533 - Comité d`histoire parlementaire et politique
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533 - Comité d`histoire parlementaire et politique
- 533 - L’INTRODUCTION DE LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE À LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS BELGE (1918-1922) Frederik Verleden et Emmanuel Gerard (Centrum voor Politicologie, KU Leuven) La Première Guerre mondiale et l’immédiat après-guerre constituent un moment-clé de l’histoire politique belge en général et de l’histoire parlementaire en particulier. La reconnaissance du rôle des groupes politiques dans l’organisation du travail parlementaire par le biais de la représentation proportionnelle marque la fin du parlementarisme classique du XIXe siècle1. Selon les critiques des années trente, la capitulation du régime parlementaire face aux partis politiques commence à ce moment, tout comme dans d’autres pays européens. Les réformes de l’après-guerre sont étroitement liées à l’essor de la démocratie de masse. À cette époque, les groupes politiques sont reconnus au Reichstag allemand tandis qu’en Italie, la représentation proportionnelle aux élections de 1919 est suivie par une modification profonde du règlement de la Camera dei Deputati en 1920, introduisant là aussi la représentation proportionnelle des groupes2. Entre 1918 et 1922, la Chambre des Représentants de Belgique adopte elle aussi des réformes qui font des partis politiques la clef de voûte du rouage parlementaire, et non plus le représentant individuel. À la reprise des travaux parlementaires en novembre 1918, après un arrêt de quatre ans, la composition du Bureau de la Chambre est modifiée par l’introduction de la proportionnelle des groupes politiques. À partir de 1918, à côté des sections, c’est-à-dire des commissions à composition variable pour chaque proposition ou projet de loi, tirées au sort chaque mois (comme les bureaux en France 1 E. Gubin, J.-P. Nandrin, E. Gerard et E. Witte (ed.), Histoire de la Chambre des Représentants de Belgique 1830-2002, Bruxelles, Chambre des Représentants, 2003, p. 399-402. 2 T. Saalfeld, “Bureaucratisation, coordination and competition. Parliamentary party groups in the German Bundestag”, dans : K. Heidar & R. Koole (ed.), Parliamentary party groups in European democracries. Political parties behind closed doors. Londres/New York, Routledge, 2000, p. 23. ; C. de Micheli & L. Verzichelli, Il Parlamento (Studi e Ricerche 520). Bologne, Il Mulino, 2004, p. 61-70. - 534 - et les uffizi en Italie), la Chambre adopte le système des commissions permanentes et accepte que celles-ci soient composées par les groupes politiques, représentés proportionnellement. Finalement, en 1922, un “Comité du travail parlementaire” est institué, composé par les présidents des groupes pour organiser les débats en séance plénière. Toutes ces réformes sont étroitement liées. L’exemple de la France, où ces réformes avaient été introduites avant la guerre, le démontre. À la Chambre des Députés, les commissions permanentes datent de 1902 et la reconnaissance des groupes de 1910, à la suite de leur rôle dans la nomination des membres des commissions permanentes. Dès 1911, on y introduit la Conférence des Présidents, c’est-à-dire un rendez-vous où les présidents des groupes organisent l’ordre du jour de l’assemblée1. Les commissions permanentes et l’importance des groupes entrent dans une certaine idée du parlementarisme qui s’écarte de la conception traditionnelle basée sur l’autonomie du représentant, libre de tout mandat impératif, pour accorder un rôle plus grand aux partis politiques et à la discipline parlementaire. Comme le disait clairement Joseph Barthelémy, député français et défenseur influent des commissions permanentes : La reconnaissance aux groupes d’un rôle officiel modifie les conceptions traditionnelles du régime parlementaire et du régime représentatif. Elle diminue la règle que l’élu, dans la plénitude de sa liberté et suivant les seuls ordres de sa conscience, exprime son opinion strictement individuelle sur les intérêts généraux du pays. [… et…] La proportionnelle fait du commissaire le représentant d’un parti plus que du pays2. I. La tradition des sections Bien qu’en Belgique ces innovations soient acceptées sans trop de problèmes, ils ne constituent pas moins un changement radical de la procédure parlementaire à la Chambre des Représentants. Au début de son existence en 1831, le parlement belge était encore dépourvu de 1 J. Waline, “Les groupes parlementaires en France”, Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, LXXVII (1961), 6, p. 1179-1187. ; P. Guiral et G. Thuiller, La Vie quotidienne des députés en France de 1871 à 1914. Paris, Hachette, 1980, p. 221-230. 2 J. Barthelémy, Essai sur le travail parlementaire et le système des commissions (Bibliothèque de l’Institut International de Droit Public), Paris, Delagrave, 1934, p. 99-100. - 535 - traditions propres. La Chambre des Représentants a adopté sans trop de discussion un règlement d’ordre intérieur qui était en grande partie basé sur celui de la Chambre des Députés française de Louis XVIII (1814). Pour la procédure législative, la Belgique a notamment copié les bureaux, appelés sections. Celles-ci, tirées au sort chaque mois au nombre de six, nommaient une section centrale, variable pour chaque proposition ou projet de loi. Leur rôle ne se bornait toutefois pas à la nomination d’une commission centrale, puisque les sections pouvaient elles aussi délibérer sur les projets de lois. Ainsi, tous les représentants avaient la possibilité de se prononcer sur un projet ou d’une proposition de loi en première lecture, comme en Committee of the whole House à la Chambre des Communes au Royaume Uni1. La Chambre a maintenu le système des sections jusqu’à la première guerre mondiale, bien que entre-temps le parlement belge ait subi une véritable transformation. Inexistants au début de l’indépendance, les partis politiques ont gagné de l’importance pour finalement dominer la scène parlementaire. Grâce au scrutin à la majorité absolue et au fossé profond entre catholiques et libéraux anticléricaux, le système de partis était aussi stable en Belgique qu’au Royaume-Uni. Des gouvernements homogènes catholiques/ conservateurs ou libéraux, appuyés par des majorités parlementaires solides, se succédaient. Ainsi, au dualisme constitutionnel entre couronne et parlement a succédé le dualisme entre majorité et opposition parlementaires2. Plus la lutte entre les partis s’est accentuée, plus le système des sections tirées au sort a été critiqué. Ce n’était pas seulement l’esprit partisan qui inspirait la critique. On invoquait parfois aussi des arguments assez nobles, comme la nécessité d’une rationalisation du travail législatif. Eudore Pirmez, un député libéral, le formulait ainsi dans son rapport sur le règlement en 1888 : De vives critiques sont dirigées contre le régime des sections qui, à la Chambre, est l’organisme normal de l’examen préparatoire des propositions de loi. Ce régime, dit-on, ne 1 A. De Meerleer, “De commissies en de afdelingen in de Kamer van Volksvertegenwoordigers”, Tijdschrift voor Bestuurswetenschappen en Publiek Recht, XIII (1958), 1, p. 98. 2 E. Gerard, “La Chambre des Représentants face au gouvernement ? Votes de confiance, votes de budgets et interpellations”, dans E. Gubin, J.-P. Nandrin, E. Gerard et E. Witte (éd.), Histoire de la Chambre des Représentants de Belgique 1830-2002, Bruxelles, Chambre des Représentants, 2003, p. 252-256. - 536 - répond en rien à ce qu’on devait en attendre. […] Le sort est impartial, mais il est inintelligent. Qu’amène ce groupement en six sections de tous les membres de la Chambre ? Rarement une distribution qui permette d’envoyer à la section centrale les hommes les plus aptes à l’étude d’un projet de loi1. L’absentéisme était l’autre source de critique. Lorsque l’importance politique des propositions n’était que minimale, les sections se bornaient souvent à simplement nommer une section centrale, sans débat. Comme le disait en 1907 Paul Hymans, autre député libéral : Quel travail accomplissent les sections ? Aucun. Alors à quoi servent-elles ? Uniquement à nommer une section centrale2. Ce n’est pas un hasard si ces deux exemples proviennent de représentants libéraux. Pendant trente ans, de 1884 à 1914, le parti catholique a gouverné seul, appuyé par une majorité absolue. Et le parti libéral, accompagné par les socialistes à partir de 1894, fut cantonné dans l’opposition. Il arrivait fréquemment que la composition de la section centrale, qui ne comprenait que sept membres (les rapporteurs des six sections et le président de la Chambre), ne reflétait pas les rapports de force entre les partis, ou qu’un ou deux des partis minoritaires ne soient pas représentés au sein de la section centrale. Certes, le règlement de la Chambre connaissait la formule des commissions. Il prévoyait des commissions spéciales ou ad hoc, mais la Chambre n’en faisait usage que pour les questions de moindre importance. De plus, ces commissions, nommées par le Bureau de la Chambre, ne garantissaient pas non plus une représentation équitable des groupes socialiste ou libéral. Depuis l’application de la proportionnelle pour les élections parlementaires en 1900, l’opposition l’exigeait aussi au sein du parlement. Mais comme plusieurs de ses membres redoutaient l’essor des groupes au détriment du représentant individuel, la majorité catholique n’était pas décidée à abandonner le système majoritaire. En 1901, Hoÿois, un représentant catholique, repoussait ainsi la représentation de groupes : 1 Chambre des Représentants de Belgique, Documents parlementaires, session 188788, 148, p. 2. 2 E. Toebosch, Parlementen en reglementen. Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 86. - 537 - Les différentes opinions ne seront pas toujours représentées, au sein des commissions permanentes, comme il conviendrait. Les groupes se modifient, en effet, selon la nature des questions à débattre.1 Il pouvait arriver, lorsque la majorité gouvernementale était réduite, que par le tirage au sort l’opposition contrôlât la moitié ou la majorité des sections. Dans ce cas, les sections constituaient un moyen efficace pour bloquer le rouage parlementaire. C’est ainsi qu’en 1911, les partis de l’opposition parvinrent à déclencher une crise ministérielle2. Mais alors qu’une commission aurait pu sauver la majorité catholique gouvernementale, la Droite, c’est-à-dire les députés catholiques, rejeta cette solution3. Ce refus n’avait rien de surprenant. C’était parmi les représentants de la majorité catholique que le parlementarisme classique du XIXe siècle, basé sur le député individuel, trouvait ses défenseurs les plus ardents. Charles Woeste, le leader incontesté des conservateurs catholiques, se disait « un ancien parlementaire », défendant les droits de l’opposition et des représentants individuels4. C’est lui qui exprimait en 1911 le refus de recourir à une commission pour sauver le projet gouvernemental : J’ai entendu du renvoi de la proposition à une commission. Je pense que ce n’est là qu’un bruit vague qui n’a aucune consistance. Il est en effet de tradition constante, dans cette assemblée, que les projets politiques soient renvoyés aux sections5. La Droite ne possédait ni discipline de vote, ni même une organisation proprement dite. On défendait la cause catholique et on ne refusait pas la confiance à un cabinet catholique, mais pour le reste 1 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1900-1901, p. 817. Le cabinet Schollaert avait introduit en mars 1911 un projet de loi, fort controversé, sur le bon scolaire. L’opposition, ayant une majorité dans la moitié des sections de ce mois, réussit à bloquer le projet. L’impasse ainsi créée se soldait en juin, après le dépôt d’un projet remanié et une intervention du Roi, par la démission du cabinet. 3 C. Woeste, Mémoires pour servir à l’histoire contemporaine de la Belgique. Tome II : 1894-1914. Bruxelles, L’Édition Universelle, 1933, p. 379-385. 4 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1900-1901, p. 818. Voir E. Gerard, “La Chambre des Représentants face au gouvernement ?”, o.c., p. 278 5 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1910-1911, p. 1446. 2 - 538 - les votes étaient libres. Abandonner le système des sections aurait privé les représentants de la Droite de leur arme la plus efficace : leur force numérique. Comme le disait un rapporteur catholique sur une réforme du règlement de la Chambre : Il est avantageux que la Section centrale reflète exactement le sentiment de la Chambre. Les commissions permanentes pourraient, par la défection de l’un ou de l’autre sur une question déterminée, marcher à l’encontre de l’opinion de la majorité de l’assemblée1. II. Le temps des réformes Comment expliquer alors le changement intervenu en 1918, bouleversant les rapports de force au sein de l’assemblée avant même que le parti catholique n’ait perdu sa majorité absolue lors des élections du 16 novembre 1919 ? L’explication de cette rupture avec les traditions parlementaires ne se trouve pas au Parlement, qui s’est trouvé affaibli par la guerre. La Belgique a été le seul pays où le parlement, par la force des choses, n’a pas siégé durant la guerre. En revanche, la monarchie belge sortait renforcée du conflit2. C’est le « Roi Chevalier » Albert qui rentre en novembre 1918 à Bruxelles à la tête de l’armée victorieuse. Le roi incarnait la victoire militaire et l’union sacrée entre les partis. Dans la confusion générale autour de la défaite et la retraite de l’armée allemande, on craignait le désordre total. L’Allemagne, la Russie et l’Autriche étaient déjà sous l’emprise de révolutions socialistes. Le roi prenait les devants. Laissant la majorité parlementaire d’avant-guerre de côté, il constitua un gouvernement d’union nationale, dans lequel les catholiques ne détenaient que la moitié des portefeuilles. Le but final de cette démarche était l’intégration des socialistes belges3. En novembre 1918, la Chambre des Représentants et son « ancienne » majorité, la Droite catholique, ont subi le cours des 1 Chambre des Représentants, Documents parlementaires, session 1900-1901, 127, p. 5. 2 E. Gerard, “ ’Een schadelijke instelling’. Kritiek op het Belgische parlement in België in het interbellum”, Bijdragen en Medelingen betreffende de Geschiedenis der Nederlanden, CXX (2005), p. 497-512. 3 E. Gerard et F. Verleden, La Démocratie rêvée, bridée et bafouée 1918-1939 (Nouvelle Histoire de Belgique Volume 2 : 1905-1950). Bruxelles, Éditions Complexe, 2006, p.21-28. - 539 - événements politiques, plutôt qu’elles ne l’ont dominé. « L’union au parlement paraissait devoir se maintenir au moins provisoirement ; on l’appela “l’union sacrée” ; mais la moins satisfaite de ces arrangements était la droite1. » Les parlementaires catholiques se trouvaient confrontés à un gouvernement formé au dehors du parlement. Le nouveau cabinet d’union nationale fut constitué au quartier général militaire du roi, au château de Lophem. Le premier ministre, un catholique modéré sans lien avec le parti catholique, n’avait aucune expérience politique. L’union sacrée et l’absence d’une opposition parlementaire formellement organisée constituaient le cadre politique qui poussa la Chambre à modifier sa procédure. À la reprise des travaux, les partis de gauche (libéraux et socialistes) exigeaient et obtenaient immédiatement une représentation plus forte au sein du Bureau de la Chambre. Le Bureau, jusqu’alors dominé par le parti majoritaire, allait par un accord des groupes appliquer la proportionnelle aux partis de droite et de gauche2. Négligeant les sections, ce Bureau tripartite a alors systématiquement encouragé les commissions. Comme il n’existait plus d’opposition parlementaire proprement dite et que le travail législatif à faire était énorme, le Bureau procédait de plus en plus à la nomination de commissions spéciales. Par l’application de la proportionnelle, l’ancienne opposition libérale et socialiste pouvait y jouer son rôle, tandis que les représentants étaient censés être nommés pour leur compétence. De plus, la proportionnelle permettait de contrecarrer les éléments les plus conservateurs de la majorité catholique d’avantguerre3. Ces dérogations au règlement se sont faites sans trop de discussions, à part quelques protestations venant de la Droite. Les grands dossiers politiques ont absorbé toute l’attention parlementaire. Le principe des commissions permanentes, instituées pour la durée d’une session, était déjà acquis au début de 19194. Après les 1 C. Woeste, Mémoires pour servir à l’histoire contemporaine de la Belgique. Tome III : 1914-1921. Bruxelles, L’Édition Universelle, 1937, p. 62. 2 E. Gerard, “Het voorzitterschap van Kamer en Senaat in België (1918-1974). Van parlementaire autonomie naar partijdige afhankelijkheid”, Res Publica, XLI (1999), 1, p. 128-129. Depuis les élections de 1914, les 186 sièges à la Chambre étaient répartis ainsi : 99 catholiques, 45 libéraux, 40 socialistes, et 2 Daensistes. 3 C’est ainsi que le projet de loi sur le suffrage universel masculin, la réforme la plus urgente et la plus symbolique du cabinet d’union nationale, connaît une histoire bouleversée à cause de la nécessité de procéder par les sections, où la Droite tenait une majorité numérique. 4 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1918-1919, p. 12 et 72. - 540 - élections du 16 novembre 1919 elles ont été inscrites au règlement de la Chambre. Les membres seraient désignés par les groupes, une décision qui avait suscité beaucoup d’émotion en France en 1910, mais fut acceptée sans heurts en Belgique. Les annales parlementaires du 19 mai 1920 le montrent : M. Le Président : Nous pourrions, me semble-t-il, fixer à quinzaine la nomination des membres des diverses commissions (marques d’adhésion). M. Mabille : Je crois que c’est la seule solution à prendre. Nous devons procéder à un travail d’ensemble et chaque groupe aura à désigner ceux de ses membres qui feront partie des diverses commissions1. Le rapport parlementaire de mai 1920 sur les réformes effectuées, qui faisait d’ailleurs référence à l’expérience française2, affirmait les avantages de commissions nommées par l’assemblée, c’est-à-dire les groupes, plutôt que tirées au sort : Évidemment on ne pourrait s’en remettre au sort du soin de nous y amener des compétences. C’est aux divers groupes qu’il faudra s’adresser pour la désignation de Membres plus spécialement indiqués à raison de leurs aptitudes, de leur profession, etc. pour s’occuper des questions ressortissant à tel ou tel Département3. III. Une période de transition Les réformes de 1918-1922 montrent une volonté de rompre avec la tradition parlementaire du XIXe siècle. L’introduction de la proportionnelle pour le Bureau et pour les commissions est une innovation marquante. Mais il y a une réserve : ces décisions ont été prises dans des circonstances exceptionnelles et beaucoup estimaient qu’elles étaient temporaires. Le rapport parlementaire de 1920 l’admettait explicitement : 1 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1919-1920, p. 1148. C. Cournoy, “Joseph Barthelémy et les commissions permanentes de la Chambre des Représentants de Belgique”, Res Publica, XXII (1980), 4, p. 591. 3 Chambre des Représentants, Documents parlementaires, session 1919-20, 263, p. 6. 2 - 541 - Or – c’est un fait d’observation peu contestable – l’existence d’un Gouvernement tripartite a eu pour effet d’amoindrir singulièrement la fonction de l’opposition. Les censeurs vigilants, constituants ce qu’on appelait, en Angleterre, l’opposition de sa Majesté, ont disparu. On ne sent plus la nécessité d’avoir toujours l’œil ouvert sur les actes d’un Gouvernement où chacun compte des amis. C’est un danger. Une opposition est salutaire pour les gouvernants1. L’ère des gouvernements d’union nationale a duré de novembre 1918 jusqu’en octobre 1921. Ce régime, où quasiment toute la représentation parlementaire était censée appuyer le gouvernement, était par sa nature même provisoire. Formellement, les innovations de 1918-1920 n’étaient pas définitives. La proportionnalité introduite au sein du Bureau en novembre 1918 n’était que l’exécution d’un accord temporaire entre les groupes, unis par une coalition gouvernementale. L’élection du Bureau par la séance plénière à la majorité absolue restait au règlement. On n’avait pas non plus aboli le système des sections. Les commissions, encore variables en 1918 et permanentes à partir de 1920, fonctionnaient à côté d’elles. On reconnaissait toujours que les sections, donc la totalité des représentants, devraient être « comme le thermomètre marquant l’atmosphère de la Chambre, qu’il est bon de consulter, et dont il est prudent de tenir compte si l’on ne veut se heurter plus tard, dans la discussion publique, à des résistances insoupçonnées2 ». Les sections continuaient, comme avant la guerre, à se prononcer sur les propositions « politiques », tandis les projets plus techniques ou de moindre importance étaient relégués aux commissions. Quant à la nomination des commissions, le règlement de 1920 n’en disait presque rien. Il fallut attendre l’évolution du système parlementaire après l’« union nationale » pour voir l’effet à long terme de l’expérience de la proportionnelle au sein du parlement. La fin de 1921 a vu le retour d’une opposition. Le « péril rouge » ayant disparu et un désir de restauration se manifestant à droite, les socialistes (entre-temps devenus la deuxième force politique après les catholiques) étaient 1 Chambre des Représentants, Documents parlementaires, session 1919-20, 263, p. 5. 2 Chambre des Représentants, Documents parlementaires, session 1919-20, 263, p. 6. - 542 - écartés du pouvoir. Toutefois, la constitution d’une majorité parlementaire stable s’avérait difficile. Une majorité dressée contre les socialistes, devait alors s’appuyer sur une coalition des catholiques et des libéraux. C’était une majorité bien précaire Ces deux groupes parlementaires étaient dépourvus d’une conduite disciplinée, les socialistes étant les seuls à être dotés d’une structure solide. Après la Première Guerre mondiale, il ne restait au parti catholique que l’apparence de l’unité. La Droite parlementaire serait dorénavant divisée entre la “Droite traditionnelle” (les conservateurs), la “Droite flamande” et la “Droite démocratique chrétienne”. Cette configuration catholique nébuleuse faisait qu’au début des années vingt, il n’était pas encore clair quels seraient les rapports entres catholiques, libéraux et socialistes. Jusqu’en 1925-27, il n’était pas invraisemblable que la politique belge puisse évoluer vers un dualisme entre un « bloc bourgeois » (catholiques conservateurs et libéraux) et une coalition « démocratique » (socialistes et démocrates chrétiens). Au lieu de cela, les forces catholiques ont su maintenir leur “union” et l’alternance de coalitions ne s’est pas réalisée1. La nécessité de coalitions pour former une majorité gouvernementale et l’évolution du parti ouvrier vers un parti de gouvernement expliquent pourquoi, une fois “l’union nationale” terminée, on n’a pas songé à retourner à la procédure parlementaire d’avant-guerre. Les socialistes n’étant plus au gouvernement, il fallait un nouveau lieu de concertation entre les trois grands partis politiques. À partir de janvier 1922, outre les membres du Bureau, neuf représentants des groupes étaient réunis en “comité (ou commission) de travail parlementaire”, afin de résoudre les problèmes concernant l’ordre du jour2. Le socialiste Émile Brunet restait président de la Chambre après 1921, alors que son parti se trouvait dans l’opposition3. Mais en ce qui concerne le règlement de la Chambre, les années vingt n’ont été qu’une période de transition. On le voit clairement on ce qui concerne l’application des sections. On utilisait à la fois les sections et les commissions permanentes pour le travail législatif préparatoire. En 1 E. Gerard et F. Verleden, La Démocratie rêvée, bridée et bafouée 1918-1939 (Nouvelle Histoire de Belgique Volume 2 : 1905-1950). Bruxelles, Éditions Complexe, 2006, p.93 et suiv. 2 Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1921-1922, p. 6 et 135. 3 E. Gerard, “Het voorzitterschap van Kamer en Senaat in België (1918-1974). Van parlementaire autonomie naar partijdige afhankelijkheid”, Res Publica, XLI (1999), 1, p. 130. - 543 - outre, sur proposition du Comité de Travail Parlementaire en 1922, des commissions variables « spéciales », cherchant à combiner les deux systèmes, furent créées pour l’examen des budgets. Ces commissions spéciales étaient composées des membres des commissions permanentes et d’un délégué par section, variant pour chaque budget1. Conclusion Ce n’est qu’en 1933-1935 que la Chambre des Représentants a profondément révisé son règlement. À cette occasion, la réforme « provisoire » de 1918-1922, la proportionnelle des partis politiques au sein de la Chambre, a été confirmée. La réforme de 1933 a confirmé également le fonctionnement d’un Comite de Travail Parlementaire, reflétant la composition politique. La prépondérance des commissions permanentes a été entérinée. En revanche, l’usage des sections, qui allait à l’encontre d’un système basé sur la représentation proportionnelle, devint l’exception, tout comme les commissions ad hoc, nommées par le Bureau2. Incidemment, le nouveau règlement de 1933-1935 – par une amélioration des travaux parlementaires – devait aussi répondre à la montée de l’antiparlementarisme, courant qui existait en Belgique comme dans d’autres pays. Les critiques adressées au parlement belge continuèrent cependant. De plus, plusieurs auteurs considéraient la proportionnelle des partis politiques – le principe qui était à la base des réformes parlementaires de 1918-1922 – comme une des causes de la dégradation du parlementarisme belge ou français : C’est dans l’absence de majorité au Parlement, qui tient elle-même à la diversité des partis et à leur manque de cohésion, que réside l’impuissance du pouvoir… Aucun gouvernement issu d’un Parlement divisé en une mosaïque de partis ne peut concevoir et réaliser un vaste programme3. 1 Chambre des Représentants, Documents parlementaires, session 1921-22, 161 et Chambre des Représentants, Annales parlementaires, session 1921-1922, p. 188 et 205-206. 2 E. Toebosch, Parlementen en reglementen. Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 89-90. 3 E. Mélot, L’évolution du régime parlementaire. Bruxelles, Émile Bruylant, 1936, p. 188.