il était intervenu à Pau en 2011 au cours d`une soirée libre

Transcription

il était intervenu à Pau en 2011 au cours d`une soirée libre
Martine Lignières-Cassou
Députée de la 1ère circonscription des Pyrénées-Atlantiques
Maire de Pau
Compte-rendu de la Soirée Libre Expression
La progression du vote FN
Pau - 6 juin 2011
En présence d’Alain MERGIER, Sociologue, Président de l’institut WEI, spécialiste des
questions d’opinion qui analysera avec nous, les entretiens qu’il a réalisés auprès de personnes
de milieux populaires ayant voté en 2007 pour N. Sarkozy ou S. Royal, et qui s’orientent
aujourd’hui vers un vote pour M. Le Pen.
Introduction de Martine Lignières-Cassou :
Le 21 avril dernier, neuf ans après le 21 avril 2002, un sondage Harris interactive pour Le
Parisien donnait Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, quel que soit le candidat
PS, éliminant dès le 1er tour Nicolas Sarkozy.
Madame Le Pen recueillerait alors 36% des voix dans l’électorat populaire au 1er tour (sondage
IFOP paru dans le JDD du 25 avril 2011). Plus récemment, diverses enquêtes et sondages
indiquent que Madame Le Pen serait en 3ème position au 1er tour de l’élection Présidentielle
avec 17 à 19% d’intentions de vote.
Le spectre d’un 2ème 21 avril 2002 à l’envers n’est toutefois pas à écarter, d’autant que Madame
Le Pen dans une stratégie très éloignée de celle de son père, a entamé une entreprise de
séduction visant à débarrasser le discours frontiste de ses marqueurs d’extrême droite.
Alain MERGIER, sociologue, Président de l’institut WEI, spécialiste des questions d’opinion, a
réalisé une enquête auprès de personnes de milieux populaires ayant voté en 2007 pour N.
Sarkozy ou S. Royal, et qui s’orientent aujourd’hui vers un vote pour M. Le Pen.
Ces entretiens font écho à une étude sur les milieux populaires que Monsieur Mergier avait
réalisée en 2006 (Le Descenseur social – Plon/Fondation Jean Jaurès) dans laquelle il
ressortait que les personnes rencontrées craignaient pour leur avenir et pour celui de leurs
enfants et où l’Etat n’était plus perçu comme une protection sur les plans économique, social ou
culturel.
L’émergence médiatique de Madame Le Pen est liée à la dégradation historique des conditions
de vie des milieux populaires.
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Intervention d’Alain Mergier
Avant de parler de la montée du FN, il convient dans un premier temps de comprendre les
milieux populaires s’orientant vers un vote FN : Sont-ils irrationnels ? Comment se
représentent-ils le monde ? Plus que leur opinion, ce sont les modes de raisonnement qui les
conduisent à cette opinion qu'il faut comprendre.
Comme point de départ, on considère que font partie des milieux populaires, les gens qui
gagnent au maximum 1250€ nets par mois. La première erreur est de considérer que les
milieux populaires – qui représentent 30% de la population française – ne raisonnent pas
correctement. C’est d'ailleurs le point de départ du système Marine Le Pen.
Alain Mergier s’intéresse aux milieux populaires depuis 2005. Au début de la crise financière, il
a mené trois études qualitatives sous forme d’entretiens, en 2008, 2009 et 2010/début 2011.
Lors de la crise financière, l’effet de sidération est proéminent dans la première étude menée en
2008. L’idée que tout le système économique mondial peut s’écrouler, que tout peut basculer,
apparaît. Très vite, les États interviennent dans le sauvetage des banques. En France comme
ailleurs, l’État reprend la main et devient acteur effectif. Cette résurgence ne durera pas très
longtemps :
A la fin de l’année 2010, tout le monde constate que les banques se portent beaucoup mieux
mais qu’elles ne participent que très peu à la sortie de crise. L’État s’est-il fait avoir ? Le rapport
de force a changé : le système financier aurait imposé son sauvetage à l’État. Dans tous les
milieux sociaux, le vrai pouvoir apparaît comme étant le système mondialisé de la finance.
Lors des études menées par Alain Mergier en 2009 et 2010, les milieux populaires se
représentent une société française divisée, avec d’un côté une oligarchie immensément riche
symbolisée par les patrons du CAC 40 et de l’autre, le monde économique avec des gens qui
travaillent en gagnant peu d’argent. Les autres classes sociales analysent la crise
différemment, pointant du doigt le seul milieu spéculatif de la finance à la logique pouvant
mettre en péril le monde économique auquel elles appartiennent.
Début 2011, les Français subissent une série très hétérogène d’augmentations des prix –
alimentation, gaz, essence, contraventions – dans un contexte récent de réforme des retraites
et de déremboursements de médicaments. Les fins de mois deviennent de plus en plus
difficiles et l’on rentre dans une crise du quotidien et non plus du lendemain. D’une situation qui
se dégradait depuis 3 ans, l’on passe à une crise de l’urgence.
Un nouveau mode de raisonnement se met en place pour les personnes des milieux populaires
ayant voté N. Sarkozy ou S. Royal en 2007, n’ayant jamais voté FN auparavant et tentés par ce
vote en 2012 :
L’accumulation des augmentations de prix durant les premiers mois de 2011 produit un effet
désastreux. L’impression qui domine est que les banques et les grandes entreprises vont très
bien tandis que les gens s’appauvrissent.
Ces augmentations se traduisent différemment pour le haut des classes moyennes et les
milieux populaires. Les premiers réduisent leur consommation. Les seconds, eux, ne peuvent
plus boucler leur budget et restreignent les fondamentaux de la vie quotidienne : énergie,
alimentation, santé, en essayant de ne pas sacrifier les loisirs des enfants. Pour les premiers, le
quotidien devient plus dur, pour les seconds, il est entré en crise.
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Les annonces rassurantes concernant la croissance ou la baisse du chômage n’ont aucun
impact sur les milieux populaires. Ces données statistiques n’enlèvent en rien un très fort
sentiment d’injustice : Tandis que l’on subit un temps partiel non choisi ou le chômage, une très
riche oligarchie représente la mondialisation heureuse. Un lien de cause à effet entre ces deux
situations apparaît : C’est parce que nous nous appauvrissons que d’autres s’enrichissent.
C’est un nouveau registre de l’injustice qui devient inacceptable. Il est perçu comme étant
délibéré et volontaire, et conduit au raisonnement suivant : Nous endossons le coût de la
mondialisation, nous la finançons. Cette logique de mécanisme délibéré est un argument fort du
FN qui tape juste dans la concordance de points de vue. Les électeurs rencontrés estiment ne
pouvoir compter ni sur les politiques de gauche, trop tièdes face à la mondialisation, ni sur ceux
de droite, dont on ne peut attendre qu’ils jouent contre leur camp.
La crise de la vie quotidienne s’articule avec une autre fragilisation qui est l’insécurité, ne se
rapportant pas uniquement à l’insécurité physique puisqu’elle englobe les différentes
dimensions du délitement de la vie quotidienne : insécurité économique (baisse du pouvoir
d’achat, chômage) et insécurité culturelle (difficultés d’intégration, tenues vestimentaires
féminines - foulard - vécues comme des provocations).
Cette insécurité désigne la nature même de la relation que les milieux populaires entretiennent
avec la réalité, vécue comme une menace (danger non maîtrisable) et non pas comme un
risque (danger rationnalisé).
La dette, qui est systématiquement évoquée par les personnes issues des milieux populaires
ayant voté pour N. Sarkozy ou S. Royal en 2007 et s’orientant vers un vote FN en 2012, est une
question centrale dans leur discours. Ils raisonnent par analogie comparant la dette du Pays à
la dette du foyer, c'est à dire au surendettement, ce qui équivaut à une sortie du système
économique par la déchéance.
Par ailleurs, la France endettée n’a plus les moyens affirment-ils, d’accueillir les immigrés
puisque les capacités économiques françaises permettant leur intégration diminuent.
Pour les électeurs de Ségolène Royal, l’insécurité est liée non pas à l’immigration mais aux
difficultés d’intégration : « il faut freiner les flux migratoires ». Les électeurs de Nicolas Sarkozy
n’ont pas cette délicatesse, souhaitant l’arrêt de l’immigration. Le discours est virulent contre les
flux migratoires mais il est dénué de racisme ou de xénophobie. Ces électeurs ont le sentiment
que ce sont eux et eux seuls qui font les frais des échecs de l’intégration auxquels ils sont
physiquement confrontés, la question du lieu de résidence étant ici déterminante.
Face à une situation vécue comme insupportable et devenue si complexe qu’elle semble
impossible à démêler, quelle est l’attente politique des milieux populaires ?
Cette attente politique ne se formule pas dans le registre de l’action mais dans celui de l’acte :
Comme une déclaration de guerre, l’acte (le vote FN) tranche et ouvre la voie aux actions
militaires (la mise en oeuvre du programme FN). La situation actuelle est comme le nœud
gordien qu’il faut trancher et les électeurs voient en Marine Le Pen, la seule responsable
politique capable de trancher ce nœud gordien puisqu’elle reconnaît l’expérience sociale vécue
par les milieux populaires, ce qui est fondamental. Les partis républicains traditionnels semblent
avoir perdu la main sur ce point essentiel. Ainsi, le vote FN n’est plus un vote sanction et n'est
pas encore un vote d’adhésion. Pour l’heure, c’est une intention de vote d’empathie, de point de
vue.
Marine Le Pen donne une valeur politique au point de vue des milieux populaires. Certes, ces
30% de la population française ne se tournent pas systématiquement vers elle mais son
potentiel électoral existe et il est probable que cette logique gagne d’autres classes sociales si
la dégradation sociale perdure.
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