Citations de Dziga Vertov

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Citations de Dziga Vertov
Citations de Dziga Vertov
NOUS1
Nous autres kinoki, nous avons pris une décision : remplacer les
discussions verbales, phénomènes d’ordre littéraire, par des cinédiscussions, c’est-à-dire par la fabrication de ciné-objets. (1923)
Le ciné-œil conteste la représentation visuelle du monde
donnée par l’œil et propose son propre « je vois. » (1923, Conseil
des Trois)
Je suis le ciné-œil, je suis l’œil mécanique, je suis la machine
qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir.
Désormais et à jamais je suis libéré de l’immobilité humaine, je suis en perpétuel
mouvement, je m’approche des choses, je m’en éloigne, je me glisse sous elles, j’entre en
elles ; je me déplace au rythme du mufe du cheval de course, je plonge à toute vitesse dans
les foules, je précède les soldats à l’assaut, je décolle avec les aéroplanes, je me renverse sur
le dos, je tombe et me relève en même temps que les corps qui tombent et se relèvent. Et
moi, une caméra, me lance selon la résultante, manœuvrant dans le chaos du mouvement,
enregistrant le mouvement, à commencer par des mouvements composés des plus
complexes combinaisons.
Libérée de la sujétion aux 16-17 images par seconde, des frontières du temps et de
l’espace, je confronte entre eux tous les points de l’univers. Ma voie est celle d’une nouvelle
conception du monde. Je vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez pas. (1923)
L’œil mécanique […] recherche à tâtons dans le chaos des événements visuels […] le
chemin de son propre mouvement ou de sa propre oscillation, et fait des expériences
d’étirement du temps, de démembrement du mouvement ou au contraire d’absorption du
temps en lui-même, d’engloutissement des années, schématisant ainsi des processus de
longue durée inaccessibles à l’œil normal. (1923)
Je force le spectateur à voir tel ou tel phénomène visuel comme il m’est plus avantageux
de le montrer. L’œil se soumet à la volonté de la caméra et se laisse diriger par elle vers ces
moments successifs de l’action qui, par le chemin le plus court et le plus clair, conduisent la
ciné-phrase vers le sommet ou le fond du dénouement. (1923)
Nous espérons […] ouvrir les yeux des masses […] sur le lien qui unit les phénomènes
sociaux et visuels mis en lumière par les caméras. (1923)
Sur un assidu des salles de cinéma, le [flm de fction] de service agit comme le cigare ou
la cigarette sur le fumeur. Intoxiqué par la ciné-nicotine, le spectateur suce la substance de
l’écran qui chatouille ses nerfs. Un ciné-objet, fait avec le matériau de la ciné-chronique le
dégrise dans une large mesure et, au point de vue gustatif, lui donne l’impression d’un
contrepoison au goût déplaisant.
L’étranger nous fournit une quantité suffsante de ce tabac. On y trouve, il est vrai, plus de
mégots que de cigarettes.[…]
1 Manifeste publié en 1922, mais dont les prémisses remontent à 1919.
Enivrer et suggérer, la méthode essentielle de l’action du [flm de fction] le rapproche de
l’infuence religieuse et permet un certain temps de maintenir un homme dans un état
d’inconscience surexcitée […] Les représentations musicales, théâtrales, ciné-théâtrales, etc.
agissent avant tout sur le subconscient du spectateur ou de l’auditeur, en contournant par
tous les moyens son conscient qui proteste.
Nous nous élevons contre la collusion du « metteur en scène-enchanteur » avec le public
soumis à l’enchantement.
Seule la conscience peut lutter contre les suggestions magiques de tout ordre.
Seule la conscience peut former un homme ayant des opinions fermes, des convictions
solides.
Nous avons besoin d’hommes conscients, non d’une masse inconsciente, prête à céder à
la première suggestion venue.
Vive la conscience de classe des hommes sains qui savent voire et entendre !
À bas le voile parfumé fait de baisers, de meurtre, colombes et tout de passe-passe !
Vive la vision de classe !
Vive le cinéma-œil ! (15 juillet 1924)
Que faire de ma caméra ? Quel est son rôle dans l’offensive que je lance contre le monde
visible ? (1924)
Règle générale pour tous les procédés : caméra invisible
1. Prises de vues à l’improviste : vieille règle militaire : coup d’œil, rapidité, charge à
fond
2. Prises de vue d’un point choisi à l’avance et visible : calme, sang-froid et, au moment
propice, attaque-éclair
3. Prises de vue d’un point d’observation caché : patience et une attention absolue
4. Prises de vue alors que l’attention des flmés est détournée naturellement
5. Prises de vue en détournant artifciellement l’attention des flmés
6. Prises de vue à distance
7. Prises de vue du mouvement
8. Prises de vue d’en haut (1924)
1. Le flm de fction est l’opium du peuple.
2. Assez des immortels rois et reines de l’écran ! Vivent les mortels ordinaires, flmés
dans la vie et ses tâches quotidiennes !
3. Assez de scénarios de contes de fées bourgeois ! Longue vie à al vie telle qu’elle est !
4. Le flm de fction et la religion sont des armes mortelles dans les mains des
capitalistes. En montrant notre mode de vie révolutionnaire, nous arracherons cette arme des
mains de ’ennemi.
5. Le flm de fction artistique contemporain est un vestige de l’ancien monde. C’est une
tentative de verser notre réalité révolutionnaire dans des moules bourgeois.
6. Assez de la mise en scène de la vie quotidienne ! Filmons-nous tels que nous
sommes.
7. Le scénario est un conte de fées inventé pour nous par un écrivain. Nous vivons nos
propres vies, et nous ne soumettons aux fctions de personne.
8. Chacun de nous accomplit sa tâche dans la vie et n’empêche personne de travailler.
La tâche du travailleur du flm est de nous flmer de manière à ne pas interférer avec notre
travail.
9. Vive le ciné-œil de la révolution prolétarienne. (1926)
On entend par montage, dans la cinématographie artistique, la conjonction de scènes
isolées, tournées sur la base d’un scénario plus ou moins élaboré par le réalisateur.
Les kinoks lui donnent une tout autre signifcation et le considèrent comme une
organisation du monde visible.
1. Montage au cours de l’observation – orienter l’œil sans assistance à chaque endroit,
chaque moment.
2. Montage après l’observation – organiser mentalement ce qui a été vu, selon les points
spécifques
3. Montage pendant la prise de vue – orienter l’œil assisté de la caméra dans le lieu
inspecté à l’étape 1. S’adapter aux conditions quelque peu modifées du flm.
4. Montage après la prise de vue – organiser grossièrement le tournage selon les points
spécifques. Chercher les séquences du montage qui manquent.
5. Estimation à vue (recherche des séances de montage) – s’orienter instantanément dans
n’importe quel environnement visuel pour capturer les plans-liens essentiels. Attention
exceptionnelle. Une règle militaire : estimer à vue, agir vite, attaquer.
6. Montage fnal – révéler des thèmes mineurs, cachés, en même temps que les
principaux. Réorganiser les plans dans le meilleur ordre. Faire ressortir l’essentiel du
flm-objet. Coordonner des éléments similaires et, fnalement, calculer les nombres
des regroupements du montage. […]
Le montage est ininterrompu, depuis la première observation jusqu’au flm défnitif. (1926)
L’assemblage des documents les uns avec les autres est calculé de telle sorte que seuls
restent dans le flm les enchaînements sémantiques entre fragments qui coïncident avec des
enchaînements visuels. (1928)
Nous ne pouvons rendre nos yeux meilleurs qu’ils n’ont été faits, mais la caméra, elle,
peut être indéfniment perfectionnée. (1923)
Nos yeux voient très peu et très mal. Alors les hommes ont inventé le microscope pour
voir les phénomènes invisibles ; ils ont inventé le télescope. Les hommes ont mis au point la
caméra pour pénétrer plus profondément dans le monde visible, pour explorer et enregistrer
les phénomènes visuels afn que ce qui se produit maintenant, dont il devra pris en ompte
dans le futur, ne soit pas oublié. (1926)
Le ciné-œil se conçoit comme ce que l’œil ne voit pas, comme le microscope et le
télescope du temps, comme la commande des caméras à distance (télé-œil), comme « la
prise de vue sur le fait », etc. (1944)
Trouver l’itinéraire le plus rationnel pour l’œil du spectateur, […] réduire cette multitude
d’intervalles à une simple équation visuelle […], telle est la tâche la plus diffcile et capitale
qui se pose à l’auteur-monteur. (1929)
Ne pas couper la forme du contenu, tout est là. Tout tient à l’unité de la forme et du
contenu. À l’interdiction faite à soi-même de troubler le spectateur en lui montrant un truc
ou un procédé qui n’est pas issu du contenu, qui n’exige pas de circonstances impératives.
(février 1936)
Ne copiez pas sur les yeux.

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