Stop à la flexion latérale (Side Bends)

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Stop à la flexion latérale (Side Bends)
Abdos et « poignées d’amour » : Stop à
la flexion latérale (Side Bends) !
Tout le monde a déjà vu au moins une fois le sketch de Gad Elmaleh
« L’haltérophilie » dans lequel l’humoriste réplique « mais pourquoi tu fais
ça ? » Je pourrais poser la même question à tous les pratiquants d’un
mouvement parmi les plus répandus dans les salles de musculation, auquel on
pense lorsqu’on souhaite perdre ses fameuses « poignées d’amour » et
travailler ses abdominaux : la flexion latérale (ou side bends en anglais).
En position allongée et encore plus en station debout, cet exercice à la mode
présente des dangers bien plus importants qu’on ne l’imagine. A l’heure où
l’on parle de plus en plus de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS), de mal de
dos, d’ergonomie, de mouvements fonctionnels, de posture … vous êtes encore
trop nombreux (et nombreuses !) à vous employer à ce mouvement, qui, malgré
des recommandations, est encore présenté sur des sites, des livres de
musculation spécialisés et des contenus de formation. En constatant le
rapport bénéfices/contraintes de cet exercice, comme certains avant moi ont
pu le faire pour les crunchs, vous comprendrez mieux qu’il est également
temps de laisser de côté ce véritable « danger public » … Et qu’il existe
d’autres alternatives bien moins dangereuses et nettement plus efficaces
(vidéo à la fin de l’article).
Sommaire
1. Description du mouvement
2. Rapport bénéfices/contraintes de la flexion latérale de buste
3. Quels mouvements sont préconisés ?
4. Circuit « Core training »
5. Références
Description du mouvement
La flexion latérale en position debout consiste dans une position stable, dos
droit, pieds écartés de la largeur du bassin, à réaliser une inclinaison du
buste : d’un côté puis de l’autre si il est réalisé à poids de corps; ou du
côté opposé à la masse si il est effectué avec une charge.
Différentes variantes existent parmi lesquelles :
Variante 1 : le mouvement peut également s’effectuer allongé(e) latéralement
en appui sur le flanc, au sol ou sur un banc. Les jambes sont le point fixe
vers lequel le buste est dirigé, la jambe du dessus est fléchie à 90° pour
gagner en stabilité lors de l’exécution (relevés latéraux de buste).
Variante 2 : allongé(e) sur le dos, les genoux fléchis, buste relevé et
omoplates décollés du sol (pour la mise en tension de la zone abdominale), on
peut de la même manière réaliser une succession d’inclinaison latérale du
buste en allant par exemple chercher ses talons ou ses pieds avec ses mains.
Par cet exercice d’isolation et ses variantes, les muscles qui semblent
ciblés sont : les muscles obliques (pour tous), le carré des lombes et les
lombaires (pour l’exercice principal).
Toutefois des recommandations sur les précautions à prendre et les contreindications sont mentionnées dans les sites, à l’image du site Superphysique
de Rudy Coia, ou dans les livres spécialisés. Frédéric Delavier, auteur que
l’on ne présente plus, apporte sur ce point une attention toute particulière
(figure 1).
Figure 1 – Recommandations sur
l’inclinaison latérale du buste avec
haltère, extraites du livre « La méthode
Delavier de musculation »
Pour autant, l’exercice reste proposé et les adeptes toujours plus nombreux.
Les résultats obtenus par la pratique régulière de cet exercice seraient-ils
si remarquables face aux risques encourus ?
Pour Delavier, les dangers proviennent surtout du va-et-vient qui « comprime
inutilement la colonne vertébrale. » Pour lui « il est préférable de tenir un
seul haltère, et d’incliner le buste du côté opposé à l’haltère. »
Suffisant ? C’est ce que nous allons voir …
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Rapport bénéfices/contraintes de la flexion latérale de buste
Voyons cela selon différents points de vue :
Au niveau anatomique et biomécanique
Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, quatre
facteurs biomécaniques sont déterminants dans la survenue des TMS :
la
la
la
la
posture
répétition
charge
durée de l’activité
Au vu du premier facteur indiqué à savoir la posture, pensez-vous que la
flexion latérale amène à une position correcte ?
Aussi, concernant la répartition des charges en station debout au niveau de
la colonne vertébrale, et plus particulièrement au niveau de l’étage lombaire
sur laquelle repose le poids de la tête, des bras et du tronc, elle
représente sur le disque L5/S1 une charge d’environ cinquante kilos (charge
estimée pour un individu d’environ soixante quinze kilos). Dans cette
position « la courbure lombaire naturelle (lordose) ménage une répartition
équilibrée des pressions au niveau du disque, et les tensions des ligaments
sont les plus faibles. »
En cas de flexion et de rotation du tronc, il faut dès lors comprendre que
les pressions exercées sur les disques sont multipliées, et peuvent atteindre
plusieurs centaines de kilos ! Et sans port de charge. Je vous laisse donc
imaginer avec … Pour vous en convaincre, vous pouvez consulter les études de
Hindle et al., Seroussi et al.
Sans parler des contraintes biomécaniques sur les structures anatomiques,
voire des atteintes des structures de soutien comme le ligament ilio-lombaire
(LIL), véritable hauban de la charnière lombo-sacrée (vidéo) dont le rôle
principal est d’éviter le glissement de L4 sur L5 et L5 sur S1 (Chow et al.,
Leong et al.), les modifications de courbures, l’instabilité du bassin et
toutes les réactions en chaîne que cela peut engendrer en terme d’incidences
tant sur l’intégrité physique que sur la performance globale.
En détail, la simple rotation du tronc provoque un cisaillement des fibres de
l’anneau du disque L5/S1. Mais si elle est combinée à la flexion, les
conséquences sont :
augmentation du cisaillement des fibres de l’anneau
augmentation de la pression sur le disque (effet de bras de levier)
inversion de la courbure du dos
pincement de la partie antérieure et latérale du disque
étirement de la partie postérieure et latérale du disque
Si on reprend l’exécution de la flexion latérale, elle est le parfait exemple
de ce qu’il ne faut absolument pas faire, surtout si on s’oblige à une
rotation supplémentaire du buste pour obtenir la contraction volontaire de
l’oblique sollicité. Et peu importe que l’on tienne seulement un ou deux
haltères. La recommandation de Frédéric Delavier n’est donc pas fondée (Jäger
et Luttmann).
Selon la logique d’entraînement
La colonne vertébrale ne doit donc pas être soumise à de telles contraintes
dans l’entraînement comme dans la vie courante, si il est nécessaire de le
rappeler. Mais au contraire, il est impératif de la protéger contre toutes
les déformations auxquelles elle est sujette (pourquoi lui en rajouter ?). Et
d’en assurer son bon maintien en entraînant toute la structure musculaire
soutenant le rachis dans une logique de « core training » (terme utilisé par
les anglo-saxons pour signifier l’entraînement du gainage).
Le « core » considéré comme le pilier de la force dont la fonction en plus
d’assurer un bon maintien de la colonne vertébrale, est d’assurer
« efficacement le lien, le long de la colonne, entre la stabilité des hanches
et celle des épaules […] Le but est de faire de ce core un pilier
indéformable […] qui permettra, en revanche (des incidences sur la
performance globale et l’intégrité physique précédemment citées), de propager
le mouvement et ses énergies motrices avec efficience. » (Del Moral)
Comme Benjamin Del Moral le précise dans son livre vers lequel je vous
renvoie, on ne doit pas « pour autant abandonner complètement les mouvements
en rotation […] car […] dans l’approche articulation par articulation (voir
mon précédent article sur l’entraînement fonctionnel) […], une partie du
tronc requiert de la mobilité : la colonne vertébrale à l’étage thoracique. »
Au contraire de l’étage lombaire qui doit lui, être entraîné en stabilité et
non en mobilité. Au vu des explications précédentes, cela s’explique
clairement.
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La dangerosité des inclinaisons latérales en position debout, réalisées à
poids de corps ou avec haltères est donc clairement identifiée. Celle de ses
variantes même à un niveau moindre, reste embarrassante tant par les aspects
que nous venons d’aborder, que par leurs exécutions, terrain favorable à
des compensations (placement de la tête, gestion des instabilités, inconfort
de position).
De la même manière, il est important de vous mettre en garde contre les
mouvements réalisés en flexion et en rotation de buste à la machine. Vous
devez vous imposer une limite dans vos mouvements et, éviter toute
exagération en terme d’amplitude comme en terme de charge.
N’oubliez pas que la qualité et la régularité primeront toujours sur la
quantité.
Figure 2 – Flexion de buste à la machine
Quels mouvements sont préconisés ?
Oubliez donc les crunchs, les flexions et les rotations de buste à outrance.
Car il existe d’autres mouvements pour solliciter vos poignées d’amour et vos
abdominaux, de manière tellement moins dangereuse, plus fonctionnelle et
particulièrement efficace.
Je vous propose pour cela un circuit d’exercices qui tient compte de toutes
les recommandations vues jusque là et qui je vous l’assure vous apportera de
bien meilleurs résultats. Et même pas besoin d’haltères, ni de machines !
Les seuls matériels utilisés sont : un mini-élastique et un tapis de sol. Et
pour les plus confirmés d’entre vous des sangles de type « TRX » (une vidéo y
sera prochainement consacrée).
Figure 3 – Mini-élastiques (que vous
pouvez vous procurer via Physiques
Performance, Sci-Sport ou tout autre site
marchand)
Circuit « Core training »
Démarche : en partant de notre logique d’entraînement « core training », les
mouvements basés sur un gainage statique et/ou dynamique sont la parfaite
alternative à cette problématique. Suite à tout ce que nous avons évoqué,
vous comprenez bien que les exercices qui vont suivre proposent :
comme point fixe : le tronc (et plus particulièrement la zone lombaire)
qui devra être le/la plus stable possible quelques soient les
contraintes que nous allons lui imposer
comme point mobile : les hanches et les membres inférieurs qui vont nous
permettre de solliciter les muscles et les chaînes musculaires en
question
Exercices : le circuit est composé de trois mouvements de gainage enchainés :
gainage ventral « Spiderman » (Spiderman Plank) avec activation du
muscle transverse
gainage latéral « V » (exercice similaire à Oblique V-up) (côté droit et
côté gauche)
gainage dorsal « I-V » (Reverse Hyper I-V)
Réalisation : 3 à 4 séries de 45 secondes à 1 minute de travail par exercice
en minimisant au maximum les temps de récupération.
Variantes : vous pouvez bien entendu changer l’ordre des exercices,
travailler exclusivement de manière statique (isométrique) ou bien alterner
des phases isométriques et des phases dynamiques … etc
A noter :
Cet exemple d’enchaînement est à réaliser de préférence avant chacune de
vos séances pour bénéficier de son principe d’activation des muscles du
« core ».
Si vous êtes initié(e)s ou si vous présentez une fragilité au niveau de
vos genoux, je vous recommande de placer votre mini-élastique juste au
dessus de ces articulations. Cela sera plus facile et moins contraignant
que l’élastique situé au niveau de vos chevilles.
Pour le gainage latéral, vous débuterez toujours par votre côté faible
pour « calibrer » et effectuer le même temps qu’avec votre côté fort.
N’oubliez pas d’exercer votre transverse régulièrement, en fin de séance
par exemple. Les moments respiratoires nécessaires à son renforcement
sont une excellente entrée en matière pour un retour au calme.
Dans une démarche de progression, et pour éviter de faire toujours la
même chose, il est recommandé de varier régulièrement les méthodes et
les exercices, ce sur quoi les modalités de l’entraînement sont
(normalement) conçues.
Vidéo :
Pour vous permettre de mieux comprendre l’enchaînement des exercices et les
consignes, je vous invite à visionner la vidéo qui suit :
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A la lecture de cet article, vous devriez avoir une réponse claire à la
question posée en introduction. Cette publication reste bien entendu une
énième recommandation à la manière de Rudy Coia sur son site, ou de Frédéric
Delavier dans son livre. Libre à vous d’en tenir compte ou non. Seulement, si
vous préférez l’esthétisme et la facilité, plutôt que la santé et
l’efficacité peut-être qu’un jour en revoyant ce sketch, vous vous direz (ce
que je ne vous souhaite évidemment pas) : « mais pourquoi j’ai fait ça,
vraiment. »
N’hésitez pas à poser toutes vos questions et à discuter de cet article en
laissant un commentaire.
Références
Chow DH, Luk KD, Leong JC, Woo CW. Torsional stability of
the lumbosacral junction. Significance of the iliolumbar ligament. Spine
(Phila Pa 1976)., 14(6):611-5, 1989.
Delavier F. La méthode Delavier de musculation : volume 2. Vigot, 2010.
Del Moral B. Préparation physique : Prophylaxie et performance des qualités
athlétiques. Physiques Performance, 2016.
Hindle RJ, Pearcy MJ, Gill JM, Johnson GR. Twisting of the human back in
forward flexion. Proc Inst Mech Eng H., 203(2):83-9, 1989.
Jäger M, Luttmann A. The load on the lumbar spine during asymmetrical bimanual materials handling. Ergonomics., 35(7-8):783-805, 1992.
Leong JC, Luk KD, Chow DH, Woo CW. The biomechanical functions of the
iliolumbar ligament in maintaining stability of
the lumbosacral junction. Spine (Phila Pa 1976)., 12(7):669-74, 1987.
Seroussi RE, Krag MH, Muller DL, Pope MH. Internal deformations of intact and
denucleated human lumbar discs subjected to compression, flexion, and
extension loads. J Orthop Res., 7(1):122-31, 1989.
Internet
Anatomie 3D Lyon : chaîne Youtube
Site internet de l’European Agency for Safety & Health at Work
: https://osha.europa.eu/fr
Site internet Superphysique : http://www.superphysique.org
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d’inclure un lien nominatif vers celui-ci. La copie intégrale sous quelque forme que ce soit (site
internet, forum, format papier …) ne peut-être autorisée que suite à un accord préalable écrit de Olivier
Allain.