Arnaud Meunier « Quand l`art manifeste » Les Idées en

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Arnaud Meunier « Quand l`art manifeste » Les Idées en
Arnaud Meunier
« Quand l’art manifeste »
Les Idées en scène, 28 janvier 2014
Je ne pense pas que l’Art ou les artistes puissent changer le monde.
Changer le monde demande, pour reprendre la très belle formule de Pier Paolo Pasolini, de «jeter son
corps dans la lutte». Ce n’est pas chose aisée. De ce point de vue, ce poète et cinéaste italien faisait
beaucoup plus que d’imaginer et de créer des œuvres : il écrivait dans les journaux, défendait des
points de vue qui n’étaient pas consensuels, allait débattre à la télévision, écrivait des lettres au Pape
ou aux politiciens. Il cherchait à agir concrètement sur l’évolution de la société dans laquelle il vivait.
Néanmoins, même s’il est évident que l’on peut aisément qualifier Pasolini d’artiste engagé et qu’il
l’a payé de sa vie, son œuvre gigantesque et passionnante ne saurait être instrumentalisée au service
d’une quelconque cause.
Pasolini ne créait pas parce qu’il était engagé. Il était engagé parce qu’il créait.
Je crois que je me reconnais bien dans cette définition de l’engagement.
Il y a, dans toute démarche artistique, une forte part d’intime et de mystère. Je ne crois pas que l’on
puisse réussir une œuvre en voulant dénoncer quoi que ce soit, a priori. On ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. C’est vrai pour tous les arts, je pense.
On est, par contre, travaillé par des obsessions, des injustices, des indignations. «L’art, c’est la revanche
des sensibles sur les intelligents» disait Fernand Léger. De fait, je ne conçois pas d’artiste qui serait
hermétique au monde qui l’entoure et enfermé dans sa tour d’ivoire.
Mais je ferais volontiers un distinguo entre l’art et l’artiste.
Pour ma part, quand je prends la parole publiquement, quand je signe un texte dans la presse, quand je
manifeste dans la rue : c’est parce que quelque chose m’est insupportable ; que la lâcheté, l’ignorance
et la bêtise m’exaspèrent ; que j’espère qu’à plusieurs, nous pourrons influer sur le cours des choses ;
que, parfois, l’opinion publique m’importe.
Quand je décide de mettre en scène une pièce, c’est certes parce que son sujet m’intéresse mais
aussi, et avant tout, parce que sa forme, sa langue, sa dramaturgie m’interroge, m’excite, m’ébranle.
Voilà, je crois que l’art et en particulier le théâtre peut servir à cela : ébranler nos certitudes.
Le théâtre est par essence un art collectif. Il est aussi un art de la parole. Historiquement, ses grandes
figures ont souvent était engagées ou définies comme tel. Brecht, par exemple, vivait certainement le
théâtre comme une manière de conscientiser les masses.
Dans un monde de plus en plus complexe, dans notre «village mondialisé» où tout circule et se transforme extrêmement rapidement, je ne crois plus en un «théâtre à thèse». Je crois aux questionnements plus qu’aux réponses toutes faites. Je crois qu’il faut s’adresser à chacun d’entre nous, à l’individu, pas à la masse. En même temps, je pense qu’il faut interroger notre responsabilité propre dans un
destin collectif ; que là réside un enjeu essentiel de notre travail.
L’art ne change pas le monde. Il est une vigie, un appel au sensible, un étonnement.