Perspectives sur la retraduction - DOCT-US
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Perspectives sur la retraduction - DOCT-US
78 DOCT-US, an II, nr. 2, 2010 Perspectives sur la retraduction Daniela Pintilei Université ùWHIDQFHO0DUH Suceava, Roumanie [email protected] Abstract: As a recurrent phenomenon of translation practice, re-translation is an iterative and prolific act, with a particular statute in the field of translations studies, having as a purpose the re-evaluation of the original text. Having the meaning of variant or new translation, the re-translation represents a return through detour from the first translation, “illusion” that in this process would be hidden the meaning of the original. From a teleological point of view the translation stands out from re-translation, the former being due more to external agents (caducity, ageing of the source text), while, in addition, the second seeks to internal agents (the improvement, the betterment of the source text). Act of a remarkable potentiality, the re-translation sends to the plural reading, standing for all new possible versions in the target language, intensifying and reiterating the original text to infinity, ensuring its immortality. Keywords: translation, re-translation, turning, rounding, plural reading, source language, target language. Phénomène récurrent de la pratique traduisante, la retraduction est un domaine d’une grande complexité qui mérite et exige un traitement à part dans le domaine théorique de la traduction. La retraduction est, d’une part, une nouvelle traduction, dans une même langue, d’un texte déjà traduit, en entier ou en partie. Elle est liée à la notion de réactualisation des textes, déterminée par l’évolution des récepteurs, de leurs goûts, de leurs besoins, de leurs compétences… D’autre part, Le Grand Robert (édition de 1993) 1 attribue à ce terme aussi le sens de « traduction d’un texte lui-même traduit d’une autre langue » : la retraduction serait donc l’étape ultime d’un travail réalisé grâce à un intermédiaire, à un texte-pivot. Cette deuxième traduction – ou traduction de traduction – n’est pas rare : elle permet l’accès à des languescultures peu répandues – par exemple un ouvrage en arabe égyptien rendu en finnois via une version anglaise, un film indonésien soustitré via un dialogue déjà adapté en une langue étrangère. Un autre cas serait l’interprétation simultanée par relais (par exemple grec-françaisportugais). Selon Le Dictionnaire Hachette (édition 2004) 2, le terme retraduire réunit deux sens : le premier est de « traduire de nouveau » et le 1 Le Grand Robert, Paris, 1993, p. 1304. 2 Le Dictionnaire Hachette, Paris, 2004, p. 1390. deuxième « traduire un texte qui est lui-même une traduction ». Ces deux types de retraduction se distinguent encore de la rétrotraduction, qui consiste à traduire de nouveau une traduction vers sa langue de départ, à replonger un texte à sa source pour vérifier les correspondances, la validité des choix opérés par le traducteur (par exemple, traduction anglaise d’un texte allemand, retraduit en allemand). Le terme est de plus en plus véhiculé dans la pratique traduisante avec le sens de « nouvelle traduction ». Dans son livre, 'LFĠLRQDU FRQWH[WXDO GH termeni traductologici 3 0DULD ЭHQFKHD UpXQLW plusieurs extraits des ouvrages des traductologues afin de rendre le mieux le phénomène de retraduction, parmi lesquels celle d’Henri Meschonnic : « le signe […] de la nécessité d’une poétique du traduire est le groupement des grandes traductions autour des grands textes, c’est-à-dire ceux qui ont inventé une poétique qui reste nouvelle […] et qui constituent indéfiniment des injonctions à les continuer, à les recommencer. Il y a cette reprise toujours du traduire pour Homère, la Bible, Dante, Shakespeare, parmi d’autres » 4. 3 Maria ЭHQFKHD 'LFĠLRQDU FRQWH[WXDO GH WHUPHQL traductologici7LPLЬRDUD(GLWXUD 8QLYHUVLWăĠLLGH9HVW p. 159-160. 4 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, Lagrasse, 1999, p. 53. ЫWLLQЮHVRFLR-umane Il est important de signaler qu’on parle le plus souvent de la retraduction dans ce sens de version, de variante nouvelle de traduction dans un contexte littéraire. Lorsqu’il s’agit de traduire une œuvre littéraire, on remarque la tendance quasi naturelle de « rafraîchir » sa traduction et à redémarrer l’acte traductif, surtout quand il s’agit d’une œuvre littéraire qui suscite l’intérêt du public-cible. Mise en rapport avec la traduction dont elle dérive, la retraduction désigne et légitime en même temps toutes les traductions parues après qu’une première version d’une œuvre en langue étrangère a déjà été élaborée dans une langue-culture d’arrivée. En fait, il n’y a qu’une seule véritable traduction d’un texte donné, la première : les versions ultérieures sont, strictement parlant, des retraductions (surtout si on suit une analyse contrastive des termes). Tandis que la traduction est comparée avec l’original, la retraduction est comparée, à la fois avec l’original et avec la/ les traduction(s) qui lui précèdent. L’acte du retraduire propose, donc, une nouvelle traduction d’un texte littéraire, en fonction de l’évolution de la langue, d’une nouvelle lecture et compréhension du texte original, du changement du niveau d’attente du public cible. Ces derniers temps, le phénomène de la retraduction est de plus en plus fréquent et actuel, surtout au cas des textes qui ont déjà un certain âge et dont la première traduction est marquée par la caducité d’une langue qu’elle a fixée et qui ne cesse d’évoluer. Dans ce sens, la traduction « vieillit » plus vite que l’original, elle peut devenir surannée, désuète. Une traduction est dans son organisation et dans sa manière de signifier l’émanation d’une sensibilité, d’une culture. C’est pour cela que la traduction, cette « œuvre ouverte, écrite sur les sables mouvants de l’évolution des langues, des cultures et des [notre traduction] renvoie civilisations » 5 toujours à une autre lecture. La perspective de la lecture plurielle, de la série ouverte suppose la reconstruction de l’original dans une autre cartographie, la plantation dans une terre différente l’arbre d’un autre climat. Et de ce point de vue du lecteurtraducteur il faut envisager l’acte du traduire comme un acte qui n’est jamais fini, il est reconstitué, redéfini dans d’autres contextes, d’autres expériences, d’autres mémoires. De ce point de vue, l’exercice des rééditions et des transformations proposées par le même traducteur est justifié. 5 Irina Mavrodin, Literal ЬL vQ WRDWH VHQVXULOH , Craiova, Ed. Scrisul Românesc, 2006, p. 31. 79 Le désir de se conformer aux nécessités nouvelles de la culture d’accueil motive les retraductions, qui manifestent ainsi la relativité des traductions dans l’histoire et l’aspect fondamental de la traduction, son historicité. L’analyse des traductions, dans l’esprit d’Antoine Berman, dans leur succession historique a mené à l’utilisation du concept de retraduction, « pour désigner les traductions consécutives », phénomène retenu aussi par Georgiana Lungu Badea 6. Suivant l’usage qu’en fait Antoine Berman dans ses écrits sur la traduction 7, Yves Gambier 8 affirme qu’une première traduction a toujours tendance à être plutôt assimilatrice, à réduire l’altérité au nom d’une certaine lisibilité. « La retraduction dans ces conditions consisterait en un retour au texte-source » 9. Cela nous renvoie aussi à son aire sémantique, puisque « re » indique à la fois « un mouvement en arrière, […], la répétition […] le renforcement, l’achèvement » 10. Il y a dans ce processus « une illusion », la supposition que le sens est déposé dans le texte de départ, qui est considéré comme immuable. En fait, ce rapprochement du texte source n’est possible que parce qu’il y a déjà eu la premiere traduction. La retraduction est donc un « retour » indirect : « on ne peut tenter une autre traduction qu’après une période d’assimilation qui permet de juger comme inacceptable le premier travail de transfert ». Même si la retraduction n’est pas une simple découverte, elle l’est dans la mesure de son effort de rapprochement littéral : « elle découvre une écriture recouverte par les normes et conventions de la langue d’arrivée». Toute traduction serait alors un « détour » de l’original. S’il y a retour (donc retraduction) c’est par le détour de la premiere traduction, elle-même souvent ouvrage de détournement. Le retour au texte original est tributaire à de divers facteurs : nouveaux outils théoriques de la littérature, nouvelles approches sociologiques de la réception, une conscience linguistique différente qui accorde un autre statut aux langues actuelles, qui ressent différemment les variations et les niveaux de langue, qui définit de nouveau l’acceptabilité de telles formes, de tels mots, de telles tournures etc. 6 G. Lungu Badea, 7HQGLQĠH vQ FHUFHWDUHD WUDGXFWRORJLFă, (GLWXUD8QLYHUVLWăĠLLGH9HVW7LPLЬRDUDS. 7 Antoine Berman , Pour une critique des traductions: John Donne, Paris, NRF, 1995, p. 57. 8 Yves Gambier, « La retraduction, retour et détour » in Meta: Translators’ Journal, vol. 39, no 3, 1994, p. 413-417. 9 Souligné par l’auteur. 10 Cf. Le Petit Robert, Paris, 1993. 80 Les chercheurs se posent alors la question si les différents facteurs invoqués pourraient définir des stratégies particulières de retraduction, question qui reprend le rapport du traducteur aux versions qui le précèdent (ou le manque d’un tel rapport). A cela s’ajoute l’éloignement dans le temps de cet original et les conditions et les contraintes inconnues de la retraduction. Loin de dissiper le flou sur le terme de retraduction, nous constatons qu’il renvoie à l’alchimie même de l’acte du traduire, de processus jamais fini. Les différentes explications de ce phénomène, la série de traductions est une manifestation de la subjectivité du traducteur et un terrain d’investigation de prédilection pour examiner les traces que le traducteur laisse dans son texte. Les spécialistes s’accordent à dire que toute traduction est subjective, que la langue évolue vite, que le goût et la sensibilité d’une époque se font sentir dans chaque version, voire que toute traduction est historique et toute retraduction l’est aussi. Ni l’une ni l’autre ne sont séparables de la culture, de l’idéologie, de la littérature, dans une société donnée, à un certain moment de l’histoire. A quelques décennies de distance on peut constater que telle ou telle traduction est « poudrée » excessivement ou « expurgée » des passages importants, ou une autre version privait le texte de quelques passages considérés trop érotiques, tandis que de nos jours on a la tendance à l’authenticité ou à l’étrangeté de la traduction et dans ce cas une retraduction s’impose impérativement. Une définition pertinente de la retraduction repose sur le rapport instauré entre l’original, la première traduction et les versions disponibles ou possibles du même original. En tant que processus, retraduire désigne l’opération par le biais de laquelle on reprend un texte en langue étrangère déjà traduit et on choisit, par une multitude de raisons, d’offrir au lecteur-cible une nouvelle version de ce dernier. Elzbieta Skibinska, distingue dans un article 11 la subordination de la retraduction à deux sortes de facteurs qui peuvent être conçus externes à la première traduction ou internes à celle-ci. Conçu comme facteur externe, le caractère « historique » est valable pour toute traduction littéraire. La nécessité d’une réactualisation du texte traduit, considéré comme vieilli entraîne le renouvellement de la traduction de certaines œuvres. 11 Elzbieta Skibinska, « La retraduction, manifestation de la subjectivité du traducteur » in Doletiana, revista de traducció literatura i arts, http://webs2002.uab.es/doletiana/Catala/ Doletiana1/Doletiana1.html, consulté le 12.10.2010. DOCT-US, an II, nr. 2, 2010 L’existence des traductions successives se voit expliquée aussi par des facteurs internes à la traduction. Un de ces facteurs est le processus d’intégration de l’œuvre traduite dans la culture d’arrivée. Et ce processus se fait en plusieurs étapes. C’est pour cela que les traductologues s’accordent à dire qu’il y a des différences essentielles entre les premières traductions et les retraductions. La première traduction ne serait qu’une introduction de l’original et elle procède souvent à une naturalisation de l’œuvre étrangère ; elle tend à réduire l’altérité de cette œuvre afin de mieux l’intégrer à une autre culture. La retraduction, au contraire, ne cherche plus à atténuer la distance entre les cultures. « Le dépaysement » culturel est intelligemment assuré. Les deux approches de la retraduction, externe et interne sont fondées dans le sens d’un progrès linéaire : chaque élément de la série des traductions successives serait « meilleur » que l’antécédent dans le sens d’une amélioration. L’idée de l’amélioration suppose la connaissance des traductions antérieures par le traducteur qui entreprend une traduction nouvelle. Et la réalité s’avère plusieurs fois décevante : s’il est vrai que la qualité ou le caractère désuet d’une traduction existante peut motiver une nouvelle traduction, il n’est point de règle qu’un traducteur entreprenant cette nouvelle traduction connaisse le travail de ses prédécesseurs. Il peut même ignorer son existence. Par ailleurs, une nouvelle traduction n’est pas forcément conséquence du vieillissement d’une ou plusieurs traductions existantes ou de l’évolution du goût du public et de plus, elle ne se veut en être une amélioration. Deux traductions d’une même œuvre sont parfois séparées d’un laps de temps qui ne permet pas de parler de vieillissement, ou elles peuvent se faire presque en même temps. Elzbieta Skibinska propose de voir la série de traductions comme une coexistence de plusieurs textes liés par un lien originel : l’œuvre originale est la matrice qui les engendre. La tâche du traducteur est marquée par la subjectivité dans les deux étapes de l’acte du traduire : au niveau de la réception du texte original et au niveau du faire comprendre le nouveau texte traduit. Sa lecture de l’original est rendue dans son faire traduisant et sa subjectivité se manifeste tant au niveau macrostructurel (choix stratégiques) qu’au niveau microstructurel (choix ponctuels). La retraduction vue comme une succession de textes traduits exprime ainsi la relativité des traductions dans l’histoire. Selon cette hypothèse, les retraductions tendent à être plus sourcières que les premières versions. Le caractère externe, « historique », le désir de se ЫWLLQЮHVRFLR-umane 81 conformer aux nécessités nouvelles de la culture d’accueil embrasse le caractère interne, celui d’« amélioration » des traductions existantes, dans le désir de faciliter le travail du « deuil de la traduction parfaite » pour reprendre les mots de Paul Ricœur 12. Une distinction s’impose, à la suite d’une telle démarche, entre les visées de l’acte du traduire et celles de l’acte du retraduire. La valeur téléologique de la traduction est nettement différente de celle de la retraduction : la finalité de base de la traduction « consiste principalement à nous dispenser de la lecture du texte original » 13, tandis que la retraduction vise des raisons objectives ou subjectives (de nature linguistique, stylistique, historique, idéologique, politique, etc.) issues du désir de renouveler ou de réévaluer le texte-source. Ou, dans les termes d’Elzbieta Skibinska, la traduction serait imposée par des facteurs plutôt externes (la caducité, le vieillissement), tandis que la retraduction supposerait, de surcroît, des facteurs internes dus à l’amélioration, à la revalorisation de l’original. Raluca Anamaria Vida 14 a révélé une autre différence de nature ontologique entre « retraduction » et « traduction ». L’explication de cette différence réside dans le fait que la traduction en tant que résultat est un « produit » caractérisé par son existence réelle. Elle existe, en étant généralement publiée, même si elle est ou non proie à l’oubli après un moment plus ou moins bref de gloire passagère. La retraduction présente, d’autre part, une potentialité remarquable : tant qu’il y aura des œuvres à traduire, après la parution de la première traduction, elle pourra désigner toutes leurs nouvelles versions-cible et s’étendre, de la sorte, à une infinité virtuelle qui restera à jamais ouverte et qui est assurée par la multiplicité des re-interprétations, des relectures auxquelles est soumis le texte de départ. La retraduction reste un acte itératif et prolifique, ayant un statut à part dans le domaine traductologique, allié tour à tour à la littérature, à la culture, à l’histoire, à la linguistique, à la critique, ayant la visée de reconsidérer le texte original et de le perpétuer à l’infini. Bibliographie Berman, Antoine, Pour une critique des traductions: John Donne, Paris, NRF, 1995, p. 57. Gambier, Yves, « La retraduction, retour et détour » in Meta: Translators’ Journal, vol. 39, no 3, 1994, p. 413-417. Ladmiral, Jean-René, Traduire: théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, 1994. Lungu Badea, Georgiana, 7HQGLQĠH vQ FHUFHWDUHD WUDGXFWRORJLFă(GLWXUD8QLYHUVLWăĠLLGH9HVW7LPLЬRDUD 2005, p. 34. Mavrodin, Irina, Literal ЬLvQWRDWHVHQVXULOH, Craiova, Ed. Scrisul Românesc, 2006 Meschonnic, Henri, Poétique du traduire, Verdier, Lagrasse, 1999, p. 53. Mounin, Georges, Les Belles Infidèles, Presses Universitaires de Lille, Lille, 1994. Ricœur, Paul, « Cultures, du deuil à la traduction », Le Monde, 24/05/2004. Skibinska, Elzbieta, « La retraduction, manifestation de la subjectivité du traducteur », Doletiana, revista de traducció literatura i arts, http://webs2002.uab.es/doletiana/Catala/Doletiana1/D oletiana1.html, 12.10.2010. Vida, Raluca-Anamaria, « Retraduction et idéologie traductive. Le cas de Mallarmé en roumain » in Annales Universitatis Apulensis, Philologica, Universitatea « 1 Decembrie 1918 » Alba Iulia, tome 1, 2005. Daniela PINTILEI 'RFWRUDQWH j O¶8QLYHUVLWp ЫWHIDQ FHO 0DUH GH Suceava, Domaine de doctorat : Philologie, Titre de la thèse de doctorat: Traduire et retraduire l’œuvre d’Emile Zola en roumain. Coordinateur scientifique: prof. univ. dr. MuguraЬ&2167$17,1(6&8. 12 Paul Ricœur, « Cultures, du deuil à la traduction » in Le Monde, 24/05/2004. 13 Jean-René Ladmiral, Traduire: théorèmes traduction, Paris, Gallimard, 1994, p. 15. pour la 14 Raluca Anamaria Vida, « Retraduction et idéologie traductive. Le cas de Mallarmé en roumain » in Annales Universitatis Apulensis, Philologica, Universitatea « 1 Decembrie 1918 » Alba Iulia, 2005, tome 1.