Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.

Transcription

Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
J. Paoletti : Les trois premiers chapitres du livre de
la Genèse
Le Chesnay : 11 Avril 2013
Verset 1 : Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
« Au commencement ». En hébreux, cette expression est ambiguë.
e
La Bible de Jérusalem traduit le mot « b re’šit » par « au commencement », évoquant ainsi un début absolu,
unique. Avant il n’y avait rien et tout commence en cet instant.
Dans les anciennes versions de la TOB, la traduction se veut plus explicite et nous trouvons: « lorsque Dieu
commença la création du ciel et de la terre». Cette traduction place l'acte créateur dans une chaîne historique
d’actions de Dieu.
Chouraqui dans sa traduction opte pour « En tête ». C’est un fidèle décalque de l’hébreu puisque « re’shit »
provient de la racine « rosh » qui signifie tête en Hébreu (Rosh Hashanna = tête de l’année, début de l’année).
Nous sommes au début d’une histoire et l’intérêt ne doit pas se porter sur les origines mais au contraire sur ce qui
suit.
La traduction qui est peut-être grammaticalement la plus correcte est : « En un commencement ». Néanmoins
elle présente l’inconvénient qu’il puisse ne s’agir que d’un commencement parmi d’autres possibles que nous
ignorons.
Faire un choix parmi ces traductions n’est pas innocent, dans la mesure où ce choix correspond à la manière,
consciente ou inconsciente, dont on se représente l'acte créateur.
La Bible de Jérusalem, quand elle propose « au commencement », fait référence à un commencement absolu de
notre univers. Elle se réfère au concept même de l’instant originel et ne présuppose rien sur Dieu ni sur le
comment de cet instant. La création est donc posée par le texte comme n’ayant besoin d’aucun présupposé dont
elle serait la conséquence. Elle est unique et première à tout point de vue. Cette interprétation théologique devait
conduire par la suite à l'idée de « création ex nihilo ». Dieu crée toujours et tout sans présupposés, sans aucune
nécessité externe qui serait la cause de son activité, ni aucune contrainte. Il n’y a surtout pas de matière première
qui s’imposerait à son action et lui poserait des limites matérielles.
« Dieu » : Dans le texte de Genèse 1 le mot qui est traduit en français par Dieu, est le mot « Elohim ». Or
cette forme grammaticale correspond à un pluriel, le pluriel de « El ». Dans le monde sémitique il existe une
assemblée de dieux qui est présidée par un noble vieillard qui incarne la sagesse, la justice et la bienveillance. Il
est le père des dieux et si El est le nom de ce dieu particulier, il sert aussi à désigner l’ensemble des Dieux.
L’emploie de la forme plurielle dans le texte de Genèse 1 est peut-être une réminiscence du chemin théologique
parcouru par le peuple d’Israël depuis qu’il a découvert que tout ces « El » différents n’en étaient qu’un, identifié à
« Yahvé », nom propre du Dieu d’Israël. Ce chemin est bien expliqué dans le livre de Josué au chapitre 24.
« Autrefois, vos pères servaient d’autres dieux ». Parmi ces dieux, Israël s’en choisit un, Yahvé, qui lui est propre
et qui le protégera mieux que les autres. D’où ces textes dans lesquels on à souvent l’impression qu’il existe une
compétition entre le Dieu d’Israël et les dieux des païens. Il ne s’agit pas de nier l’existence de ces multiples Dieu,
mais d’affirmer que Yahvé est le plus fort (histoire d’Elie au mont Carmel). Il faudra attendre le deuxième Isaïe
pour comprendre la différence qu’il y a entre le Dieu d’Israël et celui des autres peuples. Il faut relire le chapitre
40 avec sa question qui revient comme un refrain : « A qui assimilerez-vous Dieu ? Quel simulacre placerez-vous
à côté de lui ? » ( Is 40, 18.25 ). Ou encore au chapitre 45, cet autre refrain : « C’est moi qui suis le Seigneur et il
n’y en a pas d’autre ; moi excepté, nul n’est Dieu » (Is 45, 5 ss.). Puis enfin, la confession de Dieu dans un
monothéisme absolu et universel en Is 48,12-13 : « Ecoute moi, Jacob, Israël, toi que j ‘appelle ; je suis bien tel,
c’est moi le premier, c’est moi aussi le dernier. Oui c’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui a étendu les
cieux ; si je les appelle, d’un coup ils se présentent. » Dans ce passage, le prophète affirme un monothéisme
absolu ; le Dieu unique est le Dieu créateur.
Créa : L’expression Dieu a créé le monde veut affirmer que Dieu est distinct du monde, que Dieu a voulu le
monde. Le monde n’est donc pas d’essence divine ni une émanation de l’être éternel de Dieu, mais le résultat
concret d’une décision de la volonté divine. Parce qu’ils sont une création de Dieu, le ciel et la terre, c’est à dire le
monde, ne sont ni divins ni démoniaques, ni éternels comme Dieu lui-même. Ils tirent leur réalité de leur
affirmation par leur créateur et seulement de cette affirmation. Dans ce premier récit de la Création, le verbe
« bara’ », qui est traduit par créer, est employé exclusivement pour désigner une production divine qui n’a aucune
analogie humaine. Ce verbe désigne une production grâce à laquelle ce qui jusqu’ici n’a jamais existé entre dans
l’existence. Cette activité divine est une activité inconditionnelle, sans présupposé, qui désigne la création comme
quelque chose d’entièrement nouveau, qui n’est ni potentiellement ébauché ou présent dans autre chose.
Le texte établit une distinction entre « créer » (bara’) et « faire » (asah). L'acte créateur dépasse l’entendement
humain et c’est pourquoi le verbe bara’ qui ne s’applique qu’à Dieu, lorsqu’il est engagé dans une production
nouvelle, reste mystérieux de sens car il ne peut être appliqué à aucun acte humain de création. Il ne s’agit pas
de faire ni de fabriquer, comme le potier qui fabrique une amphore; il ne s’agit pas, non plus, d’une création
exécutée à la manière d’un artiste qui crée son œuvre. Il s’agit d’une action propre à Dieu.
L’utilisation du verbe « bara’ » montre l'originalité d’un texte qui, bien qu’il utilise les mythes et les connaissances
de son époque pour rendre compte de la genèse du monde, rompt radicalement avec ces mythes dans la
manière dont il comprend le commencement du monde. Le Dieu de la Bible ne dépend d’aucun préexistant
e
contrairement à ce que certains commentateurs suggèrent à la lecture du 2 verset de Genèse 1: « la terre était
informe et vide ». Si Dieu ne fait que mettre en ordre un chaos préexistant, s’il ne fait qu’ordonner le désordre, on
est alors ramené aux mythes égyptiens ou babyloniens et la question de l’origine de ce désordre ou de ce chaos
reste entière. Non ! Dieu « crée », et pour reprendre une image moderne, la matière inorganisée, l’univers
isotrope - celui du commencement - sont la conséquence de ce « bara’ » qu’aucun homme, parce qu’il est dans
la finitude, ne peut imaginer.
Création « ex nihilo » : Derrière l’utilisation de ce mot « bara », se profile la notion d’une création à partir de rien.
Dieu crée à partir de rien. Cette affirmation n’est pas directement exprimée dans le livre de la Genèse et nous
avons vu que, suivant la traduction que l’on privilégiait, la signification de l’acte créateur originel pouvait varier. Il
ème
faudra attendre le II
siècle et la réflexion théologique menée par les juifs alexandrins pour que le concept de
ème
création « ex nihilo » soit affirmé sans ambiguïté dans le 2
livre des Macchabées au chapitre 7. Sept frères
sont soumis à la torture, sous les yeux de leur mère, pour avoir refusé de manger de la viande de porc, nourriture
impure et interdite au regard de la Loi de Moïse. Alors que le plus jeune des frères est sur le point de subir son
martyre, le roi Antiochus Epiphane exhorte la mère du jeune homme à convaincre son fils de céder. La mère,
face à son enfant qui va mourir, professe alors sa foi dans le Dieu Créateur en disant à son fils : « Je t’en conjure
mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a fait de rien et que la
race des hommes est faite de la même manière ». Ce texte est écrit en grec - à l’époque les juifs d’Alexandrie ne
comprenaient plus l’hébreux - et le passage que l’on traduit par : « que Dieu les a fait de rien », se lit, en
traduisant mot à mot : « que Dieu n’a pas fait ces choses d’étant ». Pourquoi ces précautions dans la formulation
d’une idée qui nous semble assez simple ? Parce que le problème qui se pose à la philosophie est de savoir s’il
est possible de parler de rien sans lui donner une existence ontologique. Si je parle de rien, je fait exister le rien.
Je dois donc m’exprimer uniquement à partir de ce qui existe, à partir de ce qui est : « l’étant ». On ne dit donc
pas Dieu crée, ou fait, à partir de rien, mais Dieu ne crée pas, ou ne fait pas, à partir d’étant. On voit alors
comment l’expression théologique a évolué entre l’époque du retour de l’exile - date de rédaction du texte
ème
sacerdotal - et le II
siècle avant notre ère.
On pourrait être tenté de transposer la notion de « création ex nihilo » à une vision moderne d’un commencement
de l’univers issu d’un rien quantique. Mais alors on est amené à conférer au « rien » un statut ontologique. Le
vide quantique dont parlent certains astrophysiciens, ce vide originel peuplé d’une multitude de « particules
fantômes », n’est pas rien. Il est associé à une probabilité, à une probabilité d’apparition de matière. A contrario,
quand la mère, dans le texte de la Bible, proclame que tout ce que Dieu a créé, il ne l’a pas fait d’étant, elle
replace le débat dans sa véritable dimension métaphysique. Au sein de non étant, Dieu fait surgir l’étant. Il s’agit
bien là du mystère, inaccessible à notre entendement humain, de la Création ; de ce mystère qu’aucune
démarche scientifique ne peut espérer pénétrer car la science ne peut expliquer que l’étant. C’est pourquoi les
démarches scientifiques qui se donnent pour but d’expliquer le commencement, aussi brillantes, aussi
convaincantes soient-elles, aussi nécessaires au progrès de l’homme qu’elles puissent être, ne peuvent
s’opposer à l’acte de foi en une Création, à condition de bien prendre conscience de ce que signifie « Création ».
De la même manière, cet acte de foi en la Création n’autorise et ne justifie en rien le refus des théories
scientifiques sur le commencement, dans la mesure où il ne s’agit pas des mêmes champs de réflexion. Il ne faut
donc pas voir dans cet acte de foi une atteinte à une quelconque cohérence intellectuelle.
L’acte originel de la Création est du domaine exclusif de Dieu et il ne suppose aucun présupposé autre que Dieu
lui-même qui agit dans son absolue liberté.