Quel sens Jean Cocteau donne-t-il au mythe d`Œdipe ? La Machine

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Quel sens Jean Cocteau donne-t-il au mythe d`Œdipe ? La Machine
Quel sens Jean Cocteau donne-t-il au mythe d'Œdipe ?
La Machine infernale est une réécriture du mythe d'Œdipe.
Cocteau transforme profondément les personnages, les situations
transmises par la tradition. C'est l'étude de ces transformations qui
permet de dégager le sens que l'auteur veut donner à son œuvre.
Cependant, Cocteau garde toujours à l'esprit l'énigme du Sphinx,
dont la réponse est "l'homme" ; à sa façon, il nous donne aussi à
réfléchir sur la nature humaine, ses faiblesses et sa grandeur, sa
situation face au destin.
Les personnages principaux sont transformés :
I. Le Sphinx :
La mythologie en fait un monstre, Cocteau la présente tout d'abord
aux spectateurs comme une jeune fille vêtue de blanc, avant de la
métamorphoser en déesse, Némésis, incarnation de la Vengeance.
La forme humaine prise par la déesse semble influencer
profondément ses sentiments ; Cocteau nous montre donc ce que peut
éprouver une jeune fille – et il insiste sur les sentiments amoureux et la
compassion.
Le Sphinx va jusqu'à donner à Œdipe la solution de l'énigme – et à
se sacrifier pour lui. Transformé en Némésis, ce personnage exprimera
sa pitié universelle : "Les pauvres, pauvres, pauvres hommes... Je n'en
peux plus, Anubis... J'étouffe. Quittons la terre".
Remarquons aussi que le Sphinx ne peut rien contre le destin : tout
est déjà écrit ! Le procédé utilisé par Cocteau dès le début de la pièce (il
fait diffuser le discours de la "Voix", qu'il a lui-même enregistré sur
disque) avait déjà donné cette leçon : les hommes ne peuvent échapper
à la fatalité. Nous verrons, à travers le personnage de Jocaste, que
Cocteau va nuancer cette vision pessiste.
II. Œdipe :
Dans le récit mythologique, le héros représentait deux aspects de
l'homme :
1. Son courage et son intelligence (il affronte le Sphinx, donne la
solution de l'énigme) ;
2. Sa faiblesse face au destin : il tue son père et épouse sa mère,
sans le savoir.
Cocteau enlève à ce personnage tout ce qui pouvait faire sa
grandeur : il n'est qu'un jeune homme superficiel, rêvant de gloire,
naïvement, et sa victoire n'est qu'une imposture, puisque c'est le Sphinx
qui lui donne la solution.
Cocteau montre ainsi la petitesse de l'homme, qui nous inspire de
la pitié : son ignorance et ses illusions ne débouchent que sur son
malheur.
III. Jocaste :
Nous avons montré la pertinence de ce jugement : "Le personnage
de Jocaste est en constante évolution. En tant que reine, Cocteau la
tourne en dérision (acte I). Mariée à Œdipe, elle se révèle d'instinct plus
une mère torturée qu'une épouse heureuse (acte III). La mort la
transfigure en mère sublime (acte IV).
Les leçons que l'on peut tirer des différentes facettes du
personnage de Jocaste sont les suivantes :
1. Les "grands de ce monde" restent des hommes, dont la
faiblesse est souvent pitoyable, quand elle n'est pas ridicule : c'est vrai
pour Jocaste, mais aussi pour Laïus, dont le fantôme prend la forme d'un
vieillard incapable de communiquer avec les hommes.
2. Jocaste, comme Laïus, sont les jouets du destin ; ce qui est vrai
pour un couple royal l'est aussi pour tous les hommes.
3. Cependant, le dénouement, dans un coup de théâtre, renverse
la situation : Jocaste n'est plus qu'un fantôme, certes, mais elle va
pouvoir veiller sur Œdipe, et elle sera enfin la mère que le destin l'avait
empêchée d'être.
Conclusion :
Il est facile de trouver dans la pièce les signes de la faiblesse des
hommes, mais on ne saurait accuser Cocteau de pessimisme. On peut
au contraire voir dans une phrase de Tirésias, à la fin de la pièce, une
forme d'optimisme :
Œdipe et Jocaste appartiennent :
 "au peuple" : Ces personnages font partie en effet d'un mythe,
transmis de génération en génération ; ils sont ainsi immortels, et
suscitent toujours des émotions.
 "aux poètes" : Le mythe peut être modifié dans des œuvres
littéraires, et des écrivains peuvent en transformer le sens, comme
le fait Cocteau lui-même !
 "aux cœurs purs" : Des hommes pleins de compassion ne
condamnent pas ce qui pourrait à première vue faire horreur : les
monstruosités commises par Œdipe inspirent de la pitié.
Il s'agit au fond d'un message d'espoir, puisque Cocteau défend une
certaine liberté des hommes (ne serait-ce que la liberté de créer une
œuvre d'art qui revisite un mythe) face à un destin impitoyable.

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