Mémoire de l`intimée, Sa Majesté la Reine, du Chef du Canada

Transcription

Mémoire de l`intimée, Sa Majesté la Reine, du Chef du Canada
Dossier no 33524
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE)
ENTRE :
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
APPELANTE
(appelante)
- et SA MAJESTÉ LA REINE, DU CHEF DU CANADA
INTIMÉE
(intimée)
MÉMOIRE DE L’INTIMÉE, SA MAJESTÉ LA REINE,
DU CHEF DU CANADA
Me René LeBlanc
Me Bernard Letarte
Me Guy A. Blouin
Ministère de la Justice Canada
Bureau T-6050
284, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0H8
Me Christopher Rupar
Procureur général du Canada
Édifice Banque du Canada
Pièce 1212
234, rue Wellington, Tour Est
Ottawa (Ontario)
K1A 0H8
Tél. : 613 957-4657
Téléc. : 613 952-6006
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Tél. : 613 941-2351
Téléc. : 613 954-1920
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Procureurs de l’Intimée
Correspondant de l’Intimée
Henri A. Lafortune Inc.
Tél. : 450 442-4080
Téléc. : 450 442-2040
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2005, rue Limoges
Longueuil (Québec) J4G 1C4
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L-3288-10
-2-
Me Dominique Rousseau
Me Mélanie Paradis
Chamberland, Gagnon
(Justice-Québec)
Bureau 1.03
300, boulevard Jean-Lesage
Québec (Québec)
G1K 8K6
Me Pierre Landry
Noël & Associés
111, rue Champlain
Gatineau (Québec)
J8X 3R1
Tél. : 418 649-3524
Téléc. : 418 646-1656
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Tél. : 819 771-7393
Téléc. : 819 771-5397
[email protected]
Procureurs de l’Appelante
Correspondant de l’Appelante
-iTABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DE L’INTIMÉE
Page
SURVOL
PARTIE I
A.
......................................... 1
–
EXPOSÉ CONCIS DES FAITS
LE RÉGIME
CANADA
D’ASSISTANCE
PUBLIQUE
......................................... 4
DU
......................................... 4
i. Son historique
......................................... 4
ii. Les dispositions pertinentes au présent litige
......................................... 6
B.
LE RECOURS ENTREPRIS PAR LE QUÉBEC
......................................... 9
C.
LES JUGEMENTS D’INSTANCES INFÉRIEURES
....................................... 13
i. Le jugement de première instance
....................................... 13
- Les services sociaux scolaires
....................................... 13
- Les services de soutien aux personnes
handicapées adultes vivants en ressources
résidentielles à assistance continue
....................................... 16
ii. Le jugement de la Cour d’appel
....................................... 17
PARTIE II –
1
EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS EN
LITIGE
....................................... 18
Les tribunaux d’instances inférieures ont-ils erré de
manière à justifier l’intervention de cette Cour,
lorsqu’ils ont conclu que le Canada n’était pas tenu,
aux termes du RAPC, de partager les coûts des
dépenses engagées par le Québec à diverses
périodes au cours de la durée de vie de ce régime,
au titre des services sociaux scolaire, et au titre des
services de soutien aux personnes handicapées
adultes vivant en ressources résidentielles à
assistance continue?
....................................... 18
- ii TABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DE L’INTIMÉE
PARTIE III – EXPOSÉ DES ARGUMENTS
A.
Page
....................................... 18
LES SERVICES SOCIAUX SCOLAIRES NE SONT
PAS DES « SERVICES DE PROTECTION
SOCIALE » AU SENS DU RAPC
....................................... 18
i. Le cadre d’analyse
....................................... 18
ii. La lutte à la pauvreté est au cœur du mandat du
RAPC tout comme elle est explicitement au
centre de la définition de « services de protection
sociale »
....................................... 20
iii. L’erreur d’appréciation générale de la portée de
l’expression « services de protection sociale »
reprochée par l’appelant au premier juge et liée
à la manière dont le RAPC a pu être appliqué,
ne résiste pas à l’analyse
....................................... 24
iv Les services sociaux scolaires poursuivent une
finalité qui n’est pas celle du RAPC
....................................... 27
v. L’élève qui reçoit un service social scolaire n’est
pas un « enfant en manque de soins » au sens
du RAPC
....................................... 31
vi. Les récriminations de l’appelant eu égard aux
conclusions du premier juge portant sur la nature
et la finalité du service social scolaire sont sans
fondement
....................................... 34
- L’erreur alléguée relative à la valeur probante
de l’opinion de l’expert Groulx
....................................... 34
- L’erreur alléguée relative à l’origine des
services sociaux scolaires au Québec
....................................... 35
- L’erreur alléguée relative à l’impact du
rattachement administratif des travailleurs
sociaux scolaires au réseau des Affaires
sociales
....................................... 36
- iii TABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DE L’INTIMÉE
vii.
B.
Page
L’exclusion statutaire relative
concernant l’enseignement
aux
services
....................................... 41
LES SERVICES DE SOUTIEN EN RESSOURCES
RÉSIDENTIELLES
....................................... 43
i. Les services en cause sont des « soins en
établissement pour adultes » au sens de la Loi
sur les accords fiscaux
....................................... 46
- La condition des résidents
....................................... 46
- Les services qui leurs sont dispensés
....................................... 48
- Les liens structurels et organiques entre la
ressource résidentielle et l’institution qui lui
assure les services
....................................... 49
ii. Les
normes
provinciales
relatives
aux
établissements de santé et de services sociaux
et la notion de personnes « admises » ou
« inscrites »
....................................... 54
iii. Le critère de l’intensité de services est inhérent
au concept de « soins en établissement pour
adultes »
....................................... 57
PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS
PARTIE V
– CONCLUSION
DEMANDÉES
ET
....................................... 59
ORDONNANCE
PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES
....................................... 60
........................................ 61
-1Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Survol
MÉMOIRE DE L’INTIMÉE
SURVOL
1.
Ce pourvoi a pour origine un désaccord – vieux d’une trentaine d’années – entre
le gouvernement de la province de Québec [le « Québec » ou « l’appelant »] et celui du
Canada [le « Canada »] concernant le partage, aux termes du Régime d’assistance
publique du Canada [le « RAPC »], de certaines dépenses de mesures sociales
engagées par la province à différentes époques de la durée de vie de ce régime.
2.
En vigueur de 1966 à 1996, le RAPC avait pour raison d’être d’encourager la
mise sur pied de programmes visant à atténuer, supprimer ou prévenir les causes et les
effets de la pauvreté. À cette fin, il autorisait le Canada, en autant qu’intervenait entre
lui et une province un accord à cet effet et en autant qu’il n’y était pas déjà tenu aux
termes d’une quelconque autre loi fédérale, à contribuer, à hauteur de 50% de leur
total, aux coûts admissibles de « l’assistance publique » et des « services de protection
sociale » dispensés par la province aux plus démunis de sa population.
3.
Le présent litige tient plus particulièrement au refus du Canada de contribuer aux
frais des services sociaux scolaires et des services de soutien aux personnes
handicapées adultes vivant en ressources résidentielles, que le Québec prétend être
des « services de protection sociale » au sens du RAPC. La province estime à 285
millions de dollars la contribution qu’elle aurait dû ainsi recevoir du Canada.
4.
Or, aussi généreuse, extensive ou évolutive que l’interprétation du RAPC puisse
être, comme le réclame l’appelant, elle ne peut avoir pour résultat d’assujettir le Canada
au partage des coûts de services qui ne s’inscrivent pas dans la logique du RAPC,
laquelle est d’éradiquer la pauvreté. C’est le cas du service social scolaire dont la
preuve au dossier révèle qu’il est sans rapport véritable avec cette logique, la nature et
la finalité intrinsèques de ce service étant d’appuyer la mission de l’école en faisant en
sorte que les élèves qui y présentent des difficultés d’ordre social puissent néanmoins
-2Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Survol
profiter au maximum de l’expérience scolaire et, donc, d’un droit effectif à l’éducation.
L’appelant a toujours prétendu que le caractère unique de l’organisation du service
social scolaire au Québec, du fait de son appartenance au réseau des Affaires sociales
plutôt qu’à celui de l’Éducation, comme c’est le cas partout ailleurs au Canada et dans
le monde, en avait changé la nature au point de rompre le lien intime qui le soude à la
mission de l’école. Or, cette assertion ne trouve aucun fondement dans la preuve.
5.
Il en va de même des services de soutien aux personnes handicapées adultes
vivant en ressources résidentielles. Dispensés sur une base continue et permanente,
couvrant tous les aspects de la vie quotidienne allant de l’hygiène personnelle de base
aux activités sociales et récréatives, et s’adressant à des clientèles dont la déficience
est telle qu’elles ne peuvent assurer seules, sans compromission, leur santé et leur
sécurité, ces services correspondent en tout point à des « soins en établissements pour
adultes » aux coûts desquels le Canada contribuait déjà, aux termes d’une autre loi
fédérale, en l’occurrence la Loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement
fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis [la « Loi sur les
accords fiscaux »].
6.
Que la ressource résidentielle ne soit pas désignée comme un « établissement »
par la législation de la province n’y change rien; la portée de la législation fédérale
applicable ne saurait être tributaire du modèle d’affaires adopté par le Québec eu égard
à la gestion de son programme résidentiel pour personnes handicapées adultes,
notamment en ce qui a trait à la budgétisation de certaines dépenses liées à la gestion
de la résidence. En bout de ligne, la ressource résidentielle, tout comme ses résidents,
demeure, à tout point de vue, sous le contrôle effectif de l’organisme étatique qui y
dispense les services. Cela va du choix de l’habitation elle-même, au placement et au
pairage des résidents, en passant par la gestion des fonds nécessaires au
fonctionnement de la résidence et à la vie dans la résidence. Ce contrôle effectif passe
aussi par le mandat fondamental de l’organisme, qui est de s’assurer en tout temps du
bien-être et de la sécurité des résidents. Il n’en fallait pas davantage pour que la
-3Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Survol
ressource résidentielle soit assimilée à un « établissement » au sens de la Loi sur les
accords fiscaux.
7.
Ce sont les constats auxquels en est arrivé le premier juge après avoir
soigneusement examiné et soupesé la preuve faite devant lui. La Cour d’appel n’a vu
aucune raison d’intervenir.
8.
Comme l’a si justement souligné le premier juge, le présent litige est inédit :
toutes les provinces ont adhéré au RAPC mais aucune autre province, au cours des
trente années d’existence de ce régime, n’a saisi les tribunaux relativement à une
mésentente découlant de son application. Pourtant, elles ont, elles aussi, dispensé des
services similaires à ceux qui sont en cause en l’instance.
9.
C’est dans ce contexte particulier que le Québec reprend ici, en tout point, un
argumentaire qui ne lui a pas réussi devant ni l’une ni l’autre des instances à qui il s’est
adressé jusqu’à maintenant. Or, il ne lui suffit pas de réitérer devant cette Cour des
thèses déjà tenues pour non fondées par les tribunaux d’instances inférieures à l’égard
de questions qui sont, pour l’essentiel, des questions mixtes de faits et de droit liées à
l’application d’un texte de loi abrogé il y a maintenant plus de 10 ans. Il lui fallait
identifier des erreurs manifestes dans le traitement de ces questions, c’est-à-dire des
erreurs se dégageant avec netteté du réexamen desdites questions et menant
indubitablement à une issue différente. L’appelant n’y est pas parvenu; son appel doit
en conséquence échouer.
---------
-4Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DES FAITS
A.
LE RÉGIME D’ASSISTANCE PUBLIQUE DU CANADA
i.
Son historique
10.
Le RAPC a été créé aux termes de la Loi autorisant le Canada à contribuer aux
frais des régimes visant à fournir une assistance publique et des services de protection
sociale aux personnes nécessiteuses et à leur égard1, laquelle a été sanctionnée et
mise en vigueur le 15 juillet 1966.
11.
Il s’inscrivait dans le plan de lutte à la pauvreté lancé par le gouvernement
fédéral de l’époque2 et se voulait l’aboutissement d’un long processus au terme duquel
ont été mis en place, particulièrement à compter de la fin de la Deuxième Grande
Guerre, les grands programmes universels que sont les allocations familiales, la
sécurité de la vieillesse et l’assurance maladie et hospitalisation3. Sa vocation était
résiduelle dans la mesure où il avait essentiellement pour objet, tant au niveau de
« l’assistance publique » que des « services de protection sociale », d’assister ceux et
celles qui étaient passés à travers les mailles des autres mesures et programmes de
sécurité sociale4. Le RAPC s’inscrivait plus particulièrement, à ce titre, dans la lignée
des programmes fédéraux d’assistance sociale sélective destinés aux personnes âgées
1.
2.
3.
4.
S.C. 1966-67, c. 45; S.R.C. 1970, c. C-1; L.R.C. 1985, c. C-1; Recueil de sources de
l’appelante [« RSA »], vol.1, onglet 1, p.1;
Rapport d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, Dossier de l’appelante
(« DA »), vol. 49, p. 134; Rapport d’expertise de Jean-Bernard Robichaud, Ph.D., Pièce
D-35, DA, vol. 50, p. 40; Thèse de doctorat d’Yves Vaillancourt (février 1992), Pièce D-25,
DA, vol. 48, p.112-114;
Id.
Rapport d’expertise de Jean-Bernard Robichaud, Ph.D., Pièce D-35, DA, vol. 50, p. 34-35;
-5Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
dans le besoin, aux aveugles, aux invalides et aux chômeurs incapables de réintégrer
le marché du travail, programmes dont il opérait en quelque sorte la consolidation5.
12.
Toutes les provinces se sont prévalues du RAPC en signant les accords prévus
à cette fin6. Au cours des 30 ans d’existence du RAPC, le Canada aura ainsi contribué
tout près de 98 milliards de dollars aux frais des services dispensés par les provinces
au titre de « l’assistance publique » et des « services de protection sociale », sa
contribution annuelle totale passant de 342 millions de dollars, pour l’année fiscale
1967-1968, à plus de 7.8 milliards de dollars pour l’année fiscale 1995-1996; près de
34 milliards de dollars auront été versés à la province de Québec pendant cette
période7.
13.
Son histoire aura été marquée par diverses tentatives infructueuses d’en changer
les paramètres ou de le remplacer tout simplement par un instrument mieux adapté à
l’orientation universelle que les provinces ont, à compter des années ’70,
progressivement donnée à leurs programmes sociaux8.
14.
Le RAPC a été abrogé le 31 mars 1996 par l’entrée en vigueur du Transfert
canadien en matière de santé et de programmes sociaux9, programme aux termes
duquel la contribution fédérale aux coûts des régimes provinciaux d’assistance publique
et de services de protection sociale se fera dorénavant, mais de manière progressive,
sous forme d’une subvention per capita. Il a toutefois continué à produire des effets
jusqu’au 31 mars 2000 de manière à permettre le règlement définitif des réclamations
5.
6.
7.
8.
9.
Rapport d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, DA, vol. 49, p. 134135; Rapport d’expertise de Jean-Bernard Robichaud, Ph.D., Pièce D-35, DA, vol. 50,
p. 37;
Au 31 août 1967, un accord aux termes du RAPC était en vigueur dans chacune des
provinces : Témoignage de Jean-Bernard Daudelin, DA, vol. 19, p. 165-166;
Tableau – Appendix A – CAP Statistics, Pièce D-27, DA, vol. 49, p. 10;
Rapport d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, DA, vol. 49, p. 141142, 145-151; Rapport d’expertise de Jean-Bernard Robichaud, Ph.D., Pièce D-35, DA,
vol. 50, p. 42-43;
Loi d’exécution du budget 1995, L.C. 1995, c. 17, RSA, vol. 2, onglet 5, p. 219;
-6Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
provinciales en suspens, l’année financière 1995-1996 étant la dernière année pour
laquelle une réclamation en vertu du RAPC pouvait être faite par une province10.
ii.
Les dispositions pertinentes au présent litige
15. L’objet général du RAPC est défini à son préambule11, lequel se lit comme suit :
Whereas the Parliament of Canada,
recognizing that the provision of
adequate assistance to and in respect
of persons in need and the prevention
and removal of the causes of poverty
and dependence on public assistance
are the concern of all Canadians, is
desirous of encouraging the further
development and extension of
assistance and welfare services
programs throughout Canada by
sharing more fully with the provinces
in the cost thereof;
16.
Considérant que le Parlement du
Canada reconnaissant que l’instauration
de mesures convenables d’assistance
publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et
l’élimination des causes de pauvreté et
de dépendance de l’assistance publique
intéressent tous les Canadiens, désire
encourager l’amélioration et l’élargissement des régimes d’assistance
publique et des services de protection
sociale dans tout le Canada en
partageant dans une plus large mesure
avec les provinces les frais de ces
programmes;
Le présent litige concerne par ailleurs la première des cinq parties du RAPC.
Formée des articles 3 à 9, cette partie [Assistance générale et Services de protection
sociale] est, pour l’essentiel, opérationnalisée par un certain nombre de définitions
contenues à l’article 2 et interpellées par le présent débat, soit celles « d’assistance
publique », de « personnes nécessiteuses », de « foyers de soins spéciaux », de
« services de protection sociale », de personnes en « proximité de besoins »12.
17.
L’ « assistance publique » est définie comme de l’aide « sous toutes ses
formes » – la plus courante étant l’allocation d’aide sociale – visant principalement à
permettre aux « personnes nécessiteuses » de subvenir à leurs besoins fondamentaux
10.
11.
12.
Loi d’exécution du budget 1995. a. 48, RSA, vol.2, onglet 5, p. 226-228; Rapport
d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, DA, vol. 49, p. 152-153;
RAPC, préambule, RSA, vol. 1, onglet 1, p. 42;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 12 à 20, par. 19 à 25;
-7Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
[nourriture, logement, vêtements, fournitures ménagères, services d’utilité publique,
etc.]. Les « personnes nécessiteuses » sont celles qui, en raison de leur incapacité à
obtenir un emploi, de la perte de leur principal soutien de famille, de leur maladie, de
leur âge, ou de toute autre cause acceptable pour la province, ne peuvent subvenir
convenablement
à
leurs
besoins.
Il
s’agit,
communément,
des
personnes
13
« pauvres » . Sont assimilés à cette clientèle, les jeunes âgés de moins de 21 ans
confiés aux soins, à la garde ou à la surveillance d’une autorité chargée de la protection
infantile, ou encore placés en foyer nourricier en raison de l’incapacité des parents à
subvenir à leurs besoins.
18.
Les soins en « foyers de soins spéciaux », qui constituent une forme
d’assistance publique, sont, pour leur part, définis comme étant, notamment, des soins
dispensés dans des « établissements de soins pour enfants » ou encore dans des
« établissements de bien-être social dont le principal objet est de fournir à ses résidents
des soins personnels, ou infirmiers ou de les réadapter socialement »14. Les
« établissements dont le principal objet est l’enseignement » sont par contre
expressément exclus de la définition de « foyers de soins spéciaux ».
19.
Les « services de protection sociale », qui sont au cœur du présent litige, sont
définis de la façon suivante :
13.
14.
Rapport d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, DA, vol. 49, p. 155;
Rapport d’expertise de Jean-Bernard Robichaud, Ph.D., Pièce D-35, DA, vol. 50, p. 40 à
42;
RAPC, a. 2, RSA, vol.1, onglet 1, p. 43; Règlement du Régime d’assistance publique du
Canada, C.R.C. (1978) c. 382, a. 8, RSA, onglet 8, vol. 2, onglet 8, p. 262;
-8Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
20.
Exposé concis des faits
“welfare services” means services
having as their object the lessening,
removal of prevention of the causes
and effects of poverty, child neglect
or dependence on public assistances,
and, without limiting the generality of
the foregoing, includes
(a) Rehabilitation services
(b) Casework,
counselling,
assessment and referral services,
(c) Adoption services,
(d) Homemaker, day-care and
similar services,
(e) Community development services,
(f) Consulting, research and evaluation services with respect to
welfare programs, and
(g) Administrative, secretarial and
clerical services, including staff
training, relating to the provision of any of the foregoing
services or to the provision of
assistance,
«services
de
protection
sociale »
Services qui ont pour objet d’atténuer, de
supprimer ou de prévenir les causes et
les effets de la pauvreté, du manque de
soins à l’égard des enfants ou de la
dépendance de l’assistance publique et
notamment :
(a) Services de réadaptation;
(b) Services
sociaux
personnels,
services d’orientation, d’évaluation
des besoins et de référence;
(c) Services d’adoption;
(d) Services ménagers à domicile,
services de soins de jour et autres
services similaires;
(e) Services de développement communautaires;
(f) Services de consultation, de
recherche et d’évaluation en ce qui
concerne les programmes de
protection sociale;
(g) Services
administratifs,
de
secrétariat et de commis aux
écritures, y compris ceux de
formation du personnel, relatifs à la
fourniture
de
tout
service
mentionné
ci-dessus
ou
de
l’assistance publique.
but does not include any service
relating wholly or mainly to education,
correction or any other matter
prescribed by regulation or, except
for the purposes of the definition
“assistance”, any service provided by
way of assistance;
Sont exclus de la présente définition les
services qui concernent uniquement ou
principalement
l’enseignement,
la
correction ou tout autre domaine
réglementaire ou, sauf pour l’application
de
la définition de « assistance
publique », les services fournis sous
forme d’assistance publique.15
Ces services sont par ailleurs ceux qui s’adressent aux « personnes
nécessiteuses » ainsi qu’aux personnes « en proximité de besoins », c'est-à-dire aux
personnes qui deviendront « vraisemblablement des personnes nécessiteuses » si de
15.
RAPC, a. 2, RSA, vol.1, onglet 1, p. 45;
-9Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
tels services ne leur sont pas fournis. En pratique, il est question ici des « presque
pauvres » [" near poor "]16.
21.
Enfin, la contribution fédérale n’est payable que dans la mesure où l’« assistance
publique » et les « services de protection sociale » sont fournis, d’une part, par un
« organisme approuvé par la province » ou, selon les cas, dans un « foyer de soins
spéciaux », préalablement agréés par le gouvernement du Canada aux termes de
l’accord intervenu avec la province et, d’autre part, en conformité avec une législation
provinciale, également préalablement agréée, en tout ou en partie, par le gouvernement
du Canada aux termes dudit accord, prévoyant la fourniture de cette assistance ou de
ces services à des conditions compatibles avec le RAPC17.
22.
Elle n’est payable aussi que dans la mesure où le Canada n’est pas déjà tenu de
contribuer aux coûts des services en cause en conformité avec une autre loi fédérale18
et où la province soumet en temps opportun une réclamation pour une année donnée,
réclamation au soutien de laquelle elle doit fournir aux autorités fédérales tous les
renseignements que celles-ci estiment nécessaires à son analyse19.
B.
LE RECOURS ENTREPRIS PAR LE QUÉBEC
23.
Le Québec a entrepris son recours en décembre 1996. À l’origine, il conteste le
refus du Canada de contribuer non seulement aux frais des services sociaux scolaires
et des services de soutien aux personnes handicapées adultes vivant en ressources
résidentielles, mais également celui de contribuer aux frais des services pré et postdécisionnels dispensés aux jeunes délinquants entre 1979 et 1984. Rejeté sur tous les
16.
17.
18.
19.
Présentation PowerPoint de Keith Banting, Pièce D-31, DA, vol. 49, p. 93; Témoignage
de Keith Banting, DA, vol. 20, p. 133-134, 186; Témoignage de Jean-Bernard Daudelin,
DA, vol. 19, p. 152 à 156;
RAPC, a. 4, RSA, vol.1, onglet 1, p. 46;
RAPC, al. 5(2)c), RSA, vol.1, onglet 1, p. 48;
Règlement du Régime d’assistance publique du Canada, précité, par. 13(2), RSA, vol. 2,
onglet 8, p. 264-265;
- 10 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
plans par le premier juge, ce dernier volet de la réclamation du Québec sera abandonné
en appel.
24.
L’appelant a toujours prétendu qu’il s’agissait là de « services de protection
sociale », au sens du RAPC, dont le Canada était, en conséquence, tenu d’en partager
les coûts qu’il estime, une fois retranchés les coûts relatifs aux services aux jeunes
délinquants, de l’ordre de 285 millions de dollars20.
25.
Les services sociaux scolaires dont il est question en l’instance sont ceux
dispensés à compter de 1973, soit à partir du moment où, sur le plan de l’organisation
de son service public, la province transfère formellement la responsabilité de la
prestation de ces services du réseau de l’Éducation vers celui des Affaires sociales.
26.
Le Québec plaide, pour l’essentiel, que ce transfert a opéré une transformation
profonde du mandat du service social scolaire dispensé jusqu‘alors sous l’égide des
commissions scolaires. Désormais, allègue-t-il, ce n’est plus l’élève qui reçoit l’attention
de ce service, mais l’individu; l’école devient à partir de ce moment un simple point de
service où il est plus facile de rejoindre les jeunes, reléguant ainsi la réussite de
l’expérience scolaire au rang d’un objectif purement secondaire de l’intervention du
travailleur social scolaire21.
27.
Du fait de sa nouvelle appartenance au réseau des Affaires sociales, soutient le
Québec, le service social scolaire se trouve ainsi parfaitement aligné sur les exigences
du RAPC : il est assuré par des « organismes approuvés par la province » identifiés à
l’accord entre la province et le Canada, à savoir, les Centres de services sociaux
[« CSS »] et, plus tard, les Centres locaux de services communautaires [« CLSC »], en
vertu d’une législation provinciale également identifiée à l’accord, en l’occurrence la Loi
sur les services de santé et services sociaux, et répond aux différents éléments de la
20.
21.
Tableau des montants réclamés par Québec (2 septembre 2006), Pièce PGQ-1, DA,
vol. 41, p. 135;
Mémoire des faits et du droit du demandeur (sept. 2006), Dossier de l’intimée, [« DI »],
par.100-101, p. 97-98;
- 11 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
définition de « services de protection sociale » [il s’agit d’un service personnel,
d’orientation, d’évaluation de besoins et de référence]22.
28.
Les services de soutien aux personnes handicapées adultes vivant en
ressources résidentielles visés par le recours du Québec sont, pour leur part, ceux
dispensés à compter de 1986, soit à partir du moment où ce type d’hébergement pour
personnes handicapées adultes – la ressource résidentielle – fait son apparition dans le
réseau québécois de la santé et des services sociaux.
29.
La problématique qui leur est associée tire son origine du processus de
désinstitutionnalisation qui a cours au Québec, comme ailleurs au Canada, à partir des
années ’60, et qui résulte de la prise de conscience, par les autorités publiques et la
société en général, des conditions de vie réservées aux personnes présentant une
déficience intellectuelle23.
30.
Ce mouvement se traduit, dans une optique d’intégration sociale et
communautaire, par une relocalisation physique des personnes handicapées que l’on
transfère progressivement des institutions psychiatriques et des internats, où elles
étaient confinées, vers de petites résidences de quartier – la ressource résidentielle –
pouvant abriter un maximum de neuf (9) personnes bénéficiant de différents services de
soutien assurés par des Centres d’accueil de réadaptation [« CAR »]24.
31.
Jusqu’au 1er avril 1977, le Canada partage, en vertu du RAPC, le coût des
services dispensés aux personnes nécessiteuses et handicapées adultes vivant dans
des « foyers de soins spéciaux » relevant de la catégorie des « établissements de bienêtre social dont le principal objet est de fournir à ses résidents des soins personnels ou
infirmiers ou de les réadapter socialement »25.
22.
23.
24.
25.
Id., par. 97;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 174-175, par. 331;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 175, par. 332;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 176, par. 334;
- 12 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
32.
Exposé concis des faits
À compter de cette date cependant, avec l’entrée en vigueur de la Loi sur les
accords fiscaux26, c’est par le biais du programme des services complémentaires de
santé, institué aux termes de cette loi, que le gouvernement fédéral contribuera – par
voie de subvention per capita – aux coûts de ces services considérés dorénavant
comme étant des « soins en établissements pour adultes » au sens dudit programme27.
33.
Le différend entre les parties vient du fait que le Canada, s’appuyant sur l’alinéa
5(2)c) du RAPC, qui exclut du partage de coûts les frais qu’il est déjà tenu de partager
en conformité avec une autre loi fédérale, refuse de défrayer les coûts des services
dispensés dans les ressources résidentielles qui assurent à leurs résidents des services
continus et permanents [les « ressources résidentielles à assistance continue »],
puisqu’il est d’avis qu’il s’agit là de « soins en établissements pour adultes » au sens de
la Loi sur les accords fiscaux et de son règlement d’application, le Règlement de 1977
sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le
financement des programmes établis.28
34.
Le Québec fait valoir que les ressources résidentielles à « assistance continue »
ne sont pas des « établissements » au sens de cette loi puisque leurs résidents
assument eux-mêmes, à même leur revenu d’aide sociale, leurs frais de subsistance
[loyer, nourriture, vêtements, loisirs].
La ressource résidentielle échappe d’ailleurs,
ajoute-t-il, à la désignation d’« établissement » aux termes de la législation de la
province, faisant en sorte que les services qui y sont dispensés doivent être considérés
comme des « services à domicile » dont l’intensité, c'est-à-dire le fait qu’ils sont
dispensés sur une base continue et permanente, ne saurait servir à les disqualifier en
tant que « services de protection sociale ».
26.
27
28.
25-26 Elizabeth II, c. 10; RSA, vol. 2, onglet 3, p. 167;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 177, par. 336;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 178-179, par. 339; Règlement de 1977 sur
les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement
des programmes établis, DORS/78-587, RSA, vol. 2, onglet 7, p. 241;
- 13 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
35.
Exposé concis des faits
Par ailleurs, contrairement à ce que le Québec fait valoir aux paragraphes 15 et
228 de son mémoire, le Canada n’a jamais reconnu que les coûts des services de
soutien aux personnes handicapées adultes vivant en ressources résidentielles étaient
partageables, même en partie. Au moment de l’introduction du présent litige, aucune
décision finale, faute de données suffisantes, n’avait pu être prise par le Canada eu
égard à l’admissibilité desdits coûts à une contribution fédérale aux termes du RAPC.
Tous les montants que le Canada a pu verser au Québec, en marge de ce volet de la
réclamation du Québec, l’ont été à titre strictement provisoire, sous réserve expresse de
l’issue du litige29.
C.
LES JUGEMENTS D’INSTANCES INFÉRIEURES
i.
Le jugement de première instance
36.
Le 6 juin 2008, au terme d’un délibéré de près de 18 mois faisant suite à un
procès d’une durée de 18 jours au cours duquel une trentaine de témoins, dont
10 experts, ont été entendus et au delà d’une centaine de documents produits en
preuve, l’honorable juge Yves de Montigny, j.c.f., dans un jugement étoffé de
226 pages, rejetait, sous tous ses aspects, le recours de l’appelant.
Les services sociaux scolaires
37.
Procédant d’abord à dégager l’objet véritable du RAPC en le replaçant,
notamment, « dans son contexte historique et législatif plus global » 30, le premier juge
a conclu que le RAPC se voulait essentiellement un régime sélectif et résiduel de lutte
29.
30.
Défense amendée de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, DA, vol. 2, p. 203, 205,
206, 212 et 213, par. 18.29, 20.2, 20.3, et 34; Témoignage de Jean-Bernard Daudelin, DA,
vol. 24, p. 57, 58, 101, 102, 106 et 107;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 22-24, par. 30-34,
- 14 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
contre la pauvreté destiné à soutenir l’aide apportée par les provinces aux personnes
défavorisées économiquement31.
38.
Il a, ce faisant, écarté la thèse du Québec, fondée sur les travaux de l’un de ses
experts, Yves Vaillancourt, suivant laquelle le refus des autorités fédérales de partager
les coûts des services en cause en l’espèce ne pouvait s’expliquer que par une
interprétation indûment restrictive de la définition de « services de protection sociale »
dictée par une volonté de contenir l’explosion imprévue des coûts qu’entraînait ce
programme à frais partagés pour le trésor public fédéral32. Cette thèse lui est apparue
« suspecte pour plusieurs raisons »33, truffée « d’explications peu convaincantes et au
demeurant souvent alambiquées »34 et comme ne tenant « tout simplement pas la
route »35.
39.
Procédant ensuite à l’analyse de la preuve portant sur la nature du service social
scolaire au Québec durant la période en cause, il n’a pu déceler d’affinités entre sa
finalité et celle du RAPC. Ce service, a-t-il constaté, est disponible à tout élève qui
éprouve des difficultés à l’école, quel que soit le milieu socio-économique d’où il
provient; en ce sens, il est un service à vocation universelle s’adressant à une clientèle
dépassant largement celle envisagée par le RAPC, en l’occurrence les « jeunes en
besoin de protection »36.
40.
De façon plus particulière, il a jugé que rien dans la preuve n’appuyait l’idée que
le changement organisationnel de 1973, qui faisait passer le service social scolaire
dans le giron du réseau des Affaires sociales, ait eu pour effet de diluer les liens du
service social scolaire avec le monde scolaire et de faire de l’école, comme le prétend
31.
32.
33.
34.
35.
36.
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 35, par. 43; p. 42-43, par. 66; p. 52, par. 81;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 22-23, par. 30; p. 33 par. 48;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 33, par. 48;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 35, par. 53;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 43-44, par. 67;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 171-172, par. 323;
- 15 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
l’appelant, un simple point de service où il est plus commode de rejoindre les jeunes37.
Cette description du service social scolaire lui est apparue comme correspondant « à
une vision tronquée de la réalité »38.
41.
La preuve, a-t-il constaté, révèle plutôt, « indubitablement », que le lien d’emploi
et le rattachement administratif des travailleurs sociaux scolaires au ministère des
Affaires sociales « ne semblaient pas avoir fondamentalement affecté leur tâche et
avaient été beaucoup moins déterminants que leur lien institutionnel avec le monde de
l’éducation »39. Aussi loin que l’on remonte, poursuit-il, les services sociaux scolaires
ont été conçus comme un service complémentaire à la mission éducative des
institutions scolaires dont ils épousent les objectifs, la finalité et la spécificité, si bien
que l’on ne peut admettre qu’en ce domaine, comme le soutient l’appelant, les besoins
de l’enfant, en tant qu’individu, priment sur ceux de l’élève40.
42.
Enfin, et de façon subsidiaire, le juge de première instance en est arrivé à la
conclusion que l’exclusion des services concernant l’enseignement, contenue à la
définition de « services de protection sociale », ne venait que « confirmer, si besoin
était, que les services sociaux scolaires ne sont pas des ‘services de bien-être social’
tels que définis dans le RAPC »41. Il a exprimé l’avis, à cet égard, qu’il était tout à fait
approprié de raisonner en termes institutionnels plutôt que substantifs et qu’en
conséquence, une conception ouverte du terme « enseignement », englobant à la fois
l’idée de l’apprentissage scolaire traditionnel et celle, plus large, du développement
complet de l’enfant, paraissait mieux s’accorder avec l’intention du législateur, que
l’interprétation limitative proposée par le Québec42.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
Id.
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 160, par. 300;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 165, par. 311;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 160, par. 301; p. 168-169, par. 316-317;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 174, par. 330;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 172-173, par. 324-328;
- 16 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
Les services de soutien aux personnes handicapées adultes vivant en ressources
résidentielles à assistance continue
43.
Le juge de première instance a rejeté l’ensemble des prétentions du Québec
voulant que ces services soient des « services de protection sociale » au sens du
RAPC parce que dispensés, en quelque sorte, au « domicile » de l’usager43.
44.
Cette thèse, selon le premier juge, se heurte à plusieurs obstacles liés à la
nature et à l’intensité des services dispensés dans ce type de ressources et aux
rapports étroits unissant celles-ci à l’organisme étatique, le CAR, dont elles dépendent
pour les services qui y sont dispensés.
D’une part, les résidents de ces ressources
requièrent un encadrement continu pour être en mesure de fonctionner et ne peuvent
être laissés à eux-mêmes. Il s’agit là d’une forme de soutien qui cadre mal, note-t-il,
avec la nature nécessairement ponctuelle qui caractérise le « service à domicile »44.
Quoique plus personnalisés, en raison du nombre plus faible de résidents, les services
de soutien aux personnes handicapées adultes vivant en ressources résidentielles à
assistance continue demeurent, conclura-t-il, à toutes fins pratiques similaires à ceux
dispensés en milieu institutionnel45.
45.
D’autre part, constate le premier juge, la ressource résidentielle à assistance
continue ne saurait être considérée comme un véritable « domicile » en raison de son
rapport particulier à l’organisme dispensateur de services46, lequel demeure, en tout
temps, « imputable vis-à-vis des usagers des ressources résidentielles » 47.
46.
La preuve à cet effet est sans équivoque, estime-t-il : l’organisme est impliqué
dans le choix des résidences et dans le pairage des résidents; il demeure responsable
du personnel fournissant les services; il est légalement responsable du bail de la
43.
44.
45.
46.
47.
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 212, par. 400;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 215-216, par. 407;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 217, par. 410;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 220-221, par. 416;
Id.
- 17 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des faits
résidence ou s’en porte garant; il gère les chèques d’aide sociale des résidents; il
installe dans la résidence, considérée comme le lieu de travail des intervenants du
CAR, filières, journaux de bord et babillards d’affichage; et il est représenté au conseil
d’administration des organismes sans but lucratif qui sont propriétaires, dans la plupart
des cas, des habitations utilisées comme ressource résidentielle48.
47.
Le juge de première instance n’a eu aucune difficulté à conclure que les services
en cause correspondaient à des « soins en établissement pour adultes » au sens de la
Loi sur les accords fiscaux, déjà financés par le Canada aux termes de cette loi et, par
conséquent, exclus de toute forme de partage de coûts en vertu du RAPC49.
ii. Le jugement de la Cour d’appel
48.
Le 9 décembre 2009, la Cour d’appel fédérale, dans un jugement succinct,
rejetait à l’unanimité l’appel logé par l’appelant.
49.
Elle a jugé, en substance, que l’appelant n’avait pas démontré quelque erreur de
la part du premier juge dans le traitement de ce qui lui est apparu être des questions
mixtes de droit et de faits. Elle a noté la minutie avec laquelle ce dernier a procédé à
l’examen de la preuve produite par les parties et le soin qu’il a pris à justifier ses
conclusions de faits.
Estimant que ce travail d’analyse et d’appréciation des faits
méritait déférence de sa part, elle a ajouté que les conclusions tirées par le juge
d’instance lui paraissaient, en tout état de cause, amplement étayées par la preuve50.
48.
49.
50.
Id.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 222-223, par. 420;
Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA, vol.1, p. 270-271, 275, par. 26, 27, 39-40;
- 18 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé concis des questions en litige
PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS EN LITIGE
50.
Le présent appel pose essentiellement la question de savoir si les tribunaux
d’instances inférieures ont erré de manière à justifier l’intervention de cette Cour,
lorsqu’ils ont conclu que le Canada n’était pas tenu, aux termes du RAPC, de
partager les coûts des dépenses engagées par le Québec à diverses périodes au cours
de la durée de vie de ce régime, au titre des services sociaux scolaires, et au titre des
services de soutien aux personnes handicapées adultes vivant en ressources
résidentielles à assistance continue.
51.
Le Canada est d’avis que cet appel doit échouer, l’appelant ne s’étant pas
déchargé du fardeau qui était le sien de démontrer que les conclusions auxquelles en
sont arrivés les tribunaux d’instances inférieures sont viciées de quelque façon.
--------PARTIE III – EXPOSÉ DES ARGUMENTS
A.
LES SERVICES SOCIAUX SCOLAIRES NE SONT PAS DES « SERVICES DE
PROTECTION SOCIALE » AU SENS DU RAPC
i.
52.
Le cadre d’analyse
Ce litige soulève, pour l’essentiel, des questions mixtes de faits et de droit. Dans
le cas des services sociaux scolaires, il s’agit de dégager, à partir de la preuve, la
nature véritable de ces services et de voir si, de par leur nature, ils répondent à la
définition de « services de protection sociale » au sens du RAPC, telle que celle-ci se
révèle de l’application des règles d’interprétation statutaire.
53.
À cet égard, le cadre d’analyse est clair : les conclusions de faits tirées par le
juge d’instance sur la nature véritable de ces services ne peuvent être modifiées en
- 19 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
appel qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante51, une règle de retenue
judiciaire qui vaut autant pour l’appréciation de la crédibilité des témoins ordinaires que
pour celle des témoins experts52.
54.
Quant à l’interprétation que doivent recevoir les textes statutaires pertinents, un
seul principe prévaut désormais : quelle que soit la nature de la loi en cause, il faut
déterminer l’intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur
contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et
l’objet de la loi53. C’est dans cette optique d’ailleurs que les juges majoritaires de cette
Cour, dans Finlay c. Ministre des Finances54, invitaient à dissiper toute ambiguïté dans
le texte du RAPC au moyen de l’interprétation qui en respecte l’objectif global.
55.
Par ailleurs, le présent appel a ceci de particulier : institué sans qu’il lui soit
nécessaire d’obtenir l’autorisation préalable de cette Cour, le Québec y a en quelque
sorte dupliqué son mémoire de la Cour d’appel. Le mémoire déposé en l’instance est
en somme construit comme s’il s’agissait ici du premier palier d’appel, le Québec
réitérant ses attaques contre les conclusions de faits du premier juge, sans tenir compte
de celles de la Cour d’appel. Cela ne laisse d’autre choix, de l’avis de l’intimée, que de
revoir, lorsque nécessaire, l’ensemble des éléments factuels du dossier dont
l’appréciation est remise en cause par l’appelant.
51.
52.
53.
54.
Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 23-25, RSA, vol. 3, onglet 12, p. 76; H.L.
c. Canada, (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, par. 76, 110, RSA, vol. 3, onglet 11,
p. 55; Elders Grain Co. c. M/V Ralph Misener, [2005] A.C.F. 612, par. 9-11, Recueil de
sources de l’intimée [« RSI »], onglet 7, par. 6 à 12;
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] R.C.S. 351, RSI, onglet 8, p. 358 à 361;
Toneguzzo-Norvell c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114, RSI, onglet 9, p. 121 à 123;
Dicaire c. Ville de Chambly, [2008] J.Q. no 113 (C.A.Q.), RSI, onglet 10, par. 24 à 26, 3839;
R. c. Craig, 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, par. 81, RSI, onglet 11, par. 70 et 81; R. c.
Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, RSI, onglet 12, par. 77; Bell Express Vu Ltd, Partnership c.
Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, RSI, onglet 13, par. 26-27; Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c.
Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, RSI, onglet 14, p. par. 21 et 67;
[1993] 1 R.C.S. 1080, 1123-1124, RSA, onglet 10, vol. 3, p. 44-45;
- 20 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
56.
Exposé des arguments
À ce dernier égard, le Québec a placé dans son dossier d’appel en l’instance pas
moins de soixante-dix (70) documents non cotés en preuve au procès55, c'est-à-dire
des documents qui, contrairement au modus operandi arrêté par les parties au moment
de la conférence préparatoire précédant le procès56, n’ont pas été portés de façon
spécifique et particulière à l’attention du juge du procès, n’ont donc pas subi le test de
la pertinence et de la force probante et n’ont pas fait l’objet d’une appréciation
particulière en cours de délibéré et, ultimement, dans le jugement de première
instance57. Tout renvoi à ces documents par le Québec doit donc être replacé dans ce
contexte et leur poids respectif aux fins du présent appel, évalué en conséquence.
ii.
La lutte à la pauvreté est au cœur du mandat du RAPC tout comme elle est
explicitement au centre de la définition de « services de protection sociale »
57.
Le libellé du RAPC recèle des indices probants d’un régime dont le principal
objectif est de soutenir financièrement des programmes destinés à prévenir et à
éliminer les causes de pauvreté et de dépendance à l’assistance publique.
Le
préambule du RAPC est explicite à cet égard58.
58.
Cela se vérifie également quant à la clientèle à qui ces programmes sont censés
profiter, à savoir les « personnes nécessiteuses » et celles en « proximité de besoins »,
c'est-à-dire la clientèle des défavorisés socioéconomiques59.
59.
Cela se vérifie aussi du libellé de la définition de
« services de protection
sociale » qui circonscrit cette notion aux services dont l’objet est « d’atténuer, de
55.
56.
57.
58.
59.
Documents non cotés en preuve, DA, vol. 25 à 41;
Ordonnance de la Cour fédérale faisant suite à la conférence préparatoire (règle 263) et
comprenant la liste des questions à trancher (1eroctobre 2004), DA, vol. 3, par. 3(a)i), p. 2;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, par. 17, p. 11;
Dossier de réponse de l’Intimée [En réponse à la requête de l’appelante en prorogation de
délais, détermination du contenu du dossier d’appel et fixation du nombre de pages des
mémoires], DI, par. 5 à 16, p. 147 à 149; Ordonnance du juge en chef sur le dossier
d’appel, l’échéancier et le nombre de pages des mémoires, DI, p. 175-176;
Supra, par. 15;
RAPC, a. 2, RSA, vol. 1, onglet 1, p. 44-45;
- 21 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
supprimer ou de prévenir les causes et les effets de la pauvreté, du manque de soins à
l’égard des enfants ou de la dépendance de l’assistance publique »60.
60.
La nomenclature de services prévue à cette définition, même si elle n’est pas
limitative, ne saurait conférer, à l’un ou l’autre de ces types de services, le statut de
« services de protection sociale » que s’ils poursuivent cet objectif.
C’est la seule
lecture de la définition de « services de protection sociale » qui soit compatible avec
son propre objet et celui du RAPC. Autrement, il faudrait classer comme « services de
protection sociale » tout genre de « services ménagers à domicile » [alinéa d) de la
définition], incluant ceux auxquels fait appel une tranche importante des couches aisées
de la population, ou encore tout genre de « services d’orientation » ou de
« counselling » [alinéa b) de la définition], incluant ceux que s’offrent, par exemple, les
professionnels en situation de réorientation de carrière ou encore les familles aisées
faisant face à des difficultés matrimoniales ou à des conflits parents-enfants, un résultat
tout aussi incongru qu’incompatible avec la nature de la loi en cause.
61.
Aussi, le Parlement, en insérant l’alinéa 5(2)c), lequel limitait l’autorité du Canada
à verser des contributions aux termes du RAPC aux seuls coûts pour lesquels il n’était
pas déjà tenu de contribuer aux termes d’une autre loi fédérale, a voulu que le RAPC
soit un régime de dernier recours, exclusivement dédié à la lutte à la pauvreté.
62.
Le RAPC est une mesure d’ingénierie sociale associée à une époque, à un
contexte, à une évolution sociopolitique; il s’inscrit plus particulièrement dans le
développement mouvementé des programmes à frais partagés au Canada, avec toute
la dynamique fédérale-provinciale que cela implique. Pour en saisir de façon la plus
complète possible les tenants et aboutissants, les parties, tel que le permettent les
règles d’interprétation statutaires, lesquelles autorisent le recours à un certain nombre
de facteurs externes dans la recherche de l’intention du législateur61, ont fait appel à
60.
61.
Id., p. 45;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 23-24, par 33; Sullivan and Driedger on the
Construction of Statutes, 4th ed., Butterworths (2002), p. 259 à 262, RSI, onglet 16;
- 22 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
des experts en politiques sociales qui ont produit rapports et témoignages décrivant le
RAPC à partir des circonstances de son adoption jusqu’à celles de son abrogation62.
63.
Les conclusions du rapport de l’expert Keith Banting, produit par l’intimée
résument bien la genèse et l’évolution du RAPC en tant qu’instrument de lutte à la
pauvreté :
77. Several broad trends stand out in this history of social assistance as
it evolved in Canada from the 1920s until 1995. First, social assistance
and social services remained the primary responsibility of provincial
governments. In contrast to other major components of the income
security system, such as unemployment insurance and pensions, the
federal role flowed exclusively through shared-costs programs which
supported the development of provincial social assistance and social
service programs. Second, social assistance remained a selective
program, which targeted assistance on poor people through an
individual test of their situation. Although the form of the test evolved
over time, the essentially selective nature of social assistance remained
a constant feature in this period.
78. Both of these traditions culminated in the CAP. The Plan’s historical
roots can be traced in an unbroken line from the 1927 Old Age Pension,
through the categorical programs – the 1951 Old Age Assistance, the
1951 Blind Persons Act, and the 1954 Disabled Persons Act – and on
through the 1956 Unemployment Assistance Act. Although the CAP
significantly expanded the range of federal support, it remained a
selective program to the end. There were defined limits to the range of
services it supported, and the needs test defined its essential mission.
79. In its early years, the CAP was a major expansive force in social
assistance and social services in Canada, supporting the expansion,
modernization and professionalization of provincial programs. In this
period, the Plan made a major contribution to the development of social
security in Canada. By the 1970s, however, the limitations of the CAP
began to appear, as provinces began to experiment with new
approaches to income security and social services. These limitations
were inherent in the CAP’s design as a selective, needs-tested
program. Major efforts to escape the constraints during the Social
Security Review of the mid-1970s failed, and the CAP’s constraints
remained intact as Canada moved into a new era in the 1980s, one
62.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 24, par. 34;
- 23 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
dominated by pressures for fiscal restraint and diminished enthusiasm
for the expansion of social programs. Ad hoc adjustments and shadow
tests certainly eased some of the friction at the interface between CAP
and other social programs, but other boundaries could not be avoided
63
.
64.
Après avoir tenté de démontrer que le RAPC avait fait l’objet d’une interprétation
« mesquine et réductrice » de la part des autorités fédérales64, une prétention au
soutien de laquelle le premier juge a dit qu’il n’y avait pas « l’ombre d’un début de
preuve »65, le Québec s’est employé à tenter de développer au procès, par le biais du
témoignage d’un de ses experts, Yves Vaillancourt, la thèse voulant que l’ajout tardif
des « services de protection sociale » à la matrice originale du RAPC, laquelle ne visait
que l’assistance publique, et l’élargissement de la clientèle admissible aux fins du
partage des coûts de ces services à la clientèle des « personnes en proximité de
besoins », viennent opérer un virage « majeur », « substantiel » et « important » dans
l’orientation sélective du RAPC66.
65.
Suivant cette thèse, il fallait désormais voir dans le RAPC un régime à deux
grands volets mus par des objectifs qui leur sont propres, faisant en sorte qu’il n’était
plus permis de parler de la sélectivité du RAPC sans distinguer entre la sélectivité des
clientèles et celle des programmes de « services de protection sociale », la première,
propre au volet assistance, étant, suivant cette théorie, beaucoup plus étendue que la
seconde.
66.
Or, cette prétention s’est avérée en parfaite contradiction avec les écrits
antérieurs de l’expert qui la soutenait au nom de l’appelant, écrits où la distinction que
celui-ci a tenté d’opérer au procès est totalement absente et où le RAPC, dans son
ensemble, est présenté comme un instrument « hautement sélectif », « dépassé par
63.
64.
65.
66.
Rapport d’expertise de Keith Banting (28 janvier 2005), Pièce D-32, DA, vol. 49, p. 155156;
Rapport d’expertise d’Yves Vaillancourt, professeur titulaire (septembre 2005), DA,
vol. 44, p. 94;
Jugement de première instance, DA, vol.1, p. 47, par. 72;
Témoignage d’Yves Vaillancourt, DA, vol. 18, p. 138;
- 24 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
l’expérience de certaines provinces qui voulaient aller de l’avant en construisant des
services de bien-être social moins sélectifs » et impossible à utiliser « pour partager les
coûts des programmes qui ne ciblaient pas les personnes pauvres »67. Plus révélateur
encore, cet expert ne voyait à cette époque, dans l’ajout de dernière heure des services
de protection sociale à la matrice originale du RAPC, qu’une « bien mince ouverture »;
pour lui, l’orientation sélective du RAPC allait être « imposée également aux services
de bien-être social » et le RAPC, malgré cette bonification, allait demeurer une « loi de
dernier recours »68.
C’est sans hésitation que cette prétention a été rejetée par le
premier juge.69
67.
La caractérisation du RAPC, en tant que programme sélectif et résiduel destiné à
soutenir les programmes visant à lutter contre la pauvreté par le biais de diverses
formes d’aides aux plus démunis de la société canadienne, transparaît nettement tant
du texte du RAPC que de la preuve. Cette caractérisation, inscrite pour ainsi dire dans
les gênes du RAPC, est d’ailleurs conforme à la compréhension qu’en avait la très
grande majorité des auteurs qui s’y sont intéressés et des acteurs politiques de
l’époque70.
iii.
L’erreur d’appréciation générale de la portée de l’expression « services de
protection sociale » reprochée par l’appelant au premier juge et liée à la
manière dont le RAPC a pu être appliqué, ne résiste pas à l’analyse
68.
Le Québec insiste maintenant, extraits des paragraphes 57 et 58 du jugement à
l’appui, sur le fait que le juge d’instance aurait commis une erreur générale
d’appréciation de la portée de l’expression « services de protection sociale » en
67.
68.
69.
70.
Thèse de doctorat d’Yves Vaillancourt (février 1992), Pièce D-25, DA, vol. 48, p. 111 à
113, 143 à 145;
Id., p. 113 à 117;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 52, par. 81;
Id.;
- 25 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
statuant qu’un service ne peut être un « service de protection sociale » si le programme
provincial qui le prévoit ne s’adresse pas qu’aux personnes pauvres71.
69.
Une telle approche dénoterait, selon lui, une vision étroite et figée du RAPC
faisant fi de la compréhension que les parties en aurait toujours eue, le Canada ayant
partagé tout au long de son existence, sur la base d’un découpage des clientèles, les
coûts de « services de protection sociale » qui n’étaient pas destinés exclusivement à la
clientèle des personnes nécessiteuses ou en proximité de besoin. Or, tel que la Cour
d’appel l’a constaté, cette prétention repose sur une lecture erronée des motifs de la
décision du premier juge72.
70.
L’appelant attribue en effet aux extraits du jugement de première instance qu’il
invoque une portée qu’ils n’ont tout simplement pas.
Lorsqu’on lit cette partie du
jugement dans son ensemble, l’on constate que le premier juge s’applique à démontrer
non pas qu’un service ne peut être un « service de protection sociale » si le programme
provincial qui le prévoit ne s’adresse pas qu’aux personnes pauvres, mais bien plutôt
que pour que les coûts d’un programme de services de protection sociale soient
partageables, « en tout ou en partie, selon la nature de la clientèle », encore faut-il que
le programme lui-même soit agréé par le gouvernement fédéral et, donc, s’inspire de la
logique du RAPC73.
71.
C’est précisément cette idée qui se dégage, encore une fois, du paragraphe 57
de son jugement, où il dit qu’il ne lui « paraît pas douteux, compte tenu de la logique du
RAPC, que l’objectif même d’un service devait être de lutter contre la pauvreté, à défaut
de quoi le programme dans son ensemble ne pouvait être admissible au partage des
coûts, même pour la portion de ses usagers qui auraient pu être admissibles compte
tenu de leurs besoins ».
71.
72.
73.
Mémoire de l’appelant, par. 32-33;
Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA, vol. 1, p. 267-269, par. 16-21;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 36-37, par. 56;
- 26 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
72.
L’appelant manque la cible ici.
Exposé des arguments
Non fondé à sa face même, parce que le
jugement démontre clairement que le premier juge était bien conscient des découpages
de clientèles effectués dans le cadre de la gestion des réclamations de la province, ce
moyen est par surcroît inutile à la résolution du présent appel parce que ces
découpages ne s’effectuaient qu’à l’égard de programmes préalablement agréés par le
Canada comme répondant à la logique du RAPC, ce qui n’est pas le cas, notamment,
comme le premier juge en a décidé, du programme des services sociaux scolaires.
73.
Ainsi, aussi généreuse, extensive ou évolutive soit-elle, l’interprétation du RAPC
ne peut avoir pour résultat d’assujettir le Canada au partage des coûts de services qui
ne s’inscrivent pas dans cette logique.
74.
Le RAPC doit d’ailleurs bien avoir rempli sa mission lorsque l’on constate que les
sommes versées par le gouvernement fédéral aux termes du RAPC sont passées de
342 millions de dollars, pour sa première année d’opération, à plus de 7.8 milliards de
dollars pour sa dernière74.
Incidemment, les sommes qui sont en jeu ici, selon
l’évaluation qu’en a faite le premier juge, représentent à peine 1,1% du total des
sommes versées au Québec au cours des trente années d’existence de ce régime de
partage de frais.
75.
Il faut croire aussi que les autorités fédérales ont appliqué le RAPC avec toute la
souplesse possible lorsque, avec l’émergence des programmes sociaux à caractère
universel dans les années ’70, celui-ci entre en « contradiction », en « collision », avec
ces programmes, lesquels ne sont pas conçus pour s’arrimer avec cet instrument de
partage de frais75. Suivant la preuve, elles parviendront, avec leurs homologues des
provinces, à « trouver des compromis et à déjouer certaines contraintes du RAPC »76,
alors qu’elles auraient très bien pu, en principe, opposer une fin de non-recevoir au
partage des coûts de ces programmes.
74.
75.
76.
Tableau – Appendix A – CAP Statistics, Pièce D-27, supra, note 7;
Témoignage de Keith Banting, DA, vol. 20, p. 142-147; Thèse de doctorat d’Yves
Vaillancourt (février 1992), Pièce D-25, DA, vol. 48, p. 143 à 145, 184;
Thèse de doctorat d’Yves Vaillancourt (février 1992), Pièce D-25, DA, vol. 48, p.146;
- 27 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
76.
Exposé des arguments
Toutes les autres provinces, qui ont, elles aussi, au cours de la période en litige,
dispensé des services aux jeunes délinquants, des services sociaux en milieu scolaire
et des services de soutien en ressources résidentielles, semblent y avoir trouvé leur
compte.
iv.
Les services sociaux scolaires poursuivent une finalité qui n’est pas celle du
RAPC
77.
L’appelant a défendu, et défend encore, la vision d’un service social générique,
sans lien obligé avec l’expérience scolaire, où le sujet d’attention, dans une optique de
prévention, est l’enfant, et non l’élève. Pour elle, l’école a un rôle utilitaire : elle permet,
puisqu’ils y passent beaucoup de temps, de rejoindre les enfants, clientèle cible du
service social scolaire. Or, cette vision du service social scolaire n’a pas tenu sous le
poids de la preuve.
78.
En 1966, au moment de l’adoption du RAPC, le service social scolaire est une
discipline bien implantée partout en Amérique du Nord.
Au Québec, il s’implante
d’abord dans les commissions scolaires des grands centres urbains, comme Montréal,
Québec et Sherbrooke. Sous l’impulsion de la publication, en 1964, du Rapport de la
Commission Parent sur la réforme de l’éducation au Québec, lequel prône un droit
effectif à l’éducation pour tous et présente le service social scolaire comme partie
prenante du renouvellement de l’éducation, le nombre de commissions scolaires se
dotant d’un tel service se multiplie77.
79.
Comme partout ailleurs au Canada et dans la plupart des pays occidentaux, le
service social scolaire québécois est, à l’époque, rattaché, sur tous les plans, à l’univers
de l’éducation; il est sur le fond, d’abord et avant tout, au service de l’école. Implanté
par et dans les commissions scolaires, il se veut un service intégré, spécifique aux
77.
Rapport d’expertise de Lionel-Henri Groulx (27 mai 2005), Pièce D-44, DA, vol. 50, p. 84;
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), PGQ-3, DA, vol. 41, p. 165-168;
- 28 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
problématiques socio-scolaires, dont la finalité est d’aider les enfants à utiliser au
maximum le programme d’enseignement et d’éducation qu’on leur offre et de permettre
ainsi à l’école de réussir sa mission78.
80.
Le mandat du service social scolaire est alors, et demeurera, en lien direct avec
la mission de l’école dont le mandat, fondamental dans une société, est de faire de ses
jeunes citoyens des citoyens éduqués, civilisés et de culture. Ce service y contribue en
tant que service d’appui aux élèves dans leur cheminement scolaire de manière à éviter
que des difficultés qui ne sont pas d’ordre strictement pédagogique les empêchent de
bénéficier de l’expérience scolaire79. Il participe, de ce fait, à la réalisation d’un droit
effectif à l’éducation, et ce, quel que soit le milieu socioéconomique d’où provient
l’élève80.
81.
Comme c’est le cas à l’extérieur des frontières de la province, le service social
scolaire québécois épouse les objectifs et la finalité du milieu scolaire, d’où la norme de
pratique qu’il s’est toujours imposée de ne traiter que les cas de dysfonctionnement
social qui entravent la réussite scolaire ou encore l’intégration sociale de l’élève à
l’école81.
82.
Cette vision du service social scolaire québécois se révèle, entre autres, de la
preuve documentaire émanant de diverses sources institutionnelles interpellées par le
service social scolaire, que ce soit l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du
Québec82, les regroupements formels de travailleurs sociaux scolaires créés au fil des
78.
79.
80.
81.
82.
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), PGQ-3, DA, vol. 41, p.162-165; Rapport d’expertise de Lionel-Henri Groulx (27 mai
2005), Pièce D-44, DA, vol. 50, p. 82-83;
Témoignage de Jean-Bernard Robichaud, DA, vol. 21, p. 150 à 152;
Témoignage de Lionel-Henri Groulx, DA, vol. 22, p. 162-163;
Témoignage de Lionel-Henri Groulx, DA, vol. 22, p. 166;
Énoncé de principes de la Corporation des travailleurs sociaux du Québec (24 février
1967), Pièce D-9, DA, vol. 45, p. 11; Guide pour la pratique professionnelle des
travailleurs sociaux exerçant en CLSC et en milieu scolaire par l’Ordre professionnel des
travailleurs sociaux du Québec 92-93 (juin 1997), Pièce D-10, DA, vol. 45, p. 18;
- 29 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
ans83, le réseau des commissions scolaires84, les Centres de services sociaux
[« CSS »], responsables, à partir de 1973, de la prestation des services sociaux
scolaires, leur association, l’Association des Centres de services sociaux du Québec85,
ou encore les Centres locaux de services communautaires [« CLSC »]86, qui
succéderont progressivement aux CSS à compter du milieu des années ’80.
83.
La preuve documentaire émanant de la Corporation des travailleurs sociaux du
Québec – rebaptisée l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec – est
particulièrement révélatrice; elle offre, à trente (30) ans d’intervalle, soit d’abord en
1967, année qui suit celle de la mise en œuvre du RAPC, puis en 1997, année suivant
l’abrogation de celui-ci, la vision du service social scolaire de cet Ordre professionnel,
une vision uniforme, empreinte d’une continuité certaine dans la définition du mandat
de cette discipline, de ses objectifs et de son champ d’intervention87.
83.
84
.
85.
86.
87.
Ricard et Vallières (mai 1991), Pièce D-51, DA, vol. 51, p. 196; Le regroupement des
professionnels
en service social scolaire Montréal-Métro/Cadre de partage des
responsabilités CSS-CLSC en matière de services sociaux (4 juin 1985), Pièce D-14, DA,
vol. 45, p. 86; Vallières et St-Jean (1993), Pièce D-52, DA, vol. 51, p. 204;
Copie pamphlet – Le travailleur social CECM 1983, Pièce D-4, DA, vol. 44, p. 179; Le
rattachement administratif des services sociaux scolaires CECM (13 janvier 1984), Pièce
D-8, DA, vol. 45, p. 3; Bureau du service social B. Michaud (16 mars 1965), Pièce D-45,
DA, vol. 51, p. 1; Rapport Landry-Matheson (10 mai 1993), Pièce D-55, DA, vol. 51,
p. 216; Guide de référence de cas du CSSMM (30 juin 1982), Pièce D-56, DA, vol. 51,
p. 223-224;
Guide pratique des problématiques pouvant être rencontrées en service social scolaire
(17 juin 1979), Pièce D-5, DA, vol. 44, p. 181; Les services sociaux scolaires dans les
centres de services sociaux (janvier 1983), Pièce D-6, DA, vol. 44, p. 193; Transfert des
services sociaux scolaires CECM (13 janvier 1984), Pièce D-7, DA, vol. 45, p.1; Annexe 3
– Tâches de soutien à l’enseignement, tâches de soutien à l’école ou à l’élève, tâches de
système, source CSSMM – Montréal, Pièce D-13, DA, vol. 45, p. 80; Nomenclature du
programme des services sociaux en milieu scolaire (6 septembre 1979), Pièce D-49, DA,
vol. 51, p. 175; « Commentaires sur le projet de transfert des services sociaux scolaires
aux centres locaux de services communautaires » de Berthe Michaud (31 janvier 1984),
Pièce D-50, DA, vol. 51, p. 190;
Formulaire de demande en service social (milieu scolaire) CLSC des Patriotes (2005),
D-12, DA, vol. 45, p. 79;
Énoncé de principes de la Corporation des travailleurs sociaux du Québec (24 février
1967), Pièce D-9, DA, vol. 45, p. 11; Guide pour la pratique professionnelle des
travailleurs sociaux exerçant en CLSC et en milieu scolaire par l’Ordre professionnel des
travailleurs sociaux du Québec 92-93 (juin 1997), Pièce D-10, DA, vol. 45, p. 18;
- 30 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
84.
Exposé des arguments
Terminologie revampée certes, mais même idée, même concept, même lien
intime avec l’expérience scolaire : le service social scolaire se préoccupe du
fonctionnement social à l’école, du développement et de l’adaptation de l’élève; c’est le
rôle d’élève qui reçoit son attention; la fonction spécifique du travailleur social scolaire
consiste à ajouter sa compétence professionnelle à celle d’autres spécialistes de l’école
pour aider les enfants à utiliser au maximum le programme d’enseignement et
d’éducation qu’on leur offre; le service social scolaire intervient donc sur ce qui est
susceptible d’influer sur l’expérience scolaire et agit ainsi en complément à la mission
éducative de l’école88.
85.
L’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec rappellera d’ailleurs,
dans son document de 1997, cette « longue tradition » du service social scolaire au
Québec, remontant au début des années ’60 et l’expertise professionnelle « spécifique,
riche et solide » qu’elle aura permis de développer « au cours des trente dernières
années »89.
86.
Comme la Cour d’appel l’a noté, il suffit de s’attarder aux causes d’intervention
du service social scolaire pour se convaincre de l’importance du champ d’intervention
de ce service et du lien indéniable qui le soude au vécu scolaire : l’absentéisme, la
violence et la toxicomanie en milieu scolaire; l’échec scolaire et son impact psychosocial; la mésadaptation socio-affective à l’école; les difficultés d’intégration et
d’adaptation scolaires de certains élèves; le milieu scolaire face aux réactions de deuil
chez certains enfants; la phobie scolaire; les conflits de valeurs école-famille et leurs
répercussions sur l’enfant; la suspension ou l’expulsion de l’élève et ses aspects
88.
89.
Id.
Guide pour la pratique professionnelle des travailleurs sociaux exerçant en CLSC et en
milieu scolaire par l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec 92-93 (juin
1997), Pièce D-10, DA, vol. 45, p. 18;
- 31 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
psycho-sociaux; les aspects psycho-sociaux négatifs du transport scolaire, pour ne
nommer que celles-là90.
87.
En janvier 1983, soit dix (10) ans après le changement organisationnel qui fait
passer le service social scolaire sous la responsabilité du réseau des Affaires sociales,
l’Association des centres de services sociaux du Québec, ceux-là mêmes qui héritent
alors de la responsabilité de la dispensation des services sociaux scolaires, fait le point
sur la pratique du service social scolaire au Québec : la raison d’être de ce service
demeure encore, selon cet organisme, de « contribuer à la réalisation de la mission de
l’éducation (former des citoyens instruits, autonomes et responsables) en solutionnant
les problèmes psycho-sociaux qui entravent la réalisation du processus éducatif chez
certains élèves » et son objet, « de réduire les impacts de situations qui, dans la vie des
élèves, affectent leur capacité à s’intégrer dans le régime scolaire et à suivre la
démarche éducative conçue pour eux »91.
88.
À l’évidence, les services sociaux scolaires ne sont pas des services qui ont pour
finalité d’atténuer, de supprimer, ou de prévenir les causes et les effets de la pauvreté
ou de la dépendance de l’assistance publique; leur finalité ne s’inscrit tout simplement
pas dans la logique du RAPC.
v.
L’élève qui reçoit un service social scolaire n’est pas un « enfant en manque
de soins » au sens du RAPC
89.
La finalité du service social scolaire n’est pas davantage d’atténuer, de
supprimer, ou de prévenir les causes et les effets « du manque de soins à l’égard des
enfants ». L’élève qui reçoit un service social scolaire n’est pas un « enfant en manque
de soins » au sens de la définition de « services de protection sociale ». En effet, la
clientèle «jeunesse » du RAPC a été clairement identifiée par le premier juge dans la
90.
91.
Guide pratique des problématiques pouvant être rencontrées en service social scolaire
(17 juin 1979), Pièce D-5, DA, vol. 44, p. 181; Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA,
vol. 1, p. 269, par. 22;
Les services sociaux scolaires dans les centres de services sociaux (janvier 1983), Pièce
D-6, DA, vol. 44, p. 195;
- 32 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
partie de son jugement portant sur les jeunes délinquants. Il s’agit des « jeunes en
besoin de protection », des termes qui ont une consonance précise et particulière dans
notre environnement juridique92. Au Québec, il s’agit des jeunes visés par l’article 38 de
la Loi sur la protection de la jeunesse, c'est-à-dire d’enfants abandonnés, victimes de
négligence, d’abus physiques ou sexuels, de mauvais traitements psychologiques ou
encore de troubles de comportement sérieux.
90.
Or, l’élève qui, au Québec, reçoit des services sociaux scolaires pendant la
période en litige, n’est pas un « jeune en besoin de protection »; il n’est pas visé par
l’article 38 de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le service social qu’il reçoit est
rattaché à un univers distinct de celui que reçoit le « jeune en besoin de protection »
tant sur les plans statutaire [la législation sur l’éducation le reconnaît comme un service
de soutien à l’élève93], que structurel [il a ses propres structures organisationnelles à
l’intérieur des CSS94 et les travailleurs sociaux scolaires ont leur propre base
organisationnelle95], et organique [il a un rapport intime à la mission éducative de l’école
en tant qu’institution fondamentale de notre société]. Le Québec, rappelons-le, n’en a
pas appelé de ce volet du jugement de première instance identifiant la clientèle
« jeunesse » du RAPC.
91.
Comme le juge de première instance l’a bien compris, c’est dans l’optique
générale de l’atténuation, de la suppression et de la prévention des causes et des effets
de la pauvreté et de la dépendance à celle-ci, qu’il faut comprendre l’inclusion de la
92.
93.
94.
95.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 105-106, par. 185 à 187;
Règlement relatif à la définition de ce qui constitue une fonction pédagogique ou éducative
pour les fins de la Loi sur l’instruction publique, A.C. 1417, 25 mars 1970, G.O.Q. vol. 102,
no 14, RSI, onglet 1, par. 1(b); Régime pédagogique du primaire et du préscolaire, Décret
551-81, 25 février 1981, G.O.Q. 15 avril 1981, 113e année, no 15, RSI, onglet 2, a. 10;
Régime pédagogique du secondaire, Décret 552-81, 25 février 1981, G.O.Q. 15 avril
1981, 113e année, no 15, RSI, onglet 3, a. 11; Loi sur l’instruction publique, L.Q. c. 84, a. 1
à 3, RSI, onglet 4; Régime pédagogique de l’éducation préscolaire et du primaire, Décret
73-90, 24 janvier 1990, G.O.Q. 14 février 1990, 122e année, no 7, RSI, onglet 5, a. 5(10):
Régime pédagogique de l’enseignement secondaire, Décret 74-90, 24 janvier 1990,
G.O.Q. 14 février 1990, 122e année, no 7, RSI, onglet 6, a. 4(10);
Témoignage de Jean-Bernard Robichaud, DA, vol. 21, p. 152 à 155; Témoignage de Louis
Lagrenade, DA, vol. 10, p. 56 à 58, 92 à 94; Témoignage de Jean-Pierre Landriault, DA,
vol. 10, p. 125; Témoignage de Claudette Forest, DA, vol. 11, p. 52 à 56; Témoignage de
Gisèle Guindon, DA, vol. 11, p. 176 à 178;
Témoignage de Lionel-Henri Groulx, DA, vol. 22, p. 159-160;
- 33 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
clientèle des « jeunes en besoin de protection » dans le giron du RAPC, que ce soit aux
fins de la définition de « services de protection sociale » [services destinés « aux
enfants en manque de soins »] ou encore au titre de la définition de « personnes
nécessiteuses » [personnes âgées de moins de 21 ans confiées aux soins ou à la
surveillance d’une autorité chargée de la protection infantile ou encore aux enfants dont
les parents sont incapables de subvenir aux besoins et qui sont en conséquence placés
en foyer nourricier]. Encore une fois, cette optique n’est pas celle du service social
scolaire et l’élève qui a recours à ce service n’est pas un « jeune en besoin de
protection ».
92.
Le fait que la clientèle du service social scolaire comprenne des enfants
provenant de milieux défavorisés n’y change rien. Comme l’expliquera au procès l’un
des experts de l’intimée sur cette question, Lionel H. Groulx, le service social scolaire
n’intervient pas auprès de ces enfants pour modifier leurs conditions de vie, mais plutôt
pour leur permettre de profiter au maximum de l’expérience scolaire96.
93.
Cette même logique a prévalu eu égard au volet du litige concernant les services
dispensés aux jeunes délinquants, le juge d’instance statuant que, même en supposant
que ces jeunes sont majoritairement issus de classes défavorisées, les services qui leur
sont dispensés ne sauraient être considérés comme des « services de protection
sociale » au sens du RAPC puisque leur finalité n’a rien à voir avec l’éradication de la
pauvreté97.
94.
L’appelant a bien tenté, et tente encore, de rattacher le service social scolaire au
RAPC en soutenant qu’il se veut une forme d’intervention préventive permettant
d’éviter, à long terme, que la situation d’un enfant ne dégénère et n’aboutisse à une
situation de pauvreté. Or, c’est donner là une portée beaucoup trop aléatoire à la loi.
Comme la Cour d’appel l’a rappelé, la proximité de besoins qu’envisage le RAPC, et les
services à caractère préventif que celle-ci peut justifier, renvoient à une probabilité
96.
97.
Témoignage de Lionel-Henri Groulx, DA, vol. 23, p. 50-51;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 119, par. 214;
- 34 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
imminente, et non à une simple possibilité latente, de besoins98.
Tout individu,
rappelle-t-elle aussi, recèle en lui la possibilité de sombrer un jour dans l’adversité de la
pauvreté; le RAPC n’a toutefois pas été conçu pour pallier cet aléa.
vi.
Les récriminations de l’appelant eu égard aux conclusions du premier juge
portant sur la nature et la finalité du service social scolaire sont sans
fondement
95.
L’appelant soutient qu’il y aurait eu méprise de la part du premier juge sur la
nature intrinsèque du service social scolaire.
Il lui reproche en particulier d’avoir
accordé trop de poids à l’opinion d’un des experts de l’intimée sur la question, Lionel H.
Groulx, notamment en ce qui a trait aux origines du service social scolaire et à
l’importance de l’impact de son rattachement au réseau des Affaires sociales sur son
mandat et ses objectifs.
L’erreur alléguée relative à la valeur probante de l’opinion de l’expert Groulx
96.
Le témoignage de cet expert portait sur l’évolution des services sociaux scolaires
au Québec. L’objection de l’appelant porte surtout sur le fait que cet expert s’en est
remis à des documents rédigés par des tiers n’ayant pas témoigné au procès. Son
témoignage serait donc basé sur du ouï-dire, et donc, affaibli sur le plan de la force
probante.
97.
Cette prétention est étonnante, considérant que tous les documents auxquels le
témoin a fait référence au cours de son témoignage ont été mis en preuve au procès
sans objection de la part de l’appelant, ce qui suffit amplement pour asseoir la légitimité
et le poids de la contribution de cet expert99.
98.
L’appelant semble oublier ici que, lors de la conférence préparatoire tenue en
marge du dossier en 2004, elle a accepté, aux fins de réduire le temps d’audition du
98.
99.
Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA, vol. 1, p. 270, par. 23-24;
R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, 893, RSI, onglet 15, p. 889 à 893;
- 35 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
procès, que soit déposé au dossier, sans autre formalité, l’ensemble des documents
mentionnés aux affidavits de documents produits de part et d’autre, sous la réserve
expresse cependant, qu’au moment de leur production en preuve, les parties aient le
droit de formuler des objections quant à leur pertinence ou encore leur force probante.
Ce modus operandi, dont le premier juge fait état au paragraphe 17 de ses motifs100,
visait justement à faire en sorte de libérer les parties de l’obligation de devoir faire
témoigner les auteurs de chaque document qu’elles se proposeraient de produire en
preuve au procès.
99.
C’est ainsi que chacun des documents auquel réfère l’expert Groulx dans son
témoignage a été produit en preuve, soit par le biais de son témoignage, soit par le
biais du contre-interrogatoire des témoins de l’appelant, et s’est vu attribuer une cote
[D-1 à D-14 et D-45 à D-56]. Dans ce contexte, prétendre que son témoignage repose
sur des faits non établis par la preuve, est dénué de tout fondement.
L’erreur alléguée relative à l’origine des services sociaux scolaires au Québec
100. Cette prétention est difficile à expliquer. L’appelant semble dire que le premier
juge n’était pas autorisé à associer étroitement le service social scolaire à la mission
éducative de l’école du fait qu’ils ont fait leur apparition sous l’égide d’un trop petit
nombre de commissions scolaires.
101. Or, comme l’expert Groulx le dira en contre-interrogatoire, les commissions
scolaires pionnières en matière de service social scolaire sont celles des grands
centres urbains, comme Montréal, Québec et Sherbrooke. Ce qui importe, et cela va
de soi, c’est le nombre d’élèves qu’elles rejoignaient et non le ratio mathématique
100.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 11-12, par. 17;
- 36 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
qu’elles pouvaient représenter par rapport au nombre total de commissions scolaires au
Québec101.
102. Tel qu’indiqué précédemment, au moment de l’entrée en vigueur du RAPC, le
service social scolaire organisé sous l’égide des commissions scolaires est, sous
l’impulsion du Rapport Parent, loin d’être un phénomène marginal. D’ailleurs, il est
suffisamment présent et important pour que les travailleurs sociaux œuvrant dans ce
secteur se regroupent pour former l’Association des Services sociaux scolaires du
Québec, et pour que le gouvernement du Québec organise, en 1968, un colloque sur
l’avenir du service social scolaire102.
103. La preuve est donc à l’effet que le service social scolaire est bien implanté, par et
dans, les commissions scolaires au moment de la mise en route du RAPC et qu’il est là
pour répondre, sans l’ombre d’un doute, à certains besoins du milieu scolaire. Ce
faisant, le Québec ne fait qu’emboîter le pas, tant sur les plans structurel
qu’organisationnel, à ce qui se fait déjà ailleurs au Canada et dans la plupart des pays
occidentaux103.
L’erreur alléguée relative à l’impact du rattachement administratif des travailleurs
sociaux scolaires au réseau des Affaires sociales
104. L’appelant a toujours essentiellement misé, et mise encore, sur la dimension
organisationnelle du service social scolaire, c'est-à-dire sur son rattachement au réseau
des Affaires sociales, et non à celui de l’Éducation, pour faire valoir qu’il s’agit là de
« services de protection sociale » au sens du RAPC. Il mise en fait sur le caractère
101.
102.
103.
Rapport d’expertise de Lionel-Henri Groulx (27 mai 2005), Pièce D-44, DA, vol. 50, p. 84;
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), PGQ-3, DA, vol. 41, p.165-168;
Rapport colloque de 1968 (1er août 1968), Pièce D-46, DA, vol. 51, p. 4; L’insertion du
service social dans le milieu scolaire, 1969, Jocelyne Guilbault, Pièce D-47, DA, vol. 51,
p.100;
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), PGQ-3, DA, vol. 41, p. 162-165; Rapport d’expertise de Lionel-Henri Groulx
(27 mai 2005), Pièce D-44, DA, vol. 50, p. 82-83;
- 37 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
unique de son modèle organisationnel pour prétendre qu’il n’y a finalement, au Québec,
qu’un lien ténu, presque négligeable, entre la mission du service social scolaire et celle
de l’école104.
105. Le premier juge y a vu une description du service social scolaire qui « ne résiste
pas à l’analyse » et qui correspond « à une vision tronquée de la réalité »105.
L’appelant lui reproche ici d’avoir erré de trois façons en concluant de la sorte.
106. Il aurait d’abord erré dans sa lecture des deux documents de la Corporation des
travailleurs sociaux du Québec – les pièces D-9 et D-10, discutées précédemment dans
le présent mémoire106 – offrant, à 30 ans de distance, la vision du service social
scolaire de cet Ordre professionnel dans la mesure où on ne saurait y voir, selon
l’appelant, la continuité que le juge y a trouvée. Or, il s’agit de lire les deux documents
dans leur ensemble, et notamment la description du champ d’intervention du service
social scolaire qu’on y retrouve, pour se convaincre aisément de la justesse de
l’appréciation que le premier juge en a faite. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas des seuls
éléments de preuve qui s’offraient à lui pour conclure à la continuité dans la nature du
service social scolaire qui se pratique au Québec avant et après la réorganisation de
1973107.
107. Dans un deuxième temps, l’appelant reproche au premier juge d’avoir accordé
du poids à certains documents alors que ceux-ci auraient été écrits en contexte de
changements organisationnels, et donc d’incertitude pour l’avenir du service social
scolaire.
108. Il est difficile de voir ici sur quelle base il lui fallait se priver de l’éclairage de ces
documents. D’abord, les changements organisationnels, dans le contexte desquels ces
104.
105.
106.
107.
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), Pièce PGQ-3, DA, vol. 41, p.173;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p.160, par. 300;
Supra, par. 83 à 85;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 165 à 172, par. 311 à 323;
- 38 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
documents ont pu être préparés ont été l’occasion, pour les travailleurs sociaux
scolaires, de développer, parallèlement à leur appartenance à leur Ordre professionnel,
leur propre base d’organisation [l’Association des services sociaux scolaires dans les
années ’60, et, dans les années ’80, les Regroupements de professionnels en service
social scolaire]. Cela leur aura permis de faire le point sur leur pratique et, ce faisant,
de produire des textes qui présentent la synthèse de ce qu’est le spécifique du travail
social scolaire108. Rien dans la preuve ne permet de mettre en doute l’exactitude et la
fiabilité de ces textes. D’autre part, il n’est question ici que d’une partie seulement de la
preuve documentaire déposée par l’intimée au soutien de sa position sur la nature et la
finalité du service social scolaire. Même en écartant, donc, les documents préparés en
contexte de changements organisationnels, le premier juge disposait d’amplement de
preuve pour préférer la position de l’intimée à celle de l’appelant sur cette question109.
109. Le bon sens exigeait que le premier juge ne se prive pas de cet éclairage pour
essayer de comprendre la nature du service social scolaire et son évolution à travers
les changements organisationnels dont il a fait l’objet, et pour éventuellement en tirer
des conclusions.
110. Enfin, l’appelant fait reproche au premier juge d’avoir ignoré la preuve à l’effet
que l’appartenance des travailleurs sociaux scolaires au réseau des Affaires sociales
leur conférait une « grande indépendance et autonomie » dans leurs rapports avec les
autorités scolaires. Or, la preuve a plutôt révélé que cette indépendance et cette
autonomie étaient bien relatives, pour dire le moins.
111. Comme le juge de première instance l’a constaté du témoignage même des
travailleurs sociaux que l’appelant a fait entendre au procès, ceux-ci, même s’ils étaient
embauchés et rémunérés par le réseau des Affaires sociales, avaient leurs bureaux à
l’école, adoptaient l’horaire de cette dernière et étaient soumis à l’autorité fonctionnelle
du directeur d’école. Ce dernier y était « roi et maître », supervisait leur emploi du
108.
109.
Témoignage de Lionel-Henri Groulx, DA, vol. 22, p. 161-162,199, vol. 23, p. 16-17;
Supra, note 105;
- 39 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
temps à l’école, leur référait les cas, approuvait ce qu’ils se proposaient de faire,
donnait son accord à la mise en place de nouveaux programmes, avait le dernier mot
sur ce qui se passe dans son école et était étroitement associé à leur évaluation de
rendement110.
112. Comme en témoignera l’expert retenu par l’appelant sur la question des services
sociaux scolaires, « tu apprends vite que tu peux rien faire dans une école si le
directeur est contre toi et puis il ne veut pas… il est chez lui c’est comme un
incontournable »111.
113.
D’ailleurs, le service social scolaire n’est pas seulement l’affaire du réseau des
Affaires sociales; il est aussi l’affaire du réseau de l’Éducation. Il se dispense à travers
des programmes ministériels conjoints, d’ententes entre Commissions scolaires et CSS
et de comités conjoints issus de ces ententes112.
114.
Étonnamment, l’appelant n’a proposé aucun témoin provenant du réseau de
l’éducation. C’est l’intimée qui s’en est chargée en faisant entendre un témoin qui a
été, tour à tour, pendant sa carrière d’une quarantaine d’années, enseignante, directrice
d’école, conseillère pédagogique et coordonnatrice aux ressources éducatives, et qui
aura été en rapport, sur une base régulière, avec les travailleurs sociaux scolaires et le
travail social scolaire.
115. Ce témoignage aura contribué à renforcer l’opinion du premier juge à l’effet que
le rattachement du service social scolaire au réseau des Affaires sociales n’a pas eu
l’impact allégué par l’appelant sur la nature et le mandat du service social scolaire113.
110.
111.
112.
113
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p.165-166, par. 312;
Témoignage de Gilles Rondeau, DA, vol. 12, p. 102;
Guide pour assurer les services sociaux aux élèves des commissions scolaires
(Décembre 1976), Pièce D-11, DA, vol. 45, p. 69-78; Témoignage de Louis Lagrenade,
DA, vol.10, p. 61, 69-70, 111; Témoignage de Jean-Pierre Landriault, DA, vol. 10, p.175;
vol. 11, p. 20-21; Témoignage de Jean-Bernard Robichaud, DA, vol. 21, p. 143;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 156-158 et 167, par. 289-294 et 315;
- 40 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
116. En somme, le Québec reprend devant cette Cour des thèses déjà tenues pour
non fondées par les tribunaux d’instances inférieures : non-pertinence de l’univers de
l’éducation dans la définition du mandat du service social scolaire; non pertinence de la
réussite scolaire dans le champ d’application du travail social scolaire, autonomie du
travailleur social scolaire par rapport aux autorités scolaires; marginalité du rôle des
instances conjointes commission scolaire/CSS-CLSC; remise en cause de la norme de
pratique, autour de laquelle s’est construite la spécificité du service social scolaire,
voulant que le travailleur social scolaire n’intervienne qu’à l’égard de problématiques
socio-scolaires.
117. Les paragraphes 143 et 184 de son mémoire sont particulièrement révélateurs
de sa position par rapport au mandat et à la finalité du service social scolaire; pour le
Québec, c’est l’école qui est au service du travail social scolaire, et non l’inverse.
118. Or, ce n’est pas la vision du service social scolaire que le premier juge a retenue
de la preuve qui a été faite devant lui. Le modèle organisationnel québécois du service
social scolaire est peut-être unique au monde, mais il n’a pas – et n’a pu – changer la
nature du service social scolaire, une discipline pratiquée partout ailleurs au Canada et
dans la plupart des pays du monde et rattachée, sur tous les plans, à l’univers de
l’éducation. Comme le Rapport Parent l’avait si fortement souligné114, le service social
scolaire répond à un besoin, celui visant à tout mettre en œuvre, y compris lever les
obstacles d’ordre social, pour favoriser la réussite de l’expérience scolaire; il est, sur le
fond, d’abord et avant tout, au service de l’école.
119. Comme la Cour d’appel l’a constaté, « le premier juge a procédé à une analyse
minutieuse de la volumineuse preuve testimoniale et écrite produite par les parties sur
la nature, les objectifs et le mandat du service social scolaire. Il a pris soin d’expliquer
et de justifier, tantôt son refus d’accepter une preuve, tantôt son choix d’en préférer une
114.
Rapport d’expertise de Lionel-Henri Groulx (27 mai 2005), D-44, DA, vol. 50, p. 84 à 87;
Rapport d’expertise : le travail social scolaire, par Gilles Rondeau Ph.D. t.s. (7 octobre
2004), PGQ-3, DA, vol. 41, p. 166-167;
- 41 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
à une autre. L’appréciation de la preuve, de sa valeur probante et de sa suffisance
relevait de sa compétence à titre de juge du procès. Elle mérite et reçoit déférence de
notre part. »115
120. L’appelant se devait d’expliquer en quoi l’analyse à laquelle s’est livré le premier
juge ne devrait pas mériter la même déférence de la part de cette Cour. Il n’y est pas
parvenu.
vii.
121.
L’exclusion statutaire relative aux services concernant l’enseignement
Un service « concernant uniquement ou principalement l’enseignement » n’est pas
un « service de protection sociale » au sens du RAPC; il en est expressément exclu116.
122.
Compte tenu de sa conclusion à l’effet que le service social scolaire ne rencontre
pas la définition de « services de protection sociale », c’est à titre subsidiaire que le
premier juge a traité de cette exclusion statutaire117. La Cour d’appel, en accord avec la
conclusion principale du premier juge, s’est abstenue de se prononcer sur cette
question118.
123.
L’appelant déploie beaucoup d’énergie à tenter de démontrer, au terme d’un
raisonnement excessivement complexe, que le juge de première instance aurait dû
écarter cette exclusion en se rabattant sur le sens le plus limitatif du mot
« enseignement », soit celui de la stricte transmission des connaissances théoriques ou
pratiques. Il se rabat ici sur la règle d’interprétation des législations bilingues. Il estime
que le mot « enseignement » doit s’entendre de son sens le plus restreint de manière à
être fidèle à ce qu’il prétend être le sens commun aux versions française et anglaise du
texte de loi.
115.
116.
117.
118.
Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA, vol. 1, p. 270, par. 26;
Voir définition de « services de protection sociale », supra, par. 19;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 174, par. 330;
Jugement de la Cour d’appel fédérale, DA, vol. 1, p.272, par. 31-32;
- 42 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
124.
Exposé des arguments
Or, comme l’a noté le premier juge, cette règle d’interprétation n’est pas absolue;
c’est un guide parmi d’autres.
Ultimement, l’intention du législateur doit toujours
prévaloir119. Ainsi, cette règle peut certes servir à résoudre les antinomies découlant de
divergences entre les deux versions d’un texte législatif, mais encore faut-il identifier une
antinomie et encore faut-il, le cas échéant, que le sens commun dégagé des deux
versions s’harmonise avec l’objet et l’économie générale de la loi120.
125.
À cet égard, le premier juge a noté que le mot « enseignement » désigne aussi le
secteur de l’enseignement et qu’il est porteur, comme son pendant de la version anglaise
du texte de loi [le mot « education »], d’une conception plus ouverte de l’enseignement.
En effet, si ce terme réfère à l’idée de l’apprentissage scolaire traditionnel, il englobe aussi
celle, plus large, qui se dégage du terme anglais « education », de « l’organisation
scolaire »121, et donc, de « l’institution scolaire » comme telle, et reflète, comme le mot
« education », la conception moderne de l’éducation qui vise le développement complet
de l’enfant.
126.
Il n’est donc pas possible, d’une part, de déceler une antinomie qui justifierait de
donner au mot « enseignement » son sens le plus restreint. D’autre part, ce sens restreint
ne cadre tout simplement pas avec l’objet et l’économie générale du RAPC. En effet, il est
tellement manifeste que la définition de « services de protection sociale » n’a rien à voir
avec l’enseignement au sens strict des apprentissages scolaires traditionnels, qu’il faut se
demander si le législateur, qui est présumé ne jamais le faire, n’aurait pas parlé pour ne
rien dire si tel devait être le sens à donner à cette expression122.
127.
L’interprétation qui cadre le mieux avec l’objet et l’économie du RAPC est sans
contredit celle qui favorise une conception ouverte de l’enseignement. Comme le juge
119.
120.
121.
122.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 172, par. 325;
Id.; R. c. Daoust [2004] 1 R.C.S. 217, par. 26 et 27, RSA, vol. 3, onglet 17, p. 150, 155158;
Le Grand Larousse de la langue française, édition de 1972, RSI, onglet 17;
Subilomar Properties(Dundas) Ltd. c. Cloverdale Shopping Center Ltd. [1973] R.C.S. 596,
p. 603, RSA, vol. 3, onglet 21, p. 205, 210;
- 43 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
de première instance l’a noté, il ne faut pas perdre de vue que le RAPC est, somme
toute, une loi de finance et qu’il est approprié, dans ce contexte, de raisonner en termes
institutionnels plutôt que substantifs123. D’ailleurs, l’on peut présumer que le Parlement
savait, lors de l’adoption du RAPC en 1966, que des services sociaux étaient dispensés
dans, par et pour les écoles, dans la poursuite d’une mission de l’État, l’éducation, qui
n’est pas celle qu’il avait à l’esprit en adoptant ce texte de loi.
128. Il fait peu de doute que les services sociaux scolaires sont visés par l’exclusion
en cause et que le premier juge s’est bien dirigé en droit en concluant de la sorte.
Même si cette exclusion peut paraître redondante, il arrive que le législateur édicte des
dispositions par souci de précaution124. C’est, à l’évidence, ce qu’il a fait ici.
B.
129.
LES SERVICES DE SOUTIEN EN RESSOURCES RÉSIDENTIELLES
Ces services, nous le rappelons, sont des services de soutien dispensés à des
personnes handicapées adultes vivant – en guise d’alternative au milieu familial ou
encore à l’internat traditionnel – dans des résidences de quartiers que le réseau
québécois de la santé et des services sociaux désigne comme étant des ressources
résidentielles.
130.
Ces ressources hébergent généralement un maximum de neuf personnes et sont
desservies par des CAR125. Les services visés en l’espèce sont ceux qui sont donnés sur
une base permanente et continue aux résidents, c'est-à-dire 24 heures par jour, 7 jours
123.
124.
125.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 173, par. 328;
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, Éditions Thémis, 2009 (4e édition), RSA, vol. 3,
onglet 25, p. 235-236;
Les CAR deviendront, éventuellement, pour la clientèle des personnes déficientes
intellectuellement, des « Centres de réadaptation pour déficients intellectuels » ou
« CRDI ».
- 44 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
par semaine126. Ils règlent « tous les aspects de la vie quotidienne » des résidents de la
ressource127.
131.
Les personnes handicapées adultes qui résident dans ce type de ressources
résidentielles – celles « à assistance continue »128 – n’ont ni l’autonomie, ni les
ressources, ni les capacités requises pour y vivre, au risque de compromettre leur sécurité
et leur bien-être, sans le support continu du CAR129.
132. L’exclusion invoquée à l’égard du coût de ces services découle de l’alinéa 5(2)c)
du RAPC, lequel n’autorise pas le Canada à partager le coût de services auquel il
contribue déjà aux termes d’une autre loi fédérale, en l’occurrence, la Loi sur les
accords fiscaux, laquelle fait en sorte que, depuis le 1er avril 1977, les coûts des
services dispensés aux adultes en « foyers de soins spéciaux », aux termes du RAPC,
sont dorénavant financés par le gouvernement fédéral, au moyen d’une subvention per
capita, au titre de « soins en établissements pour adultes » au sens de ladite loi.
133. Les « soins en établissements pour adultes », l’une des cinq composantes du
nouveau « programme établi » créé par la Loi sur les accords fiscaux [les « services
complémentaires de santé »]130, sont définis comme étant des services dispensés par un
« établissement pour adultes » et comprenant [1] les soins personnels et de surveillance,
selon les besoins des résidents de l'établissement, [2] l'aide dispensée aux résidents de
l'établissement pour leur permettre d'accomplir des activités courantes, des activités
126.
127.
128.
129.
130.
Manuel de gestion financière des Centres de réadaptation, Pièce PGQ-26, DA, vol. 42,
p. 140; Portrait des services aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle au
Québec, Colloque de Montréal (26 octobre 1995), Pièce, D-17, DA, vol. 45, p. 166;
Rapport d’expertise de Jacques Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55, p. 54, 56,
59-62, 67; Témoignage d’Éric Lavoie, DA, vol. 14, p. 192; Témoignage de Ginette Prieur,
DA, vol. 15, p. 37; Témoignage de Pierre-François Beaulieu, DA, vol. 15 p. 91;
Interrogatoire préalable de Daniel Bérubé, DA, vol. 6, p. 56-61, 73;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol.14, p. 71; Rapport d’expertise de Jacques
Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55, p. 67;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 212, par. 401;
Interrogatoire préalable de Daniel Bérubé, DA, vol. 6, p. 56-61, 73; Témoignage d’Éric
Lavoie, DA, vol.14, p. 212; Témoignage de Ginette Prieur, DA, vol.15, p. 43; Rapport
d’expertise de Jacques Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55, p. 64, 67;
Loi sur les accords fiscaux, art. 27, RSA vol. 2, onglet 3, p. 167, 179-180;
- 45 Mémoire de l’Intimée
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Exposé des arguments
récréatives et sociales et d'autres services connexes pour satisfaire à leurs besoins
psychosociaux, [3] les services nécessaires à l'exploitation de l'établissement, de même
que [4] les repas et le logement, jusqu’à concurrence d’un montant établi par règlement131.
134. Un « établissement pour adultes » y est, pour sa part, défini comme un « foyer de
soins spéciaux » au sens du RAPC, c’est-à-dire, pour les fins du présent litige, un
« établissement de bien-être social dont le principal objet est de fournir à ses résidents
des soins personnels ou infirmiers ou de les réadapter socialement »132.
135. Le premier juge a déterminé que les services dispensés en ressources
résidentielles à assistance continue correspondaient à des « soins en établissements
pour adultes » et qu’en conséquence, les coûts encourus à ce titre par la province,
entre 1986 et 1996, n’étaient pas partageables en vertu du RAPC133.
136. L’appelant s’oppose à cette conclusion sur la base que ces services sont des
« services de protection sociale ». Toute sa thèse s’articule autour de l’idée qu’il s’agit
là non pas de services offerts en « établissement », mais bien plutôt de services
dispensés au « domicile » des bénéficiaires. Elle s’en remet à cet égard à la définition
même de « soins en établissement pour adultes », aux normes provinciales définissant
ce qu’est un « établissement » du réseau public des services de santé et des services
sociaux, de même qu’au fait que rien dans les textes statutaires applicables ne renvoie
à la notion d’intensité de services à laquelle le premier juge s’en est remis pour
assimiler « soins en établissement pour adultes » et services de soutien en ressources
résidentielles à assistance continue.
131.
132.
133.
Règlement de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces
et sur le financement des programmes établis, DORS/78-587, art. 24(2)b), RSA vol. 2,
onglet 7, p. 241, 244-245;
RAPC, article 2, RSA, vol.1 p. 43; Règlement du Régime d’assistance publique du
Canada, DORS/86-679, art. 8, RSA, vol. 2, onglet 8, p. 262;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 222-223, par. 420;
- 46 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
i.
Exposé des arguments
Les services en cause sont des « soins en établissement pour adultes » au
sens de la Loi sur les accords fiscaux
137.
Selon le Québec, les services en cause ne rencontreraient pas la définition de
«soins en établissement pour adultes » au sens de la Loi sur les accords fiscaux, au
motif que celle-ci exigerait que les repas et le logement soient offerts par
l’établissement qui les dispensent, en l’occurrence le CAR, alors qu’ici, ce sont les
résidents qui paient eux-mêmes les frais d’hébergement et de couvert grâce à leurs
prestations d’aide sociale; ils sont donc « chez eux » et non en établissement. De plus,
comme la résidence est la propriété d’un tiers, l’établissement ne se préoccupe pas des
services nécessaires à son exploitation.
138.
La réalité, telle qu’elle s’est révélée à travers la preuve, n’est pas aussi simple;
en fait, elle n’autorise pas cette vision d’un service « externe » dispensé au « domicile »
du bénéficiaire. La condition des résidents et, comme l’a très bien compris le premier
juge, la nature des services et les rapports extrêmement étroits qui unissent les
ressources résidentielles à assistance continue et l’institution dont elles dépendent pour
les services reçus, ne permettent aucune autre conclusion raisonnable que celle
voulant que les services en cause sont des « soins en établissements pour adultes »134.
La condition des résidents
139. La preuve révèle que la très grande majorité des personnes handicapées adultes
hébergées en ressources résidentielles à assistance continue forme une clientèle
limitée au plan de l’autonomie et des conduites sociales135.
140. L’un de deux experts ayant témoigné pour le compte de l’appelant sur ce volet du
litige, Jacques Rousseau, a admis que cette clientèle était principalement composée de
134.
135.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 215 à 223, par. 407 à 420;
Impératif humain et social – Guide d’action – 1988, Pièce D-65, DA, vol. 55, p. 18;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 70;
- 47 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
personnes présentant une déficience moyenne ou une déficience sévère à profonde, la
proportion de ce dernier segment pouvant représenter jusqu’à 40% de cette clientèle136.
141. Concrètement, il s’agit de personnes incapables de subvenir elles-mêmes à leurs
besoins les plus élémentaires et qui ne peuvent, de l’aveu même des éducateurs et
préposés de Centres d’accueil de réadaptation ayant témoigné pour le compte de
l’appelant, être laissées seules à la résidence sans que cela ne compromette leur santé
et leur sécurité; ce sont des personnes qui nécessitent des services sur une base
permanente et continue137.
142. L’un des témoins de l’appelant sur ce volet du litige, Rachelle Portelance,
éducatrice dans des ressources résidentielles regroupant, a-t-elle dû admettre, des
personnes ne présentant qu’une déficience légère, a même indiqué à la Cour que les
résidents qu’elle avait sous sa charge ne pouvaient se nourrir adéquatement, c'est-àdire sans compromettre leur sécurité et leur bien-être, en l’absence de soutien de la
part du personnel du CAR attitré à ces ressources138.
143. La froide réalité veut que ces personnes soient incapables de donner un
consentement légal, de comprendre la valeur de l’argent, et donc, de gérer leurs
propres affaires, et, dans certains cas, de même quitter la résidence; elles sont, en
somme, incapables de gérer leur propre situation et ne pourraient vivre dans ce type
d’hébergement communautaire sans un encadrement intensif et permanent de la part
de l’organisme – le CAR – dont elles dépendent pour leurs services139.
136.
137.
138.
139.
Témoignage de Jacques Rousseau, DA, vol. 16, p. 140-141; Où est Phil, Comment se
porte-t-il et Pourquoi? (septembre 1996), Pièce D-18, DA, vol. 46, p. 20-23;
Supra, note 128;
Témoignage de Rachèle Portelance, DA, vol. 14, p. 129-130;
Interrogatoire préalable de Daniel Bérubé, DA, vol. 6, p. 56-61, 73; Témoignage d’Éric
Lavoie, DA, vol.14, p. 176, 181, 203; Témoignage de Ginette Prieur, DA, vol. 15, p.1;
Témoignage de Pierre-François Beaulieu, DA, vol. 15, p. 68; Rapport d’expertise de
Jacques Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55, p. 64, 67;
- 48 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
144. C’est aussi le constat de l’expert Jacques Pelletier, qui a témoigné pour le
compte du Canada sur cette question. Très présent, pendant des années, au sein du
réseau québécois de services aux personnes atteintes de déficience intellectuelle,
tantôt comme gestionnaire d’un CAR, tantôt comme consultant auprès de ce réseau,
tantôt comme dirigeant d’organismes de défense des droits de ces personnes, la
ressource résidentielle à assistance continue, selon cet expert, qui a été appelé à
évaluer nombre de ressources résidentielles dans le cadre de son travail de
consultation, s’adresse à des personnes qui sont incapables de subvenir elles-mêmes à
leurs besoins140.
Les services qui leur sont dispensés
145. Les services dispensés en ressources résidentielles à assistance continue
comprennent les services d’hygiène de base, les services d’apprentissage des
habiletés de base, les services de réadaptation sociale et la surveillance de nuit. Tel
que déjà mentionné, ils sont dispensés 24 heures sur 24, 7 jours par semaine141.
146. Ils visent notamment à apprendre aux résidents à brosser leurs dents, à prendre
leur bain convenablement, à rester habillés ou encore à se faire à déjeuner.
Les
142
préposés du CAR voient à ce que les résidents fassent leur routine tous les jours
.
147. Témoin pour l’appelant, Michel Langlais, ancien directeur général d’un CAR, est
venu dire que les services en ressources résidentielles à assistance continue
couvraient, à toutes fins pratiques, « tous les aspects de la vie quotidienne »; ils étaient
similaires, en fait, poursuit ce témoin, à l’enveloppe de services que l’on retrouve dans
les milieux dits « institutionnels », comme les internats, à la seule différence qu’ils
140.
141.
142.
Rapport d’expertise de Jacques Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55 p. 67;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25 p. 4, 60;
Supra, note 126;
Témoignage d’Éric Lavoie, DA, vol. 14, p.193; Témoignage de Ginette Prieur, DA, vol.15,
p. 6, 26; Témoignage de Pierre-François Beaulieu, DA, vol.15, p. 62;
- 49 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
étaient dispensés de manière plus personnalisée et dans un milieu physique
différent143.
148. Ce témoignage vient en quelque sorte confirmer l’opinion de l’expert Pelletier
selon laquelle ressources à assistance continue et milieux institutionnels se rejoignent
sur le plan des enveloppes de services144.
Les liens structurels et organiques entre la ressource résidentielle et l’institution
qui lui assure les services
149. Suivant ce que la preuve a révélé, il est impossible d’envisager la ressource
résidentielle à assistance continue sans la présence et l’apport constants, à tous
niveaux, de l’organisme qui la dessert, ce qui va du choix de la résidence et de son
emplacement, au choix et au pairage de ses résidents, à la gestion de la résidence, y
compris le bail et l’achat de la nourriture, en passant, bien sûr, par la prestation de
services continus sans lesquels les résidents, comme nous venons de le voir, ne
pourraient tout simplement pas y vivre.
150. Ces ressources sont en fait implantées par les CAR; ce sont eux qui ont la
responsabilité de trouver les résidences à partir de critères qui sont les leurs et qui sont
établis, notamment, à partir des besoins de la clientèle.
Si elle est ultimement la
propriété de fondations qui appuient la mission de ces CAR, ou encore de corporations
d’hébergement à but non lucratif mises sur pied strictement à cette fin, l’achat ou le
choix d’une résidence se fait en partenariat et sur la recommandation du CAR
143.
144.
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 14, p. 22-23, 63, 71-74, 77;
Rapport d’expertise de Jacques Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55 p. 67-68;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 3;
- 50 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
seulement145. D’ailleurs, le CAR compte toujours un représentant sur les conseils
d’administration de ces fondations ou corporations146.
151. C’est par la suite le CAR, souvent après avoir consulté la famille de la personne
handicapée, qui décide, encore là à partir d’une grille de critères, dans quelle
résidence, parmi celles que la corporation, ou la fondation, détient, cette personne sera
hébergée et avec qui147. Il n’est pas rare, d’ailleurs, qu’il y ait des listes d’attente de
familles souhaitant voir leur enfant, devenu adulte, hébergé dans ce type de
ressources148.
152. Quant à la gestion quotidienne de la résidence, c’est par le biais d’un compte
commun, ouvert la plupart du temps au nom de la résidence, et non à celui des
usagers, et géré et opéré par le personnel du CAR, qu’elle se fait. C’est ainsi que tous
les revenus d’aide sociale des résidents y sont déposés et que toutes les dépenses
communes de la résidence [loyer, nourriture, chauffage, entretien, services d’utilité
publics] sont payées à même ce compte. Une ponction prédéterminée des revenus
d’aide sociale de chacun des résidents est par la suite versée dans un compte
individuel ouvert au nom de chacun d’eux ou encore au nom d’un éducateur aux termes
d’un arrangement de type fiduciaire149. Cette portion correspond à toutes fins pratiques
à l’allocation personnelle des résidents des installations à caractère institutionnel150.
153. Toutes les opérations bancaires, y compris celles liées au compte personnel des
résidents, sont effectuées par le personnel du CAR et sont soumises à des contrôles
145.
146.
147.
148.
149.
150.
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 13 p. 195; vol. 14, p. 10, 34 à 38, 43 à 46;
Témoignage de Rachèle Portelance, DA, vol. 14, p. 96, 121-122;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 14, p. 45-46; Témoignage de Jacques Pelletier,
DA, vol. 25 p. 47-48;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 13, p. 185 à 187; vol.14 p. 71 à 74;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 14, p. 76 à 78;
Résumés écrits de témoignages de témoins de la demanderesse, Pièce D-57, DA, vol. 52,
p. 9, 15; Témoignage de Rachèle Portelance, DA, vol.14, p. 100 à 102; Témoignage d’Éric
Lavoie, DA, vol.14, p. 206 à 208; Témoignage de Pierre-François Beaulieu, DA, vol. 15,
p. 68, 95 à 98; Témoignage de Ginette Prieur, DA, vol. 15, p. 7 à 10;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 32;
- 51 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
internes par les services comptables du CAR.
Exposé des arguments
Les chèques d’aide sociale des
résidents y sont souvent livrés directement151.
154. Les baux portent le nom des résidents, condition pour qu’ils soient admissibles à
l’aide sociale, mais non leur signature152. Le loyer est la plupart du temps payé – à
même le compte commun – directement au CAR qui, lui, se charge de le faire suivre à
la fondation ou à la corporation d’hébergement propriétaire de la résidence.
155. Enfin, le personnel du CAR, qui dispense les services dans les ressources
résidentielles à assistance continue, est organisé en quarts de travail couvrant les
24 heures de la journée de manière à assurer une présence constante auprès des
résidents. La résidence est leur lieu de travail, comme l’était auparavant l’établissement
institutionnel; ils y ont leur journal de bord, leur filière à documents et un babillard
d’affichage; la cuisine leur sert de place de travail153. La plupart des employés sont
issus des établissements institutionnels qui hébergeaient les résidents avant leur
transfert en ressources résidentielles; ils sont d’ailleurs régis par les mêmes
conventions collectives154.
156. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que le juge de première instance n’ait
pu se convaincre que les résidents des ressources résidentielles à assistance continue
reçoivent des « services à domicile » au sens où cette expression s’entend
généralement. Le rôle joué par l’organisme dont ils dépendent pour y assurer leur
présence est tout simplement trop important, trop essentiel et trop omniprésent pour
pouvoir raisonnablement considérer qu’ils y exercent une forme quelconque de contrôle
permettant de dire qu’ils sont véritablement chez eux ou, encore, qu’ils assument euxmêmes leur gîte et couvert.
151.
152.
153.
154.
Supra, note 149;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 33-34;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 52-53; Témoignage d’Éric Lavoie, DA,
vol.14, p. 174; Témoignage de Ginette Prieur, DA, vol. 15, p. 5,11-12;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 14, p. 82 à 85; Rapport d’expertise de Jacques
Pelletier (janvier 2005), Pièce D-66, DA, vol. 55, p. 52, par. 36;
- 52 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
157. La preuve révèle que la prise en charge de la ressource résidentielle à
assistance continue par le CAR est totale et couvre tous les aspects de la gestion de la
résidence elle-même et de la vie quotidienne de ses résidents.
Le fait que ces
personnes possèdent une adresse civique est certes très symbolique sur le plan de
l’effort d’intégration sociale que poursuit la ressource résidentielle, mais là s’arrête toute
analogie à l’idée qu’il s’agisse là d’un véritable domicile.
158. D’ailleurs, il ne faut pas s’en surprendre. Il suffit d’un simple retour en arrière
pour le comprendre aisément. Tel qu’indiqué précédemment155, la ressource
résidentielle est l’un des fruits de la désinstitutionnalisation qui a été entreprise dans le
courant des années ’60, au Québec, comme ailleurs au Canada. Comme la preuve en
fait état, des établissements institutionnels entiers ont été fermés dans le cadre de cette
politique gouvernementale156. Toutefois, leurs résidents ne pouvaient tout de même
pas être jetés à la rue.
159. Des documents émanant du Québec, les pièces PGQ-28 et D-15, expliquent que
la désinstitutionnalisation s’est faite graduellement, c'est-à-dire des cas les plus légers
aux cas les plus lourds. Cela se vérifie également du Guide d’action pour l’intégration
des personnes présentant une déficience intellectuelle, rendu public par la ministre de
la Santé et des Services sociaux du Québec en 1988.
160. Ce Guide, la Pièce D-65, rappelle que, lorsqu’il est requis pour une personne de
changer de milieu résidentiel, il est « impératif que l’organisme responsable des
services résidentiels à cette personne, en situation de protection sociale, assure la
continuité du service jusqu’à ce qu’il y ait un autre organisme qui réponde de façon plus
adéquate à ses besoins »157. Le Guide prévoit à cet égard que les dispensateurs de
services sont tenus de s’assurer « en tout temps du bien-être et de la sécurité de la
personne », et de proposer le lieu le plus adapté pour elle ainsi que les services d’aide
155.
156.
157.
Supra, par. 29-30;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol. 14, p. 40 à 43;
Impératif humain et social – Guide d’action – 1988, Pièce D-65, DA, vol. 55, p. 18;
- 53 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
et le niveau d’encadrement dont elle a besoin et dont l’intensité doit s’ajuster à son
évolution158.
161. Traitant plus particulièrement de la transformation des services et ressources
institutionnelles en un réseau intégré à la communauté, le Guide édicte « l’ensemble
des règles à respecter dans toute démarche d’intégration sociale ». Parmi cet ensemble
de règles, il y a celle, éminemment pertinente à la ressource résidentielle à assistance
continue, voulant que l’établissement, qui entreprend une démarche d’intégration
sociale s’assure de « maintenir la permanence des services de base (gîte, couvert,
encadrement) à l’égard des personnes non autonomes, en besoin de protection sociale,
et en assurer le suivi »159.
162. Cette règle trouve écho dans le témoignage de l’ancien directeur-général d’un
CAR appelé à la barre par l’appelant, qui a rappelé comment le CAR n’avait pas
disparu avec la désinstitutionnalisation, comment il était « obligé de continuer à faire
ces choses, mais tenant compte des milieux différents », comment il ne s’était pas
« défilé de ses responsabilités » et comment il fallait « sécuriser les parents » lorsque le
CAR se proposait d’intégrer leur enfant, devenu adulte, à la communauté, en leur disant
que celui-ci allait continuer à recevoir les mêmes services qu’auparavant, mais de façon
plus personnalisée, et que si ça ne devait pas fonctionner, le CAR allait le reprendre160.
163. Ce n’est donc pas parce que l’État québécois a emprunté la voie de la
désinstitutionalisation qu’il s’est pour autant désengagé auprès des clientèles que l’on
retrouve dans les ressources résidentielles à assistance continue, à savoir les clientèles
non autonomes.
164. Il continue à leur assurer la permanence des services de base, ce qui comprend
le gîte et le couvert, même en contexte de ressources résidentielles à assistance
158.
159.
160.
Id., p. 19;
Id., p. 28-29;
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol.13, p.176-179; vol. 14, p. 42-43, 61, 63, 70;
- 54 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
continue, comme le confirme le « Portrait des services aux personnes vivant avec une
déficience intellectuelle au Québec », la pièce D-17, publié en octobre 1995 dans le
cadre d’un colloque des CAR offrant des services à ces personnes.
165. Faisant le point sur les trois grands programmes liés aux services directs
dispensés à ces personnes à l’époque, à savoir le Programme résidentiel, le
Programme socioprofessionnel et le Programme de soutien à la personne, à la famille
et à la communauté, ce document définit le programme résidentiel comme regroupant
les activités requises pour assurer « l’hébergement des personnes, soit le gîte, le
couvert ainsi que l’assistance et la surveillance » et dans la nomenclature des différents
types d’hébergement visés par ce programme, l’on retrouve tant les installations dites à
caractère institutionnel que celles à caractère communautaire et, parmi ces dernières,
la ressource résidentielle à assistance continue161.
166. Le premier juge était donc tout à fait fondé de conclure que les services en
cause, de par leur nature et le contexte dans lequel ils sont livrés, rencontrent, sans
l’ombre d’un doute, la définition de « soins en établissements pour adultes » au sens de
la Loi sur les accords fiscaux. Encore ici, l’appelant, comme ce fut le cas devant la
Cour d’appel, n’a pas démontré la présence, dans le jugement de première instance,
d’erreurs manifestes et dominantes pouvant justifier l’intervention d’un tribunal d’appel.
ii.
Les normes provinciales relatives aux établissements de santé et de
services sociaux et la notion de personnes « admises » ou « inscrites »
167. L’appelant estime que le gouvernement fédéral serait lié par la façon dont il
désigne les établissements de son réseau de la santé et des services sociaux. Plus
particulièrement, il avance qu’en vertu de sa législation, la ressource résidentielle n’a
pas le statut d’établissement et, par conséquent, ne se qualifie pas au titre
« d’établissement pour adultes », et donc, de « foyer de soins spéciaux » au sens de la
161.
Portrait des services aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle au Québec,
Colloque de Montréal (26 octobre 1995), Pièce D-17, DA, vol. 45, p. 166;
- 55 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
législation fédérale.
Exposé des arguments
D’ailleurs, insiste-t-il, contrairement à un établissement où le
résident est « admis », parce qu’il y occupe un lit, la personne vivant en ressources
résidentielles est, quant à elle, « inscrite » en tant que bénéficiaire de
services
« externes » du CAR, et donc de « services à domicile ».
168. Or, ce moyen a pour effet de priver le gouvernement du Canada de tout pouvoir
d’appréciation des réclamations des provinces en regard de la législation qu’il a pour
mandat d’administrer. Comme le premier juge l’a bien fait ressortir, à moins d’y faire
explicitement référence par voie d’incorporation, la portée d’une loi fédérale ne saurait
être déterminée par l’utilisation d’une loi provinciale162.
169. Le renvoi aux normes provinciales dans la définition de « foyer de soins
spéciaux » a simplement pour objectif de poser comme exigence que les
établissements présentés pour fins d’énumération au titre de « foyer de soins
spéciaux », à l’annexe A de l’accord avec la province aux termes du RAPC, rencontrent
les normes provinciales pour ce type d’établissement; il n’a pas pour effet de lier le
gouvernement fédéral lorsque la province est d’avis qu’un établissement ne se qualifie
pas à ce titre, particulièrement dans le contexte de la gestion de l’interface entre le
RAPC et la Loi sur les accords fiscaux.
170. Rien, dans le texte du RAPC, ne suggère l’approche proposée par l’appelant,
surtout lorsque l’on constate à quel point elle est susceptible de donner des résultats
aussi irréconciliables qu’en l’espèce.
171. En effet, cette notion de bénéficiaires « inscrits », du fait qu’elle sous-tend l’idée
de « services à domicile », masque, comme on vient de le voir, une réalité bien
différente lorsqu’il s’agit de ressources résidentielles à assistance continue. Le
gouvernement fédéral ne saurait être lié par des variantes administratives sans
conséquence sur la nature même de l’enveloppe de services dispensés. Comme la
preuve l’a révélé, le statut « d’inscrit » se sera à toutes fins pratiques avéré un outil
162.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 218-219, par. 413 à 415
- 56 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
servant à financer, autrement qu’à même les budgets du CAR, les services de gîte et
couvert qu’il continue par ailleurs d’être tenu d’assurer163.
172. Aussi, cette notion fait en sorte que foyers de groupe et ressources résidentielles
à assistance continue devraient être traités différemment sur le plan du partage des
coûts alors qu’il s’agit là, comme la preuve le démontre, de ressources d’hébergement
au profil absolument identique, à la seule exception que l’une gère directement les murs
de la résidence, et donc y « admet » ses résidents, alors que l’autre le fait par
l’intermédiaire d’un tiers à qui elle est par ailleurs liée étroitement164.
173. Comme le premier juge l’a fait remarquer, l’appelant a reconnu que les services
dispensés en foyers de groupe étaient assimilables à des « soins en établissement
pour adultes », et donc exclus du partage des coûts aux termes du RAPC. Il ne saurait
en être autrement de ceux dispensés en ressources résidentielles à assistance
continue.165
174. L’appelant prétend enfin que la Loi sur les accords fiscaux et le RAPC raisonnent
ici en termes « d’établissements », et non de « services », et qu’en conséquence, il
n’est pas approprié de résoudre le présent différend en s’intéressant à la nature des
services au détriment du statut juridique ou de la structure administrative d’une
institution.
175. Or, il suffit de lire les définitions de « soins en établissement pour adultes » et de
« foyers de soins spéciaux » pour se convaincre du contraire; ces établissements se
définissent par le type de soins et services qu’ils offrent : soins personnels et de
surveillance, aide aux fins de permettre l’accomplissement d’activités courantes,
163.
164.
165.
Témoignage de Michel Langlais, DA, vol.13, p. 160; Témoignage de Jacques Pelletier,
DA, vol. 25, p. 29 à 32;
Supra, par. 149, 152;
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 221-222, par. 417 à 419;
- 57 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
récréatives et sociales, services visant à satisfaire des besoins psychosociaux, les
repas, le logement166.
176. Cet argument, fondé sur la variante administrative « admis/inscrit », doit échouer.
Ce qui importe, et ce que la preuve a révélé, c’est que le résident d’une ressource
résidentielle à assistance continue y est « placé », et que l’institution qui lui rend les
services est responsable d’assurer, en tout temps, son bien-être et sa sécurité. La
prise en charge par le CAR demeure totale167.
177. La portée de la législation fédérale applicable ne saurait être tributaire du modèle
d’affaires adopté par le Québec eu égard à la gestion de son programme résidentiel
pour personnes handicapées adultes, notamment en ce qui a trait à la budgétisation de
certaines dépenses liées à la gestion de la résidence.
iii.
Le critère de l’intensité de services est inhérent au concept de « soins en
établissement pour adultes »
178. L’appelant estime que la notion d’intensité de services n’est pas pertinente pour
déterminer si les services en cause sont des « soins en établissement pour adultes »
ou encore des « services de protection sociale » dans la mesure où ni la Loi sur les
accords fiscaux, ni le RAPC, n’y font référence.
179. Or, le premier juge était tout à fait fondé de conclure que cette notion est
inhérente et implicite à celle de soins en « établissement » de manière à permettre de
distinguer, comme il est nécessaire de le faire en l’espèce, entre ce qu’est un service à
domicile et ce qu’est un service en établissement, particulièrement face au large
166.
167.
Supra, par. 18, 133-134; Règlement de 1977 sur les accords fiscaux entre le
gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis,
DORS/78-587, art.24(2)b), RSA vol. 2, onglet 7, p. 241, 244-245; Règlement du Régime
d’assistance publique du Canada, DORS/86-679, art. 8, RSA, vol.2, onglet 8, p. 262;
Témoignage de Jacques Pelletier, DA, vol. 25, p. 49-50;
- 58 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
éventail de services d’hébergement destinés aux personnes handicapées adultes qui
ont fait leur apparition comme conséquence de la désinstitutionnalisation.168
180. La gestion de l’interface entre le RAPC et la Loi sur les accords fiscaux est
éminemment tributaire de cette notion; ne pas la voir comme une norme implicite de
cette gestion irait à l’encontre de l’objectif et de l’économie de cette législation.
181. Le gouvernement
du Québec a d’ailleurs reconnu que l’encadrement et le
support fournis aux usagers des ressources résidentielles pouvaient varier d’une
ressource à l’autre, selon la condition des usagers, et qu’il devenait dès lors nécessaire
d’établir, en ayant comme référence le niveau des services requis par la clientèle, à
quel moment s’opérait la mutation entre un service en établissement, et un service de
protection sociale. Il s’en remettait, à cette fin, à un tableau transmis aux autorités
fédérales afin de les renseigner sur le programme des ressources résidentielles,
définissant les quatre niveaux d’intensité de services que l’on pouvait retrouver en
ressources résidentielles, les niveaux 3 et 4 correspondant à ceux que l’on retrouve en
ressources résidentielles à assistance continue169.
182. Ce constat ne faisait que refléter, en fait, le Guide d’action pour l’intégration des
personnes présentant une déficience intellectuelle170, publié quelques années
auparavant, lequel, comme nous l’avons vu, fait une référence directe à la variété de
l’intensité des services résidentiels pouvant être nécessaires à l’intégration de ces
personnes, compte tenu de leur niveau d’autonomie.
183. Enfin, le fait que le gouvernement fédéral ait accepté de partager partiellement
les coûts des services dispensés en ressources résidentielles ne saurait équivaloir à
une reconnaissance de sa part qu’il s’agit là de « services de protection sociale ».
168.
169.
170.
Jugement de première instance, DA, vol. 1, p. 216 à 218, par. 408 à 412;
Lettre de Jean-Rock Pelletier (MSSS) à Jacques Patry (directeur RAPC) : Énumération de
services externes en CAR, 15 janvier 1992, Pièce PGQ-28, DA, vol. 42, p. 162;
Impératif humain et social – Guide d’action – 1988, Pièce D-65, vol. 55, p. 19;
- 59 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Exposé des arguments
184. En effet, il ne s’agit-là que d’un arrangement strictement provisoire, sans
préjudice aux droits du Canada, rendu nécessaire par le défaut du gouvernement du
Québec de fournir à la satisfaction des autorités fédérales, tel que l'exigent les
règlements d'application du RAPC, toute l'information requise pour l'étude de sa
réclamation au titre desdits services, particulièrement compte tenu des différents
niveaux de besoins de la clientèle identifiés par la province elle-même171.
185. La notion d’intensité de services était donc essentielle à la gestion de l’interface
entre le RAPC et la Loi sur les accords fiscaux. Elle avait toute sa pertinence en
l’espèce.
186. Le premier juge n’a commis aucune erreur dans son analyse et son appréciation
de ces questions mixtes de faits et de droit.
PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS
187. L’intimée estime qu’il n’y a pas lieu de déroger en l’instance à la règle habituelle
voulant que les dépens suivent l’issue du pourvoi.
---------
171.
Témoignage de Jean-Bernard Daudelin, DA, vol. 24, p. 104; Lettre de Jean-Guy Massé
(RAPC) à Pierre-Paul Veilleux (directeur MSSS) : RAPC – réclamation 1991-1992,
14 février 1995, Pièce PGQ-22, DA, vol. 42, p. 105; Lettre de Jacques Patry (directeur
RAPC) à Jean-Roch Pelletier (MSSS) : Énumération de CAR et de services afférents à
l’annexe « B » de l’Accord sous le RAPC, 8 octobre 1991, Pièce PGQ-27, DA, vol. 42,
p. 146; Lettre de Jacques Patry (directeur RAPC) à Jean-Roch Pelletier (MSSS) en
réponse à la lettre du 15 janvier 1992, 12 mars 1992, Pièce PGQ-29, DA, vol. 42, p. 163;
Lettre de Jacques Patry à Pierre-Paul Veilleux, 19 mars 1991, Pièce D-63, DA, vol. 54,
p. 161;
- 60 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Conclusion et ordonnance demandée
PARTIE V – CONCLUSION ET ORDONNANCE DEMANDÉE
L’INTIMÉE DEMANDE À CETTE HONORABLE COUR :
DE REJETER l’appel;
LE TOUT avec dépens.
Ottawa, ce 21 mai 2010
_________________________________
Myles J. Kirvan,
Sous-procureur général du Canada
Par : Me René LeBlanc
Me Bernard Letarte
Me Guy A. Blouin
Bureau régional du Québec (Ottawa)
284, rue Wellington, 6e étage
Ottawa (Ontario) K1A 0H8
Procureurs de l’Intimée
Sa Majesté la Reine du Chef du Canada
- 61 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Table alphabétique des sources
PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES
Lois et Règlements
Paragraphe(s)
Loi autorisant le Canada à contribuer aux frais des
régimes visant à fournir une assistance publique et
des services de protection sociale aux personnes
nécessiteuses et à leur égard, S.C. 1966-67, c. 45;
S.R.C. 1970, c. C-1; L.R.C. 1985, c. C-1
..........................................10
Loi d’exécution du budget 1995, L.C. 1995, c. 17
..........................................14
Loi sur l’instruction publique, L.Q. c. 84
..........................................90
Loi sur les accords fiscaux, 25-26 Élizabeth II, c. 10
.... 32, 47, 133, 137, 166, 169
................174, 178, 180, 185
Régime pédagogique de l’éducation préscolaire et du
primaire, Décret 73-90, 24 janvier 1990, G.O.Q.
14 février 1990, 122e année, no 7
..........................................90
Régime pédagogique de l’enseignement secondaire,
Décret 74-90, 24 janvier 1990, G.O.Q., 14 février
1990, 122e année, no 7
..........................................90
Régime pédagogique du primaire et du préscolaire,
Décret 551-81, 25 février 1981, G.O.Q. 15 avril 1981,
113e année, no 15
..........................................90
Régime pédagogique du secondaire, Décret 552-81,
25 février 1981, G.O.Q. 15 avril 1981, 113e année,
no 15
..........................................90
Règlement de 1977 sur les accords fiscaux entre le
gouvernement fédéral et les provinces et sur le
financement des programmes établis, DORS/78-587
..........................33, 133, 175
Règlement du Régime d’assistance publique du
Canada, C.R.C. (1978) c. 382
....................................18, 22
Règlement du Régime d’assistance publique du
Canada, DORS/86-679;
................................134, 175
- 62 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Table alphabétique des sources
Lois et Règlements (suite)
....................... Paragraphe(s)
Règlement relatif à la définition de ce qui constitue
une fonction pédagogique ou éducative pour les fins
de la Loi sur l’instruction publique, A.C. 1417,
25 mars 1970, G.O.Q., vol. 102, no 14
..........................................90
Jurisprudence
Bell Express Vu Ltd. Partnership c. Rex, [2002]
2 R.C.S. 559
..........................................54
Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur
général), [2006] 1 R.C.S. 441
..........................................54
Dicaire c. Ville de Chambly, [2008] J.Q. no 113
(C.A.Q.)
..........................................53
Elders Grain Co. c. M/V Ralph Misener, [2005]
A.C.F. 612
..........................................53
Finlay c. Ministre des Finances, [1993] 1 R.C.S. 1080
..........................................54
H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S.
401
..........................................53
Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235
..........................................53
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] R.C.S. 351
..........................................53
R. c. Craig, [2009] 1 R.C.S. 762
..........................................54
R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217
........................................124
R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757
..........................................54
R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852
..........................................97
Subilomar Properties (Dundas) Ltd. c. Cloverdale
Shopping Center Ltd., [1973] R.C.S. 596
........................................126
Toneguzzo-Norvell
1 R.C.S. 114
..........................................53
c.
Burnaby
Hospital,
[1994]
- 63 Mémoire de l’Intimée
Sa Majesté La Reine du Chef du Canada
Table alphabétique des sources
Doctrine
....................... Paragraphe(s)
Le Grand Larousse de la langue française, édition de
1972
........................................125
P.A., Côté, Interprétation des lois, 4e édition,
Montréal, Éditions Thémis, c. 2009, p. 350 à 352
........................................128
Sullivan and Driedger on the Construction of
Statutes, 4th ed., Butterworths (2002), p. 259-262
..........................................62