Métiers intermédiaires : un nouveau concept
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Métiers intermédiaires : un nouveau concept
PHARE_56-1:Juin 1/04/11 10:30 Page 10 LE POINT SUR Métiers intermédiaires : un nouveau concept Le rapport Hénart décortiqué pour PHAR-E E n janvier 2011, la mission Hénart/Berland a remis son rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire, à X. Bertrand et V. Pecresse. Largement repris dans la presse en raison de ses implications fortes sur la réorganisation des métiers de la santé, il nous a paru nécessaire de faire le point. ■ Le rapport Hénart, en résumé : L’objectif de la refonte des métiers permet au monde de la santé de faire face à des changements majeurs ; vieillissement, dépendance, maladies chroniques, cancer et santé mentale réclament des prises en charge différentes, mieux coordonnées entre la ville et l’hôpital. Pourtant, la démographie des professionnels de santé est inquiétante, en chiffre et en répartition, conduisant à une diminution globale du temps médical. Le constat général est une inégalité de l’accès aux soins. Le tout s’opère dans un contexte de finances publiques constantes, de rationalisation du système de soins, et de recherche de productivité. Tous les métiers de la santé sont aujourd’hui encadrés par un système rigide et cloisonné, soumis à autorisation, et ne permettant ni souplesse des métiers, ni adaptation des carrières. 10 Le champ actuel de l’organisation des métiers, professions, diplômes, est fortement modifié par deux réformes récentes : - les accords de Bologne, signés en 1999, appelés réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) qui har monisent les diplômes à une échelle européenne et favorisent le rapprochement entre les universités et le monde professionnel. Cette réforme LMD touche la profession infirmière. - La loi HPST, qui introduit le concept de coopération entre les professionnels de santé, à un niveau strictement régional. Cette coopération correspond à un transfert d’activités ou une réorganisation des soins, avec un encadrement via l’Agence Régionale de Santé (ARS) et par la Haute Autorité de Santé (HAS). Actuellement, l’offre de métiers crée et module la demande en santé, alors que ce serait plutôt la demande qui devrait articuler l’offre de métiers. ■ Quatre piliers : - Une priorité : mettre en place une politique modernisée des ressources humaines en santé. - Une nouveauté : créer des professions de santé intermédiaires. - Une méthode : adopter un système rigoureux de validation. - Une nécessité : intégrer les formations à l’enseignement supérieur. ■ Neuf propositions : Proposition 1 : imposer la démarche métier. La mission propose d’inverser l’enchaînement actuel : diplôme métier, et propose : - l’évaluation des besoins, - les activités, - les compétences métier, - la formation - et le diplôme. La démarche métier consiste à identifier le besoin en compétences, à penser le métier, puis en déduire les référentiels en formation et les diplômes nécessaires. Proposition 2 : conforter et développer les métiers socles. Ce sont les métiers existants, avec à la clé le diplôme. Une réflexion globale doit être portée en 2011 pour en faire évoluer les contours, l’envergure, les niveaux de formation au regard des nouveaux besoins en santé. Proposition 3 : cerner le champ des nouveaux métiers en santé. L’espace des nouveaux métiers comprend deux grands champs : les professions de santé et les professions au service de la santé. Seraient http://www.snphar.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - n° 56 - avril 2011 PHARE_56-1:Juin 1/04/11 10:30 Page 11 LE POINT SUR Proposition 7 : adopter une démarche pragmatique et une méthode participative afin de les faire accepter par les différents acteurs et les finances publiques. Proposition 8 : mise en place de filières universitaires. Ces métiers émergeront des métiers socles, à partir de connaissances et compétences obtenues par un diplôme de niveau master combinant valorisation des acquis et de l’expérience (VAE) et formation universitaire « professionnalisante ». Ce diplôme master constituera un diplôme d’exercice dès que le programme de formation et le référentiel d’activités seront validés par le ministère de la santé. Proposition 9 : redonner les compétences à l’Etat sur l’ensemble des questions de formation des professions paramédicales de niveau licence en réponse au transfert sur les régions du financement des formations paramédicales. prioritaires les soins de premier recours, vieillissement, maladies chroniques, cancer et d’autres secteurs plus ANALYSE CRITIQUE ciblés en relais du médecin : vision, audition, soins DU RAPPORT H ÉNART dentaires, chirurgie, imagerie. Les futurs métiers doivent obéir à des principes incontournables : En premier lieu, un pré-requis est nécesLes nouveaux métiers saire à l’analyse : refuser tout débat - construits à partir des métiers paramédicaux d’aujourd’hui, devront représenter corporatiste et étroit de défense - non redondants avec un métier d’une ou de plusieurs le chaînon manquant. rétrograde existant, professions. La société change, pourquoi - correspondants à un mode ne pas faire évoluer son organisation ? d’exercice professionnel et à des responsabilités identifiées, - avec vocation à ter me de constituer des Loi HPST Article 51 : professions médicales à compétence définie. “ “ Proposition 4 : valoriser les parcours professionnels. Les nouveaux métiers ne devront pas se substituer aux anciens, mais représenter un chaînon manquant actuellement. Il s’agirait de constituer, pour les paramédicaux, une possibilité d’évolution de carrière dans le soin, non limitée à la gestion ou à l’encadrement. La rémunération devra être liée aux responsabilités complémentaires et compétences accrues. Proposition 5 : lancer des programmes nationaux. Le dispositif de coopération ouvert par l’article 51 de la loi HPST doit être étendu au niveau national et pas uniquement régional, en respectant l’esprit de la loi. Des programmes nationaux doivent être lancés et encadrés, s’appuyant sur des protocoles ciblés sur des grands domaines prioritaires de santé, à valider sur le terrain. Proposition 6 : encadrer le processus. Les protocoles nationaux doivent concilier souplesse et sécurité. La question de la responsabilité médicale au sein de l’équipe organisée en coopération doit être traitée. Coopération entre les professionnels de santé : Les professionnels de santé peuvent, à leur initiative, s’engager dans une démarche de coopération ayant pour objet de transférer entre eux, des activités ou des actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès des patients. Plusieurs conditions sont requises : - une mise en œuvre dans le cadre de protocoles, - l’information du patient, - la vérification par l’Agence Régionale de Santé (ARS) que ces protocoles répondent à un besoin de santé publique, - la transmission par l’ARS de ces protocoles à la Haute Autorité de Santé. Ces protocoles doivent préciser l’objet et la nature de la coopération, notamment les disciplines ou les pathologies, le lieu et le champ des interventions des professionnels de santé concernés, - l’autorisation de la mise en œuvre de ces protocoles par arrêté du Directeur Général de l'ARS après avis conforme de la HAS. http://www.snphar.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - n° 56 - avril 2011 11 PHARE_56-1:Juin 1/04/11 10:30 Page 12 LE POINT SUR Mais un autre pré-requis est obligatoire : les changements ne doivent pas dégrader ni la sécurité des patients, ni l’implication et la satisfaction au travail des acteurs quels qu’ils soient. Il est difficile de ne pas voir derrière ces propositions le seul moteur de la maîtrise des coûts à tout prix, guidée par l’offensive managériale actuelle. La meilleure preuve en est que l’instauration du numerus clausus et son peu d’élargissement récent, en dépit des alertes multiples, sont motivés par des contraintes économiques, et vont totalement à l’encontre de la démarche métier telle que le prône la mission. En dehors de ce cadre financier contraint, l’augmentation de la demande aurait conduit à augmenter le nombre de médecins. Ce rapport se situe bien dans une procédure dégradée, à moindre coût, certes, mais certainement à moindre qualité. Il ne faut pas négliger, en dehors du rapport, de se pencher sur les à-côtés ; l’interview du député Laurent Hénart, dans le numéro 169 de mars 2011 de la Revue de l’infirmière est aussi intéressante que le rapport lui-même. Quelques extraits en verbatim : « Il faut attendre 10 ans pour former un médecin… », « Ne pas partir sur de nouvelles législations et réglementations, ce qui est long et lourd », « Création de paramédicaux praticiens comme profession médicale à compétence définie… », « Nous pouvons imaginer que les praticiens en chirurgie, à l’issue de leur master, pourront à la fois faire le travail des IADE, des IBODE, pourquoi pas le travail des techniciens en CEC, et en plus faire des gestes chirurgicaux : ouvrir, suturer, refermer par exemple ». En quelques phrases, toutes les précautions sémantiques du rapport sont enterrées : nous sommes au milieu d’une société de l’accélération et de l’urgence, de la dérèglementation et de la précarisation, en dehors de tout nouveau cadre statutaire ou officiel, carcan empêchant une gestion correcte. UN PROBLÈME ? VITE UNE SOLUTION , RAPIDE ET SURTOUT PAS PÉRENNE … Ne créons surtout pas d’autres lourdeurs ; décloisonnons, déconstruisons. Après tout, qu’importe que les IADE mettent deux ans à acquérir leurs compétences : en deux ans, on va pouvoir fabriquer un homme à tout faire au bloc, qui fera de l’anesthésie générale (sous la responsabilité du chirurgien puisque praticien en chirurgie…), préparera la table d’instrumentation, puis « ouvrira » tout en surveillant, d’un coin de l’œil l’anesthésie (pourquoi, d’ailleurs, ne pas surveiller une super aide-soignante, formée à détecter les alarmes et changer les perfusions, après tout ?), etc. Comment éviter les réactions épidermiques quand on lit ça ? On peut toujours proposer aux concepteurs de cette organisation si efficiente de servir de cobaye, histoire de voir s’ils appliqueront à eux, malades, leurs propositions… Mais élevons le débat et enrichissons-nous de l’expérience des sociologues sur ce qu’est une profession (Florent Champy, la sociologie des professions, PUF). La profession médicale est caractérisée par une intervention sur du matériau humain, dans des situations complexes, sources d’incertitudes, dans le cadre d’un travail qui échappe à toute systématisation et qui nécessite délibération. La médecine est une pratique dite « prudentielle », basée sur une forme particulière de connaissance, différente de la connaissance scientifique, dont l’apprentissage permet de remonter, à partir de données expérimentales négligeables, à une réalité complexe. 12 http://www.snphar.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - n° 56 - avril 2011 PHARE_56-1:Juin 1/04/11 10:30 Page 13 LE POINT SUR Le rapport fait une pirouette assez peu élégante sur le difficile problème de la responsabilité médico-légale, pourtant au cœur du concept : qui croit que les médecins vont couvrir, de leur propre responsabilité, des pratiques dont ils n’auront pas la maîtrise ? Qui croit que les assurances vont couvrir, les yeux fermés, ce saucissonnage du métier médical, sauf à imaginer des contrats qu’ils vont vite rentabiliser ? Autre pirouette : quel sera le prix de ces nouveaux métiers ? Quand on voit le faible niveau de rémunération des infirmiers, à quel salaire vont-ils accepter cette augmentation de responsabilité et cette dépendance ? Et surtout, combien les établissements vont-ils accepter de les payer ? En dehors de tout cadre réglementaire bien sûr, la rémunération sera donc laissée à la discrétion locale ou régionale. LES MÉTIERS À PRATIQUE PRUDENTIELLE NÉCESSITENT AUTONOMIE ET PROTECTION POUR UN EXERCICE SATISFAISANT ET EFFICIENT. On voit bien que ce projet, qui vise à découper le métier de médecin en tranches automatisables et répétitives et donc facilement transférables, ne peut qu’aboutir à une dégradation de la prise en charge du patient dans sa globalité. La médecine devient un acte technique, saucissonné en compétences diverses, dont personne n’a plus de vision d’ensemble. Malgré la précaution sémantique du rapport qui veut « conforter et développer les métiers socles », on est bien dans la casse des professions existantes. Mais quelle cohérence au tableau final ? D’abord, la standardisation des pratiques médicales, la médecine basée sur les preuves (l’Evidence-Based Medicine), les recommandations de pratiques, les démarches qualité venant d’en haut sont sous couvert d’amélioration globale, un piège qui se referme car limitent toute autonomie propre aux professions complexes. Puis la T2A, qui restreint la médecine à une production d’actes simples et répétitifs, standardisés, où les actes complexes sont relégués uniquement pour l’affichage dans quelques centres de recours. L’étranglement budgétaire des hôpitaux, organisé en haut lieu, associé à la culpabilisation permanente des professionnels, surtout ceux du service public : chers, peu efficaces, nantis, flemmards, « planqués sous leurs statuts ». Enfin, le développement professionnel continu (DPC) décliné à toutes les professions de santé, autre mise aux normes de la formation continue, qui va permettre d’encadrer, par des objectifs nationaux, toutes les formations et initiatives de ce genre. En conclusion, méfions-nous des réformes à tout prix qui, avec un argumentaire de café du commerce, ou une mauvaise foi de manager, ébranlent une organisation qui a fait ses preuves ! Les résultats sur la santé et la satisfaction des patients sont là pour en attester. L’exemple de l’anesthésie qui, sans attendre ce type de rapport, a organisé sa spécialité avec un métier qu’a posteriori on pourrait appeler « intermédiaire » (celui d’IADE), basé sur la complémentarité, la compétence et la confiance et qui a fait ses preuves, n’est même pas un exemple pour d’autres spécialités puisque on lui oppose la polyvalence des « praticiens médicaux en chirurgie »… Nous ne sommes ni dans l’immobilisme, ni dans l’archaïsme et autres défenses de soi-disant privilèges, ni réactionnaires rétrogrades opposés à toute évolution. Mais nous sommes dans la défiance totale envers ces réformateurs qui n’ont qu’une toile de fond à tous leurs projets : la rationalisation du système de soins et la recherche de productivité. Pour nous, augmenter les dépenses de santé est salutaire pour notre société et nous sommes prêts dans ce cadre à engager notre réflexion. Nous ne pouvons accepter de dégrader l’organisation de notre métier, la sécurité de nos patients, la globalité de leur prise en charge, sous couvert de rentabilité. http://www.snphar.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - Nicole SMOLSKI Présidente du SNPHAR-E n° 56 - avril 2011 13