Analyse de l`indemnisation du Corporel Grave dans une
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Analyse de l`indemnisation du Corporel Grave dans une
Newsletter technique juin 2013 Analyse de l’indemnisation du Corporel Grave dans une perspective européenne Depuis plusieurs années l’indemnisation du dommage corporel sur le marché français fait l’objet de réflexions approfondies afin de faire émerger un véritable droit dédié à cette matière. Cette volonté est aussi au cœur des préoccupations des instances européennes, en quête d’une harmonisation. Ainsi, en matière pénale, une réflexion s’est ouverte suite à une directive européenne en date du 25 octobre 2012 visant à renforcer et harmoniser les droits des victimes. Dans son discours prononcé lors de la rentrée solennelle 2013 de la Cour d’Appel de Paris, le Premier Président de la Cour a évoqué l’idée de faire évoluer le procès pénal à la française en s’inspirant du modèle anglais, dans lequel la victime n’est pas partie au procès, mais un simple témoin. Dans ce système, les victimes d’infractions doivent nécessairement passer par la voie civile afin d’obtenir la réparation de leurs éventuels dommages corporels. Le procès civil ne pouvant s’ouvrir qu’une fois le procès pénal terminé, une telle réforme nécessiterait une accélération des procédures. Faute de quoi, la France s’exposerait à une multiplication des condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme pour non-respect du droit à des délais de procédure raisonnables qui découle du droit au procès équitable. De même, en matière civile, une recommandation a été présentée par l’Institut pour le droit européen de la circulation en février 2013 en vue de l’élaboration d’un droit à l’indemnisation intégrale pour les enfants victimes d’accidents de la circulation, et de façon générale, pour toutes les victimes considérées comme vulnérables, telles que les personnes âgées et handicapées. Pour tenir compte de ce contexte, nous avons choisi de donner une ouverture européenne à cette étude, tout en analysant les grandes tendances que nous observons sur le marché français à partir de notre base statistique constituée des sinistres liquidés. En ce qui concerne le marché français, nous vous proposons de comparer les évolutions de la charge de ces sinistres en droit commun par rapport à des indices macro-économiques, et nous nous livrerons à une analyse plus détaillée de l’évolution de certains postes de préjudice. Enfin, nous aborderons les sujets d’actualités des marchés européens voisins. L’évolution du coût des sinistres corporels graves confrontée aux réalités économiques et juridiques Évolution du PIB et de l’inflation par rapport au coût moyen d’un sinistre corporel grave supérieur à 50 %. Indice 300 260 250 234 213 193 200 150 156 143 136 2003 2004 171 174 Indice coût moyen du corporel grave Indice évolution de l'inflation Indice évolution du PIB Indice évolution du TME 117 100 100 50 0 2001 2002 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Source : SCOR Global P&C Entre 2001 et 2011, la charge des indemnisations a progressé de 160 points. Les règlements amiables et les décisions judiciaires devenues définitives ont tous respecté le principe de la réparation intégrale : « le préjudice, tout le préjudice, rien que le préjudice ». Sur cette même période, les indicateurs économiques font apparaître une progression de l’inflation de seulement 19 points, et de 35 points pour le Produit Intérieur Brut (PIB) en valeur. Il ne peut résulter de cette volatilité qu’un sentiment d’inégalité chez les victimes, et un défaut de prévisibilité pour les assureurs. De même, en ce qui concerne les modalités de calcul des réserves techniques pour les préjudices futurs, qui représentent une part prépondérante du coût total de l’indemnisation, nous constatons que l’évolution du Taux Moyen d’Emprunt d’État (TME) n’est pas nécessairement corrélée à celle du coût moyen des indemnisations des dommages corporels les plus lourds : nous remarquons une majoration de 26 points du coût du corporel grave en 2011 par rapport à 2010, alors que le TME a connu une variation de seulement 4 points. Ceci résulte des nouvelles modalités de l’arrêté du 23 décembre 2010 qui prend pour base de calcul l’évolution de ce taux sur les 24 derniers mois. Si l’évolution du TME constitue une cause de dérives, d’autres facteurs nous semblent entrer en jeu. 2 - SCOR Global P&C - Newsletter technique C’est sous l’action des demandes d’indemnisation toujours plus importantes que le pouvoir souverain d’appréciation des magistrats s’est librement exercé, créant des disparités de traitement dans le temps et bien sûr dans l’espace entre les cours d’appel. Conscientes de cette situation, certaines d’entre elles ont harmonisé leurs règles afin de construire un référentiel commun. Au global, cette approche n’a pas modifié la tendance inflationniste, puisque les valeurs les plus hautes ont été retenues au fur et à mesure de l’intégration progressive de nouvelles cours au sein de cet outil commun. Il nous reste à souhaiter la mise au point d’un référentiel national en vue d’une diminution de la volatilité et d’une meilleure prévisibilité pour tous les acteurs, et d’une égalité de traitement pour les victimes. Pour l’heure, nous vous proposons d’analyser plus précisément certains postes de préjudice clés à partir de notre base des sinistres liquidés sur le marché français. Une situation différente selon les marchés En Italie, un référentiel commun jurisprudentiel s’est progressivement mis en place en l’absence de loi. Après plusieurs décisions rendues par la Cour Suprême italienne, toutes les juridictions ont commencé à suivre le référentiel mis au point par le tribunal de Milan. Un projet de loi visant à établir un outil commun reste toujours en attente. En Espagne, un barème d’indemnisation a été mis en place au niveau national dès 1995. Auparavant, l’Espagne rencontrait les mêmes problèmes que la France aujourd’hui : dérive du coût global des indemnisations des dommages corporels lourds, et inégalité des victimes face à la diversité des critères d’indemnisation utilisés par les juridictions espagnoles. Le « Baremo » a permis d’apporter de la prévisibilité, et de renforcer l’égalité dans l’évaluation du corporel. En Belgique, un tableau indicatif a vu le jour dès 1994, résultat d’un compromis entre les magistrats et les assureurs, à défaut d’initiative parlementaire. Il est mis à jour régulièrement. Ventilation des postes de préjudice indemnisés en 2010/2011 Assistance Tierce Personne (A.T.P.) 0,95 % 1,16 % 2,67 % Assistance 4,47 % 3,91 % Tierce 7,32 % Personne 53,74 % 9,36 % 16,41 % De façon générale, nous observons que le recours à l’aide humaine reste privilégié à la situation de placement. Dans un contexte d’augmentation continue de la charge des sinistres corporels les plus graves, l’Assistance Tierce Personne représente pratiquement 54 % du coût global d’indemnisation. Nous constatons une augmentation des coûts horaires. À cet égard, la Cour de cassation a rappelé avec fermeté que l’indemnisation de la tierce personne ne saurait être réduite en cas d’assistance familiale1, et continue d’écarter l’application d’un taux horaire différencié selon que l’aide humaine est prodiguée par un membre de la famille de la victime ou par un professionnel2. La majoration du nombre d’heures d’assistance allouées aux victimes se poursuit, y compris au-delà des 24 heures par jour pour les situations les plus lourdes. Parfois, faute d’indication au moment du règlement sur le nombre d’heures convenues et les coûts horaires correspondants, il devient extrêmement difficile de justifier des années après, ce qui avait été convenu de toute bonne foi. Pour cela, nous ne pouvons que recommander de détailler le calcul indemnitaire lors de l’élaboration des protocoles transactionnels consécutifs à un accord amiable. Un outil d’aide au calcul des besoins en aide humaine permettrait très certainement d’éviter les situations de contentieux survenant à l’occasion de demandes de réouverture pour aggravation. 1 2 Cass. 2è Civ., 4 octobre 2012, n° 11-24.789 Cass. 2è Civ., 22 novembre 2012, n° 11-25494 Une situation différente 1,16 % 0,95 % 4,47 % Frais de logement et de véhicule adapté 2,67 % 3,91 % 7,32 % 9,36 % 53,74 % 16,41 % Frais Divers 0,82 % 0,95 % A.T.P.T. 1,16 % 3,65 % 2,67 % 3,91 % 7,32 % 9,36 % 53,74 % 16,41 % Pertes de Gains Professionnels Actuels (P.G.P.A.) Préjudices des victimes indirectes Frais de Véhicules Adaptés (F.V.A.) et Frais de Logements Adaptés (F.L.A.) En Suisse, le poste de préjudice Assistance Tierce Personne cohabite avec la notion de préjudice ménager, qui désigne l’incapacité à effectuer les tâches domestiques de son foyer. L’évaluation de ce préjudice se fait sous la forme de tests standardisés, sous le contrôle d’un médecin, qui permettent de déterminer ce que la victime est toujours capable de faire. Les résultats de ces tests sont ensuite validés par une visite au domicile de la victime. Frais de logement et de véhicule adapté (F.L.A. et F.V.A.) Les frais d’aménagements du logement et du véhicule représentent 2,7 % du coût total des indemnisations des corporels graves en 2010-2011. On observe une augmentation de ce poste de l’ordre de 21 % depuis notre dernière étude publiée en juillet 2012. Une fois encore, nous remarquons que le bénéfice des aides techniques et des aménagements n’a pas réduit la part dédiée à l’aide humaine. Très souvent, nous constatons que la liquidation de ce poste intervient ultérieurement à l’expertise médicale qui permet de fixer les besoins en tierce personne. Faute d’une analyse globale, le principe de la réparation intégrale n’est pas respecté. Frais Divers (F.D.) Hors Assistance Tierce Personne Temporaire, les Frais Divers ne représentent que 0,8% du coût total des indemnisations des dommages corporels lourds en 2010-2011, contre 1,1 % en 2009-2010. Ils restent quasiment stables par rapport aux années précédentes. En revanche, en tenant compte des effets de la nomenclature DINTHILAC, on constate que Préjudices extrapatrimoniaux Déficit Fonctionnel Permanent (D.F.P.) Pertes de Gains Professionnels et Futurs (P.G.P.F.) et Incidence Professionnelle (I.P.) ce poste s’est alourdi avec le rattachement des frais liés à l’aide humaine nécessaire jusqu’à la consolidation des blessures. L’Assistance Tierce Personne Temporaire représente plus de 80 % du total des frais divers. Les effets de la Nomenclature semblent ancrés dans notre environnement juridique. Dépenses de Santé Actuelles et Futures (D.S.A.F.) Assistance Tierce Personne (A.T.P.) Frais Divers (F.D.) Assistance Tierce Personne Temporaire (A.T.P.T.) SCOR Global P&C - Newsletter technique - 3 Dépenses de Santé Actuelles et Futures (D.S.A. et D.S.F.) 0,95 % 4,47 % En 2010-2011, les dépenses de santé enregistrent une hausse. Cette augmentation est relativement équilibrée entre les Dépenses de Santé Actuelles et les Dépenses de Santé Futures, comme l’illustre le tableau ci-dessous : 1,16 % 2,67 % 3,91 % 7,32 % 2009-2010 19,36 % Dépenses de Santé Futures 8,72 % ì + 15,32 % 16,41 % Dépenses de Santé Actuelles 6,72 % ì + 14,43 % 7,69 % Dépenses de Santé Futures 7,51 % ì + 16,11 % 8,72 % Il est intéressant de noter cette tendance au moment même où l’on observe au niveau national un ralentissement de la progression des dépenses courantes de santé, et ce depuis 2007. En effet, les Comptes de la Santé publiés en 2011 par la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) révèlent une 53,74 % 2010-2011 14,23 % Dépenses de Santé Actuelles et Futures Dépenses de Santé Actuelles 7,69 % Variation hausse de seulement 2,7 % entre 2010 et 2011, contre une augmentation de 4,3 % entre 2006 et 2007. Malgré les contraintes budgétaires pesant sur le fonctionnement des établissements hospitaliers, il existe très certainement une meilleure prise en charge des victimes gravement atteintes. Perte de Gains Professionnels Futurs et Incidence Professionnelle (P.G.P.F. et I.P.) 0,95 % 4,47 % 53,74 % 1,16 % 2,67 % 3,91 % 7,32 % P.G.P.F. 9% I.P. 0,36 % 16,41 % La part de l’Incidence Professionnelle est très faible comparée à celle des Pertes de Gains Professionnels Futurs. L’indemnisation forfaitaire que permet l’I.P. est de plus en plus délaissée par les juges et les régleurs pour les dossiers les plus lourds, au profit d’une indemnisation au titre des P.G.P.F., calculés mathématiquement. Ces dernières pourraient d’ailleurs augmenter si une indemnisation de ce poste de préjudice sous forme de rente venait à se généraliser. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, puisque nous observons à partir de notre base de liquidation que les P.G.P.F. sont liquidées en rente dans moins de 30 % des cas, et en capital dans plus de 70 % des cas. Par ailleurs, il subsiste encore le problème de la prise en compte des accessoires du salaire, dont on peut penser qu’ils feront l’objet d’un contentieux à venir. Une situation différente En Autriche, comme en Suisse et en Allemagne, la réinsertion socio-professionnelle des victimes fait partie intégrante de la réparation du préjudice. Elle peut s’effectuer de différentes manières, soit en aménageant l’emploi occupé, soit en offrant des formations qui permettront à la victime d’effectuer un travail plus adapté à son handicap. Ce sont généralement les organismes de sécurité sociale qui ont l’obligation de mettre en place ces mesures de réhabilitation professionnelle. Pertes de Gains Professionnels Actuels (P.G.P.A.) Déficit Fonctionnel Permanent (D.F.P.) Assistance Tierce Personne (A.T.P.) Dépenses de Santé Futures (D.S.F.) Source : SCOR Global P&C 4 - SCOR Global P&C - Newsletter technique Préjudices des victimes indirectes Pertes de Gains Professionnels et Futurs (P.G.P.F.) Assistance Tierce Personne Temporaire (A.T.P.T.) Frais de Véhicules Adaptés (F.V.A.) et Frais de Logements Adaptés (F.L.A.) Préjudices extrapatrimoniaux Incidence Professionnelle (I.P.) Dépenses de Santé Actuelles et Futures (D.S.A.F.) Frais Divers (F.D.) Dépenses de Santé Actuelles (D.S.A.) Déficit Fonctionnel Permanent (D.F.P.) 0,95 % 4,47 % 53,74 % 1,16 % 2,67 % 3,91 % Déficit Fonctionnel Permanent 7,32 % 9,36 % Dans un contexte d’augmentation des coûts d’indemnisation, la part consacrée au Déficit Fonctionnel Permanent est restée quasiment identique entre 2008 et 2011. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, nous sommes certainement parvenus à un palier. 20,60 % 11,40 % 9,75 % 7,68 % 7,48 % 7,32 % 2008/2009 2009/2010 2010/2011 16,41 % 2005/2006 2006/2007 2007/2008 Après avoir analysé les coûts d’indemnisation des victimes des dommages corporels les plus lourds enregistrés sur le marché français, il nous semble utile de les confronter à ceux de huit autres pays économiquement comparables en Europe. Des niveaux d’indemnisation hétérogènes selon les marchés Blessé tétraplégique âgé de 30 ans (Base 2010-2011) Au regard de ce graphique classé par ordre croissant, nous notons une importante disparité dans les niveaux d’indemnisation. Il apparaît que l’harmonisation en matière d’indemnisation des dommages corporels lourds est loin d’être atteinte, notamment du fait de régimes juridiques différents. Par exemple, les organismes sociaux n’ont pas ou peu de recours contre l’assureur qui indemnise la victime dans les pays où le coût de l’indemnisation est le plus faible, comme ni eU ce ya um le m Fr an Ro ag ne e ss Al Su i e Au tri ch ue Be lg iq Ita lie e Es pa gn Ba s 1100 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 Pa ys - Nous vous proposons de prendre comme élément de comparaison un homme tétraplégique âgé de 30 ans, dont la capacité de gain est équivalente aux revenus moyens de chaque pays. L’indemnisation des traumatisés crâniens et des paraplégiques s’avère trop volatile : elle reste trop sensible à l’importance des séquelles et à la capacité de la victime à retrouver ou non une activité professionnelle. Le coût de l’indemnisation aux Pays-Bas, qui est le plus faible parmi les neuf pays étudiés, constitue l’indice 100. les Pays-Bas ou l’Espagne. En Autriche, en Suisse et en Allemagne, la gestion de la réinsertion professionnelle par les organismes sociaux réduit le coût des Pertes de Gains Professionnels Futurs. Quant au RoyaumeUni, il faut noter que la charge totale est alourdie par la prise en compte de l’ensemble des frais de procédure et honoraires. Sur ce marché, le développement du règlement en rente contribue aussi à alourdir les coûts à la charge des assureurs. SCOR Global P&C - Newsletter technique - 5 Le règlement sous forme de rente constitue d’ailleurs une autre illustration des disparités entre les différents marchés. En effet, tous ne l’ont pas adopté, comme le montre le tableau ci-desous : Modes de règlement selon les postes de préjudice dans les différents marchés européens en 2013 Paiement en Capital Allemagne Autriche Belgique - Préjudices extrapatrimoniaux - Préjudices extrapatrimoniaux - Préjudice extrapatrimoniaux - Dépenses de santé (soins + appareillage) - Dépenses de santé (soins + appareillage) - Préjudice ménager - Pertes de gains5 professionnels - Pertes de gains professionnels - Assistance Tierce Personne4 - Assistance Tierce Personne - Frais d’adaptation du logement et du véhicule - Frais d’adaptation du logement et du véhicule - Pertes de gains professionnels - Assistance Tierce Personne Espagne - Préjudices patrimoniaux (incluant la perte de gains professionnels) - Préjudices extrapatrimoniaux - Dépenses de santé - Assistance Tierce Personne France - Dépenses de santé - Frais divers - Pertes de gains professionnels - Frais d’adaptation du logement et du véhicule - Déficit Fonctionnel temporaire et Permanent Italie Pays-Bas R.-U - Préjudices extrapatrimoniaux (« Danno Biologico ») - Préjudices patrimoniaux (incluant la perte de gains professionnels) - Préjudices patrimoniaux (incluant la perte de gains professionnels) - Assistance Tierce Personne - Préjudices extrapatrimoniaux - Préjudices extrapatrimoniaux - Frais d’avocat - Dépenses et d’expertise de santé - Dépenses de santé - Assistance Tierce Personne - Dépenses de santé - Assistance Tierce Personne - Préjudices extrapatrimoniaux Suisse3 - Préjudices extrapatrimoniaux - Dépenses de santé (soins + appareillage) - Perte de gains professionnels + perte de retraite - Assistance Tierce Personne - Préjudice ménager Paiement en Rente - Préjudices patrimoniaux - Assistance Tierce Personne (très rarement) - Dépenses de Santé Futures - Assistance Tierce Personne - Perte de gains professionnels futures (moins fréquent) - Assistance Tierce Personne - « Case Management » - Perte de gains professionnels (moins fréquent) 3 En Suisse, le paiement en rente est possible mais très rare. Habituellement, les indemnités sont versées en capital, ou payées au fur et à mesure (par exemple les dépenses de santé ou l’assistance tierce personne). 4 Dans la plupart des cas les préjudices extrapatrimoniaux sont réglés en capital. En vertu de plusieurs décisions de la Cour Suprême, il est possible de combiner un règlement en capital avec un règlement en rente. Cependant de tels cas sont rares et impliquent des séquelles des plus sérieuses et la demande explicite de la victime d’un règlement en rente. 5 La règle générale est le règlement en rente (§843 du bürgerliches Gesetzbuch - BGB). Cependant, dans la plupart des cas, les parties se mettent d’accord pour un règlement en capital. Typiquement, les pertes de gains seront versées en rente à la victime pendant 3 à 8 ans (jusqu’à ce que la situation de la victime se stabilise) puis sont versées en capital en ce qui concerne les pertes de gains professionnels futures. En principe, pour l’Assistance Tierce Personne, la situation est similaire, mais les accords définitifs sur une somme versée en capital deviennent moins fréquents. En raison de la crise financière, et des faibles taux d’intérêt, un changement des pratiques, et donc une utilisation plus fréquente des règlements en rente, semble possible. Dans environ 80-90% des cas de dommages corporels lourds, le règlement définitif intervient dans une période de 10 à 12 ans suivant le sinistre. Dans 10 à 20 % des cas, les parties ne s’accordent jamais sur un règlement définitif, ce qui conduit à un règlement en rente. Ce mode de règlement est largement utilisé en France, et commence à se développer au Royaume-Uni. Il demeure marginal sur les autres marchés, alors qu’il présente un intérêt indéniable pour les victimes en période d’incertitude économique : le risque relatif à l’efficience des placements n’est pas supporté par le bénéficiaire de l’indemnité. Face à ces disparités, les sujets de préoccupation en matière d’indemnisation du dommage corporel diffèrent nécessairement selon les marchés. 6 - SCOR Global P&C - Newsletter technique Regards croisés sur les problématiques actuelles de l’indemnisation en Europe Hans-Ulrick Finck (Cologne) : En Allemagne, aucun droit à réparation n’est reconnu pour le préjudice moral des proches d’une victime décédée dans un accident de la route, sauf dans quelques cas exceptionnels. Cependant, le Ministère de la Justice bavarois a initié en 2012 un projet de loi visant à indemniser le préjudice moral des époux, partenaires, parents ou enfants des victimes décédées suite à un accident de la circulation. La mise en œuvre de ce projet pourrait aboutir à une augmentation des coûts d’indemnisation de l’ordre de 900 millions € pour les assureurs, alors que les coûts d’indemnisation en Allemagne sont déjà parmi les plus élevés d’Europe. Une hausse des primes serait alors à prévoir. Bien que ce projet soit actuellement suspendu, la discussion reste ouverte, notamment quant à l’élargissement de l’indemnisation du préjudice moral au bénéfice des proches des victimes les plus lourdement atteintes. Beate Quast (Zurich) : En Autriche, les organismes de sécurité sociale ont l’obligation de fournir des services de réinsertion professionnelle aux victimes d’accidents corporels depuis 1956. La victime doit pour cela s’adresser à l’organisme d’assurance accidents obligatoire, ou à l’assurance retraite, ou encore à l’Office Fédéral des Assurances Sociales. Malgré le contexte économique actuel, l’Etat poursuit ces programmes de réhabilitation socioprofessionnelle, permettant ainsi aux victimes de réintégrer une vie sociale. Isabelle Tanre (Paris) : En Belgique, la sixième version du tableau indicatif mis en place en 1994 a été publiée à la fin de l’année 2012. Ce nouveau barème a été élaboré par une commission exclusivement composée de magistrats, comme un outil non contraignant, venant en soutien du juge dans l’évaluation du dommage. La commission a élaboré une nouvelle mission d’expertise dont la finalité est d’obtenir un descriptif séquellaire plus précis pour permettre une indemnisation plus équitable. La mise en place de ce nouveau barème a entraîné une minoration du coût des dossiers dont les victimes présentent un taux d’invalidité inférieur à 6 % mais une augmentation des plus lourds, notamment en raison du changement du taux de capitalisation. De même, l’augmentation du nombre des recours de l’agence pour les personnes handicapées (VAPH - Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap) en remboursement des frais de placement est un facteur de dérives. José Marquez Ruiz (Madrid) : En Espagne, une réforme du barème national est attendue pour cette année, de façon à suivre au plus près les évolutions économiques actuelles. Elle se concentrera sur l’indemnisation des besoins futurs des victimes de dommages corporels lourds, notamment les traumatisés crâniens. L’évaluation des Pertes de Gains Professionnels Futurs pourrait aussi être modifiée, en s’inspirant du modèle des tables d’Ogden utilisées au Royaume Uni. Tous les acteurs du secteur sont d’accord sur le principe de la réforme du barème national. C’est pourquoi la Direction Générale des Assurances et des Fonds de Pension (DGSFP) a décidé d’avancer au mois de juillet 2013 la date de remise du rapport établi par un comité d’experts sur la modification du système actuel d’évaluation. François Blanchet (Paris) : En France, deux problématiques récentes ont et auront encore des effets inflationnistes sur la charge sinistre : • Pour les accidents survenus depuis le 1er janvier 2013, la revalorisation des rentes indemnitaires versées suite à un accident de la circulation est transférée à la charge des assureurs, en lieu et place d’un Fonds dédié. • A la suite d’un premier arrêté du 27 décembre 2011, actualisé par un arrêté du 29 janvier 2013, une nouvelle table de capitalisation a été officialisée pour le calcul des créances des organismes sociaux au titre des prestations futures. Il s’agit d’une table TH/TF 2000-2002 et d’un taux fixé à 2,97 % pour 2013. Stefano Lassa (Milan) : En Italie, au titre de la Responsabilité Civile automobile, la couverture minimum est maintenant limitée à 5 millions € par évènement pour les dommages corporels et à 1 million € pour les dommages matériels suite à la 5ème directive européenne sur l’automobile. La réparation des dommages extrapatrimoniaux des victimes dont le taux d’incapacité est inférieur à 9 % est encadrée par une loi qui détermine chaque année le prix du point d’incapacité. Le système est globalement bien maîtrisé, même si une flexibilité très limitée accordée aux juges permet de faire varier légèrement les sommes finales accordées. En ce qui concerne les victimes dont le taux d’incapacité est supérieur à 9%, les règles d’indemnisation de leurs dommages extrapatrimoniaux relèvent toujours du pouvoir souverain des juges. Au titre de la Responsabilité Civile médicale, une loi a été adoptée en novembre 2012. Elle impose à présent une obligation d’assurance à tous les médecins, et modifie la charge de la preuve : dès lors qu’un médecin, en cas de dommage corporel, justifie du respect du code de bonnes pratiques mis en place par l’hôpital, la charge de la preuve du lien de causalité repose sur la victime. Cette réforme est susceptible de modifier le contentieux actuel. Pascal Cornet (Paris) : Aux Pays-Bas, la couverture en matière d’assurance de Responsabilité Civile Auto obligatoire est fixée aux minima de la 5e directive européenne sur l’automobile, soit 5,6 millions € pour les dommages corporels après indexation à l’indice européen des prix à la consommation. Le droit de l’indemnisation du dommage corporel n’a pas connu d’évolution significative récente. Les montants des indemnités allouées demeurent par ailleurs relativement stables. Les intervenants dans le domaine de l’indemnisation du dommage corporel ont adhéré à une charte de bonne conduite dans la gestion des dossiers sinistres qui pose le principe d’une gestion rapide, en privilégiant les règlements amiables. Enfin, dans un pays où les organismes étatiques de sécurité sociale prennent en charge une grande partie des dommages sans recours direct contre le tiers responsable, le projet visant à réduire les prestations, notamment la loi sur les dépenses médicales exceptionnelles couvrant les frais de soins et SCOR Global P&C - Newsletter technique - 7 de tierce personne (ABWZ), laisse planer le risque d’une prise en charge par l’assureur du tiers responsable des frais exposés directement par la victime. Stuart Lomax (Londres) : Au Royaume-Uni, la question de la méthode de règlement des indemnités aux victimes des accidents corporels graves est au centre des préoccupations des assureurs et des réassureurs. En 2003, alors que les assureurs privilégiaient le règlement en capital, la loi a donné aux juges la possibilité d’imposer le règlement en rente (Periodical Payment Order). Mais c’est surtout depuis l’arrêt d’appel Thompstone vs Tameside rendu en 2008 que ce mode de règlement s’est développé, en utilisant une nouvelle méthode d’indexation, différente de celle prescrite par la loi de 2003. Le taux de capitalisation, fixé à 2,5 % depuis 2001, est vivement critiqué par les associations de victimes : elles considèrent qu’avec la crise économique, celui-ci est dorénavant trop élevé pour satisfaire pleinement le principe de la réparation intégrale. Dans ce contexte, le Ministère de la Justice a décidé de consulter le marché, notamment sur la méthode de fixation du taux de capitalisation, son application et sur la question de savoir si le règlement en rente doit continuer à être favorisé. Viviane Le Dantec-Fuhrmann (Zurich) : En Suisse, la notion de préjudice ménager fait l’objet d’importantes discussions. Elle a ainsi été au cœur des débats lors du dernier Forum de l’Indemnisation du Préjudice Corporel organisé en janvier 2013. L’évaluation de ce préjudice implique la détermination de l’activité ménagère qu’aurait effectuée la victime si elle avait été valide. Ceci est rendu possible grâce aux tables ESPA (Enquête Suisse sur la Population Active), qui ont été mises à jour en 2010 et qui regroupent les statistiques sur l’activité ménagère d’un échantillon de 25 000 habitants. Le préjudice ménager représente environ 20 % du coût total d’indemnisation pour les victimes de dommages corporels lourds. Très souvent, on indemnise aussi une aide humaine en complément de ce préjudice. Il faut noter que plus l’aide humaine sera élevée, plus le préjudice ménager sera réduit, voire inexistant, puisque les activités ménagères seront alors effectuées par la tierce personne. Conclusion Nous souhaitions analyser l’indemnisation des dommages corporels lourds observée en 2010-2011 en France à la lumière de l’actualité observée dans les pays voisins. Il existe des préoccupations communes, telles que l’évaluation de l’aide humaine, l’existence et l’actualisation de référentiels indemnitaires, ainsi que la revalorisation des tables de capitalisation. Idéalement, une harmonisation européenne du droit de l’indemnisation du dommage corporel devrait retenir les meilleures règles d’évaluation et d’indemnisation des différents pays européens. A cette fin, nous devrions mettre en place une méthode unifiée pour l’évaluation médicale et le calcul indemnitaire. De même, l’accompagnement de la victime dans sa réintégration socio-professionnelle devrait devenir la norme. En effet, le sort des victimes et des (ré)assureurs est intimement lié. C’est pourquoi nous nous devons de trouver des règles qui offrent davantage d’efficacité pour tous. Jean-Marc Houisse José Marquez Ruiz Stuart Lomax [email protected] [email protected] [email protected] Hans-Ulrick Finck François Blanchet Vivane Le Dantec-Fuhrmann [email protected] [email protected] [email protected] Beate Quast Stefano Lassa Pauline Demarez [email protected] [email protected] Isabelle Tanré Pascal Cornet [email protected] [email protected] SCOR Global P&C 5, avenue Kléber - 75795 Paris Cedex 16 - France Responsable de la publication : Dominique Dionnet Tél. : + 33 (0)1 58 44 72 62 - Fax : + 33 (0)1 58 44 85 22 - [email protected] ISSN : 1967-2136 Toute reproduction totale ou partielle de ce document doit faire l’objet d’une autorisation préalable du Responsable de la publication. Conception et création : - (06/2013).