La question coloniale dans la première moitié du XVIIIe siècle en

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La question coloniale dans la première moitié du XVIIIe siècle en
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La question coloniale dans la première moitié du XVIIIe siècle
en Grande-Bretagne
Alain Clément*
Université de Tours et Triangle (UMR du CNRS 5206)
Dans les discussions économiques de la fin du XVIIe siècle consacrées au commerce, au
commerce extérieur et aux colonies, l’Angleterre a connu un double débat. Le premier
concerne l’ouverture aux marchés coloniaux, que l’on assimile souvent à la « querelle des
toiles peintes ». Cette querelle traduit une double inquiétude en termes de balance du
commerce et en termes d’emploi. Un débat connexe porte sur l’opportunité d’ouvrir ce
commerce à tous, ou de le réserver à des compagnies à monopole et en particulier à la
Compagnie des Indes. Le second grand débat est passé plus inaperçu car il se résume
davantage à des positions isolées qu’à de véritables confrontations ; il concerne l’opportunité
d’avoir ou de ne pas avoir des colonies (Clément, 2006). Toutes ces confrontations reflètent
un clivage entre deux courants de pensée économique : l’un de facture mercantiliste
ouvertement favorable au protectionnisme, mais restant partagé sur le rôle des compagnies ;
l’autre courant qui remonte à Petty adopte une position favorable à l’ouverture du marché
national aux produits coloniaux, allant jusqu’à rejeter toutes les politiques coloniales en
vigueur et allant jusqu’à s’opposer à toute forme de colonisation. Les trois premières
décennies du XVIIIe siècle marquent une nouvelle étape dans ces débats, même si la ligne
d’opposition ne recoupe pas la distinction faite par Hutchison entre mercantilistes et
philosophes du droit naturel, entre les pamphlétaires directement impliqués dans le commerce
colonial et des leaders comme Law ou Berkeley (Hutchison, 1988). Les oppositions sont
mineures et se situent davantage au cœur même de la pensée mercantiliste. Cependant
quelques auteurs comme Henri Martin ou Isaac Gervaise sont les rares porte-parole hostiles
au protectionnisme. En réalité les débats reflètent le plus souvent, la défense contradictoire
d’intérêts économiques divers (Armitage, 2000) que la défense d’un empire britannique à
vocation mondial au service de l’Angleterre. C’est à partir des années 1740 et ce jusqu’en
1765, que la question du commerce colonial et la question des colonies sont traitées avec des
points de vue qui deviennent de plus en plus « libéraux », préfigurant les nouvelles
conceptions coloniales autour d’Adam Smith (Winch, 1965 ; Clément, 2014). Une approche
plus critique des idées économiques de cette période voit le jour avec la publication des
ouvrages de Townsend (1751), de Wallace (1753) et sur le thème des colonies, avec l’ouvrage
de Decker (1744), annonçant l’approche libérale de Tucker1. Cette période correspond aussi à
*
1
[email protected]
Cette période est celle où Josiah Tucker publie Brief essay on the advantages and disadvantages which
respectively attend France and great-britain with regard to trade en 1750 et Elements of commerce and theory
of taxes en 1752. Cependant sa contribution à la question coloniale et le débat auquel il a participé concernent
une période légèrement postérieure, contemporaine de Smith, Burke et Anderson (Clément, 2014) ; pour ces
raisons-là, il ne sera pas analysé dans le cadre de cet article.
2
la diffusion de plusieurs versions anglaises remaniées du Dictionnaire universel de commerce
de Jérôme Savary par Malachy Postlethwayt ou Richard Rolt qui s’étalent de 1751 à 1766
(Perrot, 1992). Même si le dictionnaire, dans sa version anglaise, dans son contenu, est encore
de facture largement mercantiliste, son influence reste importante jusqu’à la publication de la
Richesse des Nations.
Après avoir retracé très brièvement les principales étapes et les grandes caractéristiques
économiques géographiques de cet empire colonial en formation (1e partie), nous présenterons
dans un deuxième temps (2e partie) les débats entre 1700 et 1740, en distinguant les analyses
qui concernent les colonies de peuplement, dont l’objectif est l’exploitation et la mise en
valeur de l’Amérique au profit de la nation britannique, des analyses portant sur les colonies
de comptoirs où la thématique est plus celle du commerce extérieur que celle des colonies.
Mais autant la colonisation de peuplement est perçue comme porteuse d’un enrichissement
certain de la métropole, autant les colonies comptoir en dehors des intérêts partisans sont
rendues responsables du déclin de l’économie britannique. Dans une dernière partie (3 e
partie), nous analyserons l’évolution de cette pensée coloniale incarnée par une nouvelle
génération d’économistes qui annoncent les conceptions smithiennes des colonies. Mais la
pensée mercantiliste reste encore très prégnante et véhiculée par la diffusion des différentes
traductions et éditions augmentées et révisées du Dictionnaires du commerce des frères
Savary.
A- Le contexte économique
1.1. Extensions territoriales et peuplement des colonies
Le XVIIIe siècle se caractérise par un intérêt croissant pour les colonies de peuplement. Les
Anglais s’intéressent plus à leurs colonies américaines que les français aux leurs : dans les
colonies françaises on compte quelques 80 000 colons, plus quelques milliers en Louisiane
alors que l’Angleterre compte près d’un million de colons dans ses propres colonies [Ferro,
1994, p.104] ; au XVIIIe siècle, l’essentiel des colons provient d’Irlande et d’Écosse. Sur les
270 000 colons qui migrent en Amérique entre 1700 et 1780, seuls 80 000 proviennent
d’Angleterre et du Pays de Galle (J. Horn in P.J. Marshall 1998, p. 31). Le nombre de colons
britanniques passe de 251 000 habitants en 1700 à 900 000 en 1750 et à 2 680 000 en 1780
dans les treize colonies. La plupart des migrants sont des domestiques, des travailleurs
qualifiés mais non des vagabonds criminels ou prostituées comme on l’affirmait souvent de
façon erronée à cette époque dans un grand nombre de pamphlets. Cette expansion par les
flux migratoires s’accompagne d’une expansion territoriale et les nombreux conflits avec les
colons français se soldent le plus souvent par une extension des zones contrôlées par
l’Angleterre. Les colons nord-américains vont bien au-delà des zones d’occupation initiale
pour occuper grosso modo la moitié du continent. En 1763, la France abandonne le Canada à
l’Angleterre et rétrocède la Louisiane à l’Espagne.
Les Antilles britanniques2 (La Barbade, La Jamaïque, les îles Sous-le-Vent, Belize, les îles
Caïmans, Les Bahamas, les îles Vierges) connaissent la même évolution en terme
démographique passant de 145 300 habitants (dont 114 300 noirs) vers 1700 à 302 000
habitants (dont 258 500 noirs) en 1748 (R. Sheridan in P. J. Marshall, 1998, p. 400).
2
Avec la révolution française, la Grande-Bretagne gagnera La Dominique, St Vincent, Grenade et Tobago.
3
Le troisième domaine colonial est l’Asie ; au cours du XVIIIe siècle, la taille de ce domaine
va augmenter prodigieusement. Les liens avec l’Inde reposent tout d’abord sur l’activité de la
Compagnie des Indes Orientales, gigantesque organisation en soi qui envoie dans cette zone
entre 20 et 30 gros navires par an et opère à partir des comptoirs et ports qu’elle contrôle pour
parti : Surat, Bombay, Madras, Calcutta. Tout ce commerce est marqué par une extrême
stabilité au cours de la première moitié du siècle (P. J. Marshall, 1998, p. 491). En 1765, la
Compagnie des Indes est devenue le dirigeant incontestable de la partie Sud de l’Inde et de
l’immense région du Bengale (en y incluant le Bihâr) et comme le dit Marshall, elle a acquis
un vrai pouvoir à l’intérieur du territoire indien. L’installation de Britanniques en Inde est
toutefois extrêmement faible.
1.2. Activités économiques et commerciales
En 1700, l’Amérique, les Indes et l’Afrique fournissent 33% des importations britanniques et
reçoivent 15% des exportations, les réexportations jouent un rôle tout aussi important
(L’Angleterre revend en particulier les 2/3 des 20 000 tonnes de tabac qu’elle importe de
Virginie et des Antilles, les 2/3 des soieries, des cotonnades indiennes et des épices orientales)
[Léon, 1978, II, p. 207]. C’est d’abord et surtout du commerce avec l’économie américaine et
du commerce triangulaire que l’Angleterre va largement bénéficiée au cours du XVIIIe siècle.
Le commerce avec l’Afrique et les traites négrières
Les Anglais comme les Français profitent tout au long du XVIIIe siècle du commerce
triangulaire. L’Afrique pourvoie en esclaves contre des produits manufacturés, les îles à sucre
et les plantations et fermes américaines. L’Afrique absorbe alors 43% des toiles anglaises vers
1770, et la traite profite aussi à de nombreux autres artisans et industriels producteurs
d’alcool, d’armes… [Norel, 2004, p. 325]. L’Angleterre dispose comme la France de postes
sur la côte africaine où les marchands se procurent les esclaves afin d’approvisionner leurs
propres colonies. Six régions sont exploitées : la Gambie, la Windward Coast, la Gold Coast,
Ardra, Wydah et Calabar [Mauro, 1996 (1964), p. 153]. La Royal African Company qui avait
au XVIIe siècle un monopole sur le commerce d’esclaves l’abandonne en 1698. L’importance
de ce commerce est considérable surtout depuis le début de ce siècle, et se trouve en
augmentation du fait d’une participation de nombreux négriers privés. En 1750 il y a environ
1 300 000 noirs dans les colonies américaines et tout au long du XVIIIe siècle l’Angleterre
amène 2.5 millions d’Africains aux Amériques [Maddison, 2001]. Le pourcentage de noirs est
toutefois très variable selon les régions : 2.3% de noirs en Nouvelle-Angleterre en 1710 et
42% dans les provinces du Sud, 90.1% en Jamaïque en 1750, 87% à Grenade, 42.4% à Trinité
toujours en 1750 [Maddison, 2001]. Car cette croissance du commerce des esclaves est
naturellement très liées à l’expansion des cultures de plantation et du sucre en particulier
(Richardson in P. J. Marshall, p. 457). Ce commerce n’est toutefois pas plus lucratif que
d’autres types d’activités, le taux de rendement étant estimé à environ 10% apparaît comme
un taux courant [Klein, 1999, p. 98]. Comme avec les autres pays, les échanges se font sur la
base de troc le plus souvent.
Ensuite le deuxième aspect de ce commerce triangulaire, c’est l’échange d’esclaves contre les
produits coloniaux. Le sucre en premier lieu qui est beaucoup plus consommé que partout
ailleurs en Europe et en France en particulier. La Barbade produisait encore au début du
XVIIIe siècle 10 tonnes annuelles de sucre. Les îles Sous-le-Vent ont produit jusqu’à 25
tonnes annuelles dans les années 1760 et la Jamaïque 44 tonnes environ [Léon, 1978, III, p.
4
66]3. Plus que les Antilles françaises, les Antilles britanniques fournissaient en 1770 du sucre
dans des proportions beaucoup plus élevées (81% de leurs exportations contre 11% pour le
café et 3% pour le coton alors que pour les Antilles françaises : c’est 49% pour le sucre, 24%
pour le café, et 8% pour le coton en 1770) [Léon, 1978, III, p. 69]. Ces importations
britanniques de sucre en provenance des Indes Occidentales ont considérablement augmenté
au cours de la période passant de 25 000 tonnes en 1710 à 97 000 tonnes en 1775 (Price in P.
J Marshall, 1998, p. 81), alimentant à la fois le marché du Royaume-Uni et européen en parti
surtout dans le tout début du XVIIIe siècle (38% du sucre est réexporté en 1701 contre 10%
en 1733).
Le commerce d’importation des autres produits coloniaux
Toutefois, d’autres productions commerciales sont aussi un moyen d’enrichissement pour la
Grande-Bretagne. Le tabac en particulier devient la production de la Virginie et du Maryland
et de la Caroline du Nord. Au cours du siècle la production entre 1733 et 1773 double passant
pour la Virginie de 50 millions de £ à 100 millions de £. Le tabac joue le même rôle que le
sucre pour l’économie française [Poussou, 1998, p. 104]. Précisons ici qu’à l’inverse du sucre,
les réexportations vers le marché européen représentent 85 à 90% des importations
britanniques de tabac. Ce commerce très lucratif est animé par les marchands écossais,
londoniens, et par les négociants de Bristol qui voient toutefois ce commerce leur échapper
progressivement. L’importation de tabac en 1722 à destination du port de Londres était de
19 457 £, de 4 109 £ pour Bristol, de 1 728 £ pour Liverpool et de 6 533 £ pour Glasgow.
Pour l’année 1750, les chiffres sont respectivement de 25 668 £ pour Londres, de 4.806 £ pour
Bristol, de 5 663 £ pour Liverpool et de 14 361 £ pour Glasgow (Morgan, 1993, p. 153).
Pour les Midle Colonies et la Nouvelle-Angleterre, ceux sont les céréales qui deviennent les
cultures commerciales ; les exportations concernant surtout les Indes Occidentales (40%
environ de l’ensemble des exportations). Dans le Lower South, les cultures commerciales sont
plus variées dès la fin du XVIIe siècle mais au début du XVIIIe siècle, c’est le riz qui prévaut.
Là aussi la croissance de la production est exponentielle. Cette région en exporte 5.8 millions
de livres en 1715, 29 millions en 1735, 72 millions en 1765 (Price, in P.J. Marshall, 1998,
p.85). En 1770, le riz occupe la troisième place parmi les exportations américaines derrière le
tabac et le blé [Poussou, 1998, p. 110].
L’indigo dans les années 1740 connaît un boom spectaculaire et est destiné à titre principal
aux manufactures textiles britanniques. Le coton est aussi une autre matière première
importante fournie par ces régions du sud mais c’est surtout les Caraïbes qui l’exportent à
hauteur de 64% du total du coton exporté, en 1772-1774. Toutes ces cultures nécessitent une
main d’œuvre abondante, ce qui explique l’abondance d’une population d’esclaves beaucoup
plus importante ici qu’en Nouvelle-Angleterre et dans les Middle colonies.
Tous ces produits coloniaux étaient exportés avec le système de l’exclusif en Angleterre à
l’exception du riz de Caroline exportés directement, à partir de 1730, vers l’Europe
méditerranéenne et à l’exception du blé et de la farine en provenance des colonies centrales et
de l’Upper South [Léon, 1978, III, p. 82]. Ce régime d’exclusif était donc appliqué avec
beaucoup d’indulgence. À cela il faut ajouter le trafic interlope avec les Antilles. Si bien
qu’existait non pas une forme de commerce triangulaire mais plusieurs formes de commerce
dont certains en droiture et tous ne profitaient pas exclusivement à l’Angleterre.
3
Environ 1/5 de cette production était réexportée sur le continent européen.
5
Dans le commerce avec les Indes orientales, deux produits deviennent importants au cours du
siècle : le thé et le café. Le thé est importé par la Compagnie des Indes depuis la Chine et ce
commerce passe de 8 000 £ en 1701 à 848 000 £ en 1772 (Price, in P. J. Marshall, 1998, p.
83). Concernant le café, importé depuis l’Arabie et Java, l’essentiel est réexporté sur le
continent européen. Le commerce avec l’Asie, au cours de cette période, est aussi un
prolongement de la période antérieure, s’agissant notamment des importations de poivre et
autres épices d’une part, et de cotonnades, de mousselines et de soie, d’autre part (les calicots
indiens étaient très demandés en Europe depuis le XVIIe siècle). En moyenne, on importait
dans les bonnes années, 750 000 pièces de calicots indiens (Marshall, 1998, p. 487).
Le commerce d’exportation des produits manufacturés britanniques
L’autre élément important dans les échanges entre l’Angleterre et ses colonies d’Amérique est
l’exportation des produits manufacturés. L’Angleterre vendait deux fois plus qu’elle
n’achetait et la plupart des colonies compensaient ces déficits par des ventes dans les autres
colonies françaises ou en Europe méditerranéenne. Les colonies s’imposent de plus en plus
comme un grand marché pour les produits anglais et non plus seulement comme une source
principale d’approvisionnement en produits tropicaux et autres matières premières [Postan et
Hill, 1977, I, p. 442]. Entre 1700 et 1773 la part du commerce colonial dans le commerce
extérieur britannique est passée de 15% à 50% (J. Price in P. J. Marshall, 1998, p. 101) et la
moitié de ce commerce concerne l’Amérique du Nord. De fait, on peut considérer que les
colonies américaines deviennent un véritable marché, en forte croissance pour les produits
anglais. Les exportations à destination des colonies américaines représentent 10,3% en 1700,
15,6% en 1750 (57,4% en 1797) [Brasseul, 1997, p. 204]. Entre 1744 et 1758 leur montant a
triplé. Les produits lainiers sont les premiers produits exportés et le marché américain est en
pleine expansion puisque la population de l’Amérique du nord a été multipliée par neuf entre
1700 et 1775.
Ces nouveaux marchés compensent les reculs sur les marchés européens [Verley, 1997, p.
449]. Les produits lainiers représentent toujours le gros des exportations : en 1760 les
exportations de cotonnades représentent 50% de la production et les lainages 46% [Crafts,
1984, p. 306] Cette croissance des exportations est à rapprocher naturellement de la
croissance démographique : 1,2 million en 1750, 3 millions en 1783 [Léon, 1978, III, p. 147].
Les exportations constituent un véritable aiguillon pour le secteur manufacturier et notamment
pour les cotonnades même s’il est difficile d’établir une réelle et unique causalité entre
exportations vers le nouveau monde et croissance économique britannique. Pour les toiles de
lin et de coton, la croissance des exportations est beaucoup plus rapide que celle de la
production et donc pour ces produits et pour la fabrication d’objets en métal, mais aussi pour
des produits aussi divers que le cuir, les céramiques, le savon, les bougies, l’évolution de ces
marchés extérieurs est un véritable stimulant à la croissance [Verley, 1997, p. 451] même s’il
y a en effet interdépendance entre les importations nécessaires à la production et les
exportations qui jouent à leur tour un rôle sur la production [Cochet et Henry, 1995, p. 307].
Cette demande outre atlantique est d’autant plus intéressante pour l’Angleterre qu’elle
provient d’un espace géographique en pleine expansion tant sur le plan économique que
démographique. Ce développement est due beaucoup moins à l’émigration, chaque colonie se
développant à partir de sa propre base [Poussou, 1998, p. 90], ce qui n’est toutefois pas le cas
des noirs que la traite continue d’amener très régulièrement.
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B) Le débat sur les colonies de peuplement dans les premières décennies du
XVIIIe siècle (1700-1740)
1- Les acteurs du débat
Un grand nombre de textes et pamphlets publiés dans les premières décennies du XVIIIe
siècle, constituent un prolongement de la littérature économique du XVIIe siècle consacrée
aux colonies. Il s’agit le plus souvent de textes écrits par des praticiens de l’économie et des
affaires, produits à partir d’une réflexion faite sur les questions économiques et le plus
souvent sur la base d’expériences personnelles. Une des figures emblématiques de cette
période est Daniel Defoe. Ce dernier fut successivement commerçant, assureur maritime,
auteur prolifique, quoique surtout connu pour sa fiction littéraire Robinson Crusoé même s’il
fut perçu très tôt comme économiste (Moore, 1970, p. 83). C’est par ailleurs un fervent
partisan de la colonisation (Backscheider, 1989, p. 439). C’est un auteur contemporain de
William Paterson, ce dernier ayant été co-fondateur de la Banque d’Angleterre. Ces deux
personnages qui fréquentaient les coffee-houses de Londres près de la City et de la Cour s’y
sont rencontrés régulièrement pour y confronter leurs opinions, à l’instar de nombreux
marchands de l’époque qui y développaient une véritable activité de lobbying auprès des
pouvoirs publics (Olson, 1992, p. 94-107). D’ailleurs, Defoe qui défend la position des
Whigs, est familier des travaux de Paterson – il a lu les conférences sur la dette publique de
Paterson, conférences publiées par le Wednesday Club (Backscheider, 1989, p. 68). De
manière symétrique Paterson semblait admiratif à l’égard des travaux de Defoe. Paterson
embrassa également une carrière outre-mer puisqu’il fut basé à la Jamaïque entre 1675 et
1681 où il prît conscience des difficultés des planteurs face à la Royal African Company.
C’est notamment dans un texte de 1704 qu’il va analyser le problème de la pauvreté en
Angleterre et qu’il va esquisser quelques solutions ; dans un texte de 1701, il milite en faveur
d’un Council of Trade. Il est assez proche de Defoe dans la mesure où il partage l’idée que les
restrictions sur le commerce via les droits de douane élevés sont un véritable obstacle au
commerce et au commerce colonial en particulier.
Joshua Gee est un autre personnage important de cette période ; marchand londonien, il
poursuit des intérêts coloniaux aux Amériques4, il nourrit des relations avec son contemporain
Defoe. Ces deux auteurs vont s’opposer à propos du Traité d’Utrecht ; Defoe prend une
position contraire à Gee sur le commerce franco-anglais, position défendue dans le
Merchator5. Gee, proche des Whigs réplique dans une autre publication le British Merchant 6 ,
un journal bi-hebdomadaire. Dans ces brochures, Gee se fait le porte-parole de plusieurs
4
Gee avait avec Washington (père du futur Président des États-Unis), une compagnie Principio, qui avait pour
but d’exploiter le fer et les minerais du Maryland, puis de la Virginie (Voir : Magnuson in Rutherford 2004, I, p.
418-419).
5
Le Merchator est un journal quotidien qui défend la position en faveur du Traité d’Utrecht.
6
Le British Merchant défendait l’idée qu’un commerce plus libre avec la France était désavantageux au
commerce britannique et que la protection était nécessaire pour le développement des manufactures anglaises et
bénéfique pour l’agriculture anglaise (Voir : Johnson, 1965 : 139-157).
7
marchands et manufacturiers lainiers7, tous opposés au traité de libre-échange avec la France,
et justifie le déclin de l’économie britannique en raison d’une politique commerciale trop
libérale. Henry Martin, écrit également dans ce journal, c’est un des principaux contributeurs ;
il est sans doute celui qui défendra le plus le libre-échange. Egalement plus ouvert, car
croyant plus aux incitations qu’aux interdictions, Patrick Lindsay d’origine écossaise,
magistrat d’Edinburgh, publie un texte en 1733 de facture mercantiliste.
Sur le thème du déclin de l’économie britannique, Gee est précédé par d’autres pamphlétaires
et marchands8 comme John Blanch (1694, 1696) marchand de Gloucester, farouche adversaire
de l’EIC, par Francis Brewster, marchand de Dublin, adversaire également de l’exportation de
laine et de l’importation des produits de luxe, par William Seton, notable écossais et homme
de loi, membre du parti des Whigs, défendant les intérêts commerciaux de l’Écosse, négligés
selon lui, au profit de l’Angleterre (1705), et par George Berkeley, un des premiers
représentants des Lumières Écossaises. George Berkeley, marqué par les idées de Petty,
Barbon, Law et de North (Hutchison in Blaug, ed., 1991, p. 54), s’insurge contre une liberté
économique trop importante9 qui aurait produit selon lui la « South Sea Buble ». Ayant vécu
plusieurs années en Amérique dès 1728, il est très sensible aux affaires coloniales et reste
assez proche idéologiquement de Gee. Autre soutien au parti Whig : Archibald Hutcheson ;
après avoir occupé des fonctions d’administrateur colonial dans les îles Leeward et séjourné
durant près de 15 ans dans les Antilles, il exerça des responsabilités au sein du Board of Trade
en 1714 (Steele 1968) et s’opposa violemment à la South Sea Company dans un de ses
pamphlets (1720) mais il fut moins critique à l’égard de l’East India Company.
Un des premiers thèmes abordés dans tous ces écrits est celui de l’opportunité de développer
des colonies de peuplement avec comme questions connexes : la colonisation peut-elle être
une solution pour les pauvres ? Dans quelle mesure peut-elle être profitable à l’Angleterre ?
2- Les colonies de peuplement : une chance pour le commerce et l’industrie
britanniques !
Le continent américain a bien souvent été représenté comme une sorte d’eldorado chez les
observateurs du 17e siècle. Au 18e siècle, il en est toujours de même : abondance et richesse
sont les expressions les plus fréquentes quand on décrit ce continent. Mais comment cette
richesse peut-elle être mise en valeur ? et au profit de qui ? Telles sont les principales
questions auxquelles ces « économistes » et praticiens de l’économie coloniale vont répondre.
1- Une richesse naturelle sans cesse croissante : l’eldorado des colonies
Les colonies de peuplement d’Amérique et des îles à sucre sont entrées dès le début du
XVIIIe siècle dans une phase de production croissante. Les auteurs de cette période prennent
la mesure de la richesse coloniale au fur et à mesure que les premières installations font sentir
les effets concrets. C’est ainsi que Gee parle de la Caroline comme d’un eldorado : où « le sol
7
Parmi ces marchands, citons Charles Cooke, Charles King, Theodore Jansen, James Milner, Nathaniel Toriano,
Christopher Haynes, David Martin et surtout Henry Martin.
8
Ils appartenaient à cette catégorie de marchands (à l’exception de Berkeley qui était homme d’église) perçus
par l’opinion publique, comme l’élite marchande, perçus comme personnages clefs du développement
économique de la nation, et dont le nombre avoisinait les 2 000 individus (Bowen, 1996, p. 56-57).
9
Berkeley est considéré comme un précurseur de Keynes (I. Ward, in Blaug, ed., 1991, p. 78).
8
est généralement fertile : le riz qui est produit est le meilleur du monde, et aucun pays fournit
une meilleure soie que celle achetée ici […] les oliviers poussent à l’état sauvage […] les
indigotiers poussent très bien […] la région renferme d’importantes quantités de fer » [Gee,
1995 (1729), p. 39]. La même appréciation est portée sur la Pennsylvanie, la NouvelleAngleterre. La terre y est abondante, sans limite, et comme un certain nombre de régions se
trouvent à la même latitude que l’Europe, Gee souligne l’opportunité qu’il y aurait même à
faire produire dans les colonies et dans de bien meilleures conditions certaines plantes
européennes : c’est le cas par exemple du lin et du chanvre car dit-il : « Notre terre est trop
chère pour cultiver le lin et le chanvre, et ces plantes poussent bien dans les climats chauds
[…] rien n’appauvrit plus la terre que le lin et le chanvre (avec nécessité de changer d’endroit
tous les trois ans » [Gee, 1995, (1729, IV, p. 83]. Dans son optimisme, il remet en cause
l’approvisionnement de soie indienne car il estime également que l’espace et la nature
sauvage (sans travail particulier) peuvent produire ce bien si recherché : « Si l’attention était
portée à la culture et l’amélioration de la production de la soie dans nos colonies, la Caroline,
la Virginie, le Maryland, la Pennsylvanie, produiraient la meilleure soie […] ces pays
produisent un grand nombre de mûriers qui poussent à l’état sauvage et s’étendent presque
partout en grande abondance, comme si la nature nous avait demander de propager ici cette
activité » [Gee, 1995, (1729, IV, p. 90]. C’est également le point de vue de Lindsay qui pense
que les colonies d’Amérique peuvent fournir l’Angleterre en lin, chanvre, soie, « à un taux
plus bas que n’importe quel autre pays d’Europe » [Lindsay, 1733, p. 135].
Enfin pour Defoe les colonies permettent de réaliser l’autarcie en produits de base, autarcie
chère aux mercantilistes : « Nos colonies sont capables de nous fournir une quantité suffisante
de chanvre, de lin, de térébenthine, de goudron, de sapin, de bois de construction… pour
satisfaire la demande totale de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, aussi devrions nous souffrir
d’aucune rareté ou de manque de ces biens » [Defoe, 1974 (1728), p. 263].
Ces matières premières doivent permettre aux industries de la métropole d’avoir de quoi
transformer car comme le note Gee les manufactures du nord de l’Angleterre et de l’Irlande
ne fonctionnent qu’une partie de l’année faute de quantités suffisantes de lin et de chanvre.
Pour cet auteur il faut réellement encourager les colons à produire toutes les matières
premières dont la mère patrie a besoin et c’est donc pour lui : « au gouvernement de s’efforcer
par tous les moyens de les encourager dans la culture et l’exploitation de la soie, du lin du
chanvre10, de l’acier de la potasse etc… en leur accordant des primes suffisantes au début, et
en leur envoyant des personnes adroites et averties à la charge publique, pour les assister, les
instruire dans les méthodes les plus adaptées de conduite » [Gee, 1995, (1729, IV, p. 79]. La
fourniture de matières premières que l’Etat devrait encourager est susceptible de fournir plus
de travail pour les manufactures et donc de réduire le nombre de sans emploi dans le
royaume : « C’est une opinion courante que nous avons au moins un million de gens dans ces
trois pays sans travail, mais si ces matières premières devaient pouvoir être produites dans ces
plantations, il n’y aurait pas une seule personne oisive » [Gee, 1995, (1729, IV, p. 86].
C’est une manière d’être indépendant des autres nations et de conforter sa puissance car se
passer le plus possible des étrangers est un principe mercantiliste invariant : « Si l’Espagne et
l’Italie refuse nos draps, nous pouvons refuser leur soie, leurs raisins, leur vin, huile et divers
autres marchandises et nous approvisionner depuis la Caroline ou la Georgie » [Oglethorp,
10
On sait pourtant que le lin et le chanvre ne furent pas des cultures qui firent fortune en dehors de l’Europe y
compris en Amérique alors que ces textiles furent amplement utilisés dans le linge et les draps mais aussi dans
les cordages et les toiles à voile [Braudel, 1979, I, p. 285].
9
1733, cité d’après Knorr, 1963, p. 90]. Il existe toutefois une condition majeure à
l’exploitation de ces richesses coloniales : le peuplement des colonies.
2- Peupler les colonies : Pauvres et esclaves
Les colonies de peuplement ne présentent d’intérêt économique qu’à partir du moment où
elles sont relativement peuplées afin d’exploiter la terre. Deux solutions s’offrent alors, à
défaut d’une population locale en nombre suffisant : la migration des Européens, la migration
(forcée) des Africains. Les premiers étant des travailleurs libres, les seconds étant des
esclaves. Le système de la traite qui ne date pas de cette période a été transplanté à la fin du
16e siècle dans le Nouveau Monde (Pétré-Grenouilleau, 2004, p. 46 et s.) mais ce mode
d’exploitation n’a été discuté qu’assez tardivement, dans les textes économiques, pas avant la
fin du 17e siècle (Clément, 2006). Gee et Defoe sont les rares auteurs à avoir abordé cette
question directement. Quant à l’utilisation des pauvres dans les colonies, l’argumentation est
discutée de façon récurrente.
Nous avons déjà observé que l’essor démographique des colonies américaines et des îles à
sucre ne devait que très peu aux courants migratoires britanniques au cours de ce siècle. Les
flux migratoires en provenance d’Afrique participent à cet essor à titre principal et aucune
voix ne s’élève chez les économistes pour dénoncer l’économie de traite. Bien au contraire, la
main d’œuvre servile est non seulement considérée comme utile mais en plus elle est
reconnue comme peu coûteuse : « l’approvisionnement de nos plantations en esclaves est pour
nous d’un avantage extraordinaire » [Gee, 1995 (1729), IV, p. 42]. Cet auteur ajoute même
que : « notre profit est plus ou moins important selon le nombre qu’on emploie ». La raison
tient non seulement à la gratuité du travail mais surtout au faible coût d’achat si bien que « le
travail peut être fait par les esclaves, presque aussi bon marché qu’il l’est en Inde » [Gee,
1995 (1729), IV, p. 83]. Ce point de vue n’est pas unique. Il est partagé par Defoe qui montre
bien en quoi la traite négrière représente « un avantage considérable en sachant que ces nègres
ne coûtent pas plus de 30 à 50 shillings par tête » [Defoe, 1974 (1728), p. 183]. L’intérêt des
colonies de peuplement prend ainsi toute sa place puisqu’on produit avec une main d’œuvre
servile des biens dont la fabrication n’aurait pu être possible en l’absence de cette traite : les
productions de coton, de café, de sucre, de tabac nécessitent en effet de recourir à une main
d’œuvre importante. Mais si Defoe admettait la nécessité économique du recours à la main
d’œuvre servile, il le regrettait sur le plan de la morale11 notamment dans son texte :
Reformation of Manners et en ce sens il fut un des précurseurs du combat anti-esclavagiste
(Moore, 1970, p.289-290). Cependant, l’argumentation économique l’emporte car l’immense
majorité des auteurs n’évoque pas cette dimension morale de l’esclavage et préfère insister sur
la dimension exclusivement marchande. De fait, un des thèmes en lien avec la traite négrière
porte sur la réorganisation du commerce africain et sur la place de la Royal African Company.
La question est discutée au sein du Board of Trade dans les années 1707-1710 (Steele, 1968,
p. 124-127) suite aux critiques faites par la Royal African Company. Celle-ci invoque
11
“The work of the islands, which is the planting canes and making sugar, whether in the fiel or in the sugarworks, is of that nature, the labor is so severe, the climate so hot, the food so coarse, that no Europeans were ever
yet found could go through it-at least not to the profit of the planter. They must have people used to extremities
of the wealther, entirely subjected to the governement and correction ot the cruelest masters, that they may be
whipped forward like horses, that can live on what it next to the offal of food, like beasts, and never knew better;
that have the strenght of the ox and know no more of liberty; and that suffer everything the horse suffers, but
being flayed when they are dead, which would be done too, if they could get 6d. For the hide – These they get
their wealth from – and these, I doubt, they have much to answer about, as to cruelties and barbarities; which it is
not my present work to inquire into” (Defoe, cité par Moore, 1970, p. 290).
10
l’augmentation du coût des esclaves due à une compétition accrue avec les marchands
d’esclaves indépendants. Le Board of Trade note pour sa part qu’il n’est plus indispensable
d’avoir une compagnie réglementée, allant à l’encontre des thèses soutenues par Defoe, qui
fut un temps agent de cette même compagnie africaine dont il défendit les intérêts.
Ce recours à la main d’œuvre servile n’exclut pas toutefois le recours aux pauvres de la
nation. Pour Berkeley, c’est à l’État de veiller à l’emploi de tous (F. Petrella 1966, p. 277)
sans pour autant être l’employeur direct des pauvres même s’il n’exclut pas un programme de
travaux publics pour les secourir (Hutchison, in Blaug, 1991, p. 55). Dans son texte The
Querist (1735) où il expose son programme pour favoriser un haut niveau d’emploi face au
chômage chronique et pour améliorer le niveau de vie du peuple, Berkeley évoque plusieurs
pistes (Hutchison, in Blaug, 1991, p. 59) mais pas de solution coloniale. Pourtant, les colonies
sont encore une solution à l’éradication de la pauvreté, solution défendue notamment par Gee
et Defoe. Gee analyse les colonies agricoles comme une solution économique et sociale à la
pauvreté endémique de la Grande-Bretagne : « J’ai eu en vue la culture et la production en
grande abondance de produits dans nos colonies pour mettre les pauvres au travail, les
nombreux emplois provenant de la soie, du lin et du chanvre qui fourniraient une telle variété
qu’il n’y aurait du travail non seulement pour les plus robustes et les plus forts, mais aussi
pour les faibles et même pour les enfants ; et sans doute un bon exemple et persévérance dans
les règles de l’industrie changerait les véritables inclinations de ces oisifs, vagabonds qui
maintenant courent le royaume et perdent leur temps et l’argent qu’ils ne peuvent en aucun
cas obtenir, de leur débauche » [Gee, 1995 (1729), IV, p. 50]. Pourtant au cours de ce même
siècle, Defoe trouve qu'en Angleterre il y a plus d'emplois que de travailleurs disponibles,
aussi comprend t-il mal comment le peuple anglais puisse encore faire la charité aux pauvres.
Il demeure persuadé que la charité est pour certains pauvres, plus rémunératrice que le salaire
obtenu en travaillant ! « Quand j'ai voulu engager une personne en lui offrant 9 s par semaine,
ils m'envoyaient dire fréquemment qu'ils pouvaient gagner plus en mendiant » [Defoe, 1704,
p. 12] se plaisait-il à dire. Énumérant les différentes causes possibles à la pauvreté du peuple,
Defoe croit la découvrir dans « leur paresse héréditaire ». Il y a dit-il « rien de plus fréquent
pour un individu que de travailler pour remplir ses poches d'argent et rester oisif après ou bien
peut-être de s'adonner à l'ivresse » [Ibidem, p. 27]. Aussi croit-il aux vertus d’un séjour dans
les colonies car comme le constate de la même manière Gee : « Quand, ils sont transportés
dans les colonies […] ils deviennent travailleurs » [Gee, 1995, (1729), p. 66]. L’auteur pense
que le fait de devenir propriétaire les incitent à travailler : « La perspective d’être propriétaire
de terre les induiraient à continue leur labeur…. Ils se marieraient jeunes, augmenteraient et
multiplieraient et s’approvisionneraient eux-mêmes avec chaque chose qu’ils souhaitent de
nous à l’exception leur nourriture » [ibidem, p. 66]. A coté de l’intérêt économique à ne plus
entretenir de pauvres dans les paroisses –ce qui devient un véritable fardeau pour la
collectivité, Defoe insiste sur la dimension « curative » et enrichissante d’un séjour
colonial pour tous ces pauvres : « Ici nous disposons d’un nombre croissant de pauvres, ils
s’en vont pauvres et reviennent riches, Là ils plantent, commercent, réussissent, et
s’améliorent, même vous transportez des félons, vous les envoyez en Virginie […] et ce qui
est encore mieux, deviennent honnêtes, deviennent de riches planteurs et marchands, de
grandes familles bien installées, et deviennent célèbres dans le pays, nous en avons vu parmi
eux devenir des magistrats, officiers militaires, capitaines de bateaux » [Defoe, 1974 (1728),
p. 273-274]. Il souligne en particulier l’intérêt que portent les pauvres Écossais à l’aventure
coloniale, non contraints ou forcés mais très souvent volontaires, ce qui n’était pas le cas de
tous les départs d’Anglais note t-il (Bowen, 1996, p. 161). L’émigration des pauvres comme
solution à l’oisiveté n’exclut cependant pas la crainte d’une fuite de main d’œuvre dont
11
l’absence pourrait être, d’après Gee (Johnson, 1965, p. 246) préjudiciable à l’économie de la
métropole, argument qu’un auteur comme Paterson ne semble pas partager.
3- La colonie doit s’enrichir mais les colons doivent rester pauvres !
Le travail des pauvres dans les colonies et le travail des esclaves doivent déboucher sur une
création de richesses utiles à la métropole. La colonie doit être riche au même titre que la
métropole car la pauvreté, selon Paterson dont le point de vue est largement partagé « est la
maladie de la nation » (Paterson, 1705, p. 1). Mais l’enrichissement de la nation et de la
colonie supposent en contrepartie une condamnation de tout enrichissement individuel et une
condamnation de la consommation de luxe. La richesse d’un pays et en l’occurrence d’une
colonie ne se fonde que sur la pauvreté des citoyens. Nous retrouvons cette analyse chez
Berkeley (1721 et 1735) quand il compare la situation de la France et de l’Angleterre. Dans
l’Essay de 1721, il fustige le luxe en attribuant le déclin de l’Angleterre à la consommation
effrénée de produits comme la soie et les calicots venus d’Inde, et au-delà de cet exemple il
estime que « A corrupt luxurious people must of themselves fall into slavery” (Berkeley 1721,
p. 15) ; a-contrario, « Frugality of Manners is the nourishment and strenght of bodies politic.
It is that by which they grow and subsist, till they are corrupted by luxury, the naturel cause of
their decay and ruine » (Berkeley 1721, p. 10). De même, Gee, qui partage ce point de vue
très « mercantiliste », et qui compare la situation des colonies anglaises avec celle des
colonies françaises, note que : « Les colons (anglais) vivent dans le luxe et dépensent
beaucoup, pendant que les Français, dans le souvenir de leur pauvreté lors de leur première
installation, continuent à vivre de façon très frugale, et par leur travail, industrie et fertilité du
sol, sont capables de nous vendre moins cher » [Gee, 1995, (1729), p. 55]. Il prend en
particulier l’exemple de l’indigo produit par les Anglais en Jamaïque et vendu beaucoup plus
cher que le même produit cultivé et transformé par les Français : « Autrefois, il y avait de
grandes quantités d’indigo produites à la Jamaïque et de très bonne qualité, mais les premiers
colons étant devenus très riches, devinrent négligents dans la culture, et les Français ayant
envoyé un nombre considérable de pauvres gens, à la charge de la Couronne, ils s’attaquèrent
aussitôt à cette activité et vendirent à meilleur marché que nos planteurs de telle manière
qu’ils les écartèrent du commerce…. Si bien que nous recevons maintenant sous le nom
d’indigo de Jamaïque, ce qui est fait par les Français » [Gee, 1995, (1729), p. 56-57]. Gee
pense que si les colons deviennent trop riches, l’activité coloniale risque de péricliter en
raison de coûts de production trop élevés et elle risque d’être moins lucrative pour la mère
patrie. L’idéal serait d’être pauvre et de le rester, ce qui devrait être autant le cas des
métropolitains que des colons.
4- Un grand marché outre atlantique au service de la métropole
La richesse naturelle des colonies, la mise au travail des pauvres et des esclaves sous la
direction des colons, contribuent conjointement à l’enrichissement des colonies, et
indirectement à l’enrichissement de la métropole, sous certaines conditions. Que les colons, à
titre individuel, mènent une vie sobre, à l’instar des citoyens de la métropole (qui devraient
aussi s’y plier), est une des premières conditions (voir ci-dessus). Ensuite, sont discutées à la
fois la nature et la part de l’enrichissement qui revient à la métropole et les conditions qui
doivent être remplies pour le canaliser.
Les colonies présentent l’avantage, déjà souligné au 17 e siècle, d’être une source
d’approvisionnement en matières premières. Ainsi pour Gee, dans les colonies, on achète tous
les produits anglais que sont les vêtements, mais aussi les ouvrages de fer et de cuivre, tout ce
12
qui est nécessaire aux besoins de la domesticité et une grande partie de produits alimentaires
[Gee, 1995, (1729, IV, p. 38 ; Defoe, 1974 (1728), p. XIII]. Si on souhaite que les colonies
restent spécialisées dans la production des matières premières, c’est bien sûr pour favoriser
l’approvisionnement des manufactures anglaises mais c’est aussi parce que cela permet à
l’industrie anglaise d’avoir plus de débouchés [Knorr, 1963, p. 92]. Grâce à leur production
en matière première abondante on augmente les capacités d’achat des colonies en produits
britanniques.
Dans ce contexte, Defoe montre que la croissance démographique dans les colonies
d’Amérique ne cause pas un préjudice à la métropole, tout en sachant par ailleurs que cette
croissance est de moins en moins liée à l’émigration d’Angleterre. Pour lui cette croissance
démographique favorise la demande de produits manufacturés, lesquels stimulent le
commerce, la navigation l’emploi d’un grand nombre de marins, l’emploi dans les
manufactures et en définitive la puissance et la prospérité britannique. En définitive le
développement économique des colonies est nécessaire à la prospérité de la mère patrie à
condition bien sûr de canaliser cette nouvelle richesse à l’avantage de l’Angleterre. C’est le
constat qui est fait dans un texte de 1740 : « Les colonies emportent plus d’1/6 de la
production des manufactures de laine britannique qui est le produit principal d’Angleterre
[…] ils emportent et consomment plus du double de la production de toile et de calicots, en
valeur, qui est soit le produit de la Grande-Bretagne et de l’Irlande ou partiellement les
réexportations rentables de produits importés de pays étrangers. Le luxe des colonies qui
augmente chaque jour, consomme de grandes quantités de soie manufacturée, de mercerie,
d’objets domestiques et des bibelots de toute sorte » [Keith, 1740, cité par Knorr, 1963, p.
95]. Ce marché colonial est une façon de se garantir des débouchés qui semblent moins sûr
quand on a comme clients des pays étrangers et européens en particulier. Il s’agit en fait d’un
marché captif où la concurrence des autres pays est écartée.
Pourtant, en encourageant la production de ces matières premières, on pourrait craindre que
les colonies puissent à terme devenir des concurrents en transformant ces produits en biens
manufacturés. Gee, dont nous devons souligner la possession d’intérêts commerciaux et la
participation à l’exploitation de mines de fer dans le Maryland et en Virginie, ne croit pas à
cette concurrence préjudiciable, à condition de réglementer et de contrôler très sérieusement
les activités coloniales12 ; par exemple aucun lainier devrait s’installer selon lui sans un
premier enregistrement auprès du gouverneur de chaque province [Gee, 1995, (1729), IV, p. ].
Il faut encourager l’activité économique des colonies en général, tout en veillant à ne pas
détourner les richesses au profit des seules colonies elles-mêmes, d’où sa position favorable
aux Actes de navigation. Il est conforté dans cette démarche par d’autres auteurs
mercantilistes, marchands pour la plupart qui soutiennent les mesures de protection et les
mesures coercitives à l’égard des colonies de l’empire : Blanch (1694, 1696), Brewester
(1695, 1702), Cary (1699, 1705) représentant des intérêts de l’Irlande et Seton (1705) porteparole des intérêts écossais. Si la plupart de ces analystes voient dans le développement
économique des colonies plus une source d’enrichissement qu’un préjudice porté à la
métropole, ils sont de plus en plus défavorables à l’existence de compagnies à monopole, dans
le commerce atlantique : c’est le cas de Gervaise (1720) qui est un des farouches partisans
12
Il convient de rappeler que le tabac, le coton, l’indigo, le gingembre, les bois tinctoriaux, le riz, les mélasses, le
chanvre, les produits de calfatage, les fourrures, le cuivre ne peuvent être expédiés que vers les ports de la
métropole. Les colonies ne peuvent pas acheter directement à l’étranger. La loi de 1699 interdit la vente des
lainages d’une colonie à l’autre, et leur exportation à destination des marchés européens. La loi de 1732 précise
que les peaux de castor soient envoyées et travaillées en métropole. La loi de 1750 prévoit que le fer et la fonte
ne peuvent être transformés en Amérique, cf.A. Kaspi [1986]
13
d’une plus grande liberté en matière de commerce international, ils sont aussi pour des
questions d’intérêt économique, partisans d’un commerce mondial réglementé et protégé, y
compris si cela se fait au détriment des colonies.
3 – La question des comptoirs des Indes orientales
Les relations entre l’Angleterre et les comptoirs d’Asie n’ont cessé de se développer au cours
de cette première moitié du XVIIIe siècle d’autant plus que la désorganisation du pouvoir
central après la mort de l’Empereur Moghol Aurangzeb eut un effet sur les pratiques
coloniales européennes. Au milieu du siècle, malgré une présence européenne encore faible
(75 000 Européens face à une population de plus de 200 millions) se met en place un pouvoir
économique (contrôle plus strict des aires productrices de cotonnades13) puis politique de plus
en plus fort. Les lois prohibitives ne suffisent pas à décourager la demande européenne. Le
Calico Act de 1700 non seulement n’a pas découragé la demande britannique mais a encore
créé des mécontentements parmi les lainiers car les calicots blancs (autorisés à l’importation)
étaient moins chers et moins taxés que les toiles peintes précédemment. De nombreuses toiles
furent teintes en Angleterre générant une véritable industrie, et vendues à bon marché. Par
ailleurs, beaucoup de toiles peintes rentraient clandestinement en provenance des Pays-Bas.
Enfin une grande partie de ces toiles peintes étaient directement envoyées dans d’autres zones
(Amérique en particulier) créant une concurrence supplémentaire aux produits lainiers
anglais. La loi protectionniste de 1721 mit un terme aux importations officielles de calicots
indiens à l’exception des mousselines, foulards, futaines et calicots peints tout bleu [Thomas,
1963, p. 118-119]. D’autres produits firent l’objet d’un commerce plus important au cours du
XVIIIe siècle et notamment le thé et le café. En 1717, le thé représentait 7% des importations
de la compagnie, 20 % en 1747 et 40 % en 1760. Le café qui représentait entre 1 et 2% au
XVIIe siècle des importations de la Compagnie des Indes, atteint 22% en 1724 [Chaudhuri,
1978, p. 97].
Le débat qui s’organise autour du commerce avec les comptoirs coloniaux révèle avant tout
une opposition radicale d’intérêts entre lainiers et importateurs de produits coloniaux. Un
débat connexe porte sur le risque de déclin de l’économie britannique : Les intérêts personnels
des lainiers lésés par d’autres intérêts commerciaux, contribueraient au déclin industriel et
commercial de la nation. D’une façon plus générale tout d’abord, certains auteurs
s’interrogent sur les limites de la liberté économique. C’est le cas de Berkeley qui publie An
essay towards preventing the ruin of Great Britain (1721), pamphlet dans lequel il en critique
les excès de liberté responsables selon lui de la bulle des mers du Sud ( South Sea Bubble)
(Hutchison, in Blaug, 1991, p. 3-4). De façon plus pragmatique, les marchands F. Blanch
(1694, 1696) F. Brewster (1702) attribuent le déclin de leur pays à l’exportation de laines
brutes à destination de manufactures étrangères pénalisant l’industrie lainière de leur pays. Ce
nationalisme économique débouche aussi sur une critique du comportement de la compagnie
des Indes. Il pense en revanche que la réussite d’une compagnie des indes écossaise aurait
comme conséquence de réduire les avantages de l’Angleterre. Blanch observe que les
importations de calicots ne sont pas équilibrées, qu’elles concurrencent trop sévèrement les
produits locaux lainiers et qu’elles s’accompagnent d’une sortie nette d’argent « Ce
commerce se fait au détriment de notre nation » (Blanch, 1696, p. 6) Brewster qui est très
impliqué dans le commerce d’outre mer mais pas avec l’Inde, voit dans les calicots une
13
La compagnie des Indes commanditait la production, faisait des avances aux artisans, et disposait ainsi de
puissants moyens de pression.
14
concurrence dangereuse en raison du bas coût de la main d’œuvre indienne. Il suggère, en
riposte, d’agir sur le coût de travail via l’approvisionnement en denrées alimentaires plus
qu’en jouant sur les salaires des ouvriers « un penny par jour pourrait être ôté à chaque
travailleur, ce qui pourrait être possible si les approvisionnements étaient réduits en
proportion, […] mais l’erreur provient du fait que nous n’envisageons aucun stockage pour
les temps de rareté » (Brewster, 1702, p. 54). Il reproche à la compagnie, qui favorise le port
de calicots indiens au sein de la population britannique, d’écouler peu de produits
britanniques sur les marchés coloniaux : « je ne vois pas comment ce pays [l’Inde] peut être
approvisionné en produits manufacturés d’ici, qui conviennent à leur habillement, sauf s’il
s’agit d’un peuple qui a un goût pour les fantaisies » (Cary, 1699, p.9). Même Defoe qui
semble plus libéral par rapport à ce commerce, après avoir varié dans ses positions, propose
dans un texte de 1707 que les calicots soient importés sans contrainte mais manufacturés en
Angleterre afin d’employer plus de pauvres (Moore, 1965, p. 315). Tous ces arguments
protectionnistes sont relayés dans le British Merchant qui voit dans la protection du marché
britannique un facteur de soutient à l’industrie nationale.
Ce débat sur les calicots indiens prolonge naturellement la discussion engagée à la fin du 17 e
siècle (Clément, 2006). Les avantages d’un tel commerce sont portés au crédit d’agents privés
(Cary, 1699, p. 3) ou de la compagnie des Indes qui est, en théorie, porteuse de l’intérêt
général. En réalité, Blanch considère que l’intérêt de la compagnie se réduit le plus souvent à
celui de ses dirigeants « Ce commerce avec l’Inde, a été principalement aux mains de quelque
uns qui en ont récolté tout le bénéfice » (Blanch, 1696, p. 5) ; son positionnement annonce le
débat futur engagé par Edmond Burke sur les abus de pouvoir de l’EIC (Clément, 2014).
La polémique sur les calicots étant retombée après la loi de 1720, les économistes perçoivent
plutôt les avantages de ce commerce en mettant l’accent sur la contribution positive de ces
relations à la balance du commerce. C’est le cas par exemple de Gee : « Nous y envoyons de
très grandes quantités d’or, ainsi que des manufactures de ce royaume, achetons à très bas
prix, les produits manufacturés d’Inde et de Chine ; ces marchandises sont apportées chez
nous sur nos propres navires, en dehors de quoi nous nous approvisionnons en mousseline, en
calicot, et autres vêtements en coton, suffisants pour notre propre consommation ; de même
qu’en café, thé, soie brute et on est supposé vendre aux étrangers, autant de ces dites
marchandises que le paiement pour tous les lingots sortis, tout en nous laissant en plus une
balance du commerce très positive » [Gee, 1995, (1729, IV, p. 43]. On met l’accent également
sur le faible coût des matières premières comme la soie et son effet positif sur les
manufactures nationales. Une nouvelle position plus favorable à un commerce mondial libre
semble se dessiner mais elle n’est défendue que partiellement. Defoe y est favorable mais
avec beaucoup de réserves. Seul Paterson pourrait être qualifié de libéral avant l’heure. Son
désir de vouloir développer son projet de colonie écossaise, une sorte de plate-forme
commerciale mondiale, que pourrait constituer l’isthme de Panama en réunissant les deux
océans traduit ce coté visionnaire et libéral (Forrester, 2004, p. 3). Son rejet du monopole
commercial n’était pas lié au fait qu’il n’était pas lui-même à la tête d’une compagnie de
monopole. Il était profondément partisan d’un commerce libre, sans aucune restriction et
demeure un des premiers précurseurs de Smith (Rutherford, 2012, p. 19)14. Son combat, il le
traduit aussi dans un pamphlet publié en 1701 et intitulé : Proposals and reasons for
constituting a Council of trade, dans lequel il développe un certain nombre de raisons pour la
création d’un véritable bureau du commerce pour l’Écosse et en explicite les fonctions
principales. L’ambition de cet organisme est grande puisqu’il peut jouer le rôle
14
Hutcheson est assez proche des thèse de Paterson même s’il accepte quelques exceptions au principe du libreéchange (Rutherford, 2102, p. 19).
15
d’encouragement de l’industrie nationale (Paterson, 1701, p.17) tout autant que celui de
prendre des décisions en matière d’économie publique : « diminuer les dépenses publiques,
supprimer des monopoles [...] taxer, collecter les taxes » mais surtout, celui de favoriser la
croissance du commerce et le progrès de l’industrie : « il sera nécessaire que le poids des
taxes présentes soit partiellement allégé, et partiellement supprimées » (p. 26). Telle est donc
l’une des fonctions de ce bureau de commerce.
C- 1740-1760 : Une conception de l’économie coloniale de plus en plus
libérale ?
Durant les décennies suivantes 1740-1760, Massie (1759), Decker (1744), Townsend (1751),
Wallace (1753), Tucker15qui sont les auteurs importants de cette période abordent les
questions économiques et la question coloniale (pour certains) avec une orientation plus
libérale même si les traductions « libres » successives et la publication du Dictionnaire
universel du commerce de Jérôme Savary par Malachy Postlethwayt ou Richard Rolt qui
s’étalent de 1751 à 1766 atténuent ce changement.
1- Matthew Decker : L’incarnation du premier discours libéral
Decker est sans doute l’auteur le plus libéral de cette période même s’il continue à assurer la
défense du principe mercantiliste de la balance du commerce. Il est très impliqué dans le
commerce colonial puisqu’il fut directeur de l’EIC de 1713 à 1743 (Magnusson in Rutherford,
2004, p. 312-313). Dans son pamphlet Essay on the causes of the Decline of the foreign trade
consequently of the value of the lands of Britain and on the means to restore both, publié en
1744, un an après son départ de l’EIC, il prolonge le débat sur le déclin, entamé par des
auteurs des décennies précédentes, mais avec des conclusions et des propositions totalement
différentes ; Ce texte fut largement diffusé car réédité sept fois jusqu’en 1756. Beaucoup plus
théorique que le pamphlet publié en 1743 (Considerations on the several high duties which
the nation in general, as well as trade in particular, labours under, il explique le déclin du
commerce extérieur par des taxes élevées et par l’existence de monopoles. Les taxes
empêchent selon Decker le pays d’être un entrepôt mondial de marchandises (1744, p. 151),
elles ralentissent l’activité des transports maritimes (ibidem, p. 152), elles empêchent toute
croissance du nombre de marins « la force de cette nation » (ibidem, p. 152), elles
encouragent l’interlope (ibidem, p. 155) et contrairement aux mercantilistes des années 17001720, elles ruinent l’activité manufacturière et lainière en particulier (ibidem, p. 156). Ces
remarques concernent autant le commerce extérieur que le commerce strictement colonial.
Ensuite la critique des monopoles (qu’il comptabilise au nombre de six 16) porte en partie mais
directement sur les compagnies commerciales dont l’East-India Company, la South-Sea
Company, et la Turkey Company. Ces critiques sont d’autant plus surprenantes qu’elles sont
15
Cette période est celle où Josiah Tucker publie Brief essay on the advantages and disadvantages which
respectively attend France and great-britain with regard to trade en 1750 et Elements of commerce and theory
of taxes en 1752. Cependant sa contribution à la question coloniale et le débat auquel il a participé concernent
une période légèrement postérieure, contemporaine de Smith, Burke et Anderson (Clément, 2014) ; pour ces
raisons-là, il ne sera pas analysé dans le cadre de cet article.
16
Outre le monopole des compagnies de commerce, Decker s’attaque au monopole des villes et des corporations,
aux lois qui empêchent l’importation de produits agricoles d’Irlande, aux lois qui empêchent l’importations de
certaines sortes de poisson de l’étranger, aux Navigation Acts, aux lois qui empêchent l’exportation de produits
lainiers d’Irlande.
16
faites par un ancien dirigeant de l’EIC. En réalité, Decker quitte la compagnie dans une
atmosphère de scandales financiers et de vifs mécontentements des actionnaires (Chaudhruri,
1978, p. 459). Il construit sa thèse des effets négatifs des compagnies commerciales sur trois
arguments principaux : Ces compagnies restreignent le commerce des produits manufacturés à
l’étranger parce que «étant confinées à Londres, le prix des laines exportées s’en trouve
augmenté du prix du transport occasionné par cette localisation » (Decker, 1744, p. 168).
Ensuite il remarque qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’EIC « d’augmenter les quantités qu’elle
doit vendre […] des quantités plus petites augmentent le prix et si la compagnie peut gagner
plus avec 5.000 vêtements qu’avec 10.000, il est dans son intérêt de préférer une vente
moindre » (Ibidem, p. 168). Enfin le statut de ses agents fait qu’ils « ne seront pas autant
travailleurs que ceux qui commercent avec leurs propre argent » (ibidem, p. 169) ; ces
compagnies nationales ne développent donc pas le commerce avec les mêmes objectifs que
s’il s’agissait de marchands privés. Une autre critique porte sur le Navigation Act ; celui-ci
concerne plus directement le commerce colonial qui selon Decker renchérit les prix des
produits importés car les produits « ne sont pas importés avec des moyens de transport les
moins coûteux » (Decker, 1744, p. 174).
Alors que les conquêtes coloniales avaient comme objectif d’enrichir la nation, Decker en
conclut à la ruine l’économie. Dans la seconde partie de son pamphlet, il développe en détail
les mesures à prendre, en partant des points forts de l’économie anglaise. Il note que
l’Angleterre dispose d’atouts importants pour lutter contre le déclin économique et contre le
déclin de son commerce. Parmi ses atouts, il mentionne des éléments « institutionnels » dont
la sécurité frontalière, l’efficacité du gouvernement, des éléments environnementaux :
ressources minières et agricoles en abondance, possession de terres abondantes dans les
colonies de « plantation » avec l’avantage d’y disposer du bois de charpente, matière première
stratégique pour fabriquer les bateaux. Sur cette base il fait onze propositions dont certaines
concernent directement les colonies. Parmi les mesures importantes figure naturellement la
suppression ou la réduction des taxes ; il insiste bien sur le fait qu’il est important de « rendre
nos ports libres » (Ibidem, p 191). Les seules taxes autorisées devraient être celles portant sur
les produits de luxe. Sans les taxes, le commerce devrait augmenter car en important des
produits non taxés c’est indirectement « le travail qui devrait être moins cher » (Ibidem, p.
207). Une autre conséquence est le nombre d’emplois que cette mesure permet d’accroître. Il
conteste et critique explicitement les analyses de Gee qu’il cite d’ailleurs à partir d’un
pamphlet Tract on Trade. Il veut d’ailleurs prouver que si « notre commerce [est] totalement
libre, aucune nation ne nous causera de tort sur nos produits de base, nos manufactures de
laine […] par conséquent l’objection de Gee est nulle » (ibidem, p. 224). Une autre mesure
plus libérale et inédite est la liberté qu’il souhaite accorder au commerce des colonies ellesmêmes en leur permettant notamment d’exporter librement et directement vers l’Europe
(Ibidem, p. 263). Cette liberté que Decker souhaite leur accorder tient en partie à un avantage
géographique puisqu’il note que « la navigation de-là [Amérique] à la mer Baltique & à la
mer Méditerranée, est plus facile que celles de l’une de ces mers à l’autre » (Ibidem, p. 266).
Cette liberté consentie augmenterait de fait le commerce des colonies, car « elles peuvent
donc facilement fournir à la mer Baltique des denrées qui viennent plus facilement au midi ;
& la Méditerranée de celles qui viennent mieux au nord, & l’une et l’autre à meilleur compte
qu’elles ne pourraient s’en fournir l’une l’autre » (ibidem, p. 266 ). Ce commerce accru in
fine, permettrait de vendre encore plus de produits manufacturés de la métropole à ses
colonies. Decker de façon pragmatique considère que la liberté économique des colonies
présente un avantage économique pour elles-mêmes, pour la métropole et pour les autres
nations. On voit poindre ici le débat sur le coût des colonies et sur les détours de trafic de
production qui seront soulignés par Smith et par les libéraux dans les décennies suivantes.
17
2- L’intérêt économique individuel en question
Decker a marqué une avance théorique importante par rapport à l’idéologie mercantiliste du
moment. Mais au-delà du maintien de cette pensée économique encore très prégnante (cf
infra) l’approche de Decker fit l’objet d’une critique interne et en particulier de la part de
Joseph Massie, considéré comme l’un de ses opposants et l’un des précurseurs de Smith sur la
question notamment du taux de profit (Cunningham, 1891). Massie est l’auteur d’un nombre
important de textes et pamphlets concernant le commerce, la monnaie, les colonies et il
anticipe notamment certains aspects monétaires de la pensée de Hume (Hutchison, 1988, p.
239-241). Il a réuni également plus de 2400 travaux allant de 1557 à 1763 traitant des
questions de commerce et il défend l’idée en particulier que le commerce devrait être une
science avec ses propres lois : de même qu’il existe des lois physiques « par comparaison, les
principes de la science commerciale, quelqu’ils soient, doivent conserver leur nature et leur
efficacité dans des champs variés d’application » (cité par Hutchison, p. 241). Tenant compte
de ces indications, il s’attache à proposer des règles de commerce et en particulier à en fixer
les modalités d’organisation. Dans un texte de 1759 consacré aux îles à sucre, il trace
quelques règles de gestion économique et s’il parle de lois économiques, en réalité il s’agit
plus de règles que de lois à proprement parler. Dans ce texte, il commence par suggérer un
réaménagement des colonies de plantation en affectant les terres aux colons. Nous sommes
davantage dans le champ de l’économie administrée. Pour optimiser l’exploitation des terres
coloniales il propose « qu’elles ne devraient pas dépasser 200 acres et ne devraient pas être en
dessous de 20 acres » (Massie, 1759, p. 94) et de procéder à leur ré affectation à de nouveaux
colons « à des sujets protestants britanniques » dans le cas où celles-ci seraient laissées non
exploitées. Par ailleurs il critique les points de vue variés des marchands quand ils
s’expriment sur la question du commerce car il estime que ces derniers sont plus animés par
des sentiments personnels que par le bien public. Il ne croit pas en une compatibilité entre
intérêt individuel et intérêt général (Cunningham, 1891, p. 81), mais à une opposition, et en ce
sens, il anticipe les critiques faites ultérieurement par certains économistes libéraux
concernant l’appât du gain des colons, leur goût prononcé pour les richesses et le peu
d’empressement à exploiter économiquement les territoires coloniaux (Clément, 2012, p. 1112). Son point de vue implique un changement de gouvernance des colonies avec un pouvoir
politique plus impliqué et plus directif « De cette façon, je comprend plus simplement, les
colonies à sucre, et le commerce donc peut être soumis à plus de subordination et de
régularité, comme il doit s’accorder avec la dignité de la couronne britannique et la richesse
publique du royaume » 17 (Massie, 1759, p. 96). Cette réorganisation s’applique aussi aux
relations purement commerciales colonies-mère patrie en particulier s’agissant des
importations de produits coloniaux : « Aucun planteur ou propriétaire d’une propriété
coloniale dans une île à sucre, devrait être capable de charger un bateau pour son propre
compte ; […] les marchandises produites ici (colonies) devraient être livrées à un prix négocié
entre les colons et les acheteurs » (Massie, 1759, p. 95)18.
17
“By these or some such means, I most humbly apprehend, the British sugar-colonies, and the trade thereof,
may be brought into such a course of subordination and regularity, as comport with the dignity of the British
Crown, and the public weal of this kingdom” (Massie, 1759, p. 96).
18
That no sugar-planter, or other owner of a plantation, in any of the British sugar-colonies, should be capable of
shipping from thence as merchandize on his or her own account, any sugar, rum, melasses, &c ; but that those
and all the other commodities produced there, should be bartered for commodities, manufactures, negroes, &c,
brought to those colonies in British or British plantation ships, or should be sold to the commanders thereof, at
such prices as shall be agreed upon, between them and the sugar-planters, or other planters” (Massie, 1759, p.
95).
18
Ce rappel de la suprématie de la métropole sur les colonies et l’idée qu’une politique doit
s’appliquer à la colonie au même titre qu’à une simple région, cette préoccupation de « plus
de présence politique » dans les colonies se retrouvent dans le texte de Soame Jenys publié en
1765, via un argument portant sur la représentation politique des colonies. Jenys est engagé en
1755 au Bureau du commerce et des plantations (Board of commerce and plantations), et est
un représentant élu à la chambre des communes de 1742 à 1780 (avec une interruption entre
1754 et 1758). Un débat sur la question de la représentation politique des colonies au
parlement va s’engager à la chambre des communes avec la présence notamment de Burke
dès 176619. Or dans son pamphlet publié en 1765, Jenyns souligne la nécessité d’une taxation
des colonies américaines, au nom du principe q’il ne doit être établi de différence entre la
métropole et les colonies « Why does not this imaginary representation extend to America as
well as over the whole island of Great Britain ? […] Are they not alike British subjects ? »
(Jenyns, 1765, p. 17). À la différence de ce que pensent les libéraux quelques années plus
tard, on peut être taxé sans pour autant avoir une représentation électorale comme c’est le cas
d’ailleurs pour une grande partie des citoyens britanniques. Ici donc pas question d’autonomie
fiscale, ni d’autonomie politique. La colonie doit être au service de la métropole comme
n’importe quelle autre province du royaume. Cette argumentation renforce une conception
coloniale encore peu libérale mais très prégnante au cours de ces deux décennies, conception
que les Dictionnaires du commerce vont largement entretenir.
3- L’influence des Dictionnaires de Commerce
Le troisième élément important au débat colonial de cette période est la publication des
traductions du Dictionnaire de commerce. Cet ouvrage qui fut rédigé initialement en français
par les frères Savary, paraît en deux volumes en 1723. Postlethwayt 20 passe plus de 20 ans à la
traduction et à la rédaction du Dictionnaire. Une première traduction est disponible en
Angleterre en 1751 pour le volume 1 et en 1755 pour le volume 2. Comme le note Perrot
(1992), le traducteur introduit une dissymétrie dans les rubriques puisque les lettres A à C
comprennent 800 matières sur un total de 1000 (Perrot, 1992, p. 103), et une liberté de
traduction qui laisse une large part à une œuvre originale, quoique largement inspirée de
Cantillon qui est plagié en partie (Hutchison, 1988, p. 241-242). Dans cet ouvrage, il rédige
une note Colony totalement inédite. L’influence du Dictionnaire va être importante,
véhiculant une pensée encore très mercantiliste. Postlethwayt soutient la théorie de la balance
du commerce et est un farouche partisan des colonies et de l’économie esclavagiste. Ainsi, en
plus du Dictionnaire, il publie sur la question coloniale en 1745 et 1746 deux ouvrages
consacrés au commerce africain. Globalement il défend les colonies car elles demeurent un
élément de souveraineté, d’indépendance économique. Dans l’article America du Dictionnaire
il souligne la diversité, la complémentarité des richesses des colonies ; il parle d’un
« immense trésor de la nature, produisant la plupart des plantes, des céréales, fruits, arbres,
minerais… » (Postlethwayt, 1751, p. 55). Cette richesse potentielle doit être exploitée pour
19
Burke notera que les Américains refusent les impôts votés par le parlement au motif qu’il n’y a pas « de
taxation sans représentation ». Comme il affirme l’impossibilité physique de la représentation directe au
parlement et comme il récuse la représentation virtuelle, il demandera à la chambre des communes de renoncer à
exercer sa compétence financière à l’égard des colonies américaines et la proposition de reconnaître aux seules
assemblées coloniales le droit de voter des impôts. Voir sur ce point : « Edmund Burke et la question
américaine », Cahiers d’Économie Politique, 27-28, 1996, p. 131-144
20
Il est membre élu de la Royal Society en 1734, devient un expert dans le domaine de la science commerciale,
peut être considéré comme un contributeur important à la théorie économique de l’Angleterre des années 1750. Il
partage son goût pour les textes commerciaux avec Massie mais s’oppose à lui notamment sur les questions de
finances publiques (Rashid, in Rutherford, 2004, p. 963).
19
être réelle et c’est la raison pour laquelle il défend l’économie esclavagiste « les esclaves
d’Afrique sont très utiles pour la production de sucre, tabac, riz, indigo » (Ibidem, p. 56) mais
il souligne aussi en bon mercantiliste que « la richesse la plus importante consiste dans les
mines inépuisables d’or et d’argent » (Ibidem, p. 55). Ces colonies qui doivent « fonctionner
pour nous » (Article Colony, Ibidem, p. 532) et cette dépendance est le seul moyen de créer de
vraies richesses, car avant la colonisation, les richesses n’existaient que potentiellement. La
colonisation de peuplement en particulier nous permet d’exploiter, d’importer ce qu’on ne
peut produire, de vendre le surplus aux autres nations et de contribuer à une balance
commerciale excédentaire (mais pas avec les colonies à propos desquelles la balance du
commerce est déficitaire mais « il ne s’agit pas d’une balance comme avec les pays
extérieurs » (Article Colony, Ibidem, p. 532). Il défend encore l’idée d’un commerce protégé
et contraignant pour les colonies. Ces dernières non seulement ne peuvent pas être
indépendantes mais en plus, elles ne doivent pas concurrence la mère-patrie, pas
d’interférence « je suis contre le fait que les habitants de nos colonies commercent avec tout
le monde » (Ibidem, p. 532). Ainsi pour éviter toute interférence, Postlethwayt suggère que
l’activité de transformation de la laine puisse être faite exclusivement en Angleterre car « la
performance économique de cette activité est le fait de l’Angleterre » (Postlethwayt 1759,
p.144-145). En revanche, il faut axer l’activité coloniale sur la culture : « il faut par exemple
encourager les plantations de thé, de café, d’arbres à teinture… » (Ibidem, p. 177). L’apport
de l’éditeur du Dictionnaire n’est pas original par rapport à ce que les économistes ont pu dire
sur cette question au 17e siècle et au cours de la première moitié du 18e siècle mais la
diffusion via notamment le Dictionnaire donne à cette argumentation une importance toujours
aussi grande. Le discours de Decker connaît un impact moins grand si bien qu’il faudra
attendre véritablement le discours de Smith pour avoir une autre analyse de cette question. Ce
message va se trouver avec la publication d’une autre version du Dictionnaire de commerce
par Rolt (1756), une version abrégée par rapport à celle de Postlethwayt, qui sera rééditée en
1761. Rolt a également une rubrique Colony dans son Abrégé, dans laquelle il détaille à son
tour les mobiles de la colonie, mobiles classiques dont celui de développer une politique de
subordination politique et économique des possessions coloniales à la mère patrie. L’idée
d’un empire est très présente, mais il s’agit d’un empire où la colonie constitue une extension
territoriale qu’il faut préserver, exploiter mais dans l’intérêt exclusif de la puissance coloniale
et ce jusqu'au milieu du siècle (Pagden, 1995). À l’exception notoire de Decker, la plupart des
auteurs avançant des idées plus libérales ont peu ou pas abordé la question de l’empire, c’est
le cas de Charles Townsend, de Robert Wallace et d’Alexander Webster plus centrés sur les
questions démographiques circonscrites à l’espace national.
Conclusion
La Grande-Bretagne dispose ainsi au milieu du XVIIIe siècle d’un imposant empire colonial,
surtout avec le traité de 1763. Malgré ces résultats, qui sont en apparence satisfaisants pour un
temps tout du moins, les économistes au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle vont
adopter non seulement un ton critique à l’égard des pratiques coloniales, mais vont également
demander l’abandon des colonies, ou tout du moins le suggérer. Pour les auteurs de la
première moitié du XVIIIe siècle les colonies représentent encore un eldorado et un grand
marché, même si l’on commence à contester l’efficacité du régime de l’exclusif. À partir des
années 1760-1770, période charnière, on assiste à un basculement théorique. La question
récurrent qui se pose est celle du lien à maintenir ou pas, entre les économies nationales et les
empires outre atlantique et les comptoirs asiatiques. En Grande-Bretagne sans que le débat
s’organise formellement entre les économistes eux-mêmes et de manière systématique, Smith
(1776), Anderson (1782), Tucker (1775, 1776, 1781) Burke (1777, 1783) apporteront leurs
20
arguments à cette question à la fois politique et économique. Les gains économiques de la
colonisation qui retinrent l’attention des analystes de la première moitié du XVIIIe siècle sont
remis en cause au titre d’une triple illusion : il s’agit d’un gain particulier et réservé aux seuls
commerçants (critique du mercantilisme), d’un gain par défaut (c’est en n’appliquant pas
totalement la politique coloniale que l’on a de bons résultats), et d’un gain profitant plus
souvent aux colonies et aux pays non colonisateurs qu’aux pays colonisateurs, contrairement à
l’objectif recherché. La raison majeure de cet anticolonialisme sera à la fois théorique et
empirique ; théorique d’abord car la critique s’applique à la politique coloniale mais pas
seulement à la colonisation. Les économistes libéraux s’opposeront à la politique
mercantiliste en général et à son application aux colonies en particulier, au nom du principe
de liberté des échanges commerciaux entre nations, qui fut un des thèmes clefs de cette
période et au nom de la meilleure efficacité économique qui pourrait en découler. La seconde
raison est plus empirique dans la mesure où les économistes n’observent aucune évolution
économique réellement positive en Inde et en Amérique car l’échec économique est engendré,
selon eux, par la manière dont s’exercent le pouvoir et l’action des compagnies charters, des
marchands et des États.
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