Tribunal de première instance de Liège

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Tribunal de première instance de Liège
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LA REVUE EN LIGNE DU BARREAU de LIEGE
- JURISPRUDENCE Tribunal de première instance de Liège (6ième chambre )
16 juin 2003
Convention de prêt de cheval – Cheval blessé lors d’une chute suite à l’ effondrement d’un pont –
Responsabilité contractuelle – Pas de concours de responsabilité – Cas fortuit
Commune – Obligation de sécurité
L’emprunteur, tenu de l’obligation de résultat de restituer le cheval prêté dans l’état où il l’a reçu, ne peut
s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant que l’effondrement du pont ayant causé la chute du cheval
était raisonnablement imprévisible et irrésistible. De plus, l’emprunteur ne doit pas avoir commis de faute
dans la genèse de ce cas fortuit en décidant de franchir le pont.
L’autorité communale, gardienne de la voie publique, a l’obligation de parer en permanence à tout danger
anormal pouvant tromper la légitime confiance des usagers de la voie publique et est responsable des
dommages occasionnés par les vices de celle-ci.
(A./ B., commune de Geer et SC D. )
...
I Les faits
En date du 17 juillet 2001, mademoiselle B. a emprunté le cheval de mademoiselle A..
Elle se promène en compagnie d'une amie qui monte son propre cheval sur la promenade du
Geer.
A un moment donné, elles se sont trouvées face à un petit pont constitué de trois hourdis de
béton posé côte à côte, pont qui surplombe un ru boueux gorgé d'eau d'un mètre à un mètre
cinquante de large; dans ce ru, l'eau est peu profonde mais le fond est instable.
Son amie, la première, a franchi le pont sans encombre.
Hélas, au passage du cheval de mademoiselle A., un des hourdis s'est brisé.
Le cheval est tombé dans l'eau et s'est enlisé dans la vase.
Le cheval a été sérieusement blessé à la jambe droite.
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II Objet des actions
Mademoiselle A. postule l'indemnisation de son préjudice tant à l'encontre de mademoiselle
B. sur base de l'article 1880 du code civil et 1382 du code civil qu'à l'encontre de la commune
de GEER et de son assureur, la sc D., sur base de la responsabilité délictuelle( article 1382 et
1384 du code civil).A titre provisionnel, elle postule l'octroi d'une somme de 2500 euros et la
désignation d'un expert vétérinaire.
Les parties défenderesses concluent au non-fondement des actions intentées contre elles.
A titre subsidiaire, mademoiselle B. postule que la commune de GEER et la sc D. soient
condamnées à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre elle en principal,
intérêts et frais.
III Discussion
1.
Il ressort d'une lecture attentive des dossiers déposés que :
- mademoiselle B. montait le cheval de mademoiselle A. avec l'accord de cette dernière (cfr
audition de mademoiselle A. du 18/07/2001),
- à proximité immédiate de l'accident, il n'existait aucune signalisation (cfr audition de
mademoiselle A. du 18/07/2001, les attestations de mademoiselle … et de messieurs … ) ,
- le chemin du Geer est emprunté par tous, promeneurs, motos et chevaux (cfr audition de
mademoiselle A. en date du 18/07/2001, attestation du lieutenant Y., Chef de service de
société régional d'incendie de la ville de Waremme et le rapport de monsieur J.) bien qu'elle
soit renseignée par l'office du tourisme de la région liégeoise comme étant une promenade
pédestre.
- la promenade du Geer est un chemin public,
- le jour des faits, il n'existait aucun panneau d'interdiction de la promenade aux chevaux et
aucun panneau interdisant le franchissement du pont par des chevaux (cfr photos),
- le cheval, alors qu'il se trouvait dans le ru était couché sur flan gauche, position dans
laquelle il était nécessaire de l'aider à maintenir sa tête hors de l'eau (cfr attestation de
monsieur Y. du service régional d'incendie de la ville de Waremme);
2.
Il n'est pas contesté que mademoiselle B. montait le cheval de mademoiselle A. avec l'accord
de cette dernière.
Mademoiselle B. avait donc emprunté le cheval de mademoiselle A.
La responsabilité d'une partie contractante ne peut être engagée, sur le plan extra contractuel,
du chef d'une faute commise lors de l'exécution du contrat que si la faute qui lui est imputée
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constitue un manquement non pas à une obligation contractuelle mais à l'obligation générale
de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui qui résulte de la
mauvaise exécution du contrat (Cass. 14/ 10/1985, RCJB, 1988, 341).
Ainsi, quand une obligation n'a pris naissance qu'en vertu du contrat en y comprenant toutes
les suites que l'équité, l'usage et la loi donnent à l'obligation d'après sa nature, l'inexécution de
cette obligation ne peut donner lieu qu'à une responsabilité contractuelle.
Mademoiselle A. reproche à mademoiselle B. de ne pas s'être comportée comme toute
cavalière normalement honnête, diligente et prudente en franchissant le pont dont l'apparence
était peu « engageante ».
Ce faisant, mademoiselle A. reproche à mademoiselle B. une faute contractuelle: celle de ne
pas avoir veiller en bon père de famille à la garde et conservation de la chose prêtée (article
1880 du code civil).
De même, le dommage dont mademoiselle A. postule réparation n'est pas un dommage
étranger à l'exécution du contrat.
En effet, il est de jurisprudence que si seul le dommage prévu ou prévisible peut, en principe,
être réparé (article 1150 du code civil), il suffit que l'existence de ce dommage soit prévisible
indépendamment de sa prévisibilité quant à son montant.
En conséquence, l'action délictuelle diligentée contre mademoiselle B. est non fondée.
3.
L'emprunteur est tenu de restituer la chose dans l'état dans lequel il l'a reçue, sauf
détérioration résultant de l'usage normal (article 1884 du code civil).
S'agissant d'une obligation de résultat, l'emprunteur qui ne restitue pas la chose dans l'état où
il l'a reçue, ne pourra s'exonérer de sa responsabilité qu'en démontrant le
cas fortuit et son absence de faute dans la détérioration ou la perte.
Mademoiselle B. allègue que l'effondrement du pont est un cas fortuit.
Le cas fortuit est un événement extérieur au débiteur, irrésistible et imprévisible (Dalcq,
Traité de responsabilité civile, tome II, n° 2766).
Il est certain que « pas plus la notion d'irrésistibilité que celle d'imprévisibilité ne doit être
prise dans un sens absolu; il ne suffit pas qu'un événement présente une vague possibilité de
réalisation pour qu'on ne puisse le considérer comme imprévisible. L'imprévisibilité doit se
juger selon le degré de probabilité (Dalcq n°2782) ».
En l'espèce, l'effondrement du pont était raisonnablement imprévisible et irrésistible.
En effet, mademoiselle B. n'avait aucun moyen de calculer la résistance du pont et de savoir
que cette résistance était diminuée par le montage à l'envers des hourdis.
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Pour être exonérée de sa responsabilité encore faut-il que mademoiselle B. n'ait commis
aucune faute dans la genèse du cas fortuit et donc dans l'effondrement dupont.
Il convient donc de s'interroger si mademoiselle B. a ou non commis une faute en décidant de
franchir le pont.
Dès lors qu'il est acquis que mademoiselle B. cheminait sur un chemin public et donc ouvert à
tous, qu'il n'y avait aucun signal interdisant la promenade et le passage des chevaux sur le
pont, aucune faute n'est imputable à cette dernière.
En effet, elle a pu croire légitimement que ce pont pouvait être franchi en toute sécurité.
En outre, il ne peut être reproché à mademoiselle B. d'avoir contraint « son » cheval à
traverser un pont sous lequel coulait de l'eau alors que ce dernier avait particulièrement peur
de l'eau dans la mesure où d'une part cette crainte exacerbée de l'eau dans le chef de ce cheval
n'est pas rapportée à suffisance de droit et d'autre part la chute du cheval n'est pas due à un
écart effectué par le cheval dans un moment de panique; il n'y a donc aucune relation causale
entre ce comportement et l'accident tel qu'il s'est produit.
4.
La promenade du Geer fait partie du domaine public.
Par définition, il s'agit donc d'un bien destiné à l'usage de tous.
II n'est pas contesté qu'aucun signal C15 n'était présent sur la promenade du Geer; les photos
versées aux débats le confirment.
C'est donc erronément que la commune de GEER et la sc D. affirment que la promenade du
Geer est exclusivement pédestre.
La présence de panneaux didactiques d'information sur la faune et la flore locale ne rendent
pas, ipso facto, le chemin pédestre.
Il ressort du dossier photographique que la topographie des lieux à l'entrée de la promenade et
à l'endroit de l'accident est d'une largeur suffisante pour la promenade à cheval et même en
quad.
Les pouvoirs publics ont l'obligation de parer en permanence à tout danger anormal (caché ou
apparent) pouvant tromper la légitime confiance des usagers de la voie publique.
Le fait de négliger les impératifs de cette obligation de sécurité (article 135 de la loi
communale) constitue une faute.
L'autorité « gardienne » de la voie publique est aussi responsable des dommages occasionnés
par les vices de celles-ci.
Ainsi, les autorités communales ont l'obligation de n'établir et de n'ouvrir à la circulation que
des voies suffisamment sûres.
Si la commune de Geer estimait que la promenade du Geer n'était accessible qu'aux piétons, il
lui appartenait de faire apposer une signalisation ad hoc (signal C 15).
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En effet, une promenade pédestre balisée autorise le passage d'un cavalier circulant à côté de
sa monture (annexe à l'arrêté du gouvernement wallon du 29/02/96.)
Le principe selon lequel l'usager reste le premier garant de sa sécurité doit être appliqué de
manière raisonnable, sous peine de voir les pouvoirs publics perpétuellement s'exonérer de
leur responsabilité.
On ne peut exiger d'une cavalière qu'elle puisse à vue d'oeil repérer le mauvais
positionnement des hourdis constituant un pont, qu'elle sache que la pose à l'envers des
hourdis réduit la résistance de ceux-ci à une charge, qu'elle imagine que des hourdis en béton
ne peuvent supporter le poids d'un cheval.
En conséquence, la commune de GEER et son assurance, la sc D. doivent réparer le préjudice
subi par mademoiselle A. .
5.
Mademoiselle A. produit de nombreux justificatifs de ses débours.
Le dossier photographique est éloquent quant aux blessures subies.
Aussi, ainsi que demandé en termes de plaidoirie, sera-t-il alloué, à titre provisionnel, une
somme de 2500 euros et une expertise.
(Dispositif conforme aux motifs)
…
Du 16 juin 2003 – Civ. Liège (6ième Ch.)
Siég.: Mme E. Rixhon
Greffier: Mme V. Kaye
Plaid.: Mes L. Henrard , J.L. Wenric et O. Lapp (loco G. Remy).
Publié par le Tribunal de1ère Instance de Liège 2004-003
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