l`hydroptère - Clip Industrie

Transcription

l`hydroptère - Clip Industrie
Vécu
Texte et photos Didier Ravon.
Fantastique.
Appuyé sur la pointe
de son foil au vent,
l’Hydroptère vole
à deux fois la vitesse
du vent au large du
cap Sicié. Quel pied !
L’HYDROPTÈRE
MERVEILLEUX ET DANGEREUX FOU VOLANT !
E
n 2009, à Hyères, il a
franchi la barre mythique
des 50 nœuds, devenant
l’engin à voile le plus
rapide du monde.
L’Hydroptère, désormais
aux couleurs de DCNS et
Clip Industrie, s’attaque
cette fois aux records
océaniques. Nous étions
à bord pour l’une des
dernières navigations
avant son départ pour
Los Angeles. Ahurissant.
C
omme un cadeau du ciel
pour une journée bénie, la
pluie a cessé à La Ciotat, et
les nuages accrochés au bec
de l’Aigle sont enfin chassés par le
flux d’Est que je «piste» sur les sites
météo depuis quelques jours. Une
telle opportunité se mérite, et se
doit d’être anticipée… Avec un solide 20 nœuds, les prévisionnistes de
Météo Consult, WindGuru et Météo France ont vu juste.
Il paraît qu’à bord de l’Hydroptère
d’Alain Thébault, on vole plus que
l’on navigue ! Eh bien, nous allons
voir ce que nous allons voir… Le
skipper n’étant pas encore arrivé,
l’inoxydable Jacques Vincent,
fidèle complice et second – huit
tours du monde au compteur – a
pris place dans le poste de barre
digne de Jules Verne. La toile du
temps – un ris dans la grand-voile
et trinquette – rappelle quand même que nous sommes sur un bateau à voiles. Bien qu’ayant goûté à
la vitesse sur des multicoques de
course, l’habitué des monocoques
qui penchent s’apprête inévitablement à un cham bar de ment cul turel. Déjà, la procédure tient plus
de l’aéronautique… si ce n’est que
le gilet de sauvetage n’est pas situé
sous votre siège, mais obligatoire-
- 67
Vécu
L’Hydroptère, merveilleux et dangereux fou volant !
AVANT
LE DÉCOLLAGE
EN VOL
15 nœuds.
C’est la vitesse du vent
nécessaire pour que
la coque centrale et
les deux flotteurs
s’extraient de l’eau. Avant,
l’Hydroptère navigue…
mais pousse de l’eau !
carrés ! Prétendre qu’il n’y a aucun
stress à cet instant pourrait être
considéré comme de la forfanterie
ou de l’inconscience… Il suffit de
voir l’extrême con centration du
pilote pour comprendre que, dans
les vagues, l’engin nécessite un toucher de barre hors du commun. Ça
envoie ! Le cap Sicié, tant redouté
par des milliers de plaisanciers
qui ont durement louvoyé pour le
parer, grossit à vue
d’œil. A peine le
temps de l’approcher que l’équipage se prépare à
abattre. Les écoutes grincent sur les
poupées, et le coup
de pied au c… et
l’accélération qui
s’ensuit sont tout
bonnement ahurissants. Il ne s’est
écoulé que quel ques petites secondes pour atteindre
35 nœuds et plus.
Toutes proportions gardées, les
mouvements ne sont pas si brutaux, et dans la mer qui se forme, la
plate-forme amortit en souplesse et
mouille peu. Le sifflement continu
provient plus du gréement que des
appendices, mais c’est surtout le
vent apparent approchant des 40
nœuds qui en devient fatigant et
sollicite les glandes lacrymales. Le
gros semi-rigide qui veille en théorie sur nous ne suit plus malgré
deux moteurs de 250 chevaux, et
un pilote, disons «généreux». A ce
rythme, on pourrait entrevoir les
«L’hydroptère
est un bateau
à risque…
on est toujours
à la frontière
de l’orange
et du rouge.»
68 -
Un drôle
d’oiseau…
rustique !
Dessiné il y a vingt ans par
VPLP, couvé par une pléiade
de cerveaux, financé
successivement par de
grands groupes industriels
français, construit en
carbone-Nomex chez Airbus
et DCNS en 1993, l’engin
de 18,28 mètres par 24 est
pour le moins surprenant, et
ne ressemble à aucun autre
trimaran. Ses minis-flotteurs
à redans, ses foils de
400 kilos en carbone,
son mât-aile de 28 mètres, et
ce curieux plan de pont
avec postes de pilotage
très avancés, bastaques
ramenées dans le cockpit
central et mini-cellule de vie
intérieure ont un petit côté
désuet qui ne laisse pas
indifférent. A la fois rustique
et de haute technologie,
robuste et fragile, simple
et complexe, «ce bateau
ressemble à un Latécoère
de 1930 (un hydravion, ndlr)
avec ses boulons apparents
mais au standard d’un
Airbus» dixit Alain Thébault,
qui se définit lui-même
comme «un paysan du
high-tech». On raconte que
les bateaux ressemblent
souvent à leur skipper.
L’Hydroptère, fougueux,
nerveux, structurellement
solide, curieux et un peu fou,
confirme ces dires.
Bruts. Boulons et rivets apparents,
énorme vérin de foil… l’engin
a de vrais faux airs d’hydravion !
Cabine. L’accès à la cellule de vie
s’effectue par un capot digne d’un trou
de souris. Pour le confort, on repassera !
Anachronique.
Le volant d’un autre
temps cohabite avec
un joystick dernier cri.
sommets de la Corse dans moins
de quatre heu res ! Décélération
subite. Le drôle d’oiseau s’ébroue.
L’Hydroptère est en phase d’atterrissage… et s’affaisse tel un matelas
pneumatique dégonflé. Pire, comme l’empannage est proscrit, le
virement s’effectue systématiquement vent debout après avoir roulé le foc. L’Hydroptère vire aussi mal
qu’un Hobie Cat. C’est dire ! Mais,
une fois sous la nouvelle amure et
le solent dé rou lé, les ailes dé ployées à 45 degrés génèrent une
folle poussée, les 6,5 tonnes de
l’engin se délestent et la cavalcade
reprend. A 135 degrés d’un vent
qui fraîchit, et à 5 mètres au-dessus des vagues, les sensations sont
vertigineuses.
DÈS QUE L’HYDROPTÈRE MONTE, le
barreur abat et dès qu’il descend, il
lofe… mais j’attendrai plus tard
pour les considérations techniques.
Car, sur ce type de bateau, on évite
de causer au «chauffeur» ! La barre
hydraulique ne donnant aucun retour de sensations, c’est uniquement avec les fesses et le dos –
comme dans un avion de voltige –
que le barreur pilote. Enfin, à l’aide
du joystick, il tire ou pousse pour
faire cabrer ou piquer le bateau. Un
joli planté suivi d’un violent coup
de frein montre que l’exercice est
réellement délicat pour ne pas dire
plus, dès que la mer se creuse. Fin
du tour de manège ! Dans sa configuration actuelle, cet engin certes
fabuleux est-il adapté à la navigation en haute mer ? Alain Thébault,
son skipper emblématique, n’élude
Plan de voilure. Trois
emmagasineurs
plus un bout-dehors
ont été installés et
testés pour le large.
FRANCIS DEMANGE
ment porté. Dans le baquet en carbone, le pilote derrière un volant à
cinq branches – genre Massey Ferguson – se prépare au décollage. 5,
7, 10 nœuds… A border ! L’Hydroptère fait alors penser à un gros
oiseau pataud tentant désespérément de prendre son envol. Les
énormes foils brassent l’eau. 11, 12,
14 nœuds. Tout semble par magie
s’alléger. 15 nœuds. Une poussée
verticale franche
accompagne l’accélération, et l’Hydroptère s’extrait de
l’eau et découvre
son foil au vent.
Jacques cramponné au vo lant ac tionne aus si un
joystick situé à
droi te. En quel ques secondes, l’on
passe subitement
d’un monde à l’autre. Les 20 nœuds
sont atteints allègrement et ça n’en
finit pas d’accélérer avec une fulgurance encore jamais connue ! Lucho (Alphand), champion de ski
reconverti comme apprenti DCNS
du bord, an nonce 30 nœuds en
rigolant. De bout sur la poutre
avant, mais bien accroché au hauban, il est comme un poisson dans
l’eau. Tout va maintenant très vite à
120 degrés du vent. La coque centrale est hors de l’eau depuis un
moment et l’engin n’est plus en
contact avec la mer que sur la pointe des foils, ce qui représente une
surface mouillée de… 2,5 mètres
20 nœuds.
Une fois lancé,
l’Hydroptère
«porté» par ses
immenses ailes ne
cesse d’accélérer…
et va vite, très vite !
pas la question. «Nous avons déjà
fait trois fois le tour de l’Europe, une
traversée vers les Canaries… mais
l’Hydroptère reste un bateau à risque.
On est toujours à la frontière de l’orange et du rouge – ma couleur préférée !
(sic) – et c’est clair que nous allons
nous mettre dans le rouge… car descendre la houle du Pacifique sur un
bateau qui vole, c’est dangereux !» Avant d’ajouter :
«C’est aussi pour cette raison que je pars avec un
équipage de vieux briscards – Jacques Vincent,
Yves Parlier, Jean NGE
Le Cam et Luc F. DEMA
Alphand. Ils
savent où
Dream team.
De gauche à droite :
Jacques Vincent,
Jean Le Cam,
Alain Thébault,
Luc Alphand et
Yves Parlier.
ils mettent les pieds. Ne font pas les
malins. Avec Jacques, on a chaviré à
56 nœuds, avec Jean effectué les premiers vols et perdu un foil, avec Yves
traversé la Manche dans trois mètres
de creux…» Pour cette campagne de
records océa niques, Thébault et
son équipe ont donc travaillé sur
quatre axes. L’Hydroptère a été
allégé, notamment par le changement du skeg (interface entre la
coque et le safran), désormais en
carbone, et le rem placement du
moteur par un peu plus petit, dont
l’arbre va être démonté. Gain de
poids : environ 200 kilos. La surface de voilure a été augmentée
pour passer à 300 mètres carrés. Un
long bout-dehors (4,60 mètres)
installé, afin de porter un grand
gennaker, et pouvoir «descendre» à
140-145 degrés du vent, soit 15 de
plus qu’auparavant. Idéalement,
l’équipe aurait souhaité une aile
rigide permettant de gagner encore
En voiture ! Quelques secondes avant le décollage sous l’île Verte… dans
le cockpit et autour du pilote du jour Jacques Vincent.
10 degrés, mais faute de temps et
d’argent, le gréement classique avec
mât-aile, grand-voile à corne et
trois voiles d’avant a juste été optimisé. Mais par 16 à 17 nœuds de
vent et à 140 degrés, l’Hydroptère
marche désormais à 30 nœuds.
Pour les runs sur eau plate, l’Hydroptère avait des profils sur les
foils plus tranchants, permettant
de repousser les phénomènes de
cavitation à 55-56 nœuds. Pour les
vagues, les profils adoptés sont
nettement plus tolérants. Ce sont
ceux initialement conçus par les
«IDÉALEMENT
POUR LE RECORD,
IL FAUDRAIT ÊTRE SIX
À BORD, DONT TROIS
SUR LE PONT.»
«papets», surnom donné par Thébault aux ingénieurs de l’aéronautique qui s’éclatent depuis deux
décennies sur ce projet délirant.
Pourquoi il décolle
Selon le savant grec Archimède, «tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée
exercée de bas en haut égale au poids du volume de liquide déplacé.» C’est à partir
de cette poussée que l’on définit la flottabilité d’un corps. Sauf que l’Hydroptère n’est
pas un bateau archimédien, ou seulement jusqu’à ce qu’il décolle. Dès 10 nœuds, les
foils, sortes d’ailes immergées et déployées à 45 degrés, génèrent une poussée. Celle-ci
n’a rien à voir avec Archimède. Elle est due à la différence de pression entre le dessus
du foil (l’extrados) et sa surface intérieure (l’intrados), permettant d’extraire de l’eau
les presque 7 tonnes de l’Hydroptère. C’est exactement comme une aile d’avion. Plus
la vitesse augmente, et plus la portance est grande. Ceci explique pourquoi l’engin
peut passer de 20 à 45 nœuds en 10 secondes… Les efforts sur les foils sont alors
si intenses que ces derniers doivent pouvoir résister à des pressions deux fois plus
fortes que celles exercées sur les ailes d’un avion de chasse, tandis que les bras
de liaison sont équipés d’amortisseurs inspirés des trains d’atterrissage des avions
de ligne. Afin de mesurer et gérer les pressions et les torsions, des centaines
de capteurs renvoient des données alors modélisées sur un simulateur de vol.
LES COMPÈRES VONT TOURNER PAR
QUARTS DE DEUX, se relayant à la barre toutes les heures, pour ne pas risquer l’accident. «Idéalement, il faudrait être six dont trois sur le pont,
explique Alain, mais pour des questions de poids, nous avons choisi de ne
partir qu’à cinq.» Le pari semble osé,
dans la mesure où le plan de pont
ne permet pas au barreur de libérer
aisément le chariot de grand-voile.
«En théorie, on n’y touche pas, concède Alain Thébault. Il faut savoir
qu’au portant, quand on enfourne, on
choque seulement l’écoute de voile
d’avant pour éviter le chavirage !»
Une chose est sûre, l’expérience
de cet équipage éprouvé ne sera
Gouverne
de profondeur :
les quatre modes
d’asservissement
Si quatre modes sont prévus, l’équipage
ne devrait utiliser que le mode 1 dit
manuel. Ce dernier permet de cabrer
l’Hydroptère en tirant sur le joystick pour
éviter qu’il plante. Le mode 2 (sécurité)
atténue les enfournements en jouant
sur la gouverne de profondeur, ce qui
permet d’être plus stable et de gagner
en vitesse. Tous les avions volent
aujourd’hui avec des calculateurs qui
règlent automatiquement ces problèmes
de gouverne, ce qui leur permet d’aller
plus vite et de consommer moins
de carburant. Mais ce mode assisté
n’est pas encore assez fiabilisé sur
l’Hydroptère. Le mode 3 (vagues) permet
en théorie de faire en sorte que le bateau
reste toujours à la même hauteur
au-dessus des vagues. Il ne devrait pas
être utilisé, même si son skipper en
attend beaucoup pour l’avenir. Enfin,
le mode 4 (auto) permet au bateau
de voler tout seul. Mais ça, ce n’est pas
encore pour demain !
pas de trop pour cette traversée
entre Los Angeles et Honolulu. Car
si le record détenu par Kersauson
en 4 jours et 19 heures à 19,17
nœuds de moyenne est largement
dans les cordes de l’Hydroptère, il
faudra d’abord arriver de l’autre
côté entier !
D.R. ●
sur
et
.com
INTERVIEW
D’ALAIN THÉBAULT
+ IMAGES EMBARQUÉES
Recherche : hydroptère
F. DEMANGE
Enfin, l’asservissement de la gouverne de profondeur est la botte
secrète pour l’avenir selon Alain
Thébault. «On a depuis des années
une centrale inertielle Octans (du
même type que celles utilisées sur les
sous-marins nucléaires et Airbus) qui
permet de faire un zéro en trois dimensions, et de décortiquer tous les mouvements du bateau pour obtenir le bon
calage. L’un des points faibles de l’Hydroptère réside dans le fait que la gîte
est souvent couplée au tangage ou plus
exactement le mouvement diagonal
autour de l’axe foil-empennage de
safran. Les ingénieurs DCNS ont donc
développé un système sous le safran –
une gouverne – actionnée en mode
manuel.» (Voir encadré ci-contre).

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