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Voix plurielles 7.2 (novembre 2010)
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Pertinence ou non-pertinence des injures racistes dans les dictionnaires
Georges Farid, Université du Québec en Outaouais
Le présent article vise à relever, dans les dictionnaires, les injures racistes et les mots
péjoratifs liés aux appellations offensantes de peuples. Nous voulons rendre problématique la
présence de ces injures, réveiller les lexicographes de leur sommeil dogmatique, et soumettre
à un examen critique, dénué de complaisance, la dénomination sclérosée d’année en année,
des injures racistes accompagnées parfois des mêmes citations offensantes. Notre propos
n’est pas de traiter du problème général du racisme, mais du racisme se manifestant
uniquement dans des expressions linguistiques et des appellations injurieuses de peuples.
Loin de vouloir être la police du langage, rôle que nous laissons aux extrémistes de la
rectitude politique, mieux connue sous l’expression le « politiquement correct », nous
voulons questionner la pertinence, dans certains dictionnaires, notamment le Petit Robert
(PR) et le Petit Larousse (PL), d’une quarantaine de termes racistes.
Bien que l’objectivité nous suggère de présenter les faits sans prendre position, nous
préférons nous prononcer sur ce que certains appelleraient une plaidoirie contre les injures
racistes. Selon nous, les injures ou appellations racistes n’ont nul besoin d’exister sous
prétexte que leur présence ne devrait froisser personne, puisqu’elles ne décrivent
innocemment que ce qu’elles signifient sans aucune propagande haineuse.
Point terminologique
Puisque sont utilisés les mots injure et insulte dans cet article, leur définition
s’impose. Selon le PR, une injure est une parole offensante, alors qu’une insulte signifie acte
ou parole visant à outrager ; outrage étant une offense ou une injure très grave. Injurier ou
insulter, c’est attaquer non seulement par des impolitesses ou des grossièretés, mais aussi par
des violences verbales visant à blesser l’autre, à le toucher dans son amour-propre et à
attenter à sa dignité.
Pierre Enckell constate qu’« une injure ou une insulte s’adresse à quelqu’un en
particulier pour le blesser ou le dévaloriser [...] les injures peuvent trop souvent être
agressives, blessantes et répugnantes [...] » (15-16). Malgré la nuance entre les mots injure et
insulte, nous les utiliserons comme synonymes.
Le mot péjoratif sera employé pour signifier que le terme comporte une acception qui
déprécie la personne désignée. Aussi, il importe de noter la distinction que le PR et le PL font
entre les mots vieilli et vieux que nous utiliserons ultérieurement : est défini comme vieilli un
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mot, un sens ou une expression encore compréhensible de nos jours, mais qui ne s’emploie
plus naturellement dans la langue parlée courante. Quant à vieux, il est défini comme un mot,
un sens ou un emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos
jours et jamais employé, sauf par effet de style.
PL- ou PR- signifie que ni le Petit Larousse ni le Petit Robert ne donne la connotation
péjorative du mot ou ne fait figurer ce mot dans leurs nomenclatures.
Méthode
Bien qu’il existe des dictionnaires sur les injures, il est curieux qu’aucun ouvrage, à
notre connaissance, n’ait consigné les injures et les mots péjoratifs à connotation raciste.
L’interrogation de plusieurs banques de données informatisées, à partir de mots clés tels que
« racisme, injure, invective, insulte, offense… », ne nous a donné qu’un nombre infime
d’injures racistes reliées aux dénominations de peuple, ce qui nous a obligé d’analyser, une à
une, chacune des nationalités et nombre de termes péjoratifs, dans le Petit Robert 1993 (PR)
et Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2007 et le Petit Larousse 1999 (PL).
Aussi, nous nous sommes référé au Trésor de la langue française 2004 (TLF), plus détaillé et
explicite.
Incursion dans l’univers du racisme
Avant de présenter les injures racistes, nous croyons plausible d’opérer une brève
incursion dans cet univers pour comprendre la gravité de ces injures.
L’injure raciste traduit des stéréotypes dévalorisants et globalisants ; elle est une
célébration d’une prétendue supériorité d’une culture à une autre. Salmon nous apprend
qu’une des bases du préjugé raciste est l’ignorance des autres groupes humains qu’il explique
comme suit : le préjugé, en corrélation avec diverses formes de rigorisme, de manque
d’instruction, d’étroitesse d’esprit et d’isolement social, s’accompagne de stéréotypes,
c’est-à-dire de généralisations dont le contenu trop simplifié ne répond pas aux faits
objectifs (172).
Taguieff souligne que « [...] les nouveaux modes discursifs de racisation opèrent sur
du sous-entendu, de l’implicite, du connoté, du présupposé. Ainsi, les intentions judéophobes
ne se déclarent-elles plus ‘antisémite’ mais se révèlent-elles, par exemple, à travers des
énumérations de noms propres ‘à consonance juive’ dans des contextes polémiques où sont
dénoncés des ‘parasites’, des ‘dominateurs’, des ‘profiteurs’, des ‘menteurs professionnels’,
des ‘comploteurs’ » (43). Cela est d’autant plus vrai que le PR donne, dans un sens vieux et
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classique comme un des synonymes de juif, une personne âpre au gain, avare, et cite
Molière : « Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? », et ce, tout en prévenant le lecteur qu’il s’agit
d’un emploi diffamatoire.
Dans une autre perspective, Taguieff note que « [...] les appels les plus violents à la
haine, au rejet, à l’expulsion, etc., en arrivent à se présenter comme des conclusions logiques
et légitimes de l’attachement patriotique ou de l’affirmation de la tradition républicaine, du
respect des identités culturelles ou du droit à la différence » (45). Les propos précédents
s’appliquent aux différentes appellations injurieuses dans la Seconde guerre mondiale des
soldats allemands par des mots comme « frisé, fridolin... ». Il en est de même dans une autre
guerre de l’Amérique contre le Vietnam où « viet » est une injure raciste.
Sur un autre plan, des linguistes analysent certaines expressions péjoratives qui sont
devenues des automatismes linguistiques, des clichés, des stéréotypes linguistiques.
Schapira constate que « [...] on les prononce sans même y penser : la langue les a fixés une
fois pour toutes et nous les a donnés tels quels, avec le reste du lexique ; elle note aussi qu’il
existe des stéréotypes qui constituent des moules de pensée, des moules stylistiques, des
moules lexicaux qui, consciemment ou inconsciemment, voire insidieusement, forment notre
mentalité et façonnent notre usage de la langue. [...] C’est le cas de l’alcoolisme supposé des
Polonais [...], le stéréotype de pensée s’accompagne d’un stéréotype de langue, puisqu’il a
donné l’expression saoul comme un Polonais » (1). Gross considère ce type de stéréotype
comme un « figement sémantique » (119-120).
Schapira caractérise autrement d’autres expressions, où « le stéréotype n’est pas
supposé, mais impliqué : [...] les Gascons ne tiennent pas leurs promesses (propos de
Gascons) ; les Normands donnent des réponses ambiguës (réponse de Normands). Ces
locutions, avec les idées reçues qui leur sont attachées, avec les proverbes et les dictons [...]
forment ensemble un fonds d’idées, voire de préjugés qui, consciemment ou inconsciemment,
représentent la mentalité d’une communauté linguistique à un moment donné du
développement de sa langue » (32).
De quelques expressions historiques quasi racistes et d’injures racistes contemporaines
Dans le PR et le PL, nous avons relevé les expressions péjoratives liées à la race ou
qui désignent, de façon injurieuse, tel ou tel peuple. Dans certains cas, nous avons eu recours
au Trésor de la langue française (TLF), à titre de comparaison. Nous avons commenté
quelques termes, alors que d’autres, plus évidents et faute d’espace, ont été simplement
mentionnés avec ce à quoi ils font référence.
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1. Alexandrin. Le PR cite Sartre : « Les discussions alexandrines », connotation négative
qui signifie des discussions excessives. Le PL s’abstient de faire figurer la connotation
négative (PL-).
2. Algonquin. Seul le TLF donne une connotation péjorative : un individu ignorant les
usages du monde et accoutré de manière bizarre. PL et PR ne donnent aucune connotation
péjorative (PL-/PR-).
3. Amerloque, Amerlo, Amerlot. PL et PR soulignent que ces termes sont familiers et
péjoratifs, et désignent un Américain des États-Unis. Ricain, selon le PL, est aussi un
terme familier et péjoratif qui désigne un « Américain des États-Unis ». Le PR consigne
ce terme sans mention de l’aspect péjoratif!
4. Apache. Le PR donne le sens vieux (c’est-à-dire incompréhensible de nos jours) et très
péjoratif de « malfaiteur, voyou de grande ville prêt à tous les mauvais coups », alors que
le PL considère un sens vieilli (c’est-à-dire compréhensible de nos jours, mais qui ne
s’emploie plus naturellement dans la langue parlée courante) et péjoratif pour faire
référence à « malfaiteur, voyou ». Le PR nous réfère également à « malfrat et ajoute, dans
la définition d’Apache, que ce terme désigne un « Indien d’une tribu du sud des
États-Unis, réputée pour ... sa férocité ».
5. Asiate. Curieusement, seul l’adjectif « asiate » est considéré comme péjoratif ou ironique
par le PR, alors que le PL le considère injurieux et raciste !
6. Basque. Ce peuple est généreusement servi par l’expression péjorative « parler le français
comme un Basque espagnol » mieux connue selon l’expression incorrecte « comme une
VACHE espagnole » (où « vache » serait l’altération de Basque [vasco, vasca]).
7. Béotien. Ce terme désigne quelqu’un « qui manque de finesse intellectuelle ». Le TLF
cite Montesquieu : « Les Béotiens, les plus épais de tous les Grecs ». Le PR donne le sens
d’un habitant de Béotie réputé pour sa lourdeur, personnage de goûts grossiers, profane ;
ce à quoi le PL ajoute une personne qui manque de goût et qui est peu ouverte aux
beaux-arts, à la littérature. Dans tous les cas, une expression non élogieuse envers les
Béotiens est née et persiste : « être béotien en... » (dans un domaine) signifie « être
profane en... ». Fréchette nous apprend que la Béotie est la région de Thèbes de
l’ancienne Grèce où les habitants étaient traités de lourdauds par les Athéniens (32).
8. Bicot. Bien que ce mot ne désigne pas un pays, il est considéré, sous le registre familier,
vieilli et péjoratif, comme une injure raciste pour insulter un indigène de sexe masculin
d’Afrique du Nord. Le PR cite Kessel : « Défendu aux Français, ce soir, dit-il. C’est le
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jour des bicots ». Cette injure s’entend aussi de façon abrégée sous Bic. Le PL ne donne
aucun sens péjoratif à bicot, lequel ne désigne qu’un chevreau (PL-).
9. Bohémien : « habitant de la Bohême ». PR et PL notent l’emploi péjoratif de ce terme qui
signifie « vagabond ». PR mentionne comme péjorative l’expression avoir l’air d’un
bohémien qui signifie « être mal habillé, sale ». Aussi, sous l’entrée Bohème (tzigane
nomade), le PR cite Nerval : « Je suis un fainéant, bohème journaliste », et par extension,
donne à bohémien le sens de « membre d’un groupe vivant d’artisanat, de mendicité, qui
imite la vie vagabonde de ces tribus, etc. ». Le TLF ajoute, pour bohémienne, une
connotation péjorative au sens familier : « C'est une (vraie) bohémienne » qui se dit d'une
femme adroite sachant employer la ruse et les cajoleries pour arriver à ses fins ; ou d'une
femme dont les manières sont trop libres, d'une femme dévergondée. Sous cette
dénomination, le PR inclut Romanichel qui désigne péjorativement un Tzigane nomade.
Romano, au sens péjoratif et populaire, nous renvoie à Romanichel. Le PL donne le
même sens péjoratif et ajoute l’abréviation Rom.
10. Bougnoul : « nom donné par les Blancs du Sénégal aux Noirs autochtones ». Le PR
considère ce terme comme familier, péjoratif et une injure raciste. Ce qui reste ambigu est
le fait que ce même terme, selon le PR, signifie également « Maghrébin, arabe » sans
mention de connotation négative. Une citation de Mauriac est donnée : « Ces désespérés
qui ont pris les armes pour n’être plus jamais les ratons et les bougnoules de personne. »
Le terme bougnoul ne figure pas dans la nomenclature du PL (PL-).
11. Byzantin : « qui évoque, par son excès de subtilité, par son caractère formel et oiseux, les
disputes théologiques de Byzance » dit le PR. Le PL donne la même définition. D’où
l’expression péjorative discussions byzantines que Weil et Rameau (182) commentent
historiquement : « On raconte qu’au moment où Constantin Dragasès (...) défendait
Byzance contre le sultan (...) arrivé sur les remparts mêmes de la ville, les moines de
Byzance, eux, se livraient à de vifs débats sur des questions de théologie et de
discipline... ».
12. Chinetoque, Chinois. Selon le PR et le PL, chinetoque est un terme familier ou péjoratif,
une injure raciste qui désigne un Chinois. Quant à Chinois, le PR, donne un sens familier
vieilli « un individu à l’allure bizarre dont on se méfie. Personne qui subtilise, ergote à
l’excès ». Comme adjectif, chinois signifie, entre autres, « bizarre et compliqué (par
allusion à l’écriture chinoise). Exemple : C’est assez chinois ».
Il existe aussi une locution liée à cette nationalité : « c’est du chinois » qui veut dire
« c’est incompréhensible », et une dérivation « chinoiserie » qui, dans la langue courante,
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fait référence à « une complication inutile et extravagante »; le PR donne comme
exemple : « les chinoiseries administratives ».
Le PL ne mentionne qu’une définition précitée : « qui aime la complication, les subtilités
excessives »
et
donne
l’expression
« c’est
du
chinois »
pour
dire
« c’est
incompréhensible ». Le TLF ajoute à cette nuance péjorative : une personne « qui
présente des ressemblances avec les Chinois, leur physique et surtout leur caractère réel
ou présumé ; qui est étranger, peu intéressant, original, compliqué, rusé », et ce, avec une
citation de Balzac : « C’est ce satané farceur de lord Byron qui vous a valu cela. Oh ! ce
chinois d’Anglais était-il rageur ! (Balzac, Un début dans la vie, 1842, p. 368) ».
13. Chleuh, Schleu. Pour le PR, ce terme, familier et péjoratif, désigne « un Allemand ou
une Allemande en tant qu’ennemi, pendant la Deuxième Guerre mondiale », alors que,
pour le PL, ce terme est une injure péjorative qui désigne un Allemand.
Des synonymes sont donnés avec une variation de registres d’un dictionnaire à l’autre :
-
Boche : terme vieilli, familier et injurieux pour désigner un Allemand (PR). Pour le
PL, ce terme est aussi vieilli, familier et injurieux. Fréchette (39) précise que ce terme
est un surnom donné par les Français aux Allemands depuis la Première Guerre
mondiale de 1914-1918 (d’Alboche, qui signifie « tête de bois » en argot allemand).
-
Fridolin : terme familier et péjoratif pour désigner un Allemand durant la Seconde
Guerre mondiale (PR). Le PL donne la même définition, note que ce terme est vieilli
pour désigner notamment un soldat allemand, mais ne précise pas que ce dernier est
péjoratif !
-
Frisé : terme familier et péjoratif qui désigne un « Allemand durant la Seconde
Guerre mondiale » (PR). Ce terme est absent du PL (PL-).
-
Fritz : « soldat allemand » au sens familier et vieilli sans connotation péjorative pour
le PR, alors qu’il est considéré comme familier, péjoratif et vieilli par le PL.
-
Teuton : terme péjoratif et vieilli qui désigne un Allemand ou ce qui est germanique
(PR). Le PL donne la même définition sans souligner l’aspect vieilli du terme en
question.
-
Tudesque : un adjectif, qui signifie « propre aux anciens Allemands, aux
Allemands » ; ce terme, au sens vieilli, comporte une connotation péjorative (PR). Le
PL note que ce terme est vieux et signifie « qui se rapporte aux Allemands » ;
toutefois, il n’y a aucune mention de l’aspect péjoratif ! (PL-).
14. Crouille, un crouillat : terme populaire et péjoratif, injure raciste, dit le PR, pour
désigner un Nord-Africain. Une citation de Simonin couronne cette injure : « J’ai entendu
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Suzanne qui disait au crouille : Pas ici, Ali » (PR 1993). La citation du PR (2007) ne
semble pas plus élogieuse : « Il fallait les virer vite fait, ces crouilles, rapport à la pureté
du cheptel français d’abord, au chômage ensuite, et à la sécurité enfin » (Pennac). À noter
la minuscule puisque ce terme ne désigne ni un pays ni ses habitants. Le PL ne consigne
pas ce terme dans son dictionnaire (PL-).
15. Gascon : le PL considère ce terme vieux ou littéraire au sens de « fanfaron, hâbleur » ; le
PR précise l’aspect péjoratif et vieilli de ce dernier : « qui a des traits de caractère
attribués aux Gascons » et nous réfère à « fanfaron, hâbleur ». Le PR et le TLF
s’entendent sur l’expression offre, promesse de Gascon qui signifie « une offre peu
sérieuse, une promesse qui n’est pas toujours tenue ». Cette expression en anglais est « a
non commital answer ». Le PL ne souligne rien de particulier (PL-), contrairement au
TLF qui ajoute des locutions non moins négatives : à la gasconne : à la manière des
Gascons ; en gascon : avec habileté. Le TLF cite : « Se tirer en gascon d'une situation
délicate (Lexis 1975). Faire une lessive de gascon : retourner son linge pour donner
l'illusion de la propreté (HAUTEL 1808). »
16. Huron : PR nous apprend que ce terme désigne un membre d’une peuplade indienne
(PR 1993)/nation amérindienne (PR 2007) du Canada. Le PR donne aussi le sens vieux de
« personne grossière » et nous réfère à « malotru ». Le PL donne deux entrées pour ce
terme et explique que, sur le plan littéraire, huron est une personne grossière, un malotru.
17. Jaune : « personne de race jaune (emploi désobligeant) » selon le PR.
Le PL donne la même définition en se concentrant sur la peau de couleur jaune, personne
xanthoderme. Le PL souligne que la majuscule de ce terme a souvent fait l’objet
d’emplois péjoratifs.
18. Juif : à part la définition « nom donné depuis l’Exil (IVe siècle avant J.-C.) aux
descendants d’Abraham », le PR donne deux sens : celui de « prêteur d’argent » dans le
sens vieux dans la langue classique, et le sens diffamatoire de « personne âpre au gain,
avare ». Molière est cité : « Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? ». Le PL ne donne aucune
signification ou citation péjorative (PL-).
Dans le style familier et péjoratif, un Youpin, selon le PR, est une injure raciste qui
désigne un Juif. Dans une autre perspective moins injurieuse mais non élogieuse, la
locution c’est de l’hébreu signifie « c’est incompréhensible » (PR, PL). Ce terme n’est
pas mentionné dans le PL (PL-).
Le TLF nous informe que juif, péjorativement, est synonyme de « avare, usurier » à cause
des métiers d'argent interdits aux chrétiens et réservés aux juifs au Moyen Âge. Le TLF
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cite Dumas père : « Sans doute quelque vieil avare, quelque vieux juif (Laird de
Dumbiky, 1844, III, 9, p. 89) ».
Le TLF mentionne également le substantif masculin, vieilli Juifaillon, Juivaillon
synonyme péjoratif de juif. Le TLF cite L. Daudet : « Je reconnais là un de ces juifaillons
qui infestent le pays des Morticoles (Morticoles, 1894, p. 164) ».
Le TLF passe à Juiferesse, substantif féminin, synonyme péjoratif de juive et cite Borel :
« Nous approchons fort, la juiverie doit être peu éloignée maintenant. – La juiverie ! (...)
– Votre future est donc une hérétique ? une juiferesse ? – Une israélite, maître
(Champavert, 1833, p. 117). »
Le TLF nous conduit enfin à Juivillon, terme plutôt rare qui signifie « jeune juif ». Le
TLF cite Jammes : « Isaac Laquedem passe dans la rue [...] de son manteau rouge et bleu
sortent mille juifs et juivillons, vêtus le plus curieusement du monde, qui fourmillent sur
le marché au bric-à-brac (Mém., 1923, p. 85). »
En terme d’expression, il en existe une à connotation quelque peu péjorative : juif errant.
Weil et Rameau (146) la commentent comme suit : « l’expression est très ancienne, et
vient évidemment de la situation particulière des Juifs pendant le Moyen Âge. Répandus
dans divers pays [...] toujours considérés comme des étrangers, du fait de leur langue et
de leurs coutumes, ils n’avaient généralement pas le droit de posséder de terres. Le Juif
est devenu le symbole même de l’errance et du déracinement ». Si cette expression est
moins justifiée de nos jours, sa présence explicitée dans un dictionnaire a le mérite
d’éclairer tout lecteur sur un aspect historique, selon certains. Pour d’autres, cette
expression historique n’est plus pertinente aujourd’hui et ne devrait plus subsister pour
caractériser, comme une tare, le peuple d’Israël.
19. Kroumir : « de la tribu tunisienne des Kroumirs » dit le PR qui donne trois autres sens
dont un péjoratif : « individu méprisable » dans un sens vieux et familier ; « les anciens »
selon le sens moderne. Le PL ne mentionne pas ce terme (PL-), alors que le TLF le
consigne : au pluriel, ce terme fait référence à la « population de la frontière algérotunisienne, habitant la Kroumirie, et réputée autrefois pillarde ». Le TLF souligne
également l’emploi vieilli et argotique de ce terme dans le sens de « voyou, malotru ».
Faut-il s’étonner du passage sémantique de « pillard » à « individu méprisable » ?
20. Un Lesbien, une Lesbienne : ces termes signifient « de Lesbos, île de la mer Égée ».
Cependant, le féminin (en minuscule) désigne couramment une « femme homosexuelle »
et, au sens familier et péjoratif, une « gouine », c’est-à-dire une prostituée, une tribade
selon le PR. Le PL ne donne que les définitions de Lesbos, c’est-à-dire relatif au
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lesbianisme, de femme homosexuelle, sans mention de connotation péjorative. Si la
majuscule permet de distinguer l’habitante de la minuscule qui ne l’est pas
nécessairement, cela n’est pas le cas à l’oral. Sur une note plus humoristique, on sourira
devant le désarroi de ce courtisan qui, après avoir été averti que la femme qu’il voulait
pressentir était lesbienne, ne comprenait pas pourquoi sa tentative s’était soldée par un
cuisant échec après qu’il lui eut demandé : « Madame, on m’a dit que vous étiez
Lesbienne, de quel côté de la Lesbie êtes-vous ? »
21. Macaroni : à part la définition courante qui fait référence aux pâtes alimentaires en forme
de tube, un macaroni, selon le PR, est un terme injurieux qui désigne un Italien ou, dans
un sens vieilli et elliptique, un mangeur de macaronis. Le PL ne donne que la définition
courante liée aux pâtes alimentaires (PL-). Rital est aussi un terme familier et péjoratif
qui est utilisé pour désigner un « Italien » selon les PR, PL et TLF.
22. Malabar : « Indien de la côte de Malabar », ce à quoi le PR ajoute le sens de « lascar »,
et, au sens argotique, celui d’un « homme très fort, une armoire à glace ». Le PL
considère ce terme comme familier et lui donne le sens de « homme grand et fort », et ce,
sans aucune connotation péjorative. Cette différence nous laisse perplexe, car si le sens
usuel est celui du PR avec la connotation péjorative, quelqu’un risque de l’utiliser selon le
sens neutre du PL et de se retrouver dans une situation épineuse.
23. Melon : terme populaire et péjoratif, injure raciste qui fait référence à un « Nord-Africain,
maghrébin » selon le PR. Le PL ne fait aucune mention de la définition péjorative (PL-).
24. Métèque : à part le sens historique, ce terme au sens vieilli est une injure raciste qui
désigne un « étranger (surtout méditerranéen) vivant en France, et dont l’allure, le
comportement sont jugés déplaisants » dit le PR qui, en 1993, cite Simone de Beauvoir :
« Une allure de métèque. Sale métèque ! Il détestait les métèques, s’indignait qu’on
permît aux Juifs de se mêler des affaires du pays. » En 2007, le PR garde la première
partie de la citation jusqu’à « Sale métèque », élimine la deuxième partie comportant le
mot « Juifs » qu’il remplace par : « Un ramassis de métèques mal débarbouillés » et
attribue toute la citation à Tournier. Le PL note, entre autres, le sens péjoratif (sans
mention de l’injure raciste) de ce terme qui désigne un étranger établi en France et dont le
comportement est jugé défavorablement.
25. Mongol : « de Mongolie. Tribus mongoles » dit le PR qui donne aussi « mongolien »,
lequel a malheureusement deux sens : un vieux sens qui signifie « de Mongolie », et un
sens moderne qui signifie « relatif au mongolisme », c’est-à-dire l’affection due à une
aberration chromosomique, la trisomie 21. Dans le premier sens, le PR donne comme
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exemple « populations mongoliennes » ; dans le deuxième sens, il donne celui d’un
« enfant mongolien ». En 2007, le PR ajoute à « mongolien » le sens qu’il considère
familier et péjoratif de « stupide » (avec référence à « gogol » et « débile ») et cite une
ligne d’un script du film Le Père Noël est une ordure : « Qu’est-ce qu’elle me dit, la
mongolienne ? ». Le PL s’en tient seulement à la trisomie. Il est souhaitable d’avoir deux
sens qui ne soient pas interchangeables. Un « enfant mongolien » ne peut-il pas être de
Mongolie sans être atteint de mongolisme ?
26. Moricaud : en référence à More, ce terme, nous dit le PL, est familier, souvent péjoratif
et raciste ; il signifie « qui a la peau très brune ». Le PR précise qu’il s’agit d’un terme
spécialement TRÈS raciste, et cite Tournier : « Tes cheveux frisés et ton teint de
moricaud ».
27. Munichois : « de Munich ». Cependant, le PR donne aussi un sens historique qui signifie
« partisan des accords de Munich de 1938; sens qui, par extension, est péjoratif lorsqu’il
désigne « une attitude de soumission face à une démonstration de force ». Le PR cite le
journal Le Monde, 1990 : « les munichois (sic) et les va-t-en-guerre ». Le PL ne donne ni
la nationalité ni le sens péjoratif (PL-), ce qui, dans le deuxième cas, pourrait mettre, dans
des situations critiques, certains locuteurs non renseignés sur le sens péjoratif.
28. Nègre : « personne de race noire » (emploi vieilli ou péjoratif). Nous lisons entre autres
définitions : « Noir employé autrefois dans certains pays chauds comme esclave » dit le
PR. Le PL s’empresse d’ajouter que la connotation fréquemment raciste de ce mot rend
préférable l’emploi du terme « Noir ». Bien que nègre ne désigne pas un peuple en
particulier, nombre de racistes l’utilisent pour pointer les Noirs quelle que soit leur
origine.
Le PR donne aussi l’expression : parler petit-nègre, qui indique un français dont la
syntaxe est simplifiée, un français parlé par les indigènes des anciennes colonies
françaises comme dans « Moi pas vouloir quitter pays ».
D’autres expressions moins flatteuses sont également utilisées :
- nègre en chemise qui fait référence à un « entremets au chocolat nappé d’une crème
anglaise ». Le PR donne la même définition : « entremets au chocolat garni de
crème ».
- tête-de-nègre qui, dans le PR, est « une pâtisserie composée d’une meringue
sphérique enrobée de chocolat » et aussi « un bolet bronzé » ; dans les deux cas, ces
définitions existent parce que l’aspect de cette pâtisserie et de ce bolet est « par
analogie d’aspect avec la tête d’un nègre » dit le PR !
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- travailler comme un nègre, expression familière qui signifie « travailler très dur, sans
relâche ». Anciennement, « nègre » faisait référence à « esclave noir ». Le PL donne
comme exemple « Les nègres d’une plantation ».
À titre de comparaison, nous lisons, sous l’entrée Négro, la définition suivante :
« personne de race noire », dit le PR qui précise que ce terme est une injure raciste qui
exclut la femme. L’exemple cité : « Les négros et les bicots ».
En ce qui concerne Négrillon, le PR et le PL nous apprennent qu’il s’agit d’un « terme
vieilli et péjoratif qui désigne un ‘enfant de race noire’ ». Le PR cite Balzac : « Des
négresses et des négrillons achetés par mon oncle. » Ce même terme, sous la mention « par
plaisanterie », désigne aussi « un enfant de race blanche très brun de peau ou de teint ».
Par rapport au terme Négroïde, il s’agit d’un adjectif dont la signification est « qui
présente certaines caractéristiques propres à la race noire » ; le PR, sans aucune mention
péjorative, donne comme exemple « type négroïde, lèvres négroïdes ». Le PL, quant à lui,
souligne le caractère souvent péjoratif ou raciste de ce terme qui « rappelle les
caractéristiques morphologiques des Noirs, notamment celles du visage ».
29. Normand : le PR donne la locution « une réponse de Normand » qui signifie une réponse
exprimée en termes ambigus. Le PL donne la même définition.
30. Paysan du Danube. Le PR comme le PL ne donnent aucune entrée sous Danube.
Cependant, sous l’entrée Paysan, le PR note l’expression paysan du Danube qu’il
explique comme suit : « se dit d’un homme qui scandalise par sa franchise brutale » et lui
donne le sens péjoratif de « rustre ». Le PR cite Ste-Beuve : « Franklin parlant ainsi
devant le Parlement de la vieille Angleterre, était un peu comme le Paysan du Danube ».
Le PL ne mentionne pas cette expression (PL-).
31. Peau-Rouge : « anciennement, Indien d’Amérique » dit le PR. Le PL ne donne que le
pluriel de ce terme sans aucune définition. Nous croyons que cette appellation est une
bévue.
32. Polaque ou Polack : à part la définition historique (cavalier polonais, mercenaire des
armées françaises), le PR précise que ce terme comporte un sens familier et péjoratif qui
désigne un Polonais. Le PL ne donne que la définition historique, même édulcorée :
« cavalier polonais au service de la France, aux XVII e et XVIII e siècles » (PL-). Dans le
PR (1993, 2007, 2010), il est curieux de constater, sous l’entrée Soûl, la citation dont
l’auteur reste inconnu : « Il était soûl comme un cochon, comme une grive, comme un
âne, comme un Polonais, comme une bourrique. ». Le PL omet cette comparaison
dégradante (PL-).
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33. Raton : terme familier et péjoratif, injure raciste qui fait référence à un « Maghrébin », dit
le PR. De là, nous retrouvons le dérivé ratonnade : expédition punitive ou brutalités
exercées par des Européens contre des Maghrébins. Le PR cite : « Depuis le 13 mai 1958,
cette affreuse chose qu’on appelait les ‘ratonnades’ avait disparu (Le Monde 1960). »
En 2007, le PR ajoute la citation de Ben Jelloun : « J’appris les expressions ‘chasse à
l’homme’, ‘chasse à l’Arabe’, ‘ratonnade’ ». Par extension, ce terme signifie « brutalités
commises contre un groupe ethnique ou social ». Le PL définit ratonnade de la même
manière en notant que ce terme provient d’un sens injurieux et raciste de raton ; toutefois,
sous l’entrée Raton, le PL ne donne que la définition de l’animal en question.
34. Rosbif : terme familier, péjoratif et vieilli qui fait référence à un « Anglais » (mangeur de
rosbif) selon le PR. Le PL ne donne que la définition liée à la nourriture : une pièce de
bœuf ou de cheval destinée à être rôtie.
35. Samaritain : de la ville ou de la région de Samarie. Le PL souligne qu’en Suisse ce terme
désigne un secouriste. Le PR, en plus d’autres considérations historico-judaïques, note
comme ironique la locution faire le bon Samaritain qui signifie « se montrer secourable,
être toujours prêt à se dévouer ». Il est étrange que, à partir d’un fait biblique lié à une
bonne action, celle-ci devienne une expression contemporaine ironique !
36. Sioux : « membre d’une peuplade indienne (PR 1993) / nation amérindienne (PR 2007)
de l’Amérique du Nord » dit le PR qui ajoute la locution familière des ruses de Sioux qui
signifie « très habiles, très astucieux ». Le TLF donne l’emploi adjectival familier c'est
sioux ou c’est drôlement sioux pour dire « astucieux ». Cette locution devient plus
péjorative avec le PL qui ajoute le sens de « rusé, retors ».
37. Suisse. Selon le PR et le PL, est un habitant de la Suisse. À part les différents sens notés,
deux locutions quelque peu négatives sont données : manger ou boire en suisse qui
signifie « tout seul, en cachette », et la locution proverbiale point d’argent, point de
Suisse qui signifie « on ne donne, on ne fait rien pour rien ».
38. Turc : habitant de la Turquie ottomane ou moderne. Seul le PR souligne, entre autres, un
vieux sens figuré et péjoratif, lequel désigne un homme dur et cruel. Le PR nous réfère
aussi à « turquerie » définie, dans un vieux sens, comme ayant un caractère turc, dur,
impitoyable. Molière est cité : « Il est d’une turquerie à désespérer tout le monde. » Aussi,
le PR et le PL définissent turquerie comme une œuvre artistique ou littéraire représentant
des scènes turques ou d’inspiration orientale. Cette définition est la seule citée par le PL
qui préfère omettre l’autre sens péjoratif (PL-).
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Il existe une expression dénigrante tête de Turc que le PL considère seulement comme
familière pour désigner une personne qui est sans cesse en butte aux critiques, aux
railleries. Le PR, pour les expressions être la tête de Turc de quelqu’un, servir de tête de
Turc, donne la même définition sans mention du registre de langue, mais précise, pour
tête de Turc, qu’il s’agit d’un dynamomètre sur lequel on s’exerçait dans les foires en
frappant sur une partie représentant une tête coiffée d’un turban.
39. Viet : abréviation de « Vietnamien », pour désigner un soldat vietnamien du Viêt-minh.
Le PR nous informe que cette abréviation est familière ou péjorative. Dans la version de
1993 du PR, on retrouve la citation suivante qui a été supprimée de la version de 2007 :
« Pour lui [...], le bon Viet, c’est le Viet mort » (Courchay). Le PL ne mentionne ni
l’abréviation précédente ni le sens péjoratif, mais uniquement la définition : « du Viêt
Nam, de ses habitants » (PL-). Cette citation a été supprimée de la dernière édition du
PR 2010.
40. Yankee. Selon le PR, ce terme, au point de vue historique, a une connotation souvent
péjorative pour désigner un « habitant de la Nouvelle-Angleterre, puis, durant la guerre de
Sécession, Nordiste (pour les Sudistes) ». Le PL note que l’emploi de ce terme comme
adjectif familier est souvent péjoratif pour signifier « une personne des États-Unis ».
Observations et analyse
Les dictionnaires jouent un rôle important et apportent certes des éléments
fondamentaux du savoir, mais, avec ceux-ci, est-il nécessaire d’intégrer les injures racistes
susceptibles de favoriser une propagande plus naïve que haineuse contre certaines races,
même si celle-ci n’est pas intentionnelle ?
Nous sommes en droit de nous demander à qui profitent ces injures. N’offensent-elles
pas plus qu’elles n’apprennent quoi que ce soit aux lecteurs et lectrices ? Leur présence
est-elle pour favoriser les insultes raciales ? Ces locutions racistes et injurieuses, pour qui
sont-elles indispensables : aux phraseurs, aux professionnels, aux amateurs ou aux
observateurs du langage, aux lexicographes ?
Éructer des injures racistes n’est pas un simple jet de cocktails Molotov lexicaux mais
une provocation et une humiliation de « l’autre » par des termes chargés de préjugés éculés,
pourvus de haine, de mépris, d’irrespect, d’hostilité, d’agressivité. En effet, nombre d’injures
racistes résultent d’attitudes idéologiques apparues dans un contexte historique déterminé,
notamment les appellations des Allemands par « Fridolin, Frisé, Fritz, Chleuh... », des
Vietnamiens par « Viet », etc. Bien que, par le passé, l’argot militaire ait alimenté la langue
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populaire, on peut se demander comment certaines expressions injurieuses ont pu faire
carrière dans les dictionnaires contemporains, alors que d’autres sont tombées en désuétude,
voire presque disparues. La présence de certains mots, de nos jours, déclenchent la
polémique. À titre d’exemple, cet article dans le journal Le Monde où les auteurs, Catinchi et
Weil (1995) rapportent la décision des éditions Le Robert de retirer de la vente leur édition
reliée du Dictionnaire des synonymes et contraires. Pourquoi ? Parce qu’à l’article « avare »
étaient proposées des équivalences propres à entretenir le préjugé antisémite. Cela a permis
au président du consistoire central israélite de France, Jean Khan, d’avoir droit de regard sur
la nouvelle version à paraître.
Une injure raciste – qu’elle se rapporte à l’origine nationale, ethnique et même
religieuse d’une personne – est un appel à la discrimination, un appel à la haine. Comment
interpréter notre immobilisme actif et notre silence : laxisme ? indolence ? apathie ? incurie ?
tolérance complice ? lâche passivité ? Plus surprenant encore est la démission de ceux qui
consultent les dictionnaires devant la présence des injures racistes. Il ne semble pas non plus
avoir eu de débats sur ces vocables qui auraient témoigné du caractère profondément
conflictuel des réalités dont ils sont censés rendre compte.
Que nous proposent certains dictionnaires : des images péjoratives de certains
peuples, images qui seraient le reflet de propos d’ignares que ces dictionnaires se donnent
comme devoir de rapporter sous prétexte d’être exhaustifs ? Bien moins que les médias, les
dictionnaires peuvent, d’une part, être un terrain fertile pour la cristallisation des préjugés
antiarabes, antisémites, antiaméricains, antijuifs... et, d’autre part, nourrir des préjugés vis-àvis des groupes désignés par ces mêmes termes ou expressions que ces dictionnaires
consignent et définissent.
À force d’être répétées ou lues, les injures racistes et les expressions racistes
péjoratives pénètrent dans le bagage culturel commun des locuteurs et locutrices de langue
française (saoul comme un Polonais, promesse de Gascon...), et ce, si bien que ces injures
restent gravées dans la mémoire collective et se transmettent de génération en génération.
Les partisans des injures racistes diront que ces expressions et locutions racistes
doivent être comprises, aussi bien par le locuteur natif que par l’apprenant du français comme
langue seconde ou étrangère. Selon eux, que ces termes, entachés de nuances péjoratives
racistes, se présentent à l’oral ou à l’écrit, le locuteur, le lecteur, le scripteur ne pourront ni
saisir leurs significations approximatives ou précises ni les intégrer avec tous les concepts,
passés et présents, qui leur sont attachés, si les dictionnaires ne les explicitent pas, avec leurs
registres respectifs. Même si cela semble s’avérer, il reste que les auteurs, même célèbres, qui
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parsèment leurs textes d’injures racistes en faisant parler leurs personnages, ne devraient pas
être cités dans les dictionnaires. De fait, un simple lecteur remarquera que de tels vocables,
consignés par tel ou tel lexicographe, ne sont que la transcription servile d’un usage de
personnes racistes dont la jouissance et l’orgasme ultime est de croire en leurs capacités
d’abaisser les peuples qu’ils insultent.
Une injure raciste décochée entre deux individus relève d’un « racisme individuel »,
alors que cette même injure consignée dans un dictionnaire, pour nous, est du « racisme
institutionnel ». Une injure raciste (fruit de préjugés) passagère lancée dans la rue n’a pas le
même poids que cette même injure dans un dictionnaire qui l’accepte, la réglemente,
l’officialise, la diffuse en de milliers d’exemplaires et perpétue, de siècle en siècle, cette
offense, et ce, malgré notre volonté de croire en l’absence d’intentionnalité ou de mauvaise
foi. Accepter ces injures racistes, c’est supporter leurs avanies et camouflets, c’est se rendre
complice de cette consignation d’un usage répréhensible qui porte atteinte à la dignité des
peuples injuriés malgré l’apparence d’une simple description objective et inoffensive.
Pour répondre aux questions, à savoir qui décide du choix des citations ou des
exemples qui illustrent un terme défini, Rey nous informe que les dictionnaires décrivant des
langues « vivantes » (parlées au temps de la description) sont presque toujours basés sur des
phrases observées et produites, soit par le lexicographe utilisant sa compétence linguistique,
soit par des informateurs (77). Rey confie aussi que « le dictionnaire n’est pas une opération
innocente ; il s’y forme une image où se projettent des fantasmes, où des volontés se
dévoilent. Chaque lexicographe, porte-parole d’une classe, truchement d’une idéologie, croit
sans doute représenter fidèlement un ensemble de formes, diversement conçu selon les
linguistiques » (87). Rey ne cache pas l’équivoque des citations en nous faisant remarquer
que « la citation d’auteur, lue souvent comme témoignage stylistique et conceptuel d’une
activité langagière valorisée, est si ambiguë qu’elle peut se retourner, mentir, faire de Sartre
un raciste ou de Céline un ami des Juifs, aplatir ou gonfler n’importe quelle énonciation »
(95). Ces propos suffisent pour dénoncer la non-innocence et la subjectivité quant aux choix
des citations.
Remarques conclusives
Le relevé quasi exhaustif et l’analyse des injures ou locutions racistes relatives aux
noms des peuples présentés démontrent, d’un dictionnaire à l’autre, une constance dans leur
définition, mais quelques variabilités dans les registres de ces derniers. En effet, là où l’un
dira que tel ou tel terme est familier et péjoratif, l’autre dira simplement péjoratif ou familier
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ou même rien du tout (voir nos symboles PL-, PR-). De même, par rapport aux marques
chronologiques, un dictionnaire notera l’usage vieilli d’un terme, l’autre le caractérisera
comme vieux, sinon aucune caractéristique n’est donnée. Par rapport aux registres de langue,
nous retrouvons exceptionnellement une différence de degré de registre avec le terme
« moricaud » considéré comme TRÈS raciste par le PR. La comparaison de chacun des
termes susmentionnés, entre le PR de 1993 et la version électronique du PR 2007, nous
dévoile que rien n’a changé, sauf une ou deux citations dont la citation fielleuse relative à
« viet » qui a été édulcorée en 2007 et éliminée en 2010. Nous remarquons également que si
certaines définitions ou expressions désobligeantes sont mentionnées dans un dictionnaire,
elles sont absentes dans l’autre. Les expressions et injures racistes se présentent sous diverses
formes et ne sont pas toutes de même nature :
-
des termes à caractère injurieux ou raciste (amerloque, asiate, bicot, bougnoul,
chinetoque, crouille, jaune, macaroni, melon, métèque, moricaud, nègre, peau-rouge,
raton, ricain, rital, rosbif) ;
-
des expressions qui rappellent les traits historiques cruels d’une nation à une certaine
époque mais qui ne sont plus pertinentes aujourd’hui (turc, kroumir) ;
-
des appellations liées à des insurrections, à des tendances politiques d’un groupe à un
moment donné ou à la désignation d’un membre durant une guerre (les chleuhs et ses
synonymes, les munichois, les polaques, les viets, les yankees) ;
-
des expressions qui dénotent une complexité éprouvée en référence à un peuple
comme « c’est du chinois, ce sont des discussions alexandrines, c’est sioux » ;
-
des expressions sarcastiques comme « faire le bon Samaritain, parler le français
comme un Basque espagnol, parler petit-nègre, travailler comme un nègre, manger ou
boire en suisse » ;
-
des expressions dégradantes comme « avoir l’air d’un bohémien, en gascon, être
béotien en, être la tête de turc de » ;
-
des termes qui désignent à la fois des noms d’habitants et des concepts péjoratifs qui
leur sont associés, notamment : algonquin = individu ignorant les usages du monde... ;
apache = malfaiteur, voyou; huron = personne grossière; juif = prêteur d’argent;
kroumir = pillard, individu méprisable...; malabar = lascar, armoire à glace;
mongolien = trisomique.
Les fervents d’injures racistes objecteront que vouloir bannir ces injures entraînerait
l’éradication de milliers de mots qui toucheraient des préjugés de langage ou des domaines
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tabous. Notre propos n’est pas d’éliminer tous les termes vulgaires ou des injures de toute
sorte mais uniquement une quarantaine de mots et d’expressions racistes.
Même si un dictionnaire usuel, comme le Petit Robert, se doit de transmettre une
norme lexicale, les divers usages de mots, nous croyons qu’il a aussi la responsabilité de faire
figurer des citations qui, non seulement reflètent les valeurs et croyances des auteurs, mais
aussi l’éducation aux valeurs et l’éducation civique, en particulier aux fins du respect des
droits de la personne, des valeurs universellement partagées comme la citoyenneté, la
tolérance, la non-violence verbale. En ce sens, un défi est lancé aux lexicographes ou aux
auteurs de dictionnaires : trouver, dans leurs citations et définitions de mots, un équilibre
entre le respect des individus et du groupe auquel ces derniers appartiennent, et le mode
d’expression de ces mêmes dictionnaires.
Aussi, il y aurait lieu d’harmoniser, d’un dictionnaire à l’autre, les variations de
registres (familier, populaire, littéraire), les indicateurs chronologiques (vieux, vieilli,
moderne), les notations (péjoratif, raciste, très raciste), et ce, pour le meilleur bénéfice du
public qui les consulte. L’uniformité devrait se présenter non seulement à l’intérieur d’un
même plan (registre ou indicateur chronologique ou notation), mais aussi dans la
combinaison même de ces plans. Une injure raciste qui, dans un dictionnaire, est consignée
sous une notation donnée mais se retrouve dans un autre dictionnaire sous une notation
différente risque de plonger le lecteur non averti dans une situation déplaisante.
Au risque d’être qualifié d’utopiste rêvant d’un espace linguistique aseptisé, d’être
fustigé par certains lexicographes et linguistes à la suite de nos propositions découlant de la
description factuelle des expressions analysées, nous n’avons pas consenti à rester dans un
entre-deux aboulique sans prise de position explicite. Il importe que les instances
responsables soient avisées et entreprennent les démarches nécessaires pour juger de la nonpertinence des injures racistes relevées (avec ses citations controversables) dans cet article.
En ce qui nous concerne, nous commencerons par aviser les dictionnaires couramment
utilisés, notamment le Petit Robert et le Petit Larousse, de notre volonté de supprimer les
injures et expressions racistes, et les citations et exemples imprégnés de connotations non
moins préjudiciables.
Nous terminons avec le souhait que la distanciation que nous permet l’histoire ainsi
que l’évolution du langage aident les lexicographes à prendre conscience de l’inutilité des
injures racistes, de l’importance de leur non-perpétuation dans les dictionnaires sous prétexte
que ce ne sont que des mots définis innocemment. La disparition des injures racistes ne sera
qu’un bienfait pour l’humanité, voire une justice linguistique pour les peuples concernés, les
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autres nations n’étant pas ternies par des appellations dégradantes. Nous sommes bien
conscient que la suggestion d’éliminer les injures racistes ne signifie pas l’élimination du
racisme en tant que tel, mais au moins elle sera un pas en avant pour améliorer les rapports
humains, pour « civiliser » le soi-disant « être civilisé ».
Ouvrages cités
Catinchi, Philippe Jean et Nicolas Weil. « En quête de référence ». Le Monde, 17 novembre
1995.
Enckell, Pierre. Dictionnaire des jurons. Paris : PU de France, 2004.
Fréchette, Louis. Dictionnaire d’éponymes et quasi-éponymes. Québec : La Liberté, 1996.
Gross, Gaston. Les expressions figées en français : noms composés et autres locutions. Paris :
Ophrys, 1996.
Petit Larousse. Paris : Larousse, 1999.
Petit Robert. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1993.
Le Nouveau Petit Robert [cédérom] de la langue française. Paris : Dictionnaire Le Robert,
c2007.
Trésor de la langue française. Paris : Centre national de la recherche scientifique (version
électronique), 2004.
Rey, Alain. De l’artisanat des dictionnaires à une science du mot. Paris : Armand Colin,
2008.
Schapira, Charlotte. Les stéréotypes en français; proverbes et autres formules. Paris : Ophrys,
1999.
Taguieff, Pierre-André, Dir. Face au racisme 2. Analyses, hypothèses, perspectives. France :
La Découverte, 1991.
Taguieff, Pierre-André, Dir. Face au racisme 1. Les moyens d’agir. France : La Découverte,
1991.
Weil, Sylvie et Louise Rameau. Trésors des expressions françaises. Paris : Bélin, 1981

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