153/96 : Constitutional Rights Project c/ Nigeria Résumé des Faits

Transcription

153/96 : Constitutional Rights Project c/ Nigeria Résumé des Faits
153/96 : Constitutional Rights Project c/ Nigeria
Résumé des Faits
1. Entre les mois de mai et juin 1995, la police nigériane a arrêté dans l’Etat fédéré d’Owerri, les
nommés Vincent Obidiozor Duru, Nnemaka Sydney Onyecheaghe, Patrick Okoroafor, Collins Ndulaka
et Amanze Onuoha. De graves charges allant du vol à main armée à l'enlèvement pesaient sur eux.
2. La Police a fini son enquête et a déposé son rapport sur l'affaire le 25 juillet 1995. Dans ce
rapport, elle fait le lien entre les suspects et divers vols à main armée et enlèvements avec demandes
de rançons. Parmi les enfants enlevés, un seul a pu s’échapper. Les autres sont restés introuvables,
bien que les rançons demandées aient été payées. Le rapport a recommandé que les suspects soient
détenus en application du décret n° 2 de 1984 (qui autorise la détention pour une période de trois
mois sans inculpation) pour permettre à la police de mener de plus amples investigations visant à
inculper les suspects pour vols à main armée et enlèvements. A ce jour, les suspects sont toujours en
détention sans inculpation.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée
3. La communication allègue la violation des articles 6 et 7 de la Charte.
La Procédure
4. La communication date du 5 février 1996, elle a été reçue au Secrétariat le 28 février 1996.
5. A sa 20ème session tenue à Grand Baie, Île Maurice en octobre 1996, la Commission a déclaré la
communication recevable et a décidé qu'elle serait discutée avec les autorités compétentes lors de la
mission qui devra se rendre au Nigeria. La mission a eu lieu du 7 au 14 mars 1997. Le Rapport de
mission a été présenté à la Commission.
6. Les parties ont été dûment informées de la procédure.
Le Droit
La Recevabilité
7. A première vue, la communication répond à toutes les conditions de recevabilité prévues par
l'article 56. La seule question qui peut se poser concerne l'épuisement des voies de recours internes
exigé par l'article 56.5. L'article 56.5 veut que les plaignants aient épuisé toutes les voies de recours
internes disponibles, ou alors qu’ils prouvent que la procédure de ces recours est anormalement
prolongée.
8. La véritable violation alléguée dans ce cas est que les victimes sont détenues sans inculpation ni
jugement, ce qui constitue une détention arbitraire. La solution normale dans ce cas est que les
victimes introduisent une demande de l'ordre d’habeas corpus, une action collatérale par laquelle le
tribunal peut ordonner à la police de faire comparaître une personne ou de justifier sa détention.
9. Cependant, le rapport de police contenu dans le dossier recommande que les suspects soient
détenus conformément au Décret no.2 de 1984 (Document réf. No. CR:3000/IMS/Y/Vol,33/172, p.10
para 7). Par le décret no. 14 amendé, 1994, le gouvernement a interdit à tout tribunal du Nigeria de
donner l'ordre d’habeas corpus ou toute prérogative d'ordonner la comparution d'une personne
emprisonnée dans le cadre du Décret no.2 (1984).
10. Ainsi, même la solution de l’habeas corpus n'existe pas dans cette situation. Il n'y a donc pas de
recours disponible pour les victimes et la communication a par conséquent été déclarée recevable.
Le Fond
11. L'article 6 de la Charte prévoit que:
"... Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement
déterminées par la loi. En particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement".
12. L'Acte relatif à la sécurité de l'Etat (Détention de personnes) prévoit que le Chef de l'Etat major
peut ordonner qu'une personne soit détenue s'il est
"convaincu que cette personne est ou a été récemment impliquée dans des actes qui portent
préjudice à la sécurité de l'Etat ou a contribué à la détérioration économique de la nation, ou dans la
préparation ou instigation de ce genre d'acte..."
13. Des personnes peuvent être détenues indéfiniment si la détention est révisée toutes les six
semaines par un jury de neuf personnes dont six sont nommées par le Président, les autres trois étant
l'Attorney General, le Directeur des prisons et un représentant de l'Inspecteur général de la police. Ce
jury ne doit pas être d'accord avec le maintien de la personne en détention: la détention est
renouvelée, sauf si le jury est convaincu que les circonstances ne nécessitent plus le maintien en
détention de cette personne.
14. Les détenus ont été arrêtés entre mai et juin 1995, il y a environ deux ans. Aujourd'hui, ils sont
encore emprisonnés sans inculpation.
15. Même si les révisions exigées par l'Acte sont effectuées, le jury n'est en aucun cas objectif: une
majorité absolue des membres sont désignés par le Président et les trois autres sont des
représentants de la branche exécutive. Le jury ne doit pas justifier le maintien en détention de ces
personnes, il ne donne des ordres qu'en cas de libération.
16. Ce jury ne peut pas être considéré comme impartial, ni même légal. Ainsi, même si ses réunions
sont responsables du maintien des victimes en détention, celle-ci doit être considérée comme
arbitraire, en violation de l'article 6.
17. L'article 7.1 de la Charte prévoit que toute personne a le droit de saisir les juridictions nationales
compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux et le droit d'être jugé dans un délai
raisonnable par une juridiction impartiale.
18. Les réunions du jury de révision, même à supposer qu'elles aient lieu, ne peuvent pas être
considérées comme tenues par un organe national compétent. Comme il semble que même le droit
de demander l'ordre d’habeas corpus n'est pas accessible aux accusés, ils ont été déniés de leurs
droits prévus par l'article 7.1 (a).
19. Une question subsidiaire concerne la durée qui s'est écoulée depuis leur arrestation. Dans une
affaire criminelle, spécialement lorsque les accusés sont en détention préventive, le procès doit se
faire le plus rapidement possible, afin de minimiser les effets néfastes sur la vie d'une personne qui,
en fin de compte, peut être innocente.
20. Qu’environ deux ans s’écoulent sans que les victimes ne soient même inculpées constitue un
retard indu. Ainsi les droits des détenus garantis par l'article 7.1 (d) ont été violés.
Décision de la Commission
Par ces motifs, la Commission
Déclare qu'il y a eu violation des articles 6, 7.1( a) et (d) de la Charte ;
Recommande instamment au gouvernement du Nigeria d'inculper immédiatement les détenus ou
alors de les libérer.
Fait à Kigali, le 15 novembre 1999