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Les écoles d'ostéopathie bousculées par les
fonds d'investissement
LE MONDE | 20.05.2014 à 11h33 • Mis à jour le 20.05.2014 à 15h23 |Par Isabelle Rey­Lefebvre La reprise en main de l'enseignement paramédical privé par des fonds d'investissement met­elle en péril la formation des futurs praticiens en France ? Une dizaine de fonds d'investissement français, américains ou britanniques se sont mis, depuis 2008, à acheter des écoles dont ils font évoluer la gestion, souvent familiale, en industrie de service la plus rentable possible. Non sansbousculer critères de sélection et contenus pédagogiques. C'est à l'un de ces fonds, le français Octant, qu'en mars 2010, l'ostéopathe Jacques Weischenck a vendu ses parts du Collège ostéopathique Sutherland (COS), alors en pleine croissance. Octant a créé une filiale dédiée, Novétude, qui, avec 12 000 étudiants dans 45 établissements, se dit numéro un français de la formation aux métiers de la santé. Dès la rentrée 2010, les nouveaux actionnaires imposent de rudes critères de rentabilité : « Nous avons reçu la consigne d'augmenter les effectifs, de 60 à 80 et jusqu'à 120 étudiants par promotion, mais en réduisant le budget communication, crucial pour le recrutement », raconte une ancienne cadre, licenciée depuis. TOUS LES CADRES SONT LIMOGÉS A cette époque, les écoles fonctionnaient très bien, dégageant, en 2011, 1,8 million d'euros d'excédent d'exploitation sur un chiffre d'affaires de 11 millions d'euros (cette trésorerie permettra à Novétude de procéder à de nombreuses acquisitions d'écoles). La nouvelle direction du COS va, en dix­huit mois, limoger tous les cadres ainsi que leurs assistantes. Sur un effectif de quarante personnes, dans trois sites, une trentaine partent. Le prix de la scolarité se met à augmenter, de 7 250 euros par an en 2008 à quasiment 8 000 euros en 2014. « Nous avons, depuis deux ans, stabilisé nos prix », fait remarquer Claire Dray, directrice pédagogique, arrivée en 2011 et venue des écoles de commerce. Laurence Baumann, médecin ostéopathe et responsable pédagogique, part avec fracas le 30 mai 2012. Elle raconte : « A chaque demande, on nous répondait : “c'est trop cher”. Et nous avions des consignes impossibles à appliquer : des examens raccourcis, supervisés par des personnes incompétentes… Surtout, les exigences pédagogiques ont été abaissées pour faciliter le recrutement et limiterles redoublements. J'ai vu des étudiants de très faible niveau obtenir leur diplôme d'ostéopathe ! » Lire aussi : Les professions de santé manifestent contre l’essor des formations privées L'actuelle directrice pédagogique, Claire Dray, explique que, le nombre de candidats ayant baissé, la sélection ne refuse l'entrée qu'à 5 % à 10 % d'entre eux, au lieu des 30 % de recalés de l'ère Weischenck. Il est vrai que le marché de l'enseignement de l'ostéopathie a changé depuis l'entrée en vigueur, en 2007, de procédures d'agrément des écoles si souples qu'elles ont conduit à leur prolifération. On compte, en France, soixante écoles d'ostéopathie, alors qu'une vingtaine suffirait. Une conséquence est la dégringolade des revenus des ostéopathes. UN RABAIS DE 500 EUROS Philippe El Koubbi, médecin ostéopathe, qui enseignait au COS avant dedémissionner en février 2013, confirme : « J'alertais les étudiants sur les difficultés du métier, en leur disant de ne pas s'illusionner sur les niveaux de rémunération. Lors d'un entretien d'évaluation, on m'a reproché d'avoir tenu ce discours, qui ne cadrait pas avec le “miroir aux alouettes” tendu aux étudiants. » « Pas du tout,s'insurge Claire Dray, nous alertons les étudiants sur les conditions économiques du métier, les formons et leur donnons des outils de géolocalisation pour choisirles bons emplacements. » Quoi qu'il en soit, les étudiants n'ont pas tous apprécié le changement de régime. Ceux de 4e année ont, en juillet 2013, menacé de s'inscrire ailleurs, critiquant la qualité de l'enseignement et réclamant une baisse des frais de scolarité : un rabais de 500 euros leur a été consenti. Le nouveau directeur général de Novétude, Martin Hubert, un centralien spécialiste de « conduite du changement », nommé en décembre 2013, doit obtenir avant septembre 2015 les agréments pour ses écoles. Or la nouvelle réglementation impose des critères beaucoup plus exigeants que ceux de 2007 et devraitconduire à diviser le nombre d'écoles par trois. Lire également : Trop d'écoles, trop de professionnels, l'ostéopathie fait figure d'exception française Pour « garantir une démarche pédagogique qualitative », Martin Hubert a sollicité l'ancien ministre de la santé Philippe Douste­Blazy pour présider le comité scientifique de Novétude, dont l'enseignement de l'ostéopathie n'est qu'une des quatre activités. Cette nomination a « sidéré » le milieu des ostéopathes, qui rappellent que le ministre avait, entre 2004 et 2005, freiné la reconnaissance de la profession. Les doutes de M. Douste­Blazy subsistent et pourraient remettre en cause sa collaboration : « J'ai découvert que Novétude avait des écoles d'ostéopathie, et, dès la première réunion du conseil scientifique, en mars, j'ai demandé des rapports d'évaluation de cette pratique. Je confirmerai ma participation selon ces résultats. » 

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