Vade retro Satanas-Jorgos !

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Vade retro Satanas-Jorgos !
 Critique - Théâtre - Bruxelles
Katzelmacher
Vade retro Satanas-Jorgos !
Par Suzane VANINA
Suzane VANINA
Bruxelles
Publié le 22 janvier 2015
Avec sa gueule de métèque, il représente une des figures de la Peur, Jorgos alias le Bouc, venu de Grèce, qui débarque dans une petite ville bavaroise. Elle n'est pas exactement située, de même que l'époque, dans une volonté d'élargir le propos et de l'actualiser: il s'agit d'un endroit sans avenir, figé, où rien ne vient relancer l'espoir d'un avenir meilleur pour les jeunes. C'est une version théâtrale du film réalisé par le même auteur, Fassbinder. Jorgos est embauché dans la petite entreprise du coin au grand déplaisir des habitants et notamment d'un petit groupe de jeunes désoeuvrés, sans buts ni perpectives d'avenir. Il en sera exclu, et pire... C'est qu'il incarne l'Autre dans tout ce ce qu'il a de différent, d'Inconnu -­‐ inspirant la méfiance ou la peur -­‐ mais il est aussi ce que ces jeunes ne sont pas : courageux, joyeux, séduisant... Et d'ailleurs, une fille du groupe ne sera pas insensible à son charme méridional. Le trouble et la discorde s'installent dans la petite bande, des rumeurs circulent... Il faudra donc sacrifier celui qui est devenu la cause de tous les maux. Du titre original:"Der Katzelmacher", une traduction serait "le rétameur" en français (ou plus largement "travailleur itinérant" ou encore "colporteur" chez nous), c'est celle de "bouc" que l'on retient davantage et à sa suite, viennent à l'esprit les expressions de moins en moins flatteuses: "porter le bouc", "sentir le bouc", ou "bouc émissaire". C'est évidemment à celle-­‐là que l'on raccrochera le fond de l'histoire. "Le Bouc", donc, écrite dans les années soixante, est qualifié d'œuvre de jeunesse de son auteur (il a 24 ans), l'Allemand Rainer Werner Fassbinder. La jeune metteure en scène Ledicia Garcia a revisité l'auteur et, pour cette pièce en particulier, elle a réuni une équipe aussi jeune qu'elle. Son intérêt pour Fassbinder remonte à ses années d'avant l'Insas et la Belgique, quand, en Suisse, elle dévorait "tout fasbinder" : films, bouquins... Elle considère que "Le Bouc" aooartient à une trilogie, avec "Liberté à Brême" (qui constitua son travail de fin d'études) et "Preparadise Sorry Now", qu'elle envisage d'aborder un jour. Elle assume également la scénographie soutenue par la lumière de Laurence Halloy, qui joue sur deux plans: frontalement un grand élément en bois blanc, parallélipédique, terrain de jeux divers pour les acteurs, et en arrière-­‐plan, des transparences qui préservent une certaine intimité pour les scènes "hors groupe": la petite entreprise, le logement de Jorgos... Mais ces scènes sont filmées simultanément, agrandies en partie et projetées sur le devant du grand meuble. Cette première mise en scène professionnelle ne manque pas de bonnes idées, elle apporte à de certains moments un côté onirique à ce qui pourrait n'être que peinture réaliste. Le début est un tableau muet sur fond de décibels puissants. Ensuite, les acteurs adoptent, pendant une bonne partie de la pièce, le parti de représenter l'ennui par des mouvements en ralenti filmique, par de longs silences et par un phrasé haché et artificiel pour leurs répliques, au risque de provoquer... l'ennui et le décrochage chez les spectateurs. C'est du reste surtout dans la direction d'acteurs que se révèlent des failles. Certains sont convaincants, d'autres détonnent franchement, à la limite du risible. D'autant que Ledicia Garcia ne choisit pas la simplicité. Suivant un usage actuel assez répandu, et dans l'intention limpide "on est toujours l'Etranger de quelqu'un", personne n'est Jorgos, mais chaque comédien tour à tour. C'est la bande-­‐son qui aura le dernier mot avec le "Partir" de Julien Clerc... À qui cela s'adresse-­‐t-­‐il ? À la main d'oeuvre bon marché, clandestine ou non, ou à la désespérance de ceux qui ne se croient ou ne se sentent plus "bien chez eux"... ? 

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