LA RÉFORME JUDICIAIRE ALGÉRIENNE

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LA RÉFORME JUDICIAIRE ALGÉRIENNE
LA RÉFORME JUDICIAIRE ALGÉRIENNE
Parmi les principaux monuments législatifs élaborés par l'Algérie indépendante, la législation nouvelle en matière judiciaire occupe une place
de choix à côté de la législation sur l'autogestion, du code de la nationalité
algérienne du statut général des fonctionnaires et de la réforme communale.
Le principal animateur de la réforme judiciaire fut M. Mohamed
Bedjaoui, ministre de la justice, qui avec l'aide de ses collaborateurs
assistés de quelques coopérants techniques parvint à édifier non seulement une nouvelle organisation judiciaire (ordonnance du 16 novembre
1965 (1) mais aussi de nouveaux codes de procédure civile (ordonnance
nO 66.155 du 8 juin 1966) (2), de procédure pénale (ordonnance nO 66-155
du 8 juin 1966) et pénal (ordonnance nO 66.156 du 8 juin 1966).
Encore à l'état de projets ces textes furent débattus en Conseil de la Révolution et, suivant la procédure prévue par l'ordonnance du 10 juillet 1965
qui organisa les pouvoirs publics après les événements du 19 juin de la
même année, ils furent promulgués sous la forme d'ordonnances prises en
conseil des ministres par le chef du gouvernement, président du conseil
des ministres.
La mise au point des codes et aussi l'hostilité d'un certain nombre
de praticiens et de membres du parti, qui estimaient prématurée la mise
en vigueur d'une réforme de cette ampleur dans un contexte judiciaire
fonctionnant déjà difficilement, en retardèrent la publication jusqu'au
15 juin 1966 alors que son principe avait été posé par l'ordonnance du 16
novembre 1965.
Les nouveaux textes sont devenus la loi de l'Algérie en matière judiciaire le 15 juin 1966'. Bien que les commentateurs officiels de la réforme
aient mis l'accent sur son but politique à savoir «la décolonisation de la
Justice ~ l'on n'y trouve guère des techniques nouvelles impliquant un
changement profond dans la conception que l'on se fait de la Justice dans
les pays occidentaux.
Quelque soit son ampleur, la réforme contient surtout des règles de
forme concernant l'organisation et les procédures judiciaires. Encore qu'il
ressemble beaucoup au code pénal français le code algérien marque cependant un effort d'adaptation aux données actuelles de la criminologie
et à l'existence d'un secteur d'économie socialiste.
(1) J.O.R.A. (96), 23/11/65, et A.A.N. (IV), 1965, Documents, I, 6, p. 657 et s.
(2) Pour la suite des ordonnances citées, cf. Documents, infra, I, 8.
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Mais il en est autrement des dispositions de l'ordonnance n° 66.180
du 21 juin 1966 portant création de cours spéciales de répression des infractions économiques, qui sont, semble-t-il, inspirées du droit soviétique.
Cette ordonnance fait manifestement partie de la réforme bien qu'elle
constitue un texte distinct (3). Il en sera différemment surtout lorsque de nouveaux codes de la famille, des obligations et de commerce, qui supposent
des options fondamentales sur la conception que l'on fait de l'homme et
de la vie en société, auront été promulgués.
Il ne faut pas pour autant se dissimuler l'importance de l'œuvre réalisée lorsque l'on constate les difficultés éprouvées par d'autres législateurs
pour réformer la justice et en particulier la procédure civile. Il est vrai
qu'en Algérie les droits acquis n'ont pas la même valeur que dans d'autres
pays.
1. -
L'ORGANISATION JUDICIAIRE
S'il y a une nouvelle carte judiciaire les moyens en personnel et en
matériel de sa mise en œuvre ne sont pas nouveaux.
A) La nouvelle carte judiciaire
Elle répond à un souci d'unification et de rapprochement du juge du
justiciable notamment dans les départements des Oasis et de la Saoura.
Une double hiérarchie judiciaire existait autrefois. Les citoyens de statut
de droit commun étaient justiciables en première instance des tribunaux
de grande instance, en appel des Cours d'appel et en cassation de la
Cour de cassation tandis que les citoyens de statut de droit local étaient
justiciables en première instance des tribunaux d'instance, en appel des
tribunaux de grande instance et en cassation des chambres de révisions
des appels musulmans qui existaient dans les cours d'appel.
D'après la jurisprudence de l'Algérie indépendante, cette double hiérarchie était devenue caduque, parce qu'elle était discriminatoire et donc
contraire à la loi du 31 décembre 1962 tendant à la reconduction de la
législation antérieure en vigueur sauf dans ses dispositions contraires à la
souveraineté nationale. Aussi l'unification légale des juridictions était-elle
devenue nécessaire. Elle avait été aussi amorcée en août 1963 pour le transfert aux tribunaux d'instance de la compétence des mahakmas en· matière
contentieuse et gracieuse et les cadis n'avaient conservé que leurs attributions notariales. Les tribunaux de grande instance n'avaient donc plus de
raison d'exister.
Outre la Cour suprême créée par une loi du 18 juin 1963, il y a désormais en Algérie quinze cours siégeant à trois magistrats et cent trentedeux tribunaux siégeant à juge unique qui ont remplacé les trois cours
d'appel, les dix-sept tribunaux de grande instance et les cent vingt environ
(3) Ces documents publiés. infra, l, 8.
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tribunaux d'instance. Les matières commerciales et prud'hommales relevant
de la compétence de ces nouvelles juridictions.
Quant aux tribunaux administratifs qui siégeaient à Alger, Oran et
Constantine ils ont été supprimés et remplacés par des chambres spécialisées des nouvelles cours siégeant dans ces villes.
La réforme ne concerne pas les juridictions militaires qui ont été
instituées par une loi du 22 août 1964 portant code de justice militaire.
Enfin trois cours spéciales de répression des infractions économiques ont
été créées à Alger, Oran et Constantine.
B) Les moyens de mise en œuvre
Le 15 juin 1966 il y avait approximativement quatre cent vingt magistrats algérien dont quarante-cinq licenciés en droit. Il a été partiellement remédié à l'insuffisance de cet effectif par des nominations de greffiers et de quelques huissiers comme magistrats. Parmi les magistrats en
activité il y a des nombreux anciens cadis, quelques anciens magistrats
des cadres français, un petit nombre d'algériens ayant exercé des fonctions judiciaires dans les juridictions modernes du Maroc et quelques
anciens avocats et interprètes judiciaires.
La majorité de ce personnel étant plus qualifiée en droit coranique
qu'en droit algérien moderne un recyclage s'avérait nécessaire. Tout le
personnel judiciaire devait également se mettre au courant des nouvelles
règles de procédure civile, qui différent assez sensiblement de celles précédemment en vigueur et des nouveaux codes de procédure pénale et
pénal. Des ouvrages et des bulletins juridiques ont été édités et diffusés
par le ministère de la Justice tandis que des séminaires étaient orgamses.
Bien plus cinq magistrats algériens se sont rendus en France au début
de l'année 1967 pour suivre un cycle d'études de dix-huit mois au centre
national d'études judiciaires. Mais toutes ces mesures sont encore insuffisantes et le risque est grand de voir une extension de l'application du droit
coranique ne serait-ce que parce que beaucoup de magistrats ont été
formés à son école.
Le problème du recrutement à la base reste entier. Une section judiciaire existe à l'Ecole Nationale d'Administration mais elle risque de ne
pas fonctionner avant au moins un an en raison des effectifs restreints
des premières promotions. Comme la durée des études y est de quatre
années, le recrutement à la sortie de cette école ne sera effectif que dans
quelques années.
L'indépendance des juges est toujours précaire dès lors que la réforme
ne les a pas dotés de garanties statutaires et qu'aux termes d'un décret
du 17 novembre 1965 ils peuvent être délégués sans limitation de temps
et unilatéralement par le Ministre de la Justice. Cette situation est d'autant plus grave pour les justiciables que le tribunal statuant à juge unique
a, dans certains cas, la faculté de prononcer une peine pouvant atteindre
dix années d'emprisonnement.
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L'emprise du pouvoir exécutif du Parti est directe dans plusieurs
formations juridictionnelles: en matière commerciale les assesseurs échevins sont désignés par les préfets et en matière prud'hommale les assesseurs employeurs et travailleurs sont nommés par le Parti. Bien plus les
présidents des cours spéciales de répression des infractions économiques
doivent obligatoirement être membres de F.L.N. tandis que leurs assesseurs sont des fonctionnaires des finances et des magistrats.
Les coopérants tecbniques, moins de trente magistrats français qui
n'exercent plus de fonctions juridictionnelles sauf à la Cour suprême,
ainsi que des appelés du service national civil participent à la formation
du personnel judiciaire et effectuent des études juridiques; certains aussi
concourent à la mise en œuvre de la nouvelle procédure civile. Des coopérants égyptiens apportent également leur assistance aux autorités algériennes.
Mais le succès de la réforme dépend aussi des greffiers dont les
attributions et les responsabilités sont désormais très importantes. Les
offices d'huissier ayant été supprimés et leurs archives ayant été transférées dans les greffes, les greffiers exercent les attributions de ces anciens
officiers ministériels et ont donc pour mission de faire tous les constats,
de délivrer les sommations, les citations et les notifications et d'assurer
l'exécution des décisions judiciaires. Egalement ils sont chargés des fonctions de commissaire priseur, de syndic de faillite, d'administrateur judiciaire et de sequestre. Trop peu nombreux et parfois insuffisamment qualifiés, ils ne parviennent guère, bien que des anciens huissiers aient été
intégrés comme greffiers, à assumer dans des conditions satisfaisantes les
lourdes tâches qui leur ont été dévolues par la réforme. Le recrutement
de base se fera dans l'avenir à partir des centres de formation administrative où sont formés les attachés d'administration.
Les offices d'avoués ont également été supprimés, mais les avoués qui
exerçaient encore leur ministère le 15 juin 1966 (quatre à Alger) ont été
autorisés à poursuivre leur activité dans les affaires introduites avant cette
date, pendant une année. Ensuite leurs archives seront transférées dans
les greffes. Aucune indemnité n'a été prévue en leur faveur mais ils ont
la possibilité de devenir avocats.
Ceux-ci, moins de deux cents dont encore de nombreux ressortissants
français ont conservé leur ancien statut mais un projet de réforme les
concernant est actuellement à l'étude. Il serait question de créer un ordre
unique pour toute l'Algérie, de réserver certaines fonctions dans cet organisme aux seuls avocats algériens, d'inclure dans le nouveau conseil de
l'ordre des représentants du ministère de la Justice, d'instituer un service
national judiciaire et de tarifer les honoraires. Une algérianisation des
barreaux serait irréalisable sauf à désorganiser la défense en justice et
contraire aux dispositions du protocole judiciaire franco-algérien du 28
août 1962 aux termes desquelles les ressortissants français peuvent librement s'inscrire aux barreaux algériens et les avocats des barreaux français
peuvent librement plaider devant toutes les juridictions algériennes. Les
ressortissants algériens bénéficient des mêmes droits en France. Enfin il
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n'est pas exclu qu'il soit envisagé de créer un corps de défenseurs ne présentant par les garanties de technicité des avocats mais devant permettre
de suppléer à l'insuffisance quantitative de ces derniers.
Les notaires, une soixantaine, ne sont pas concernés par la réforme.
Les études dépourvues de titulaires sont soit rattachées à d'autres études,
soit gérées par des suppléants notaires voire même par des greffiers. TI
existe encore des offices notariaux très importants notamment à Alger.
Enfin, il faut signaler que si la langue française est celle du monde
judiciaire son déclin est amorcée par l'utilisation obligatoire de la langue
arabe dans les cours d'Ouargla et de Béchar et par une tendance à l'arabisation dans les affaires relatives au statut personnel.
II. -
LA
PROCÉDURE CIVILE
Bien que les nouvelles formes soient dominées par un souci évident
de simplicité, le législateur algérien n'a pas pour autant renoncé aux
grands principes de la justice française: caractère contradictoire des procès, obligation de motiver les décisions judiciaires, double degré de juridiction et recours en cassation. Mais il a innové en confiant le soin de diriger
les procès civils non plus aux parties avec le concours d'avoué, mais aux
juges qui sont désormais directement en rapport avec les plaideurs assistés
au besoin par des avocats. Enfin il faut signaler qu'en matière de contentieux administratif, de baux d'habitation et à usage professionnel, de baux
commerciaux ainsi qu'en matière commerciale et prud'hommale, les anciennes formes de procéder ont été provisoirement maintenues.
A) Le tribunal
Il statue en premier et dernier ressort dans:
1 les actions mobilières et les actions immobilières personnelles lorsque le montant du litige n'excède pas 2000 dinars;
2 les actions relatives à des droits réels immobiliers, lorsque le revenu
annuel, évalué en rente ou en montant de bail, n'excède pas 300 dinars;
3 les actions entre preneur et bailleur, lorsque le montant annuel des
loyer, au jour de la demande n'excède pas 3600 dinars.
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Il statue, à charge d'appel devant la Cour dans tous les autres cas.
La compétence territoriale de chaque tribunal est déterminée par
son ressort géographique. Toutefois, une dérogation est apportée à ce
principe au profit des tribunaux siégeant aux chefs-lieux des cours, en
matière de contentieux de la nationalité, de saisie immobilière, de règlement des ordres et de licitation ainsi qu'en matière d'expropriation pour
cause d'utilité publique, de pensions de retraite d'invadilité, de sociétés,
de faillites, de règlements judiciaires et de demandes de vente de fonds de
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commerce ayant fait l'objet d'une inscription en nantissement. Dans ces
matières la compétence du tribunal du siège de la cour s'étend au ressort
de celle-ci. La procédure qui est très différente de celle des tribunaux de
grande instance se rapproche avec des formes plus simples de celle des
tribunaux d'instance. Le tribunal est saisi soit par une requête écrite du
demandeur ou de son mandataire, soit par sa comparution personnelle à
charge par le greffier de dresser procès-verbal de la demande. Comme il y
a une tentative obligatoire de conciliation, en cas de non conciliation le
tribunal est saisi, et, soit juge l'affaire en état, soit ordonne des mesures
d'instruction s'il échet. A l'audience les parties se présentent elles
mêmes ou se font représenter par un mandataire ou un avocat.
Toute personne majeure peut être mandataire si elle n'a pas été
condamnée pour crime ou pour l'un des délits figurant à l'article 16 du
code et si elle n'est pas privée du droit de témoigner en justice.
B) La cour
Elle connaît de l'appel des jugements rendus en premier ressort par
les tribunaux et la procédure suivie devant elle est à peu de choses près
la même que celle instituée au Maroc par le dahir de 1912.
En matière administrative, les Cours d'Alger, Oran et Constantine
connaissent en premier ressort et à charge d'appel devant la Cour suprême
de toutes affaires où est partie l'Etat, le département, la commune ou un
établissement public à caractère administratif, à l'exception toutefois des
contraventions de voiries portées devant le tribunal dans les conditions
de droit commun et des recours en annulation portés directement devant
la Cour suprême.
En première instance ou en appel la Cour ne peut être saisie que par
une requête écrite et signée de la partie ou de son conseil. La procédure
comporte ensuite: la désignation d'un conseiller rapporteur par le président, la notification de la requête au défendeur avec fixation d'un délai
pour conclure en réponse, le renvoi de l'affaire devant la Cour, les débats
et arrêt. Si l'affaire n'est pas en état d'être jugée, elle est renvoyée devant
le rapporteur qui instruit en ordonnant éventuellement la comparution
personnelle, des parties, des enquêtes, des expertises, et, après achèvement
de l'instruction, se dessaisit par ordonnance au profit de la Cour. Après
lecture à l'audience du rapport écrit versé au dossier par le rapporteur
et débats contradictoires, la Cour rend l'arrêt. Les arrêts rendus par les
Cours sur appel sont toujours contradictoires. A l'audience, les parties
peuvent se faire représenter par un mandataire et assister par un avocat.
Il faut observer que les mémoires et pièces produits après l'ordonnance
de dessaisissement ne peuvent être pris en considération par la Cour. Cette
mesure, qui se trouvait déjà dans le code marocain de 1912, a pour objet
d'empêcher des renvois qui seraient motivés par des productions tardives
de conclusions ou de documents. Ainsi la Cour a un dossier complet à
l'ouverture des débats contrairement au système français dans lequel chaque partie apporte ses preuves seulement à l'audience.
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C) Autres dispositions
Les règles relatives aux autres matières traitées par le code ressemblent à celles en vigueur, en France, avec des simplifications une présence
directe des parties ou de leurs mandataires et un recours constant aux
greffiers qui accomplissent toutes les formalités.
Enfin, tout créancier, justifiant d'un domicile réel en Algérie et de
l'accomplissement sans succès des voies d'exécution normale, a la faculté
d'exercer la contrainte par corps à l'encontre de tout débiteur défaillant
condamné en matière commerciale ou de prêt d'argent au paiement d'une
somme principale de 500 dinars.
Le régime des frais de justice a été organisé par un ordonnance du
22 juillet 1966 (4).
III. -
DISPOSITIONS
PÉNALES
A) Le code de procédure pénale
Le législateur a repris la plupart des dispositions du code de procédure
pénale français avec quelques modifications notamment dans le sens d'une
plus grande rigueur à l'égard des personnes arrêtées ou détenues préventivement (5). La garde à vue est de quarante-huit heures, avec possibilité
de prolongation de deux jours par le magistrat compétent.
En matière délictuelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la
loi est inférieur à deux années d'emprisonnement, l'inculpé domicilié en
Algérie ne peut être détenu plus de vingts jours après son interrogatoire
de première comparution par le juge d'instruction sauf s'il a encourru
une condamnation antérieure pour crime et pour délit mais alors supérieure à trois mois d'emprisonnement sans sursis.
En cas de flagrant délit le procureur de la République a la faculté de
décerner un mandat de dépôt valable huit jours.
Les étrangers mis en liberté provisoire sont susceptibles d'être assignés
à résidence en Algérie, c'est-à-dire en pratique d'être interdits de sortie
du territoire algérien sans limitation de temps.
Enfin, il faut signaler que la juridiction devant laquelle une affaire
est renvoyée par la Cour suprême doit se conformer à l'arrêt de cassation
sur le point du droit tranché (il existe une disposition semblable en matière civile).
Une dernière innovation réside en matière de casier judiciaire dans
l'institution d'un fichier des sociétés civiles et commerciales destiné à
(4) J.D.R.A., 14 août 1966.
(5) En matière criminelle, le juge d'instruction du tribunal de la ville où se trouve la
cour est compétent à l'exclusion des juges d'instruction des autres tribunaux du ressort de
celle-ci.
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centraliser les avis de condamnations ou sanctions frappant toutes les personnes morales à but lucratif ainsi que les personnes physiques qui les
dirigent.
B) Le code pénal
Le législateur algérien a repris la plupart des dispositions du code
pénal français, en conservant la distinction entre les crimes et délits
contre la chose publique et les crimes et délits contre les particuliers.
Toutefois des nouvelles incriminations y sont inclues notamment en matière
d'autogestion (21 articles), et des peines en matière de concussion et corruption sont aggravées. Par contre, les circonstances atténuantes sont
maintenues et en matière délictuelle le minimum est d'un jour d'emprisonnement ou de cinq dinars d'amende.
On relève également des dispositions tendant à tenir compte des données actuelles de la criminologie; elles ont surtout de l'intérêt pour l'avenir lorsque la rééducation des déliquants se sera plus développée.
C) L'ordonnance du 21 juin 1966 sur les Cours spéciales de répression
des infractions économiques (6)
Elle a créé des infractions relevant exclusivement de la compétence
de ces juridictions spéciales: il s'agit d'après les titres des chapitres qui
les définissent: 1) des infractions commises par des fonctionnaires, ou
assimilés ou employés du secteur autogéré; 2) des infractions qualifiées
fraudes, exploitées au détriment du domaine public; 3) des fraudes susceptibles de porter atteinte à la sûreté.
Les peines prévues sont exemplaires afin, selon le Ministre de la
Justice, «d'assainir l'économie contre ceux qui font la profession d'écumer» (discours d'installation de la Cour d'appel d'Alger le 12 juillet 1966).
Et effectivement l'échelle des pénalités va de trois années d'emprisonnement ferme à la peine de mort; bien que celle-ci ne puisSe être
prononcée que lorsque l'infraction commise est de nature à léser gravement les intérêts supérieurs de la nation, la subjectivité de cette notion
laisse les accusés à la discrétion des juges pour l'appliquer ou ne pas l'appliquer. Au surplus le pourvoi en cassation n'existant pas contre les arrêts
rendus la Cour suprême ne les contrôle pas. Le seul recours exerçable est
le recours en grâce qui doit être formé dans les vingt-quatre heures suivant l'arrêt. Enfin, le sursis ne peut pas être accordé et les circonstances
atténuantes ne peuvent pas être prononcées. L'instruction ne peut excéder
trois mois et le juge d'instruction est doté des plus larges pouvoirs d'investigation. Ces tribunaux draconiens ont commencé à fonctionner à la fin
de l'été 1966 et dans la première affaire jugée trois peines capitales furent
prononcées, à l'encontre d'accusés dont l'un était algérien et les deux
autres étrangers, et l'un de ces derniers fut exécuté son recours en grâce
ayant été rejeté. d'autres lourdes condamnations furent ensuite pronon(6) Cf. Documents. 1. 8.
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cées par les Cours d'Oran et de Constantine; ensuite certaines condamnations se rapprochèrent de celles prononcées par les juridictions de droit
commun.
Enfin dernier trait de rigueur, toutes les dispositions de l'ordonnance
sont rétroactives, aussi bien celles concernant les incriminations nouvelles
que celles relatives aux peines et à la procédure. Jusqu'à présent toutes
les condamnations prononcées furent motivées par des faits qui à l'époque
où ils furent commis étaient passibles de peines beaucoup moins sévères.
Cette rétroactivité est contraire à la Déclaration Universelle des droits de
l'homme à laquelle l'Algérie a cependant adhéré et ainsi l'attitude de ce pays
n'est pas la même, dans ce domaine particulier, sur le plan intérieur que
sur le plan extérieur.
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Il ne faut pas se dissimuler que, quelles que soient les qualités des
nouveaux codes, la réforme judiciaire a provoqué par son ampleur et
l'insuffisance des moyens prévus pour sa mise en Œuvre une certaine
désorganisation de la Justice qui, il faut l'espérer, appartiendra bientôt au
passé.
Les garanties judiciaires accordées aux personnes ne seront vraiment
efficaces que lorsque les nouveaux codes seront intégralement appliqués
non seulement par les praticiens du droit mais aussi par l'ensemble des
autorités du pays notamment en matière pénale. Aussi est-ce-à-dire qu'un
effort de formation non seulement technique mais aussi dans le sens de
la légalité est souhaitable. Mais si la procédure, les incriminations et les
pénalités des cours économiques sont maintenues telles qu'elles existent
actuellement il subsistera que l'Algérie apparaîtra encore· comme un pays
où, sous le couvert de circonstances exceptionnelles, une législation d'exception limite les garanties judiciaires malgré l'œuvre importante entreprise par ailleurs.
O. MATHÉTÉS.