, si l’arrivant doit faire
preuve de sa volonté de s’insérer dans sa société d’accueil, celle-ci doit lui
donner les chances d’y arriver. Et ça coince à plusieurs niveaux. Point de
vue scolaire, la situation est similaire à celle du marché de l’emploi. En fin
d’année dernière, l’étude « Gaspillage de talents », menée à la demande de la
Fondation Roi Baudouin (11), mettait en exergue les écarts de performances
dans l’enseignement secondaire entre les élèves issus de l’immigration
et les autres et pointait que loin d’être un lieu d’ascension sociale, l’école
reproduisait les inégalités des chances.
Une situation vécue par les jeunes concernés comme l’expression d’une
exclusion sociale, ce qui alimente leur défiance vis-à-vis d’une société
ne voulant pas d’eux. Ce phénomène, dont l’une des conséquences est
le renforcement des liens communautaires, l’anthropologue Jacinthe
Mazzocchetti (UCL) l’a étudié dans « Sentiments d’injustice et de théorie
du complot » pour Brussels Studies (12). À l’issue d’entretiens avec de
jeunes Bruxellois d’origine africaine subsaharienne et marocaine, elle note
qu’ils grandissent avec le sentiment de ne pas avoir de place à Bruxelles,
ou en Belgique, en-dehors des quelques rues de leur quartier. Sentiment
d’exclusion et colère sont les fils rouges des témoignages recueillis par
l’anthropologue. Et ceux-ci débouchent sur une logique de défiance visà-vis d’une société qui ne fait d’ailleurs rien pour les rassurer. Durant l’été
2011, il ressortait d’un sondage Ipsos mené dans 23 pays que 72% des Belges
répondaient négativement à la question de savoir si l’immigration avait été
favorable ou défavorable à leur pays (13).
Ce n’est pas étonnant : une caractéristique récurrente des débats faisant
appel au concept d’intégration est le mélange de problématiques (illégaux,
discriminations, extrémismes religieux,…) qui n’ont qu’un seul point
9
commun : celui d’être regroupé sous le label « problèmes dus à l’immigration ».
« La notion d’intégration entretient régulièrement ces confusions et celles-ci
sont dommageables en raison notamment du fait qu’elles mettent sur un
même pied celles et ceux qui sont arrivés, et qui continuent à arriver sur
notre territoire, et des citoyens nés sous la bannière de la nationalité belge
et dont les caractères visibles de l’origine amoindrissent leurs chances de
construire une vie de paix et de dignité. Ce faisant, cette confusion envoie
à ces derniers un message paradoxal du type “ vous êtes d’ici (vous disposez
de la nationalité) mais vous n’êtes pas d’ici (nous persistons à vous considérer
comme des étrangers) ». (14)
Exemple de cette confusion : les événements qui ont secoué Molenbeek,
le 31 mai dernier, suite à l’arrestation d’une jeune femme pour port du voile
intégral sur la voie publique. Excités par le groupuscule fondamentaliste
Sharia4Belgium, quelques jeunes en profitaient pour semer un peu de
troubles autour du commissariat où avait été emmenée la contrevenante. Le
groupuscule en question, désormais dissous, profitait de sa mise en lumière
médiatique pour délivrer son habituel discours de rejet de notre modèle
de société et rappeler sa volonté d’instaurer la charia en Belgique. Cette
agitation s’est traduite politiquement par deux actes. Le premier est d’avoir
accéléré la mise sur pied des parcours francophones d’intégration pour
primo-arrivants. C’est donc un fait divers impliquant une jeune femme
d’origine belge, convertie à l’Islam, et des jeunes musulmans, pour la plupart
nés en Belgique, qui ont conduit les gouvernements wallons et bruxellois à
se pencher sur l’accueil des primo-arrivants. Difficile de ne pas y voir les
racines d’un amalgame douteux. La deuxième réaction politique fut celle
de l’instrumentalisation par certains courants politiques de ces événements
pour conclure que « l’intégration est un échec ». La tenue des élections
communales quelques semaines plus tard n’était sans doute pas étrangère
à ce raccourci populiste en forme de gifle pour toutes les personnes ayant
réussi leur intégration ou tentant de le faire.
Ce n’est pas l’intégration qui est un échec mais bien la manière dont elle est
conçue et gérée par les autorités. Avec comme résultat visible, une tendance
au repli identitaire tant du côté de la société d’accueil que des migrants,
même quand ils sont nés sur le territoire depuis plusieurs générations.
L’instauration de parcours pour primo-arrivants est une mesure sans doute
utile mais elle ne fournit aucune une certitude d’intégration réussie, celleci dépendant de bien d’autres facteurs. Dont le plus important est la réelle
volonté politique de s’attaquer aux problèmes évoqués ci-dessus et de
travailler à la construction d’une société où chacun peut trouver sa place
quelle que soit sa culture d’origine.
10
Bibliographie
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et à Bruxelles », (en ligne) c 2010 (consulté le 14/01/2013) Disponible
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www.rtbf.be/info/belgique/detail_accord-au-gouvernement-wallonsur-le-parcours-d-integration?id=7897958
(3) « Le parcours d’accueil en Région de Bruxelles-Capitale. Discours du
Ministre-Président Charles Picqué. Conférence de presse du 21 décembre 2012 » (en ligne) c 2012 (consulté le 7/01/2013) Disponible sur
http://charlespicque.info/web/wp-content/uploads/2012/12/121221Discours-Ministre-Conf%C3%A9rence-de-presse.pdf
(4) Ligue des Familles, « Devenir citoyen, un drôle de parcours pour
les migrants » (en ligne) c 2010 (consulté le 7/01/2013) Disponible
sur : https://www.citoyenparent.be/Public/combats/PressRelease.
php?ID=35547&parentID=34021
(5) Fondation Roi Baudouin, « Débats belges pour une politique migratoire. Facts and figures » (en ligne) c2008 (consulté le 10/01/2013) Disponible sur : http://www.kbs-frb.be/uploadedFiles/KBS-FRB/3%29_
Publications/PUB2008_1784_PolitiqueMigratoire_Facts.pdf
(6) La Libre Belgique, « Le Belge garde des préjugés racistes » (en ligne)
c2009 (consulté le 10/01/2013) Disponible sur : http://www.lalibre.
be/actu/belgique/article/490208/le-belge-garde-des-prejuges-racistes.
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(7) Alter Echos, « S’intégrer, c’est obligé ! » (en ligne) c2012 (consulté le 16/01/2013) Disponible sur : http://www.alterechos.be/index.
php?p=sum&d=i&c=a&n=341&art_id=22533
(8) Franklin Nyamsi, « La question de l’immigration et le problème de
l’intégration des étrangers en Belgique », Conférence délivrée le 2
11
juillet 2011 à l’Abbaye de Forest, à Bruxelles, à l’invitation de l’ASBL-Libéral. Texte disponible sur : http://cebaph.blogs.lalibre.be/media/00/02/1174186988.pdf
(
9) http://www.migreren.inburgering.be/fr, « Coffret d’introduction. Migrer vers la Flandre » (en ligne) c2012 (consulté le 10/01/2013) Disponible sur : http://www.migreren.inburgering.be/sites/default/files/
BOEKJE%20FR.pdf
(10) La Libre Belgique, « La Belgique blâmée pour le chômage allochtone »
(en ligne) c2013 (consulté le 25/01/2013) Disponible sur : http://www.
lalibre.be/actu/belgique/article/792336/la-belgique-blamee-pour-lechomage-allochtone.html
(11) Fondation Roi Baudouin, « Gaspillage de talents. Analyse des facteurs
qui expliquent pourquoi les élèves issus de l’immigration ont de moins
bons résultats scolaires » (en ligne) c 2011 (consulté le 21/01/2013).
Disponible sur : http://www.kbs-frb.be/publication.aspx?id=295131&
langtype=2060&src=true
(12)Brussels Studies, « Sentiments d’injustice et théorie du complot.
Représentations d’adolescents migrants et issus des migrations africaines
(Maroc et Afrique subsaharienne) dans des quartiers précaires de
Bruxelles » (en ligne) c 2012 (consulté le 18/01/2013) Disponible sur :
http://www.brusselsstudies.be/fr/brussels-studies-la-revuescientifique-electronique-pour-les-recherches-sur-bruxelles
(13) Le Vif/L’Express, « Immigration : 72% des Belges la jugent négative »
(en ligne) c 2011 (consulté le 5/01/2013) Disponible sur : http://www.
levif.be/info/actualite/belgique/immigration-72-des-belges-la-jugentnegative/article-1195096673663.htm
(14) Le Soir, « Les primo-arrivants, otages de confusions malheureuses »
(en ligne) c 2012 (consulté le 8/01/2013) Disponible sur : http://www.
lesoir.be/archives?url=/debats/cartes_blanches/2012-07-10/les-primoarrivants-otages-de-confusions-malheureuses-926102.php
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