Les référentiels en question

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Les référentiels en question
Lettre d’information collège
Les référentiels en question
Après l’instauration d’un référentiel de certification au baccalauréat en EPS il y a quelques années, la
circulaire du 19 juillet 2012 soumet le DNB à la même procédure évaluative. Ce concept qui semble
arrivé de nulle part s’installe de plus en plus fortement au sein du système éducatif. Comment et
pourquoi ces référentiels se sont-ils imposés dans l’École ? Replacer ce concept dans une perspective
historique permet d’en appréhender quelque peu l’émergence.
Issu du taylorisme qui sériait le travail en un ensemble de tâches (micro-tâches…) objectivées dans le
but d’accroître l’efficacité, s’est développé, dans le champ de l’éducation au début des années 70, le
concept de pédagogie par objectifs (PPO). Teinté de behaviorisme, la PPO visait à structurer le travail
de planification de l’enseignant des buts de l’enseignement en une succession d’objectifs. Le monde
du travail évoluant dans un contexte nouveau de mondialisation et de relative instabilité (on change
plusieurs fois d’emplois au cours de sa vie), la PPO ne rendait plus compte suffisamment bien de la
réalité du travail : découpage trop formel des savoirs, savoir-faire, savoir-être, parcellisation des
tâches en sous tâches… Il a donc été nécessaire de mobiliser un nouveau concept pour rendre
compte de la réalité du travail dans une définition intégratrice des différents éléments mobilisés. Les
compétences ont alors été au cœur des réflexions. Chaque métier demandant la mobilisation de
compétences particulières, la définition des attendus (ce que doit être capable de mobiliser un
salarié en fonction du métier exercé) a trouvé place dans des référentiels de compétences.
Le référentiel, intimement lié à la notion de compétence, se trouve donc, comme elle, fortement
polysémique et jouant diverses fonctions. Aux référentiels de métier, de diplôme, sont venus
s’ajouter les référentiels de compétences, de formation, de validation, voire de situations…
C’est donc sur la base de référentiels professionnels que la formation aux métiers devait s’élaborer
pour correspondre aux besoins des entreprises. Cette formation initialement assurée par les
entreprises elle-même représentant un coût très important, une forte pression s’est exercée sur le
système éducatif pour qu’il prenne en compte ce nouveau paradigme dans une problématique
élargie à la problématique de la formation tout au long de la vie. Les référentiels apparaissent donc
en premier lieu, dès les années 80, dans la voie professionnelle puis, l’approche par compétence se
généralisant, dans l’ensemble du système d’éducation et de formation.
A contrario de la PPO qui était circonscrite au monde éducatif dans une réflexion pédagogique et
didactique, la notion de compétence a fait l’objet d’une prescription politique la généralisant à
l’ensemble du système d’éducation et de formation. Les référentiels de compétences prenant peu à
peu le pas sur les diplômes et se substituant à eux face au marché du travail.
Quels regards critiques porter sur les référentiels de certification en EPS ?
Jusqu’à l’apparition de référentiels « institutionnels », les équipes EPS formalisaient, pour leurs
besoins d’évaluation, leurs propres référentiels (compris comme permettant de juger, par
comparaison, les productions de l’élève avec un standard défini par l’enseignant-e). À partir des
exigences programmatiques fixant les attendus dans les différentes APSA ou groupe d’APSA, les
enseignant-es construisaient leur situation de référence et définissaient les critères permettant
d’évaluer les productions d’élèves au regard des objectifs fixés. Les études menées alors ont montré
septembre 2012
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l’importance des « arrangements évaluatifs », sorte de compromis trouvés dans un dialogue
enseignant-e/élève pour valoriser tel ou tel aspect (l’investissement par exemple) dans la note finale.
La pression sociale étant forte s’agissant d’épreuves du groupe 1 au baccalauréat, l’administration a
souhaité les éliminer pour donner à la discipline un caractère « irréprochable ». Les référentiels
d’évaluation en EPS devaient répondre à cet objectif en contraignant l’évaluation et en faisant des
enseignant-es de simples opérateurs mettant en œuvre une situation évaluative définie en dehors
d’eux. Les référentiels ont donc une forte valeur prescriptive.
Par ailleurs, si l’on considère l’évaluation comme un élément fondamental du processus de
transposition didactique, on perçoit bien que l’amont (les programmes) et l’aval (le référentiel) de ce
processus sont fixés et figés. Le rôle de l’enseignant-e concepteur est donc largement minoré dans
une marge de manœuvre étroite pour la construction d’une action de formation visant à répondre à
cette évaluation (le travers déjà observé consistant à des répétitions, un entraînement à
l’évaluation).
Cette minoration relève d’une représentation de l’enseignant-e d’EPS à qui on ne fait pas confiance
et qu’on juge incapable de mener à bien l’ensemble de l’action de formation, évaluation comprise.
On fait donc de lui, par ce biais, un enseignant-e applicateur niant, ou réduisant de beaucoup, son
rôle de conception.
S’agissant de la conception même de l’EPS, une autre critique peut être faite aux référentiels. Les
derniers programmes EPS, élaborés autour d’une « matrice disciplinaire » alliant mode de
classification (les Compétences Propres), niveaux d’exigences en termes de compétences… et, pour
le collège, avec un lien fort avec le socle commun de connaissances et de compétences (prônant une
EPS de la transversalité, au service de…) sont l’objet d’un débat professionnel important. La
définition, par des « experts » des compétences spécifiques sont révélatrices d’une conception et
d’une représentation de l’activité inscrites dans un cadre de référence spécifique. Les référentiels
appuient encore ces conceptions les rendant incontournables. Ils visent à rendre obligatoire un
certain type de pratique et ne laissent aucune liberté conceptuelle.
Fort de ces quelques remarques, on peut considérer les référentiels en EPS (une des rares disciplines
a les avoir adoptés) comme un outil fort de pilotage de la discipline. Ils réduisent considérablement le
rôle et l’action des enseignants d’éducation physique et sportive et les contraignent à une forme
d’orthodoxie définie en dehors d’eux. Marqués idéologiquement, ils visent à installer une forme
d’EPS sans débat professionnel réduisant le champ des possibles et la richesse produite par les
pratiques enseignantes. La volonté de cadrage de l’évaluation, compréhensible par ailleurs, devaitelle passer par l’écriture de ce type de référentiel ? La définition des programmes et un cadre fixant
un mode de répartition des notes et rappelant l’objectif de formation n’auraient-ils pas suffi ? En
faisant le pari de la confiance à la profession, il est permis de le croire mais le choix a été tout autre…
Benoît HUBERT
Ci-dessous deux débuts d’analyse des référentiels escalade et tennis de table
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Travail d’analyse de la fiche Tennis de Table du référentiel EPS DNB
La compétence attendue
La définition de la compétence attendue est marquée par la recherche de la rupture de l’échange le
plus tôt possible par des frappes et une utilisation d’effets.
Elle induit une vision du jeu essentiellement tournée vers un système de jeu d’attaquant excluant de
fait d’autres systèmes tel que le jeu défensif, le jeu allround, le jeu de contre basé sur le bloc.
L’essentiel est donc de marquer le point par une attaque et non de rechercher, de provoquer la faute
adverse.
L’élaboration de l’épreuve
Il est à noter qu’ici on ne fait pas référence à l’élève mais au candidat…
Le principe des poules homogènes ne pose, en lui-même, pas de problème mais il questionne sur
leurs constitutions. Eu égard à la compétence attendue, la question du couple efficacité/technicité
est posée. Un élève avec un système de jeu reposant sur le renvoi de balles placées peut être très
efficace et gagner ses rencontres tout en possédant une très faible palette technique voire ne
maîtrisant pas les effets.
Sur les « indicateurs de compétences » (dont il conviendrait d’interroger la notion)
La première colonne (niveau 1) est problématique.
1. marque sur renvois sécuritaires
La première « compétence » qu’on enseigne en tennis de table est justement la sécurité du coup… La
progression du joueur est basée sur la mesure prise de risque/sécurité. Un renvoi « sécuritaire » est
donc plutôt positif de mon point de vue…. Marquer des points sur balles placées et fautes adverses
est un système de jeu utilisé par certains joueurs de très haut niveau (défenseurs et joueurs de
contre)
2. la caractérisation du joueur de renvoi
Sécuriser son renvoi et « attendre » la balle favorable pour la rupture de l’échange est l’essence
même de l’activité dans la phase de construction du point. La focalisation de la fiche sur des aspects
d’une technicité certaine (demandant bien plus de 20h de pratique pour maîtriser les effets, les
coups techniques pour les produire et les contrer, parvenir à les libres pour proposer une réponse
adaptée…) minore cet aspect.
Les niveaux 2 et 3 sont des niveaux caractérisant « l’attaquant pur »
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Sur l’opérationnalité de la fiche
Au sein d’une même poule, l’enseignant aura à évaluer un joueur face à un adversaire dont il
conviendra de décoder les schémas tactiques pour mesurer les adaptations produites chez l’élève
évalué, le coaching réalisé par un pair et l’arbitrage de la partie.
A minima nous avons donc des poules de 4 avec un joueur évalué, un adversaire, un coach et un
arbitre. À chaque partie il faudra donc évaluer 3 élèves dans des rôles différents et sur une même
séquence de jeu.
L’effectif moyen des classes avoisinant les 28 élèves, nous aurons donc 7 poules à évaluer avec 6
rencontres chacune soit 42 évaluations de 3 élèves en simultanée soit 126 relevés en 2 heures
maximum.
C’est irréalisable même pour un spécialiste de la discipline capable de décoder rapidement les
systèmes de jeu et les schémas tactiques déployés.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la fonction de l’élève observateur dans le cadre d’une évaluation
certificative. Que faire de ces observations ? Place-t-on l’observateur dans une posture coévaluatrice ou faut-il lui aussi l’évaluer dans la pertinence des indicateurs retenus pour observer un
camarade en action de jeu ?
Benoît HUBERT
septembre 2012
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Travail d’analyse de la fiche escalade du référentiel EPS DNB
Les problèmes : Le niveau de pratique est sous estimé…
Compétences attendues niveau 2
Référentiels DNB
Formulation : Connaissances/ Capacités/
Attitudes
Formulation : Indicateurs de compétences/ degré
d’acquisition du niveau 2
17 items du pratiquant (capacités)
3 items du pratiquant (continuité du déplacement,
phases statiques (repos), appuis
Enchainer deux voies différentes proches de
son meilleur niveau
Enchainer deux voies différentes à son meilleur niveau
On ne reviendra pas sur l’obligation du dispositif en « moulinette » déjà largement abordé lors de la sortie
des compétences attendues…
Le premier problème réside dans la modification des compétences attendues entre le texte programme et
les référentiels (deux voies proches de son meilleur niveau/ Deux voies à son meilleur niveau).
Il y a sur valorisation du projet au détriment de la performance : 5pts pour le projet, 3pts pour la difficulté
des voies ; il n’y a que 2,5pts d’écart entre un-e élève qui grimpe du 3c et un-e élève qui grimpe du 5b.
Pourtant les réponses motrices entre les deux sont très différentes ! A quoi sert la pertinence d’un projet
quand, après 20h de pratique, on ne dépasse pas une voie cotée 3C ? Et comment supposer alors que
l’élève aurait effectué un projet trop ambitieux ? D’autre part, la difficulté des voies n’est pas intégrée à
l’efficacité du grimpeur mais à la pertinence du projet.
Cela donne de curieux mélanges : le 3C est caractéristique de voies qui permettent une quadrupédie sans
déséquilibre et sans problèmes de prises (des crochetantes qu’on tient bien en mains) ; Du coup, les
appuis précis (carre interne et externe, pointe et adhérence) ne cadrent plus avec ce niveau de voie…
En escalade, n’est-ce pas les difficultés croissantes des voies qui engagent les élèves vers des progrès
substantiels ? (fluidité, déséquilibres, appuis) ; il est donc illégitime de réduire sur 3 pts les cotations des
voies alors que cela devrait constituer l’essentiel des apprentissages (les voies sont construites pour poser
de plus en plus de problèmes techniques)
Dans la rubrique « pertinence », le projet réfléchi( niveau médian) qui permet au grimpeur d’enchainer
deux voies dans le temps réglementaire, qualifié de projet réaliste mais non réalisé ( ? ??) se situe entre 23,5 ! Celui ou celle qui peut nous dire ce qui est finalement évalué peut nous écrire !
Aucune manipulation de corde, sauf la lover… Pourquoi ne pas imposer au minimum une descente en
rappel qui ouvre la voie à une autonomie en actes nécessaire quand on décrète vouloir former des
citoyen-nes ?
Nina CHARLIER
septembre 2012