DÉRÉGULATION DU COMPLÉMENT, ADAMTS13 ET GROSSESSE

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DÉRÉGULATION DU COMPLÉMENT, ADAMTS13 ET GROSSESSE
D
Session 1
ÉRÉGULATION DU COMPLÉMENT,
ADAMTS13 ET GROSSESSE
Y. DELMAS, Néphrologie - CHU Pellegrin, BORDEAUX
Introduction : les microangiopathies
de la grossesse
Les microangiopathies (MAT) observées durant la grossesse ou dans la période post-partum regroupent plusieurs entités différentes,
leur socle commun étant une atteinte de
l’endothélium des petits vaisseaux avec ischémie d’aval de degré variable. Chacune de ces
entités renvoie à une définition qui repose sur
un ensemble de caractéristiques cliniques et
biologiques qui se recoupent. Au cours des
quinze dernières années, de grandes avancées ont été réalisées en matière de compréhension des mécanismes de ces syndromes :
ceux-ci doivent être recherchés car la prise en
charge thérapeutique préventive ou curative
peut être diamétralement opposée ; l’arrêt
de la grossesse n’étant pas toujours la règle.
Le présent chapitre a pour but de résumer ce
que l’on sait à ce jour sur la place des voies de
régulation du complément d’une part, du déficit fonctionnel en activité ADAMTS13 d’autre
part dans les microangiopathies observées
en contexte obstétrical. Il sera abordé les éléments de discussion qui en découlent pour la
pratique clinique.
Prééclampsie (PE): la prééclampsie est l’association d’une HTA (pression artérielle ≥ 140
mmHg de systolique et/ou ≥ 90 mmHg de
diastolique) et d’une protéinurie (>0,3 g/24h)
survenant après 20 semaines d’aménorrhée
(SA). La PE complique 5 à 10% des grossesses
mais ce sont les formes précoces et/ou sévères qui s’accompagnent de morbi-mortalité
materno-fœtale. L’éclampsie, crise convulsive
tonico-clonique de type grand mal complique moins de 1% des PE.
Hemolysis Elevated Liver enzyme Low Platelet syndrome (HELLP) : association d’une
hémolyse mécanique avec thrombopénie
de consommation et cytolyse hépatique. Le
HELLP syndrome touche environ 0,5% des
grossesses. La grande majorité se déclare
entre 28 et 36 SA. Les critères diagnostic les
plus répandus (1) sont les suivants :
r Anémie hémolytique mécanique : avec
présence de schizocytes
rLDH>600 UI/L ou bilirubine>1,2 mg/dL
rThrombopénie <100 G/L.
rASAT>70 UI/L
Le syndrome de HELLP s’accompagne de
microthrombi des sinusoïdes hépatiques,
d’une nécrose hépatocytaire périportale avec
dépôts de fibrine. Il peut se compliquer entre
autre d’insuffisance rénale aigue, d’hématome
sous capsulaire, de CIVD et récidiver lors de
grossesses ultérieures (2). Un diagnostic différentiel à ne pas méconnaitre est la Stéatose
Hépatique Aigue Gravidique (SHAG): entité
très rare estimée à 1/10000 grossesses, due à
une stéatose microvésiculaire, survenant au
troisième trimestre avec certaines caractéristiques clinico-biologiques distinctes du HELLP
(3): vomissements, ictère, diabète insipide
central, polynucléose, cholestase et ictère
à bilirubine conjuguée, insuffisance rénale
aigue plus marquée. A un stade plus avancé
une insuffisance hépatocellulaire : hypoglycémie, baisse du TP et facteur V, antithrombine
III et du fibrinogène. Le pronostic vital de la
mère et de l’enfant est engagé, une extraction
fœtale urgente est indiquée, (4). La physiopathologie est a priori différente du HELLP avec
parfois une anomalie de la béta oxydation des
acides gras fœtale à rechercher, il ne s’agit pas
d’une MAT au sens anatomopathologique.
23
Y. DELMAS
Purpura Thrombotique Thrombocytopénique
(PTT) : tableau associant de façon variable
fièvre, signes neurologiques focaux, avec
hémolyse mécanique et thrombopénie de
consommation. L’atteinte neurologique et les
atteintes viscérales (rein, cœur notamment)
en font une entité engageant rapidement le
pronostic vital en l’absence de thérapeutique
spécifique et notamment dans les formes
auto-immunes. La transfusion plaquettaire est
dans le PTT un facteur d’aggravation majeur.
Syndrome Hémolytique et Urémique atypique
(SHUa) : microangiopathie à tropisme rénal
avec hémolyse mécanique, thrombopénie
de consommation et insuffisance rénale
aigue au premier plan, à diurèse variables,
avec classiquement protéinurie, hématurie
et HTA. L’atteinte rénale peut être associée à
une atteinte cardiaque, neurologique, digestive ou d’autres organes cibles. Le caractère
atypique renvoie au contexte de survenue
en dehors de toute infection entéro-invasive
à Escherichia Coli producteur de shiga-toxine
ou infection à pneumocoque et hors cancer,
médicament, VIH ou MAT secondaire.
Syndrome des AntiPhosphoLipides (SAPL) :
il est caractérisé par des épisodes de thromboses artérielles ou veineuses ou des complications obstétricales avec la présence
d’anticorps dirigés contre des protéines liées
à des phospholipides anioniques. Les complications obstétricales comportent thrombose
vasculaire chez la mère, mort fœtale tardive,
PE sévère et précoce, retard de croissance intra utérin sévère et fausses couches répétées.
Physiopathologie : place des dérégulations du complément et du déficit en
ADAMTS 13 dans les MAT de la grossesse
1 - La prééclampsie
Au cours des dix dernières années, de grandes
avancées ont été effectuées dans la physiopathologie de la PE (5). On peut citer :
r Le défaut d’invasion trophoblastique et
les anomalies de remodelage des artères
spiralées. (illustré de façon très claire par
S Ananth Karumanchi dans une revue du
journal Kidney international en 2005, (6)).
r Un déséquilibre de la balance anti/pro
angiogénique en faveur d’un état antiangiogénique. Rôle prépondérant du
récepteur soluble du VEGF sFlt1 qui
séquestre le VEGF et le PLGF ; l’endogline soluble sENG qui diminue le TGFβ1
biodisponible (7), pouvant expliquer la
dysfonction endothéliale systémique de
la fin de grossesse. Les mécanismes en
amont de cette libération accrue de facteurs anti-angiogéniques n’étant cependant pas clairement élucidés.
r
La place du métabolisme placentaire
des hormones sexuelles : le déficit en
2-méthyloestradiol avec un modèle de
PE chez la souris transgénique cathécolamines o methyl transférase -/- (8). Les
travaux récents d’Alexandre Hertig proposant un rôle des aromatases placentaires avec déficit de la stéroïdogénèse
dans la PE, proportionnel à la sévérité
clinique (9).
2 - Similitude SHUa, HELLP et PTT
Il n’est pas clairement établi que le HELLP soit
une forme sévère de PE ou une entité séparée,
notamment sur les mécanismes physiopathologiques. En effet, l’hypertension et/ou la protéinurie ne sont pas des éléments constants
24
du tableau de HELLP par définition et sur les
cas observés en pratique clinique, 25% des
HELLP ne sont pas protéinuriques et environ
la moitié sont normotendus (10). Sous l’entité
HELLP, il est possible que soient regroupées
des MAT de physiopathologies distinctes, on
pourrait parler des HELLP syndromes.
Au cours de la grossesse, le HELLP, le PTT et le
SHUa ont des modes de présentation clinique
très similaires (11). Les lésions anatomopathologiques rénales ne sont pas spécifiques :
celles-ci, lors des rares biopsies rénales dans
des cas de HELLP retrouvent outre parfois
une nécrose tubulaire, des caractéristiques
de MAT identiques à celles du SHUa : turgescence, décollement des cellules endothéliales
glomérulaires, lumière artériolaires diminuées,
occlusion capillaire (12). Des dépôts de fibrine
intraglomérulaires peuvent aussi être observés en immunofluorescence dans le HELLP.
Indépendamment de la grossesse, les travaux
des dernières années ont permis d’établir parmi les MAT, un parallélisme entre la présentation clinique SHUa ou PTT et des mécanismes
physiopathologiques distincts, dérégulation
du complément dans le SHUa, déficit en
ADAMTS13 dans le PTT. Du fait de la similitude du HELLP avec les SHUa et PTT, d’autres
études ont amené un éclairage nouveau sur la
physiopathologie des HELLP où tout comme
dans les SHUa-PTT, il semble y avoir une implication dans certains cas du complément et
dans certains autres un déficit en ADAMTS13.
3 - Complément et grossesse
Jusqu’à deux-tiers des cas de SHUa s’accompagnent d’une susceptibilité génétique avec
la présence de mutation sur les protéines impliquées dans la voie alterne du complément.
Le système du complément qui comprend
des molécules solubles et membranaires joue
un rôle majeur dans l’immunité innée et dans
la réponse inflammatoire. Il existe trois voies
Session 1
Dérégulation du complément, ADAMTS13 et grossesse
d’activation du complément, la voie classique,
la voie alterne et la voie des lectines (Figure 1).
Une étape clef de l’activation du complément
est la formation de la C3 convertase de la voie
alterne, complexe bimoléculaire constitué du
fragment de C3 activé et du facteur B (C3bBb)
permettant une amplification exponentielle
de l’activation initiale du complément. La voie
alterne a la particularité de ne pas nécessiter
la présence d’anticorps ou le contact avec
une surface bactérienne pour s’activer. Le C3
est en permanence clivé à bas bruit par la C3
convertase alterne et cela génère du C3b à
faible taux : cette activation est rapidement
amplifiée en présence de bactérie, altération
cellulaires de l’hôte ou d’anomalie des protéines de régulation. La régulation de la C3
convertase alterne est ainsi essentielle pour
le maintien de l’homéostasie du complément
dans le plasma et la protection des cellules
de l’organisme de l’agression par le complexe
d’attaque membranaire (le C5b-9), phase
finale de l’activation du complément, qui
forme un pore dans la paroi des membranes
plasmiques cellulaires. L’endothélium est particulièrement exposé aux conséquences de
l’activation incontrôlée du complément.
Les protéines régulatrices de l’activation de
la voie alterne du complément sont solubles
et/ou membranaires. Les mutations des protéines du complément associées au SHUa
sont principalement le facteur H, le CD46 (ou
MCP pour membrane cofactor protein), le facteur I dans les protéines régulatrices (perte
de fonction) et le C3 et le facteur B de la C3
convertase alterne qui sont des mutations
gain de fonction qui vont stabiliser la convertase et favoriser l’emballement du complément. Une revue de 2011 par Véronique
Frémeaux-Bacchi et Col. fait la synthèse de
ces mécanismes physiopathologique dans
le SHUa (13). Il existe également un mécanisme acquis auto-immun, avec la mise en
évidence d’anticorps anti facteur H, décrit
25
Y. DELMAS
essentiellement chez l’enfant, avec une association forte à une délétion homozygote des
gènes des « factor H related protein », CFHR1
à 3 situés à proximité du gène dudit facteur
H. Ceci souligne la susceptibilité génétique
des gènes régulateurs du complément dans
le SHUa. La pénétrance est cependant incomplète, de l’ordre de 50% et la présence d’une
ou plusieurs mutations n’entraîne pas obligatoirement la maladie. Il existe des facteurs
déclenchants retrouvés de façon inconstante
dans les poussées de SHUa, avec ou sans susceptibilité génétique : infection, contexte hormonal et notamment la grossesse.
Au sein du placenta, le rôle du complément
est d’empêcher l’invasion de pathogène pour
protéger la mère et le fœtus, mais parallèlement, le fœtus doit être protégé de l’attaque
allo-immune maternelle. A l’interface materno-fœtale, trois protéines membranaires
inhibitrices de l’activation du complément
sont stratégiquement présentes : le CD55,
CD46 et le CD59 (14).
Dans un travail original rapporté en 2010
par Fadi Fakhouri et Col. (15), au sein de la
cohorte française de SHUa génotypée pour
les protéines de la voie alterne du complément, 100 femmes ont été identifiées. Parmi
elles, une série de 21 patientes ayant présenté une poussée de SHUa en contexte
obstétrical a été retrouvée et comparée à
35 femmes non nullipare ayant présenté un
SHUa en dehors de tout contexte obstétrical.
Parmi les 21 patientes « SHUa obstétrical », 18
d’entre elles (86%) présentaient une ou plusieurs mutation(s) des protéines régulatrices
ou composant la C3 convertase alterne, 3 ne
présentaient pas de mutation des facteurs
H, I, CD46 ou de C3 ou B. Aucune ne présentait d’anticorps anti facteur H. La proportion
globale et la répartition des anomalies génétiques sur la voie alterne du complément
était similaire dans le groupe SHUa non lié à
26
la grossesse. La très grande majorité des SHUa
obstétricaux sont survenus en post-partum
(79%) et la survie rénale globalement très
mauvaise avec 76% d’insuffisance rénale terminale, évolution péjorative indépendante du
moment de survenue de la poussée par rapport à la grossesse. Cette évolution péjorative
était du même ordre dans les SHUa des 35
patientes survenus hors contexte obstétrical
(74% d’insuffisance rénale terminale).
En considérant dans cette même cohorte 105
grossesses chez 44 patientes avec anomalie
génétique de la voie alterne du complément,
la survenue d’une poussée de SHUa en lien
avec une grossesse était de l’ordre de 20% des
grossesses, la seconde grossesse étant la plus
représentée. Des complications obstétricales
autres que le SHUa ont été documentées avec
4,8% de perte fœtales et 7,7% de PE, soit une
proportion possiblement supérieure à celle
de la population générale.
Ce travail souligne entre autre l’importance de
la grossesse comme facteur déclenchant du
SHUa puisque retrouvé dans 21% des SHUa
de la femme en France. La période critique est
sans conteste le post-partum, pouvant aller
jusqu’à 3 voire 4 mois.
L’incidence du SHUa et du PTT est indéterminée, il s’agit dans tous les cas de pathologies
très rares, une étude rétrospective sur 25 ans
par une équipe de Dallas a estimé cette incidence à 1 sur 25000 grossesses (16). Du fait de
la similitude de présentation du HELLP et du
SHUa et des possibles chevauchements dans
leur physiopathologie, Fadi Fakhouri et Col. se
sont penchés sur l’existence de mutation prédisposant au SHUa parmi 11 femmes ayant
présenté un HELLP avec créatinine>70µM
(17). Quatre patientes sur 11 présentaient
une mutation hétérozygote de protéine de la
voie alterne du complément : une mutation
du facteur H, deux mutations du facteur I et
une mutation de CD46. Les gènes des consti-
tuants de la convertase alterne n’avaient pas
été étudiés. Malgré qu’il s’agisse d’une petite
série et de HELLP particuliers (avec atteinte
rénale), cette étude appui l’hypothèse d’un
socle commun dans les mécanismes du SHUa
et du HELLP syndrome ; elle ouvre le débat sur
une nouvelle classification des MAT de la grossesse basée sur la physiopathologie.
Le complément intervient également dans
une autre MAT de la grossesse, le SAPL. Il a été
montré sur des modèles murins que l’activation du complément avait un rôle effecteur
clef dans le SAPL par une activation de la
cellule endothéliale et l’induction d’un état
prothrombotique. (18). Par ailleurs, des marqueurs d’activation du complément in situ
ont été retrouvés de façon spécifique sur les
anatomopathologies de placenta de femmes
présentant un SAPL (19).
Une étude systématique des gènes MCP, facteur H et I chez 40 femmes présentant un
lupus et/ou SAPL compliqué de PE a montré
une prévalence de 7 mutations hétérozygote
sur 40 patientes (20), une autre étude du
même groupe d’auteurs chez des patientes
exemptes de maladie auto-immune mais
ayant présenté également une PE a montré
une proportion de mutation de 5 sur 59. Cela
laisse supposer que la susceptibilité à la dérégulation de l’activation du système du complément joue un rôle dans la physiopathologie de la PE. Le rôle des héparines standard
ou de bas poids moléculaire passerai entre
autre par un effet régulateur sur l’activation
du complément indépendamment de leur
action anti coagulante (21, 22).
14% des 21 SHUa obstétricaux de la série
détaillée précédemment ont été précédés
de PE. On sait que le VEGF est nécessaire au
maintient trophique de l’endothélium fenêtré
et que les thérapies anti VEGF donnent des
SHUa. Le climat anti-angiogénique de la PE
participe sans doute au déclenchement de
Session 1
Dérégulation du complément, ADAMTS13 et grossesse
la poussée de SHUa via l’activation-altération
endothéliale. Guillermina Girardi et Col. ont
montré depuis plusieurs années au travers
d’études fondamentales un lien entre la dérégulation du complément et le déséquilibre
de la balance pro/antiangiogénique au cours
de la grossesse. L’inhibition de l’activation du
complément dans des modèles murins de
perte ou retard de croissance du fœtus par
anticorps anti-C5 ou antagoniste du récepteur C5a empêche l’augmentation de sFlt-1
et permet une grossesse non compliquée. Le
facteur tissulaire, initiateur cellulaire de la cascade de la coagulation joue un rôle effecteur
clef en aval de l’activation du complément.
Les statines ayant la propriété de diminuer
l’expression du facteur tissulaire induit par le
C5a préviennent la PE dans des modèles murins : une étude est en cours chez la femme
pour évaluer l’effet potentiellement favorable
des statines pendant la grossesse (voir revue
Girardi et Col. (23)).
Les plaquettes, comme les cellules endothéliales et les polynucléaires, sont activées par
plusieurs protéines ou complexes du complément dont C3a, C5a et C5b-9 (24). La frontière entre hémostase, activation cellulaire et
inflammation est très étroite et tout porte à
croire que le complément est une des pierres
angulaires des MAT de la grossesse.
4 - ADAMTS 13 et grossesse
Dès les années 80, Moake avait montré l’existence de multimères de très haut poids moléculaire du facteur Willebrand VWF dans le sérum de patients atteints de PTT (25). A la fin des
années 90, des équipes de chercheurs ont mis
en évidence un déficit fonctionnel de l’enzyme
de clivage des multimères du VWF, A Disintegrin
And Metalloprotease with ThromboSpondin type
1 domain 13 ou ADAMTS13 dans les PTT, selon
un mécanisme congénital ou acquis (26, 27).
La forme congénitale est autosomique récessive et survient chez des sujets homozygotes
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Y. DELMAS
ou hétérozygotes composites, la forme acquise
est médiée par un anticorps inhibiteur de l’activité d’ADAMTS13 (28).
Le déficit de l’enzyme de clivage du VWF va
entrainer dans les petits vaisseaux où la force
de cisaillement est élevée, une agrégation
plaquettaire avec microthrombi obstruant
les lumières artériolaires et aboutissant à une
thrombopénie de consommation et une lyse
mécanique par fragmentation des globules
rouges au contact des thrombi : voir figure 2.
Tous les organes peuvent être touchés mais
la cible privilégiée est le cerveau, avec le rein
et le cœur. La causalité de la déficience en
ADAMTS13 dans le PTT a été démontrée chez
le babouin par le déclenchement d’un tableau
clinico-biologique de PTT en leur administrant un anticorps anti-ADAMTS13 bloquant
(29). Cependant il est admis que l’on retrouve
de façon régulière un facteur déclenchant aux
poussées de PTT : infection et grossesse étant
les plus incriminés.
Il existe au cours de la grossesse une décroissance physiologique de l’activité ADAMTS13 à
partir de la fin du premier trimestre (30, 31).
Cette diminution est plus marquée chez les
nullipares comparée aux autres (activité respective 65% vs 83%). Cela est lié en partie à
l’augmentation du taux de VWF de l’ordre de
170% chez des femmes témoins au cours de
la grossesse (32).
L’activité ADAMTS13 a été étudiée chez des
patientes souffrant de HELLP syndrome, comparée à des patientes prééclamptiques et
femmes témoins (32). Les auteurs ont trouvé
des taux de VWF significativement plus importants chez les patientes HELLP versus témoins
à 339% de médiane vs 168%. Inversement,
l’activité ADAMTS13 était plus basse à 74% vs
90% pour les PE et 105% chez les témoins, en
restant dans la norme de 61-142%. Un travail
précédent avait trouvé une médiane à 31%
dans le HELLP contre 71% dans les grossesses
28
normales, 101% chez femmes non enceintes
(33).
La baisse de l’activité ADAMTS13 en deçà de
5% à la phase aigue semble très spécifique du
PTT, en dehors des contextes de défaillance
multiviscérale. Le PTT a une incidence inconnue au cours de la grossesse.
Le PTT se révèle en contexte obstétrical dans
10 à 25% des cas et l’incidence de survenue prédomine aux deuxième et troisième
trimestres selon les études. Dans un travail
réalisé par l’équipe d’Agnès Veyradier où le
diagnostic de PTT reposait sur une activité
ADAMTS13 < 10% (abstract 1059 SFH 2011),
Marie Moatti a montré qu’aucune caractéristique biologique ne permettait de distinguer
le HELLP (n=40) du PTT (n=45) en dehors
d’une hémoglobine un peu plus basse dans
le PTT (7,3 vs 9,2 g/dl). Par contre, sur le plan
clinique, la fièvre était plus souvent présente
dans les PTT vs HELLP (24% vs 9%). Le taux de
LDH et les transaminases n’étaient pas significativement différents.
Dans plus de 50 cas documentés de la littérature de déficits profonds en ADAMTS13
avec poussée de PTT obstétrical, le nadir
plaquettaire le plus haut sur était de 64 G/L.
Sébastien Hélou (abstract 3636 SFD & SN
2011) a réalisé une étude rétrospective sur
la maternité du CHU de Bordeaux où toute
femme en contexte obstétrical ayant présenté une thrombopénie < 75 G/L était éligible
pour un dépistage en déficit en ADAMTS13.
Cette étude aboutie pour 2008 montre sur
une activité de 4292 accouchements, 43 patientes avec une thrombopénie<75 G/L. Onze
patientes avaient une cause établie autre
qu’une MAT de thrombopénie, 6 perdues de
vue. 26 dosages d’ADAMTS13 ont été réalisés et 4 patientes se sont révélées déficitaires
(activité <5%) en péripartum : 3 patientes primipares (étiquetées HELLP syndrome initialement) avec un déficit constitutif et qui ont
dû accoucher prématurément. Leurs enfants
présentaient un retard de croissance intrautérin et les anatomopathologies placentaires
montraient des lésions d’ischémie majeure.
La 4ème patiente a présenté un épisode de
PTT au 5ème jour du post partum avec mise
en évidence d’auto-anticorps anti ADAMTS13
(taux deux fois supérieur au seuil de positivité)
et des anticorps anti-noyaux au 1/500ème. Les
4 patientes ont eu une résolution spontanée
de leur poussée de MAT sans aucune plasmathérapie. Les enfants de deux patientes avec
déficit constitutif sont décédés en période
néonatale sans stigmate de MAT. Deux patientes avec déficit constitutif ont pu à l’occasion de leur seconde grossesse recevoir avec
succès une substitution par plasmathérapie
pour corriger le déficit en ADAMTS13 et prévenir ainsi un nouvel épisode. Les patientes
ayant un PTT avaient un nadir de plaquettes
significativement plus bas à 23 G/L comparativement aux patientes thrombopéniques
non déficitaires à 53 G/L (n = 22).
Penser à doser l’ADAMTS13 devant une MAT
obstétricale d’autant plus que thrombopénie
profonde (<50 G/L), fièvre, lésions d’ischémies
sévères sur le placenta, retard de croissance
du bébé, à fortiori si MAT du deuxième trimestre.
Dépister : les anomalies du complément si
MAT avec atteinte rénale non rapidement
résolutive en post-partum.
En pratique aujourd’hui : quelles implications ?
Traiter : la prise en charge thérapeutique curative du SHUa en climat obstétrical n’est pas différente du SHUa en général avec en premier
lieu, la plasmathérapie (perfusion, échanges).
La place des inhibiteurs du complément tels
que l’eculizumab ou les thérapies de substitution comme le facteur H recombinant n’a pas
été abordée dans le SHUa obstétrical, sachant
qu’un passage transplacentaire est plausible
bien qu’il s’agisse de thérapies prometteuses
hors grossesse. Le débat reste ouvert quand
à la prise en charge des femmes porteuses
ou apparentées à un/une patient(e) porteur
d’une mutation sur les gènes codant pour les
protéines de la voie alterne du complément
et qui souhaitent un enfant, qu’elles aient ellemême déjà un antécédent de complication
vasculorénale de la grossesse ou non. Une
information individualisée et la surveillance
accrue tout au long de la grossesse des paramètres d’hémolyse, plaquettes, de la fonction
rénale et de la protéinurie semblent indiquées.
Il n’existe pas aujourd’hui de recommandation
pour une plasmathérapie préventive en postpartum qui n’est pas sans risque (procédure et
produits sanguins labiles) pour un bénéfice
hypothétique.
Les travaux sur les troubles de la régulation du
complément et portant sur les déficits en activité ADAMTS13 au cours de la grossesse sont
récents et n’ont pas assez de recul pour que
des recommandations collégiales aient vu le
jour. On peut cependant aborder quelques
points ouverts à discussion.
Prévention : Si déficit en ADAMTS13 acquis,
il est recommandé d’attendre une rémission
avec normalisation de l’ADAMTS13 et de se
situer à distance du traitement par rituximab
pour envisager une grossesse (CNR MAT). La
ciclosporine A ou l’azathioprine ont pu être
Il semble au vu de notre expérience et des
cas rapportés dans la littérature que dans les
formes de déficit congénital en ADAMTS13, le
PTT survient dans une forme plus ou moins
sévère dans 100% des cas (34). La prévalence
du déficit en ADAMTS13 est sans doute sous
estimée. La prédominance parmi les PTT de
la forme auto-immune ne fait aucun doute
chez l’adulte mais elle n’est peut-être pas aussi
massive qu’on le croit jusqu’à présent (90%).
Session 1
Dérégulation du complément, ADAMTS13 et grossesse
29
Y. DELMAS
utilisé dans la littérature (35) et chez une de
nos patiente avec succès. La plasmathérapie
substitutive en prophylaxie sera systématiquement indiquée si déficit en ADAMTS13
congénital. Le protocole de substitution en
plasma a été suivi à Bordeaux avec succès
chez deux patientes sur le mode suivant: 1er
trimestre: 20 ml/kg/14j_2e trimestre: 20 ml/
kg/7j_3e trimestre: 30 ml/kg/7j ou échanges_
Post partum: 10 à 20 ml/kg J1, J2.
Surveillance rapprochée de l’hémogramme,
des paramètres d’hémolyse, transaminases
et de la protéinurie en plus du suivi classique
obstétrical.
Conclusion
Le HELLP est bien un syndrome avec des
mécanismes physiopathologiques différents
faisant intervenir les voies de régulation du
30
complément, l’hémostase primaire avec
l’ADAMTS13, avec encore beaucoup de zones
d’ombres. Le PTT et le SHUa nécessitent la
mise en place rapide d’une plasmathérapie,
la délivrance n’étant a priori pas le traitement
de première intention si cela survient précocement. En dehors du dosage d’ADAMTS13
il n’existe pas de moyen discriminant solide
pour distinguer un PTT d’un HELLP. La résolution spontanée du tableau au décours de
la délivrance placentaire ne doit pas faire éliminer un déficit congénital voire acquis en
ADAMTS13, sur une forme frustre. La consultation du post-partum joue un rôle déterminant dans les dépistages d’anomalie du
complément ou déficit en ADAMTS13 dans la
mesure où la prophylaxie et la mise en place
d’une plasmathérapie très précoce avec une
surveillance étroite peut transformer le pronostic des grossesses de ces patientes.
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Session 1
Figure 1: Les voies d’activation et de régulation du complément, extrait de la
revue par Véronique Frémeaux-Bacchi et Col. (13)
Figure 2 : Physiopathologie du PTT d’après J. Evan Sadler (36).
Les multimères du VWF adhèrent aux cellules endothéliales ou au sous endothélium. Les Plaquettes adhèrent au VWF par l’intermédiaire de leur GpIb membranaire. Dans le flux sanguin, le VWF du thrombus riche en plaquettes est étiré et
clivé par l’ADAMTS13, limitant la taille du thrombus. En l’absence d’ADAMTS13,
l’agrégation plaquettaire médiée par le VWF s’amplifie jusqu’à obstruer les microvaisseaux et entrainer le PTT.
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