01. La machine infernale

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01. La machine infernale
La machine infernale
JJeeaann CCoocctteeaauu
(1932)
RESUME DE LA PIECE ET COMMENTAIRES
L’écriture est moderne, mais le poids du destin est aussi sensible dans la pièce de Cocteau que
dans celle de Sophocle.
Jean Cocteau remplace le chœur des tragédies grecques antiques par une Voix qui, au début de
chacun des quatre actes, présente le contexte et résume les situations. Comme le chœur antique, la
Voix aide le public à suivre les évènements et commente la pièce.
La Voix : Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec
lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux
infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel.
Acte I. Le fantôme.
Deux gardes sont postés sur les remparts de Thèbes : le Sphinx, monstre dont personne ne sait à
quoi il ressemble exactement, décime les jeunes gens de la ville. En fait, les deux soldats sont
surtout préoccupés par la possible visite du fantôme du roi Laïos (que Cocteau appelle « Laïus ») :
il leur est déjà apparu à plusieurs reprises pour leur demander de prévenir la reine Jocaste qu’un
danger la guettait. Il est très difficile au fantôme d’apparaître et de s’exprimer, mais il vient tout de
même régulièrement. L’un des soldats a fini par en référer à la hiérarchie et Jocaste, accompagnée
de Tirésias, monte ce soir-là sur les remparts. Le fantôme apparaît bien, mais malgré ses efforts
désespérés, personne ne parvient à le voir. Il disparaît définitivement, entraîné dans les
profondeurs par des forces surnaturelles, après que la reine s’en soit allée.
L’acte a une tonalité tragi-comique qui perturbe le lecteur (ou le spectateur) : les querelles entre
Jocaste et Tirésias (qu’elle appelle « Zizi »), son attirance pour le plus jeune soldat, âgé de dix-neuf
ans, les démêlés des militaires et de leur chef portent à rire ou du moins à sourire. Cette ambiance
légère contraste fortement avec le désespoir du fantôme de Laïus, ses vains efforts et son
impuissance tragique devant la fatalité.
La Voix : Spectateurs, nous allons imaginer un retour dans le temps et revivre, ailleurs, les
minutes que nous venons de vivre ensemble. En effet, le fantôme de Laïus essaie de prévenir
Jocaste, sur une plate-forme des remparts de Thèbes, pendant que le Sphinx et Œdipe se
rencontrent sur une éminence qui domine la ville. Mêmes sonneries de trompettes, même lune,
mêmes étoiles, mêmes coqs.
Acte II. La rencontre d’Œdipe et du Sphinx.
Cet acte porte aussi la marque de la créativité de Cocteau. Il donne au Sphinx la forme d’une jeune
fille – apparence plutôt associée, habituellement, à l’innocence ou à la fragilité. Plus étrange
encore, le Sphinx est fatigué de tuer et rêve d’amour ; il serait prêt à jeter aux chiens son travail de
tueur en série pour une belle aventure. Œdipe lui plaît immédiatement et le monstre décide de le
dissuader de déchiffrer l’énigme. Mais Œdipe est sûr de lui, convaincu qu’il vaincra : son attitude
énerve le Sphinx qui se met alors à le faire souffrir, puis desserre les liens et lui donne la réponse.
Le dieu Anubis, qui dans la pièce de Cocteau assiste le Sphinx, exige tout de même que la question
soit posée – et Œdipe gagne, bien sûr. Il exulte en courant vers la ville. « Sans un regard vers moi,
sans un geste ému, sans un signe de reconnaissance. » dit le Sphinx. Sous cette forme se cache la
déesse Némésis. Dépitée par l’attitude d’Œdipe, elle se réjouit d’apprendre d’Anubis le destin qui
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attend le jeune homme. Œdipe revient récupérer la dépouille pour prouver sa victoire : il emporte
le corps d’une jeune fille à tête de chacal, tandis que les dieux disparaissent.
La Voix : […] Œdipe et Jocaste se trouvent enfin tête à tête dans la chambre nuptiale. Ils dorment
debout, et, malgré quelque signe d’intelligence et de politesse du destin, le sommeil les
empêchera de voir la trappe qui se ferme sur eux pour toujours.
Acte III. La nuit de noces
Tentant d’infléchir le destin, Tirésias vient parler à Œdipe dans la chambre nuptiale, avant que les
nouveaux époux ne se couchent : il évoque de mauvais présages. Mais la machine est lancée et
Œdipe reste sourd. Les nouveaux époux paraissent amoureux, mais tous deux sont épuisés par
une journée de cérémonies et s’endorment par intermittence. Le sommeil d’Œdipe est troublé par
le souvenir de sa rencontre avec le Sphinx, celui de la reine par le fantôme de Laïus, qu’elle n’a
pourtant pas vu sur les remparts.
Plus tard, Jocaste sursaute en découvrant les pieds de son mari : Œdipe lui explique que ces
cicatrices viennent de l’attaque d’un sanglier, quand il était enfant. Jocaste, qui n’a jamais pu se
résoudre à ôter de sa chambre le berceau de son fils abandonné, raconte à son tour ce qu’elle a
vécu, mais en attribuant son histoire à une lingère de sa suite. Œdipe est très choqué. L’occasion
de voir la vérité surgir et le malheur déjoué, en tous cas, est à nouveau perdue.
La différence d’âge qui perturbe la reine ne gêne pas le jeune homme : « J’ai toujours rêvé d’un
amour de ce genre, d’un amour presque maternel. » Echo à l’inquiétude de Jocaste, un ivrogne passe
dans la rue, qui chante : « Votre époux est trop jeune pour vous … ».
Jean Cocteau, sans mettre en scène le moindre geste qui pourrait embarrasser le spectateur,
parvient à créer une sensation de gêne. L’inceste qui sera bientôt consommé, jamais mis en scène,
pèse pourtant de tout son poids sur l’acte tout entier.
La Voix : Dix-sept ans ont passé vite. La grande peste de Thèbes a l’air d’être le premier échec à
cette fameuse chance d’Œdipe, car les dieux ont voulu, pour le fonctionnement de leur machine
infernale, que toutes les malchances surgissent sous le déguisement de la chance. Après les faux
bonheurs, le roi va connaître le vrai malheur, le vrai sacre, qui fait, de ce roi de jeu de cartes
entre les mains des dieux cruels, enfin, un homme.
Acte IV. Œdipe roi
C’est un messager venu annoncer à Œdipe la mort du roi Polybe qui fait s’écrouler l’édifice. Œdipe
est soulagé par cette nouvelle : on lui avait prédit qu’il tuerait son père et le voici mort de sa belle
mort. Mais le vieux roi, avant de rendre l’âme, a chargé le messager de dire la vérité à Œdipe : il
n’était que son fils adoptif. L’envoyé décrit l’arrivée d’Œdipe, bébé aux pieds percés, au palais du
roi Polybe. Œdipe comprend d’où viennent ses cicatrices, mais pense encore être le fils d’un
inconnu. Il se souvient avoir tué un vieil homme, autrefois, au carrefour de Daulie et Delphes :
c’est là l’unique crime qu’il ait jamais commis. Jocaste, elle, comprend immédiatement : son époux
est aussi son fils. Elle monte dans sa chambre. Œdipe continue de s’interroger. Il se souvient de ce
que Jocaste lui a raconté et pense être le fils de la lingère. Il va chercher son épouse : il la trouve
pendue avec son écharpe. Il accuse alors Tirésias et Créon d’avoir causé la mort de sa femme : elle
n’a pas supporté d’apprendre qu’il a tué un homme. Il faudra l’intervention du berger qui l’a lié sur
la montagne pour qu’il comprenne enfin la vérité. « Inceste et parricide, les dieux te pardonnent. »
Œdipe quitte la scène. Quand il revient, il s’est crevé les yeux et s’apprête à partir. Le fantôme de
Jocaste apparaît : parce qu’il est aveugle, lui seul peut la voir. « C’est ta mère qui vient à ton aide »,
lui dit-elle. La petite Antigone pleure, refuse de rester avec son oncle Créon, supplie qu’on la laisse
aller avec son père. « La petite est si fière. Elle s’imagine être ton guide. Il faut le lui laisser croire.
Emmène-la. Je me charge de tout », dit encore Jocaste. C’est ainsi que le roi aveugle quitte la scène,
soutenu par sa mère et sa fille.
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