VOYAGES - Caseificio Gennari

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VOYAGES - Caseificio Gennari
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VOYAGES
LIBERATION
SAMEDI 21 ET DIMANCHE 22 FÉVRIER 2004
n
Le culatello
demeure le nec
plus ultra pour
les amateurs
de cochonailles.
Jambon
et parmesan
ont fait
sa fameuse
réputation.
Visite de goût
dans la
capitale de la
gastronomie
italienne.
Parme
plaisirde
palais
ITALIE
Dès l’époque
romaine, Caton
l’ancien vantait
«les cuissots
de porc de la
vallée du Pô».
Parme (Italie) envoyé spécial
a note résonne basse et longue, un
peu sourde, sous la frappe du petit
marteau de fer. En blouse blanche,
un homme ausculte chaque meule d’une dizaine de coups réguliers
pour déceler à l’oreille la moindre
irrégularité dans la masse du fromage désormais arrivé à maturation. Le son doit
être harmonieux, et savoir l’analyser est
un don. «On l’a ou on ne l’a pas; il ne s’acquiert pas même après des années d’expérience»,explique Paolo Gennari. Avec sa
mère, ses deux frères et sa sœur, la belle
Maria Angela, Paolo produit l’un des
meilleurs parmesans artisanaux, dans
une grande ferme d’un millier de vaches,
près de Parme, là où la brumeuse plaine
du Pô butte contre les premiers contreforts des Apennins. Sur huit mètres, sont
empilées quelque trente milles meules,
L
chacune pesant autour de 35 kilos. Parfum entêtant et palette infinie des couleurs des croûtes. L’ocre clair des meules
à peine sorties de la saumure, le jaune
éclatant de celles de moins d’un an et non
encore auscultées, les marrons plus soutenus de celles prêtes à la vente. Gennari
est l’un des rares petits producteurs à assurer toute la filière, alors que la plupart
d’entre eux préfèrent vendre le lait aux
coopératives, ou les formes encore
en garantie de prêts. Des Fort Knox de l’affinage que l’on ne visite pas, à la différence des caves des fromageries, où passent
volontiers les amateurs.
«Food Valley»
Léger, nourrissant mais pas gras, goûteux,
le parmesan a en effet ses fanatiques invétérés. Célèbre depuis des siècles, chanté par Boccace, qui décrit le paradis comme «une montagne de parmesan», ce «roi
des fromages»,ou «fromage de
roi», représente avec le jamLes recettes typiques de la ville sont toutes nées bon la production la plus presdu lait: le caillé servait au fromage, donc au
tigieuse de la région de Parme
– la «Food Valley», comme
parmesan, et le reste nourrissait les cochons.
l’appellent les Américains–,
jeunes, afin de ne pas immobiliser leur cadont la richesse provient au moins pour
pital. Souvent ce sont les banques qui
moitié de l’agroalimentaire. Repue mais
stockent dans d’immenses hangars des
raffinée, un rien snob, cette cité qui se
centaines de milliers de meules données
considère comme «l’Athènes de l’Emilie-
Romagne» s’affirme plus que jamais comme la capitale de la gastronomie italienne.
L’un de ses temples est les Sorelle Picchi,
apparemment une simple salumeria
(charcuterie), avec son enseigne écrite à
l’ancienne en belles lettres rondes. Les vitrines, débordant de parmesans et de cochonnailles dans toutes leurs variations,
donnent sur l’élégante via Farini aux austères palazzide briques. Dans une ruelle
latérale, une porte discrète permet d’entrer directement sur l’arrière-salle, avec
sa demi-douzaine de tables. Là, intellos
ou boutiquiers, berlusconiens ou militants de gauche, communient dans un
même amour de la grande bouffe à la parmesane. «Les recettes typiques de la ville
ne sont ni très nombreuses, ni très élaborées, mais il y a ces produits d’exception qui
tous sont nés du lait. Le caillé servait au fromage, donc au parmesan, et avec le reste on
nourrissait les cochons»,raconte Giorgio
Orlandini, ancien directeur général de
l’Union des industriels, membre éminent
de l’Académie gastronomique italienne et
pilier de la Confraternité du culatellosuprême, qui regroupe une cinquantaine
d’intransigeants défenseurs de cette espèce de jambon à l’extraordinaire fragrance, fait à partir de la seule fesse de
porc, d’où son nom.
Il y a donc d’abord le lait, un lait de vaches
nourries exclusivement d’herbe et de
fourrages sélectionnés. «Il doit être parfait pour faire un fromage qui s’affine au
moins pendant dix-huit mois sans fermenter car il n’y a aucun conservateur et la température de la cuisson ne doit pas dépasser
56°C», explique Roberto, patron de la
quasi centenaire société familiale Abele
Bertozzi, dont les boîtes de bâtonnets de
parmesan sous vide font un tabac à l’exportation. L’industrie n’a pas aboli la tradition. Les règles ont été fixées depuis le
XIIIe siècle par les moines bénédictins de
l’abbaye Saint-Jean-l’Evangeliste de
Parme et elles sont restées inchangées,
même si, désormais, la vapeur a remplacé
les feux de fagots sous les cuves de cuivre.
D’antiques lettres de noblesse
Le consortium Parmigiano Reggiano,
contrôlant la production de 547fromageries produisant bon an mal an quelque
3millions de meules, veille depuis les années50 sur un très rigoureux cahier des
charges. «Ce système a garanti une qualité
minimum mais il étouffe l’émulation et
l’identité des producteurs», se lamente
Paolo Gennari, dont les parmesans vieillis
jusqu’à trente-six mois sont très recherchés. Chaque matin, le même rituel recommence dès 8heures. Dans les cuves,
le lait de la veille laissé à reposer toute la
nuit, écrémé à la main, est mélangé à celui
de la traite du matin. Puis commence la
cuisson et c’est au doigt que l’on sent le
moment de la juste coagulation. Les
grosses boules de caillé sont ensuite remontées avec un levier de bois, coupées
en deux, mises dans les formes, puis laissées quarante-huit heures en saumure
avant le long affinage. Les chiffres parlent
d’eux-mêmes: chaque kilo de parmesan
nécessite seize litres de lait et il reste quinze litres de petit lait. Cela permet d’élever
vraiment beaucoup de cochons.
Déjà, à l’époque romaine, Caton l’ancien
vantait «les cuissots de porc de la vallée du
Pô conservés grâce au salage et au séchage». Le jambon de Parme a donc d’antiques lettres de noblesse même si maintenant la zone d’élevage des porcs couvre
une bonne partie de l’Italie du centre
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Les meules
sont auscultées
à l’aide d’un
marteau de fer.
nord. «Sinon la province de Parme serait aujourd’hui totalement noyée sous la merde»,ironise un éleveur. L’an dernier,
près de 10millions de jambons
sont en effet sortis avec le label
frappé de la couronne ducale
du «Consorzio prosciutto di
Parma», qui impose de très
strictes règles de fabrication.
Doux, peu salé, il est toujours
séché à l’air. A Langhirano, capitale du jambon de Parme,
cossue petite ville sans grâce
sur les premiers contreforts
des Apennins, s’alignent les
hangars de séchage avec de
larges fenêtres au nord et au
sud afin de laisser passer le vent
venu de la mer au-delà des cols.
Les boules
de caillé sont
remontées, puis
coupées en deux.
Caseificio Gennari
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OÙ DORMIR
Oubliés depuis des décennies
Mais le meilleur jambon n’est
rien à côté du culatello, le nec
plus ultra pour tous les amateurs de cochonnailles. Il naît à
l’autre bout de la province, dans
la Bassa, ces terres basses qui
bordent l’immense Pô, noyées
dans un brouillard glacial l’hiver puis dans une moiteur
étouffante l’été. «Le jambon
s’affine dans un air sec; le culatello, au contraire, a besoin
d’humidité, de ces contrastes de température et de ces moisissures, qui, peu à peu,
après au moins deux hivers, lui donnent son
parfum unique», souligne Massimo Spigaroli, dont l’arrière-grand-père fournissait Giuseppe Verdi. Bussetto, la coquette
petite ville natale du musicien, est au
cœur de la zone de production du culatello di Zibello, le seul authentique –à peine
quinze mille pièces par an, fournies par
une quinzaine de producteurs. «Il y a aussi un culatelloindustriel mais c’est comme
PARMESAN
OÙ MANGER
l’œuf de lump par rapport au vrai caviar»,
s’indigne Spigaroli, désormais installé
dans un petit manoir du XVIIe siècle à demi ruiné, perdu en bordure du fleuve,
dont les immenses caves garantissent
une parfaite maturation aux culatelli. Ils
pendent au plafond, avec leur chair suave
et persillée, enveloppée dans une vessie
de porc mouillée de vin blanc.
Très rare et très cher, le culatelloparaissait condamné. Massimo et son frère ont
réussi à sauver cette tradition et même à
faire renaître la race autochtone de porcs
noirs oubliés depuis des décennies au
profit d’animaux plus productifs. «Des
Français, j’ai appris le respect du produit
et de son histoire», reconnaît cet éleveur
et grand cuisinier, héraut de la tradition
de la Bassa, terre pauvre et mystérieuse,
tout à la fois si loin et si proche de Parme
MARC SEMO
la raffinée.•
photos EDOARDO FORNACIARI
(La semaine prochaine:
plongée sous la glace dans les Alpes)
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L’un des meilleurs
pot-au-feu d’Italie.
CULATELLO
Massimo e
Luciano Spigaroli,
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Parmense.
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ITALIE
SUISSE
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Parme
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Sardaigne
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TUN.
200 km

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