LA NON ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER

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LA NON ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER
ETUDE - LA NON ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER
04 /2010
Jean VILANOVA – Juriste
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L’article 223-6 alinéa 2 du code pénal punit… « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance
que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. » Il
s’agit d’une obligation morale dont le manquement est lourdement sanctionné : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
Chaque citoyen est soumis à cette obligation, les médecins comme les autres. Mais comment définir le « péril » ? Et à quoi
correspond l’assistance que la loi exige ? Enfin, qu’en est-il précisément en matière médicale ?
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I. LE PERIL, L’ABSTENTION ET L’ASSISTANCE
1. Le péril : quelle définition et quelles conséquences ?
Le péril n’est pas défini par la loi mais par la doctrine et la jurisprudence. C’est une situation par laquelle il pèse sur une personne… « un
danger grave, imminent et constant, de nature à nécessiter une intervention immédiate. » (Cass. crim. 31 /05 /1949). Il n’existe aucune limite
quant à la nature de ce péril : agression physique ou toutes autres causes (malaise, tentative de suicide, accident, événement naturel…) De
même reprochera-t-on à une personne ayant blessé le cambrioleur s’étant introduit par effraction chez elle de ne pas lui avoir porté secours.
Le danger doit être soudain et imprévisible ce qui n’est pas le cas pour une femme enceinte dont l’imminence de l’accouchement nécessite des
précautions dont elle a été informée au préalable et qu’elle-même et son conjoint négligent. (Cass. crim. 2 /04 1992)
Le délit de non assistance à personne en péril naît de l’abstention volontaire de celui qui a conscience et connaissance du danger et se trouve
en état d’intervenir sans risque pour lui ou pour un tiers. Le refus d’agir en toute connaissance de cause quant à l’imminence, la gravité et la
constance du péril constitue un délit. Néanmoins l’erreur propre à l’appréciation suffit à écarter le délit. Ainsi en est-il, en médecine, lorsque
l’erreur de diagnostic, commise de bonne foi, explique et en quelque sorte excuse la non intervention du praticien (voir II LA NON
ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER RAPPORTEE A LA MEDECINE).
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Il faut insister sur ce point. L’article 223-6 al. 2 ci-dessus sanctionne non pas la simple négligence mais le délit intentionnel d’abstention
volontaire face à une situation connue de danger grave, imminent et constant.
S’appuyant sur ce texte, les juges de la Cour d’appel de Lyon ont ainsi pu souverainement considérer que… « de simples négligences, erreurs,
omissions, insuffisances ou autres fautes professionnelles, eussent-elles de lourdes conséquences, ne sauraient être sanctionnées
pénalement, en l’absence de comportement intentionnel. » (Cour d’appel de Lyon ; arrêt du 28 /06 /2000)
2. Les modalités et les différentes formes d’assistance
« Ne peut se dispenser d’agir personnellement que celui qui ne dispose ni des moyens, ni des capacités nécessaires pour faire face au péril ou
qui s’exposerait par son action personnelle… » (Cass. crim. 3 /01 /1973) L’assistance est d’abord et bien entendu affaire de capacité, physique
ou intellectuelle. On évitera de déplacer une personne accidentée de la route si l’on n’est pas médecin. Ce qui importe est de démontrer son
altruisme.
L’assistance à personne en péril doit être adaptée à la situation rencontrée (Cass. crim. 27 /05 /1991) et, ainsi que le précise l’article 223-2 al. 2
du code pénal, s’avérer sans risque pour celui qui intervient ou pour les tiers.
a. Une assistance adaptée à la situation rencontrée
Voilà un impératif dont il n’est pas aisé de cerner les contours, toujours laissés à l’appréciation des juges. Toutefois, en regard de l’analyse
d’une jurisprudence très abondante, il reste possible de définir deux modalités quant aux formes possibles d’assistance :
- soit l’action personnelle et immédiate de celui qui a connaissance du danger pesant sur la victime ;
- soit, lorsqu’il n’est pas en mesure d’intervenir lui-même, l’organisation ou l’appel, de son fait, des secours appropriés.
Attention toutefois car il ne s’agit pas d’un libre choix entre deux options. Si la personne appelée à porter secours est en mesure d’agir, elle doit
alors le faire sans se décharger sur d’autres de son obligation morale et ainsi commettre « un délit d’attitude ». Ne pas assister une personne
accidentée de la route au prétexte que d’autres automobilistes s’en chargeront est punissable. Ne pas accompagner un mourant dans ses
derniers instants l’est tout autant.
L’inadaptation de l’assistance à personne en péril a donné et continue de donner lieu à procès.
Une personne dépressive et suicidaire met fin à ses jours par absorption d’un mélange d’alcool et de médicaments. Alors qu’elle tombe
dans le coma, le prévenu qui connaissait l’état psychique de la victime et se trouvait avec elle dans l’appartement au moment des faits se
contente de l’installer confortablement. Puis il appelle les pompiers mais sans composer le 18 et ne se soucie pas de solliciter d’autres secours
(le voisinage).
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Lui-même sous l’empire de l’alcool n’en a pas moins conservé, selon le tribunal, un état de conscience suffisant pour se rendre compte de la
gravité de la situation et agir en conséquence. Il est condamné à 2 ans d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis et une amende. (Cour
d’appel de Douai ; arrêt du 11 /12 /2008)
Rapportons brièvement une autre affaire, plus ancienne qui relève elle aussi d’une extrême misère humaine : la condamnation d’un
prévenu qui, après avoir découvert un nouveau-né dans une poubelle, se borne à charger sa concubine de demander à la mère de l’enfant
(que l’un et l’autre connaissent) de l’y retirer… (Cass. crim. 26 /07 /1954)
b. L’absence de risque pour celui qui intervient et pour les tiers
Les principes propres à l’assistance à personne en péril traduisent la volonté du législateur de considérer comme un délit l’indifférence au sort
de quiconque ayant à faire face à un danger grave, imminent et constant. A fortiori dans la mesure où il est possible de secourir la personne en
danger sans risque, ni pour celui qui vient en aide, ni pour les tiers.
Ce point mérite précision.
D’évidence, la loi n’exige en aucune façon un comportement héroïque de la part de la personne dont on attend assistance. Si l’intervention
présente un risque, elle admet l’abstention de cette personne. Mais en réalité, les choses n’apparaissent pas de façon aussi tranchée et, dans
certains cas, les juges pourront sanctionner l’abstention alors même qu’intervenir aurait présenté un risque évident. Deux types d’événements,
hélas réels et récurrents matérialisent la position des magistrats.
1. Les témoins d’un viol demeurent exposés aux poursuites pour délit de non-assistance en péril. Pourtant, en de telles circonstances,
l’intervention peut s’avérer dangereuse. Mais l’on cherchera ici à savoir s’il y avait, pour lesdits témoins, un choix médian possible entre
le danger né d’une intervention physique contre le ou les violeurs et une stricte passivité ; par exemple l’actionnement d’un signal
d’alarme, l’appel des secours par portable, etc.
2. L’automobiliste imprudent qui renverse un piéton doit lui porter immédiatement secours sachant que cette intervention induit un
risque pour lui : celui de devoir répondre de ses propres turpitudes au volant (mais situation moralement et pénalement préférable à la
situation née d’un délit de fuite…)
A contrario, il est un domaine précis où le risque encouru par celui qui intervient l’autorise à s’abstenir ; il s’agit du secret professionnel,
notamment lorsqu’il touche à la médecine.
Un patient est porteur d’une pathologie contagieuse et potentiellement mortelle, de type HIV. Il fait part au médecin traitant de sa propre
décision de taire à son conjoint son état de santé et de continuer à avoir avec lui (ou d’autres) des rapports sexuels non protégés. Sans le
savoir, le conjoint de ce patient se trouve alors exposé à un danger que l’on peut qualifier de « grave, imminent et constant » selon les
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qualificatifs de la jurisprudence. Le médecin qui lui, connaît ce danger doit-il dès lors assistance à personne en péril vis-à-vis du conjoint en
l’informant de ce qu’il sait ?
En l’état actuel du droit il faut répondre par la négative. En effet le secret l’emporte et le médecin ne peut le lever. Car en informant le conjoint
exposé (qui, situation intenable, peut aussi être de ses patients !), donc en assistant cette personne en péril, le praticien crée un double risque :
- pour lui tout d’abord dans la mesure où la violation du secret médical est passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende ;
- pour le patient porteur du virus, alors éventuellement exposé aux affres d’une désocialisation, à des difficultés professionnelles et
privées même si, en regard du droit, il pourra par la suite être poursuivi et condamné pour crime d’empoisonnement. Mais c’est là un
autre sujet que celui de la présente étude.
Commentaire
Cette question cruciale donne lieu à des débats souvent houleux et taraude nombre de médecins et de juristes. Au stade actuel elle relève du
droit davantage que de la morale. Elle est le produit d’une collision frontale entre des principes, tous intangibles et fondateurs du droit mais
également contradictoires :
- le secret médical tout d’abord, qualifié par la Cour de cassation depuis près de 150 ans de « général et absolu », instauré dans l’intérêt
du malade, afin de le protéger et dont les dérogations sont strictement définies ;
- la sauvegarde des personnes menacées d’un danger immédiat ensuite (articles 223-6 et 122-7 du code pénal) ;
- celle de la société dans son ensemble enfin qui, dans la mesure du possible, se doit de prévenir les délits et les crimes
Au fond, il s’agit du permanent conflit engendré dans notre droit par le primat de l’individu sur la collectivité. Un début de solution pourrait
provenir d’un assouplissement du secret médical dans le sens d’un partage plus large certes, mais sans pour autant faire du médecin une sorte
d’auxiliaire de police et de justice. La voie est terriblement étroite.
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SYNTHESE
Grave
Constant
1. Nature du péril
Imminent
Possibilité d’action directe ou indirecte
Nécessitant une action immédiate
Connaissance du danger
2. Obligation d’assistance si…
Action sans risque pour l’intervenant et les tiers
3. Délit de non-assistance si…
4. Sanction
Refus d’agir en toute connaissance de cause
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende
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II. LA NON ASSISTANCE A PERSONNE EN PERIL RAPPORTEE A LA MEDECINE
1. La déontologie médicale, le code pénal et l’appel d’urgence
La médecine est un humanisme et, par état, le médecin se place dans une démarche permanente d’assistance. C’est pourquoi avant d’en
appeler au droit commun, il est d’abord question de déontologie. A cette fin, l’article 9 du code déontologie médicale (article R. 4127-9 du code
de la santé publique) stipule :
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui
porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
A la déontologie vient se greffent les dispositions de l’article 223-6 al. 2 du code pénal, dispositions applicables à tout citoyen et a fortiori à tout
médecin. Chacun a conscience de l’obligation particulière de porter secours dévolue au praticien face à une situation d’urgence. Mais toutes les
demandes ne relèvent pas de l’urgence. Si de nombreux appels s’avèrent justifiés par des situations de péril grave, imminent et constant,
d’autres, abusivement qualifiés d’urgents n’ont trait, dans les faits, qu’à des maux bénins voire, comme le signifie l’Ordre National des Médecins
comme relevant d’une « certaine désinvolture » vis-à-vis du corps médical. (Ordre National ; commentaire art. 9 code de déontologie –
14 /08 /2009)
Il appartient alors au médecin d’apprécier, au cours de cet entretien téléphonique, la pertinence et le degré d’urgence de l’appel ce qui reste
très difficile et engage sa responsabilité.
La mère d’un garçon de 19 ans téléphone à 5 H du matin au médecin de famille qui demeure à 400 m de son domicile. Le jeune homme a
été sujet à des douleurs cervicales et des vomissements la nuit durant. Au téléphone, le médecin conseille une injection de Primpéran par un
infirmier, ce qui est fait rapidement. Mais plus tard dans la matinée, en se rendant aux épreuves du baccalauréat le jeune homme est victime
d’un malaise. Il est reconduit chez lui et examiné par un second médecin qui relève des tâches purpuriques sur l’abdomen. Evoquant une
suspicion d’infection à méningocoque il fait immédiatement hospitaliser le patient qui décède le soir même d’un purpura fulminans. La mère
porte plainte contre le médecin de famille pour non assistance à personne en péril. Renvoyé devant le Tribunal Correctionnel de Mende, celuici est condamné à 18 mois de prison avec sursis et 3 000 € d’amende au motif… « qu’il a pris, sans examen clinique une mesure qui, selon ses
propres termes, n’aurait pas enrayé le processus infectieux, mais qu’il a consciemment et volontairement refusé de diagnostiquer selon les
règles de son art, alors qu’il avait été appelé par un profane dans un but curatif même si la formulation n’avait pas été expresse. » (Tribunal
Correctionnel de Mende ; jugement du 19 /05 /1994)
On notera que les personnels hospitaliers (un externe, trois internes et un chef de service) ayant reçu le patient, poursuivis pour homicide par
imprudence seront également condamné par le juge répressif (peines d’emprisonnement avec sursis et amendes).
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Commentaire
Nous sommes en présence d’un dramatique cas d’école. A l’origine, le médecin de famille sous estime le danger grave, imminent et constant
qui pèse sur le jeune homme. Au cours de l’échange téléphonique avec la mère, il ne procède pas au questionnement adapté qui lui aurait
peut-être permis de subodorer un tel danger. Ainsi que le précise le jugement, même si la mère du patient ne lui a pas expressément demandé
une démarche diagnostique « selon les règles de l’art » c’est-à-dire par un examen attentif et de visu, il aurait dû, de lui-même, s’y consacrer en
se rendant au domicile de son patient, très proche, qui plus est, de son propre lieu de résidence. Il ne l’a pas fait volontairement et
consciemment. Là se situe le délit. En regard de la loi et de la jurisprudence, toute autre décision de justice qu’une condamnation aurait été
surprenante.
Peut-on pour autant considérer que l’article 332-6 al. 2 c.p. fait peser une épée de Damoclès sur les praticiens et souscrire aux propos de ceux
reprochant aux juges qui l’appliquent – mais c’est là leur mission régalienne – de nier certaines des difficultés inhérentes à la pratique
quotidienne de la médecine ?
A cette position tranchée des nuances doivent être apportées comme le démontrent les cas rapportés aux 1 et 2 ci-après. Ces cas sont tirés de
« La non-assistance à personne en danger » - J.H. Soutoul / J. Hureau. Revue Chirurgie n° 118 – 1992, une des études les plus abouties sur
ce sujet et dont la relative ancienneté n’altère en rien aujourd’hui encore la pertinence.
1. Une sévérité incontestable…
Une femme en fin de grossesse à risque est admise, suite à une hémorragie, à la maternité d'un hôpital public. Une sage-femme l'examine,
constate divers désordres (position transversale du fœtus, hémorragie abondante, contractions anarchiques). Elle alerte par téléphone le
gynécologue de garde par astreinte à domicile. Le praticien, après avoir assuré un nombre d'heures de gardes supérieur à celui légalement
exigible, est dans un état de grande fatigue physique. Il se borne donc à prescrire un traitement destiné à différer l'accouchement alors qu'une
césarienne aurait dû être immédiatement pratiquée. L'enfant né après une souffrance fœtale aigüe, gardera des troubles graves et irréversibles
du système nerveux. Même si l'on peut raisonnablement estimer que la faute et le dommage consécutif relèvent d'abord d'une défaillance du
service hospitalier (mauvaise organisation des gardes), le gynécologue contre lequel la plainte a été déposée n'en est pas moins condamné au
motif de la violation de l’article 223-6 al. 2 c.p. à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 3 500 € d’amende.
Un médecin est informé par téléphone de la dégradation de l'état de santé de l’un de ses malades. Il avise le SAMU mais ne juge pas utile
de se rendre auprès du patient. Sa responsabilité pénale est recherchée au titre du délit d’attitude. Les magistrats sanctionnent l'abstention
volontaire du praticien masquée par une manœuvre dilatoire (l'appel du SAMU) qui concrétise en fait son refus de se rendre au chevet du
patient.
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2. … Mais aussi des relaxes
Il nous semble excessif de rendre l'article 223-6 plus redoutable qu'il ne l'est déjà. Des relaxes sont aussi prononcées, justifiées par la bonne
fois des médecins et l'accomplissement de leur devoir d'assistance, même en cas de décès du patient.
Un O.R.L. est appelé de nuit, à son domicile par une voisine qui héberge une personne victime d'une crise d'étouffement asthmatique. Il
répond qu'incompétent dans ce type de pathologie, il ne dispose pas des médicaments nécessaires. Il oriente donc la personne vers un
médecin généraliste domicilié dans le même immeuble. Celui-ci intervient rapidement en prodiguant les premiers soins et alerte un service
d'urgence. Las, les manœuvres de réanimation n'empêcheront pas le décès. Une première juridiction, puis la cour d'appel condamnent très
lourdement l'O.R.L. à qui il est reproché « d'avoir failli à son devoir et concouru à jeter le discrédit sur la profession médicale... » Rien de
moins ! Pour la cour d’appel, diriger la voisine affolée vers un autre médecin constitue une manœuvre dilatoire équivalent à l'abstention
volontaire.
L'arrêt est cassé par la Cour suprême et l'affaire renvoyée devant une seconde cour d'appel. Celle-ci estimera que le spécialiste, en
recommandant immédiatement le recours à un confrère plus compétent, avait provoqué le secours le mieux approprié. Il bénéficiera d'une
relaxe après une procédure longue de quatre années.
Un médecin généraliste effectue des visites à domicile dans une région géographiquement éloignée du lieu d'un appel. Cet appel concerne
une appendicite aigüe qui va emporter le patient. Poursuivi devant la juridiction pénale pour abstention volontaire d'assistance à personne en
danger, le médecin se voit relaxé par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans ses attendus, celle-ci pointe les difficultés de l'activité
médicale en zone rurale et admet comme étant fondée, la priorité donnée par le praticien à ses propres patients au détriment d’un patient très
éloigné de son secteur de visites.
3. Ce qu’il faut aussi savoir
a. Détresse, péril et avortement
L’imminence du danger induit la nécessité de l’intervention. A ce titre, le refus par un médecin qui invoque la clause de conscience de pratiquer
une IVG s’entend… « pour autant que la femme enceinte placée dans une situation de détresse ne se trouve pas confrontée à un péril
imminent… » (Trib. Correction de Rouen ; 9 /07 /1975). Et, après avoir signifié son refus, il appartient ensuite à ce médecin réfractaire d’orienter
la femme enceinte vers un confrère susceptible de réaliser l’IVG.
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Quant à la situation de détresse évoquée dans le jugement, il en est fait mention à l’article L. 2212-1 du code de santé publique. Il s’agit de
l’une des conditions légales autorisant l’avortement. La détresse matérialise des difficultés insurmontables d’ordres psychologique, familiale ou
autre mais ne menace pas a priori (en tout cas de façon imminente) la vie de cette femme enceinte. D’où la possibilité, pour le praticien, d’en
appeler à la clause de conscience.
b. Abstention volontaire due à une erreur de diagnostic
La personne qui porte secours le fait parce qu’elle a connaissance d’un danger grave, imminent et constant. Dès lors, si elle ne perçoit pas ce
danger, il n’est pas possible de lui faire grief de sa passivité. Cela peut se produire en cas d’erreur, même fautive de diagnostic (Cass. crim.
26 /11 /1969). La jurisprudence en la matière est appliquée avec constance par les cours d’appels.
Le médecin de garde aux urgences ne diagnostique pas une grossesse extra-utérine chez la patiente qui se présente à lui. Au lieu de
procéder à une hospitalisation immédiate il la renvoie chez elle en prescrivant des examens complémentaires ultérieurs... « Si l’attitude du
médecin n’est pas exempte de critiques, le délit ne non assistance à personne en péril ne saurait lui être reproché dans la mesure où il n’a pas
conscience d’un danger grave et imminent… » (Cour d’appel de Paris ; arrêt du 18 /02 /2000)
c. Non atteinte du malade du fait de l’imprécision de son adresse
Un médecin de garde est appelé à domicile, mais muni d'une adresse imprécise, ne peut apporter au malade le secours attendu. Si l’affaire
prend un tour judiciaire il lui appartient alors :
- d’apporter les preuves indiscutables des efforts entrepris pour atteindre le patient ;
- de démontrer la localisation difficile du patient ;
- d’alerter le commissariat ou la gendarmerie. Il est alors notifié sur la main courante l'impossibilité de parvenir à localiser le malade.
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CONCLUSIONS
L’assistance à personne en péril est une obligation morale, codifiée et encadrée en droit. Tout est question d’équilibre. On ne demande pas
l’impossible à celui qui porte secours : ni d’être en permanence en situation de percevoir l’imminence et la gravité d’un danger, ni une fois ce
danger perçu, de se comporter en héros en risquant sa propre vie (ou celle de tiers). Mais on cherche tout autant à protéger la personne
menacée à qui il faut donner le maximum de chances.
On saura gré à la jurisprudence d’un réel pragmatisme quant à la recherche de cet équilibre. L’intervention n’est pas possible parce
dangereuse pour le témoin (agression) ou au-delà de ses capacités et compétences (accident) ? Qu’à cela ne tienne, sans doute est-il en
situation de pouvoir, en dépit de tout, agir de façon indirecte en appelant les secours.
En médecine, le débat manque parfois de sérénité, nombre de praticiens redoutant que leur soit reproché, en maintes circonstances, le délit
grave de non assistance à personne en péril. C’est essentiellement sinon exclusivement dans le cadre de l’appel d’un patient ou de ses
proches que se situe le risque. Si, au cours de l’entretien, il naît quelques suspicions (un début de suspicion…) dans l’esprit du médecin sur la
malignité des maux justifiant cet appel, il n’a plus d’autre choix que celui d’intervenir en personne et, si ses moyens ou ses connaissances
médicales sont limités en regard de la situation du patient, en sollicitant le concours d’un confrère mieux armé ou l’intervention du SAMU.
De fait, les tribunaux placent fort logiquement le curseur de perception du danger beaucoup plus bas pour le médecin que pour un citoyen
lambda. Le choix du médecin sollicité de ne pas se déplacer après avoir, en toute bonne foi, sous estimé la gravité du danger pesant sur un
patient conduit toujours à sa condamnation si ledit patient vient ensuite à décéder ou voir son état empirer.
Nous préconisons, aussi systématiquement que possible la visite au chevet du malade ou sur les lieux de l’accident. Certes dans de nombreux
cas et fort heureusement ce déplacement s’avèrera inutile. Mais en tout état de cause cette démarche propre à l’humanisme médical présente
aussi deux avantages sans commune mesure avec les contraintes :
- elle donne au malade une chance supplémentaire de guérison et contribue le plus souvent à le rassurer ;
- elle écarte le risque d’une lourde condamnation et la suspicion d’une manœuvre dilatoire.
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