Quand Rue se souciait de ses gens

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Quand Rue se souciait de ses gens
7
Glâne
La Gruyère / Mardi 29 septembre 2009 / www.lagruyere.ch
Quand Rue se souciait de ses gens
PARUTION. Brigitte
Kauffmann s’est plongée avec passion, et
talent, dans les archives
de la ville. Le résultat:
un petit bijou de livre
qui éclaire la période de
1721 à 1948 à Rue.
MARIE-PAULE ANGEL
Fouiller dans les archives de
Rue, dont on dit que c’est la
plus petite ville d’Europe, et
déboucher sur le constat que
la mémoire collective d’une
communauté n’appartient pas
qu’à elle seule, mais revêt une
dimension universelle: tel est le
constat, original, de Brigitte
Kauffmann.
La conseillère communale
s’est livrée à un travail de bénédictin durant près de sept
ans. De ses recherches, de son
regard passionné, intrigué, aiguisé et curieux de la nature
humaine, est né un petit bijou
de livre sur Rue.
Sa parution, aux Editions
LEP, Loisir et Pédagogie, au
Mont-sur-Lausanne, est imminente. Juriste, sociologue de
formation et professeure à
l’Ecole professionnelle commerciale de Lausanne, Brigitte
Kauffmann, qui est d’origine alsacienne, est aussi, et d’abord,
une humaniste au sens des anciens: une attitude d’esprit qui
met l’homme au centre de toutes les interrogations. Cette
touche fait toute la force, le
charme, l’intérêt de cette chronique historique recouvrant la
période 1721-1948.
Du particulier à l’universel
A Rue depuis une vingtaine
d’années – elle vit dans le village
de Blessens – et conseillère
communale depuis dix-sept ans,
Brigitte Kauffmann s’est plongée
dans les archives pendant ses
loisirs, «à temps perdu».
«Avant 1721, ces archives
sont en très mauvais état. C’est
pourquoi j’ai situé mes recherches après. Je me souviens que
je posais un linge sur ma table
de lecture pour ne pas abîmer
les documents. Plus je lisais,
plus je me disais: “il faut que
j’en fasse quelque chose!” Au fil
de mes découvertes, j’ai réalisé
que cette mémoire collective
extraordinaire n’appartenait
pas qu’aux gens de Rue, mais
tendait vers l’universalité.»
C’est toute la raison d’être
de ce livre: transmettre, audelà de l’anecdote historique très locale, le mode de
faire des autorités politiques
de l’époque. Celles-ci s’impliquaient dans la vie quotidienne des habitants, parfois de
manière très intrusive (voir cidessous), mais toujours avec le
souci du bien commun, en
fonction, bien sûr et parfois
hélas, des critères moraux et
religieux des temps.
Dès 1948, s’amorce un virage (d)étonnant, avec l’avènement progressif de la société
de consommation et, pour
conséquence, une individualisation de la vie collective, donc
un retrait de la commune
quant à son souci du quotidien
des gens.
Changement de société
«Au-delà de 1948, les procèsverbaux ne sont humainement
plus “intéressants”. Il n’est plus
question que d’impôts, de règlements», estime l’auteure.
Dès lors, elle a dû trouver une
structure, donner un sens à
toute cette riche matière. Livrer ces Quelques moments de
l’histoire 1721-1948, tels quels,
sans mise en perspective, n’aurait été qu’une enfilade d’anecdotes, intéressante pour les
seuls habitants de Rue.
Aussi Brigitte Kauffmann at-elle opéré le choix de ne retenir que les textes qui reflétaient
la vie quotidienne, en recourant à des textes de «décoffrage». Ancrés dans des faits et
événements suisses et fribourgeois, ces derniers mettent en
exergue les extraits choisis des
«manuaux» des autorités communales et les articulent dans
la logique sociale d’une époque.
Ne rien acheter ni jeter
Ce qui a le plus interpellé
Brigitte Kauffmann, c’est le
côté «intrusif» des autorités
communales dans la vie des
gens, inimaginable aujourd’hui.
«On était dans une société de
subsistance, on n’achetait ni ne
jetait rien. La pauvreté était immense.»
Elle évoque Marie Rouanet,
femme écrivain française qui
parle de la même chose dans
ses livres. «Elle raconte que
l’on conservait les encadrements des timbres pour les utiliser comme “scotch”. Tout
était recyclable avant l’avènement de la société de consommation, celle qui a rimé avec jeter.» Dès 1948, en effet, on
passe à une économie de société de consommation. La
guerre est finie. La vie reprend,
le modèle américain fait école,
l’argent afflue.
Les retours de balancier de
l’histoire donnent raison à la
démarche de Brigitte Kauffmann. «La misère, celle qui
préoccupait les autorités d’autrefois, est toujours là, terrifiante, immense, mondialisée,
mais bien cachée dans nos sociétés. La moitié de l’humanité
vit avec moins de deux dollars
par jour. Les communes ne se
préoccupent plus de la vie privée des gens. L’Etat a repris
une partie de leur rôle, sur le
plan social». Mais «l’Etat», ici,
est un terme à comprendre au
sens général, tous les gouvernements n’ayant sans doute
pas, partout, le même souci du
«social»… ■
Quelques moments de l’histoire
1721-1948, regards croisés sur la
vie publique et privée d’une ville
de Suisse romande, Rue, dans le
canton de Fribourg, Editions LEP.
A paraître ces jours
Brigitte Kauffmann met en perspective le virage entre société d’économie de subsistance, avec omniprésence
communale, et société de consommation, avec retour à l’individualisme. CLAUDE HAYMOZ
La morale comme fil conducteur
La touche
sensible
On lit que, le 17 juin 1722, «on a donné par
charité à Pierre Levet 4 écus pour l’aider à
acheter une vache pour la sustension de
ses enfants». Ou qu’un certain «Dutoit a été
condamné à l’amende de dix baches pour
l’arrogante réponse que sa femme a faite au
syndic» (3 juillet 1722)! Ou encore que l’on
a accordé (23 novembre 1794) «aux huit incendiés d’Etagnières, baillage d’Echallens,
en vue de leur malheur, un petit écu des
biens bourgeoisiaux». Comme quoi on se
souciait de la détresse d’autrui.
On apprend aussi, par courrier de la Préfecture, qu’une certaine Marie, ressortissante de Rue, a accouché d’un fils illégitime
dans une maison où elle a reçu l’hospitalité
près d’Estavayer. «Comme il se constate
que cette fille est à sa troisième faute, M. le
Préfet la condamne, en vertu du titre 3,
art.16 de la dite ordonnance, à une déten-
Graphiste de métier, Daniel Will,
compagnon de Brigitte Kauffmann,
a apporté son concours à l’orchestration du livre. Il en a dessiné et
peint la plupart de toutes les illustrations, le livre étant par
ailleurs ponctué de quelques
reproductions de documents
historiques officiels et de
photographies.
Ces dessins et peintures, au réalisme fort, confèrent la touche de sensibilité,
accentuent la portée humaniste
de cet ouvrage de 80 pages
qui, du coup, s’impose comme une création qui a son âme propre et sa dimension esthétique et artistique. MPA
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Presque dans le lit des gens
La commune se souciait des gens jusqu’à
entrer dans leur lit, ou presque. «Puisque
Anne Terreaux, accoucheuse, est dans un
âge fort avancé et presque impotente, il lui
À L’AGENDA
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● CHÂTEL-SAINT-DENIS
Bibliothèque
de la Veveyse:
lecture de contes pour les
enfants. Me 16 h 15.
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À 14 min de l’autoroute, sortie Bulle - Gruyères
tion en maison de correction pendant deux
ans à ses frais.»
Cette «anecdote» (16 août 1827) révolte
Brigitte Kauffmann. Qui «rééquilibre» la dureté de ce jugement moral avec des extraits
mortuaires des colons fribourgeois ayant
tenté de fuir la crise économique et agricole
des années 1816 et 1846 en cherchant meilleure fortune dans le Nouveau Monde: «Dervey Pierre, père de famille 36 ans, Promasens, 15.09.1819. Lieu de sépulture: océan».
Suivent les noms d’une dizaine de gens de
ce village, dont plusieurs enfants, tous
morts en mer en rêvant de l’Eldorado…
LE MOLÉSON
MOLÉSON
RANDONNÉES • FOLKLORE • RENCONTRES
● ROMONT
Librairie La Rumeur:
soirée lecture. Ma 20 h.
EN BREF
sera signifié qu’elle ait à dresser Marie,
femme de Pierre Levet, maréchal, faute de
quoi sa pension lui sera retranchée.»
On apprend aussi avec curiosité que médecin et vétérinaire, c’était pareil en 1794…
«On a accordé à Emmanuel, en vue de l’art
de la médecine et de la chirurgie, tant pour
le genre humain que pour le bétail auquel il
dit vouloir se vouer et en considération de
ce que, par là, il se rendrait très utile à la société, de ce qu’il n’est pas moyenné un écu
par mois»…
Les ravages de l’alcoolisme, dernier
opium du peuple, étaient aussi au centre
des préoccupations. En 1934, Joséphine Dupraz demande un préavis pour ouvrir un débit de vin à l’emporter, ce que la commune
lui refuse, persistant et signant contre l’autorisation délivrée la même année à Marie
Vaucher… MPA
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Hip-hop en Pologne: la Romontoise s’est bien défendue
La Romontoise Any Monteiro Borges, 19 ans, qui a participé, en solo, aux
championnats du monde de hip-hop à Kalisz (Pologne), la semaine passée,
s’est classée au 22e rang, mais… face à 119 concurrents! Une performance
encourageante pour une «première». «C’était assez difficile par rapport à la
Suisse, mais l’événement était exceptionnel, l’ambiance géniale», dit Any,
encore sous le coup de ce long périple (La Gruyère de samedi). Le premier
Suisse à s’être distingué serait un Morgien, selon Any, le duo bullois Nesly
L’Singi et Clara Forcella s’étant positionné au milieu du classement. MPA