Métiers intermédiaires : un nouveau concept

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Métiers intermédiaires : un nouveau concept
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LE POINT SUR
Métiers intermédiaires :
un nouveau concept
Le rapport Hénart décortiqué pour PHAR-E
E
n janvier 2011, la mission Hénart/Berland a remis son rapport relatif aux métiers en santé
de niveau intermédiaire, à X. Bertrand et V. Pecresse. Largement repris dans la presse en
raison de ses implications fortes sur la réorganisation des métiers de la santé, il nous a paru
nécessaire de faire le point.
■ Le rapport Hénart, en résumé :
L’objectif de la refonte des métiers permet au monde
de la santé de faire face à des changements majeurs ;
vieillissement, dépendance, maladies chroniques,
cancer et santé mentale réclament des prises en charge
différentes, mieux coordonnées entre la ville et
l’hôpital.
Pourtant, la démographie des professionnels de santé
est inquiétante, en chiffre et en répartition, conduisant
à une diminution globale du temps médical. Le
constat général est une inégalité de l’accès aux soins.
Le tout s’opère dans un contexte de finances publiques
constantes, de rationalisation du système de soins, et
de recherche de productivité.
Tous les métiers de la santé sont aujourd’hui
encadrés par un système rigide et cloisonné, soumis
à autorisation, et ne permettant ni souplesse des
métiers, ni adaptation des carrières.
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Le champ actuel de l’organisation des métiers,
professions, diplômes, est fortement modifié par deux
réformes récentes :
- les accords de Bologne, signés en 1999, appelés
réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) qui
har monisent les diplômes à une échelle
européenne et favorisent le rapprochement entre
les universités et le monde professionnel. Cette
réforme LMD touche la profession infirmière.
- La loi HPST, qui introduit le concept de coopération entre les professionnels de santé, à un niveau
strictement régional. Cette coopération correspond
à un transfert d’activités ou une réorganisation
des soins, avec un encadrement via l’Agence
Régionale de Santé (ARS) et par la Haute Autorité
de Santé (HAS).
Actuellement, l’offre de métiers crée et module la
demande en santé, alors que ce serait plutôt la
demande qui devrait articuler l’offre de métiers.
■ Quatre piliers :
- Une priorité : mettre en place une politique modernisée des ressources humaines en santé.
- Une nouveauté : créer des professions de santé
intermédiaires.
- Une méthode : adopter un système rigoureux de
validation.
- Une nécessité : intégrer les formations à l’enseignement supérieur.
■ Neuf propositions :
Proposition 1 : imposer la démarche métier. La
mission propose d’inverser l’enchaînement actuel :
diplôme métier, et propose :
- l’évaluation des besoins,
- les activités,
- les compétences métier,
- la formation
- et le diplôme.
La démarche métier consiste à identifier le besoin en
compétences, à penser le métier, puis en déduire les
référentiels en formation et les diplômes nécessaires.
Proposition 2 : conforter et développer les métiers
socles. Ce sont les métiers existants, avec à la clé le
diplôme. Une réflexion globale doit être portée en 2011
pour en faire évoluer les contours, l’envergure, les
niveaux de formation au regard des nouveaux besoins
en santé.
Proposition 3 : cerner le champ des nouveaux
métiers en santé. L’espace des nouveaux métiers
comprend deux grands champs : les professions de
santé et les professions au service de la santé. Seraient
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Proposition 7 : adopter une démarche pragmatique
et une méthode participative afin de les faire accepter par les différents acteurs et les finances publiques.
Proposition 8 : mise en place de filières universitaires. Ces métiers émergeront des métiers socles, à
partir de connaissances et compétences obtenues
par un diplôme de niveau master combinant valorisation des acquis et de l’expérience (VAE) et formation
universitaire « professionnalisante ». Ce diplôme
master constituera un diplôme d’exercice dès que le
programme de formation et le référentiel d’activités
seront validés par le ministère de la santé.
Proposition 9 : redonner les compétences à l’Etat
sur l’ensemble des questions de formation des
professions paramédicales de niveau licence en
réponse au transfert sur les régions du financement des
formations paramédicales.
prioritaires les soins de premier recours, vieillissement,
maladies chroniques, cancer et d’autres secteurs plus
ANALYSE CRITIQUE
ciblés en relais du médecin : vision, audition, soins
DU RAPPORT H ÉNART
dentaires, chirurgie, imagerie.
Les futurs métiers doivent obéir à
des principes incontournables :
En premier lieu, un pré-requis est nécesLes nouveaux métiers saire à l’analyse : refuser tout débat
- construits à partir des métiers
paramédicaux d’aujourd’hui,
devront représenter corporatiste et étroit de défense
- non redondants avec un métier
d’une ou de plusieurs
le chaînon manquant. rétrograde
existant,
professions. La société change, pourquoi
- correspondants à un mode
ne pas faire évoluer son organisation ?
d’exercice professionnel et à des
responsabilités identifiées,
- avec vocation à ter me de constituer des
Loi HPST Article 51 :
professions médicales à compétence définie.
“
“
Proposition 4 : valoriser les parcours professionnels.
Les nouveaux métiers ne devront pas se substituer
aux anciens, mais représenter un chaînon manquant
actuellement. Il s’agirait de constituer, pour les paramédicaux, une possibilité d’évolution de carrière dans
le soin, non limitée à la gestion ou à l’encadrement. La
rémunération devra être liée aux responsabilités
complémentaires et compétences accrues.
Proposition 5 : lancer des programmes nationaux.
Le dispositif de coopération ouvert par l’article 51 de
la loi HPST doit être étendu au niveau national et pas
uniquement régional, en respectant l’esprit de la loi. Des
programmes nationaux doivent être lancés et encadrés,
s’appuyant sur des protocoles ciblés sur des grands
domaines prioritaires de santé, à valider sur le terrain.
Proposition 6 : encadrer le processus. Les protocoles
nationaux doivent concilier souplesse et sécurité. La
question de la responsabilité médicale au sein de
l’équipe organisée en coopération doit être traitée.
Coopération entre les
professionnels de santé :
Les professionnels de santé peuvent, à leur initiative,
s’engager dans une démarche de coopération ayant
pour objet de transférer entre eux, des activités ou
des actes de soins ou de réorganiser leurs modes
d’intervention auprès des patients. Plusieurs
conditions sont requises :
- une mise en œuvre dans le cadre de protocoles,
- l’information du patient,
- la vérification par l’Agence Régionale de Santé (ARS)
que ces protocoles répondent à un besoin de santé
publique,
- la transmission par l’ARS de ces protocoles à la Haute
Autorité de Santé. Ces protocoles doivent préciser
l’objet et la nature de la coopération, notamment les
disciplines ou les pathologies, le lieu et le champ des
interventions des professionnels de santé concernés,
- l’autorisation de la mise en œuvre de ces protocoles
par arrêté du Directeur Général de l'ARS après avis
conforme de la HAS.
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Mais un autre pré-requis est obligatoire : les changements ne doivent pas dégrader ni la sécurité des
patients, ni l’implication et la satisfaction au travail
des acteurs quels qu’ils soient.
Il est difficile de ne pas voir derrière ces propositions
le seul moteur de la maîtrise des coûts à tout prix,
guidée par l’offensive managériale actuelle. La meilleure
preuve en est que l’instauration du numerus clausus et
son peu d’élargissement récent, en dépit des alertes
multiples, sont motivés par des contraintes
économiques, et vont totalement à l’encontre de la
démarche métier telle que le prône la mission.
En dehors de ce cadre financier contraint, l’augmentation de la demande aurait conduit à augmenter le
nombre de médecins.
Ce rapport se situe bien dans une procédure dégradée,
à moindre coût, certes, mais certainement à moindre
qualité.
Il ne faut pas négliger, en dehors du rapport, de se pencher sur les à-côtés ; l’interview du député Laurent
Hénart, dans le numéro 169 de mars 2011 de la Revue
de l’infirmière est aussi intéressante que le rapport
lui-même. Quelques extraits en verbatim : « Il faut
attendre 10 ans pour former un médecin… », « Ne pas
partir sur de nouvelles législations et réglementations,
ce qui est long et lourd », « Création de paramédicaux
praticiens comme profession médicale à compétence
définie… », « Nous pouvons imaginer que les praticiens
en chirurgie, à l’issue de leur master, pourront à la fois faire
le travail des IADE, des IBODE, pourquoi pas le travail
des techniciens en CEC, et en plus faire des gestes
chirurgicaux : ouvrir, suturer, refermer par exemple ».
En quelques phrases, toutes les précautions sémantiques du rapport sont enterrées : nous sommes au
milieu d’une société de l’accélération et de l’urgence,
de la dérèglementation et de la précarisation, en dehors
de tout nouveau cadre statutaire ou officiel, carcan
empêchant une gestion correcte.
UN
PROBLÈME ? VITE UNE SOLUTION ,
RAPIDE ET SURTOUT PAS PÉRENNE …
Ne créons surtout pas d’autres lourdeurs ; décloisonnons, déconstruisons.
Après tout, qu’importe que les IADE mettent deux ans
à acquérir leurs compétences : en deux ans, on va
pouvoir fabriquer un homme à tout faire au bloc, qui fera
de l’anesthésie générale (sous la responsabilité du
chirurgien puisque praticien en chirurgie…), préparera
la table d’instrumentation, puis « ouvrira » tout en
surveillant, d’un coin de l’œil l’anesthésie (pourquoi,
d’ailleurs, ne pas surveiller une super aide-soignante,
formée à détecter les alarmes et changer les perfusions,
après tout ?), etc.
Comment éviter les réactions épidermiques quand on
lit ça ? On peut toujours proposer aux concepteurs de
cette organisation si efficiente de servir de cobaye,
histoire de voir s’ils appliqueront à eux, malades, leurs
propositions…
Mais élevons le débat et enrichissons-nous de l’expérience des sociologues sur ce qu’est une profession
(Florent Champy, la sociologie des professions, PUF).
La profession médicale est caractérisée par une intervention sur du matériau humain, dans des situations
complexes, sources d’incertitudes, dans le cadre d’un
travail qui échappe à toute systématisation et qui nécessite délibération. La médecine est une pratique dite « prudentielle », basée sur une forme particulière de connaissance, différente de la connaissance scientifique, dont
l’apprentissage permet de remonter, à partir de données
expérimentales négligeables, à une réalité complexe.
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Le rapport fait une pirouette assez peu élégante sur le
difficile problème de la responsabilité médico-légale,
pourtant au cœur du concept : qui croit que les médecins vont couvrir, de leur propre responsabilité, des
pratiques dont ils n’auront pas la maîtrise ? Qui croit que
les assurances vont couvrir, les yeux fermés, ce saucissonnage du métier médical, sauf à imaginer des contrats
qu’ils vont vite rentabiliser ?
Autre pirouette : quel sera le prix de ces nouveaux
métiers ? Quand on voit le faible niveau de rémunération des infirmiers, à quel salaire vont-ils accepter cette
augmentation de responsabilité et cette dépendance ?
Et surtout, combien les établissements vont-ils
accepter de les payer ? En dehors de tout cadre
réglementaire bien sûr, la rémunération sera donc
laissée à la discrétion locale ou régionale.
LES MÉTIERS À PRATIQUE
PRUDENTIELLE NÉCESSITENT
AUTONOMIE ET PROTECTION POUR UN
EXERCICE SATISFAISANT ET EFFICIENT.
On voit bien que ce projet, qui vise à découper le métier
de médecin en tranches automatisables et répétitives et
donc facilement transférables, ne peut qu’aboutir à une
dégradation de la prise en charge du patient dans sa
globalité. La médecine devient un acte technique,
saucissonné en compétences diverses, dont personne
n’a plus de vision d’ensemble. Malgré la précaution
sémantique du rapport qui veut « conforter et développer les métiers socles », on est bien dans la casse des
professions existantes.
Mais quelle cohérence au tableau final ? D’abord, la
standardisation des pratiques médicales, la médecine
basée sur les preuves (l’Evidence-Based Medicine), les
recommandations de pratiques, les démarches qualité
venant d’en haut sont sous couvert d’amélioration
globale, un piège qui se referme car limitent toute autonomie propre aux professions complexes.
Puis la T2A, qui restreint la médecine à une production
d’actes simples et répétitifs, standardisés, où les actes
complexes sont relégués uniquement pour l’affichage
dans quelques centres de recours. L’étranglement
budgétaire des hôpitaux, organisé en haut lieu, associé
à la culpabilisation permanente des professionnels,
surtout ceux du service public : chers, peu efficaces,
nantis, flemmards, « planqués sous leurs statuts ».
Enfin, le développement professionnel continu (DPC)
décliné à toutes les professions de santé, autre mise aux
normes de la formation continue, qui va permettre
d’encadrer, par des objectifs nationaux, toutes les
formations et initiatives de ce genre.
En conclusion, méfions-nous des réformes à
tout prix qui, avec un argumentaire de café du
commerce, ou une mauvaise foi de manager,
ébranlent une organisation qui a fait ses
preuves ! Les résultats sur la santé et la satisfaction des patients sont là pour en attester.
L’exemple de l’anesthésie qui, sans attendre ce
type de rapport, a organisé sa spécialité avec
un métier qu’a posteriori on pourrait appeler
« intermédiaire » (celui d’IADE), basé sur la
complémentarité, la compétence et la
confiance et qui a fait ses preuves, n’est même
pas un exemple pour d’autres spécialités
puisque on lui oppose la polyvalence des
« praticiens médicaux en chirurgie »…
Nous ne sommes ni dans l’immobilisme, ni
dans l’archaïsme et autres défenses de
soi-disant privilèges, ni réactionnaires rétrogrades opposés à toute évolution. Mais nous
sommes dans la défiance totale envers ces
réformateurs qui n’ont qu’une toile de fond à
tous leurs projets : la rationalisation du système
de soins et la recherche de productivité.
Pour nous, augmenter les dépenses de santé
est salutaire pour notre société et nous
sommes prêts dans ce cadre à engager notre
réflexion. Nous ne pouvons accepter de dégrader l’organisation de notre métier, la sécurité
de nos patients, la globalité de leur prise en
charge, sous couvert de rentabilité.
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Nicole SMOLSKI
Présidente du SNPHAR-E
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