L`expérience antérieure du salarié dans le calcul du délai

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L`expérience antérieure du salarié dans le calcul du délai
JUILLET 2008
Actualités – Emploi et travail
L’expérience antérieure du salarié dans
le calcul du délai-congé
Plusieurs entreprises vivent depuis quelques années une véritable pénurie de
main-d'œuvre qualifiée. Cette situation se traduit souvent par la nécessité
d’intensifier le recrutement et d’avoir recours à des agences de placement ou
chasseurs de têtes pour dénicher les meilleurs candidats. Les employeurs
doivent toutefois savoir que cette méthode de recrutement peut avoir des
conséquences sur le préavis raisonnable (ou délai-congé) qui devra être
donné aux salariés dans l’éventualité d’une fin d’emploi sans motif sérieux.
L’article 2091 du Code civil du Québec (ci-après, le « C.c.Q. ») confère à
chacune des parties le droit de résilier le contrat de travail à durée
indéterminée, sans motif sérieux, sous réserve de l’obligation de donner un
préavis raisonnable de la fin de l’emploi ou une indemnité qui en tient lieu.
Le deuxième alinéa de l’article 2091 C.c.Q. prévoit que le délai-congé doit
être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des
circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la
prestation de travail. À ces facteurs, s’ajoutent d’autres critères reconnus par
la jurisprudence tels que l’intention des parties au moment de l’embauche, les
conditions défavorables du marché d’emploi, la bonne foi de l’employeur,
l’âge du salarié, sa scolarité, sa formation, la difficulté pour ce salarié de se
trouver un emploi comparable, ses responsabilités familiales, sa condition
médicale de même que d’autres circonstances particulières telles le fait que
le salarié ait été sollicité d’un emploi stable afin de se joindre à l’entreprise.
L’abondante jurisprudence révèle que l’évaluation du délai-congé raisonnable
demeure une question de faits. Deux décisions rendues par la Cour
supérieure tout récemment nous rappellent que les précédents ne présentent
qu’une valeur indicative et qu’un même facteur aura ou non, selon les
circonstances, un impact sur le calcul du délai-congé.
« Cabinet d’avocats
canadien de l’année »
CHAMBERS GLOBAL 2006
IFRL 2007
Bulletin rédigé par des membres
du groupe emploi et travail de
Stikeman Elliott
Dans l’affaire Spiering c. Novaris Pharma Canada inc.i, la Cour supérieure a
estimé que les années de service accumulés par une salariée dans son emploi
précédent devaient être prises en compte dans la détermination du délaicongé. La salariée, âgée de 50 ans, avait été approchée par une firme de
chasseurs de têtes alors qu’elle occupait un poste de directrice des ventes pour
la compagnie pharmaceutique Pzifer. Novartis Pharma Canada Inc. (ci-après,
« Novartis ») avait mandaté une firme afin de trouver une personne qualifiée
pour occuper le poste de vice-présidente des ventes. C’est la firme qui entra
en contact avec la salariée et qui l’incita à faire parvenir son curriculum vitae.
Suite à une rencontre avec les principaux dirigeants de Novartis, une première
offre d’emploi fut présentée à la salariée incluant un salaire de base de 175 000
$ par année, un boni de 25 000 $ à la signature du contrat de même que des
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options qui pourraient être levées trois ans plus tard. La salariée déclina cette première offre. Novartis lui présenta
alors une seconde offre bonifiée, convainquant alors la salariée de quitter son emploi pour se joindre à l’équipe de
Novartis. Douze mois après son embauche, l’employeur mit fin au contrat de travail et lui versa un délai-congé
correspondant à neuf mois de salaire, conformément à ce que prévoyait le contrat de travail.
La Cour rappela tout d’abord que l’article 2091 C.c.Q. est d’ordre public. En conséquence, l’employeur ne peut
opposer à la salariée une clause fixant à l’avance un délai de congé si l’indemnité qui est prévue au contrat n’est
pas raisonnable. Par ailleurs, s’appuyant sur les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Wallace c. United Grain
Growers Ltd.ii, la Cour conclut que les années de service passées chez un autre employeur doivent être
considérées lorsque « le salarié a été incité à quitter un emploi certain et rémunérateur sur la foi des représentations
portant sur des responsabilités accrues et un avenir prometteur au sein de la nouvelle entreprise »iii. En l’espèce,
même si l’approche avait été faite de bonne foi et sans aucune fausse représentation, la Cour fut d’avis que Novartis
avait déployé beaucoup d’efforts pour inciter la salariée à quitter son emploi. Conséquemment, la Cour décida de
tenir de compte en partie des 18 années de service passées chez l’ancien employeur et des avantages que la
salariée y a laissés en quittant pour un poste chez Novartis. Le délai-congé de neuf mois fut augmenté à 16 mois.
Par ailleurs, une semaine plus tard, dans Armstrong c. Wesco Distribution – Canada Inc.iv, la Cour supérieure a
rejeté la requête d’un salarié qui exigeait un délai-congé équivalent à 18 mois de salaire alors que son employeur
avait jugé raisonnable de lui verser six semaines de salaire à titre de délai-congé compte tenu de ses 23 mois de
services rendus. Le salarié était un représentant spécialisé dans la distribution en gros de produits électriques.
Avant d’être embauché par Wesco Distribution – Canada Inc. (ci-après, « Wesco »), il avait travaillé environ 18
années pour quatre compagnies distinctes à titre de commis, de vendeur ou de représentant. Par ailleurs, au
moment de recevoir l’offre de Wesco, le salarié était sans emploi. Dans ces circonstances, la Cour a refusé de
tenir compte de l’expérience antérieure du salarié dans le calcul du délai-congé. Elle explique que tenir compte
de l’expérience antérieure plutôt que de la durée du service chez Wesco ferait double emploi :
« En effet, le délai-congé raisonnable est basé sur le salaire du demandeur. Puisque le
salaire de 70 000$ que le demandeur recevait était basé sur son expérience, le tribunal tient
donc déjà compte de l’expérience du demandeur dans l’établissement du délai-congé. »v
La distinction entre ces deux affaires repose sur la situation d’emploi du salarié au moment de l’embauche : dans
l’affaire Spiering, l’employeur a fait appel à une firme spécialisée qui a sollicité, avec insistance, une personne qui
occupait un poste sûr et rémunérateur chez un concurrent alors que dans l’affaire Armstrong, l’employeur a offert
un poste à un salarié qui était à ce moment sans emploi.
Ces jugements confirment que les circonstances entourant l’embauche d’un salarié pourront avoir un impact
significatif sur le calcul du délai-congé. Les démarches d’un employeur pour recruter des salariés dans des
entreprises concurrentes et toute promesse d’avancement professionnel, de sécurité d’emploi ou de rémunération
accrue pourraient justifier une augmentation substantielle du délai-congé et ce, peu importe que le salarié ait
travaillé quelques mois ou plusieurs années pour l’employeur. Mentionnons toutefois que le fait qu’un salarié a été
sollicité d’un emploi stable aura un plus grand impact dans l’évaluation du délai-congé si le salarié est congédié peu
de temps après l’embauche et présentera moins d’importance si le congédiement survient plusieurs années après le
recrutement, en l’absence d’autres promesses faites par l’employeur au moment de l’embauche.
En définitive, même si certaines décisions reconnaissent la responsabilité de l’employé qui prend le risque de quitter
un emploi stablevi, les employeurs ont tout intérêt, à notre avis, à faire preuve de prudence dans le recrutement et la
formulation de promesses, afin d’éviter le versement d’un délai-congé onéreux advenant un congédiement hâtif.
Spiering c. Novartis Pharma Canada Inc., 2008, QCCS, 1051, 20 mars 2008.
[1997] 3 R.C.S. 701.
iii Précitée, note 3, par. 55.
iv 2008, QCCS, 1128, 26 mars 2008.
v Ibid., par. 70.
vi Patenaude c. Prudel Inc. [1993] R.J.Q. 1205 (C.S.)., Poirier c. Centre de Placements financiers Everest Inc., D.T.E. 2005-199 (C.S.) et Pilon c. Atlas Télécom
mobile Inc., [2007] R.J.D.T. 950 (C.S.).
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