Identité et multiculturalisme

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Identité et multiculturalisme
Identité et multiculturalisme en France
Ce petit déjeuner de la Fonda, organisé le 2 décembre 2010 dans le cadre de l’exercice de prospective
« Faire ensemble 2020 », accueillait Michel Wieviorka , sociologue, président de la Maison des
Sciences de l’Homme et Rokhaya Diallo, militante associative, fondatrice de l’associations Les
indivisible .
Michel Wieviorka
Entre communautarisme et universalisme, il n’est jamais facile de prendre position. Si l’on n’est que
d’un côté ou que d’un autre on court de graves dangers. Pour le communautarisme, ceux du
relativisme et de la confiance uniquement dans les particularismes, sont les plus évidents. C’est le
risque de la violence entre les communautés ; c’est la fragmentation et le fait que dans chaque
communauté, les individus, les personnes sont subordonnées à la loi du groupe et quand on dit les
personnes, c’est surtout en premier lieu les femmes. Ce sont elles qui sont les principales victimes.
Ce sont les dérives possibles si l’on se situe uniquement du côté des particularismes.
Mais il y a aussi des dangers à être uniquement du côté de l’universalisme. Car, lorsqu’il devient
abstrait, quand il consiste à dire qu’il n’y a que des individus, libres et égaux dans l’espace public,
tous pareils, il peut être aussi facteur de grandes injustices. Il va conduire à dire que les identités
particulières n’ont pas leur place dans l’espace public que s’y référer, en être fier, vouloir pouvoir
éduquer ses enfants dans ces particularismes, vouloir faire respecter des traditions etc… c’est mal
puisque cela ne correspond pas aux valeurs universelles. L’universalisme abstrait, trop brutal ou sans
nuances et sans concessions, peut déboucher sur des injustices et pire encore, sur des violences
menées au nom des valeurs universelles. Un exemple étranger peut aider à comprendre. Si vous allez
en Turquie, l’universalisme à la française d’ailleurs c’est le kémalisme c'est-à-dire l’idée républicaine
pure et dure. Il ne s’est maintenu très souvent qu’à coup de dictatures, de violences répressives,
d’actions militaires, etc.
Il convient donc d’accepter l’idée que le problème n’est certainement pas de choisir l’un ou l’autre
des deux pôles mais qu’il est de réfléchir aux possibilités de les articuler, de les concilier.
Du modèle québecois
Pour être beaucoup plus concret il est intéressant d’observer comment le débat s’est construit, non
plus en termes abstraits, philosophiques mais en termes concrets d’abord au Canada et, plus
précisément, au Québec. Dans les années 60, à une époque où la question francophone était assez
centrale et sensible le gouvernement canadien s’est dit : pour s’en sortir on va commander un
rapport sur le bilinguisme et le biculturalisme, sur les deux langues (le français et l’anglais) et sur les
deux cultures. Les gens qui ont fait ce rapport on dit qu’il valait mieux parler de « multiculturalisme »
plutôt que de biculturalisme car le Canada ce n’est pas simplement des francophones et des
anglophones c’est aussi (là, il y a tout un vocabulaire où il faut être très ″politiquement correct″) les
indiens, les nations premières, les eskimos, les inuits, etc.). Tous ces peuples qui étaient là avant la
colonisation. De plus, il y aussi des gens qui descendent de migrants venus d’Allemagne, d’Ukraine et
puis enfin, il y a des migrants beaucoup plus récents. Par exemple, si vous prenez un taxi, il y a une
chance sur deux pour que le chauffeur soit haïtien. Donc c’est beaucoup plus compliqué. Peut-être
cette idée s’est-elle imposée pour noyer le poisson de la question de l’indépendantisme ?
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Le débat canadien s’est donc construit avec les questions suivantes : 1°- la question francophone ; 2°la question des nations premières ; 3°- la question des vieilles vagues migratoires qui ne sont pas
reconnues dans l’histoire canadienne (ukrainiens par exemple) ; 4°- la question des nouvelles vagues
migratoires. Ce que l’on a appelé le « multiculturalisme » ce n’est pas le fait que la société soit
multiculturelle, cela c’est évident. C’est la réponse juridique, institutionnelle au problème qui va
consister à dire que l’on va reconnaître toutes ces identités particulières, leur accorder une
reconnaissance y compris institutionnelle et, non seulement on va les reconnaître comme des
identités particulières avec une langue et les moyens aussi de la faire vivre et de se réclamer d’une
histoire singulière, mais en plus on a bien conscience qu’un certain nombre de ces identités
particulières ont des difficultés sociales et donc on va aider socialement les membres de ces
minorités qui ont le plus de difficultés. Autrement dit, on a proposé un modèle de multiculturalisme,
que j’avais appelé, le « multiculturalisme intégré » parce qu’il prenait en charge en même temps
l’identité culturelle et les injustices ou les inégalités sociales. Le « culturel » et le »social » étaient pris
ensemble.
Au modèle des Etats-Unis d’Amérique
Si vous allez aux Etats-Unis, à peu près à la même époque, a été mis en place un « multiculturalisme
éclaté » où la question culturelle est une chose et la question sociale en est une autre séparée mais
elles sont traitées l’une et l’autre. Pour aller très vite, un exemple peut illustrer la différence. Aux
Etats-Unis, vous pouvez réclamer à ce que dans les universités il y ait des départements d’études
noires (« african, american studies »). Vous pouvez demander que l’on reconnaisse qu’il y a une
littérature noire, une musique noire, une relation historique particulière des noirs à l’Afrique, etc.
Autrement dit, vous avez une reconnaissance culturelle qui se fait à travers l’université d’un côté. Et,
puis depuis la fin des années 60, il y a de l’ « affirmative action » qui n’est pas une mesure culturelle,
et qui consiste à dire on va donner aux noirs des possibilités propres à leur groupe d’accéder à
l’université. On ne dit pas je vais reconnaître une histoire noire, une culture noire. On dit : « je
reconnais qu’il y a une injustice structurelle qui fait que les noirs n’accèdent pas à l’université et pour
pallier cette injustice structurelle, je mets en place des structures particulières, pas des quotas mais
des choses qui s’en rapprochent ». Donc, il y a d’un côté, une mesure sociale pour les noirs et d’un
autre, de la reconnaissance culturelle. Ce sont deux choses différentes. Vous pouvez très bien dire :
« je suis noir. Je veux rentrer à l’université en bénéficiant de telle ou telle politique. Cela c’est social
et vous pouvez très bien dire : « noir ou pas, je m’intéresse au jazz et je veux aller étudier dans le
département des « african american studies ». La question s’est construire différemment aux EtatsUnis et au Canada.
La spécificité de l’émergence de la question en France
En France, la question s’est construite d’abord « du dedans » de la société, sans que l’on parle du
multiculturalisme, avec un certain nombre de mouvements dont les plus significatifs sont :
1. les mouvements régionalistes (« Je suis occitan. Je suis breton. Je veux que mon identité soit
sauvée et reconnue parce que le jacobinisme la lamine, etc. ») Ce sont des mouvements qui
de l’intérieur de la société française ont commencé à interpeller l’Etat et cela, dans un
contexte des trente glorieuses. Ces mouvements ne sont pas une réponse à la crise.
2. Il y a eu des transformations qui s’inscrivent dans le même paysage qui sont des
transformations du monde juif de France. Jusqu’à cette période, on ne disait pas « les juifs »
on disait les « israélites » et le modèle était : « on est juif en privé mais certainement pas
dans l’espace public. Dans l’espace public il n’y a que des individus libres et égaux en droit ».
A partir de 67 et de la guerre des six jours ou pour d’autres raisons, le monde juif se
transforme et s’affirme visiblement dans l’espace public, dans son soutien à Israël, dans sa
lutte contre l’antisémitisme, etc.
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3. Il y a un troisième changement très intéressant, c’est ce qui se joue non pas dans le handicap
en général mais dans le monde des sourds-muets ou plutôt des non-entendants. Pourquoi ?
La France, pays de l’Abbé de l’Epée, pays où l’on a compris l’importance de la langue des
signes, était un pays qui était le contraire de ce qu’avait rêvé l’Abbé de l’Epée. C'est-à-dire un
pays où l’on disait aux parents qui avaient des enfants non-entendants : « Ou bien vos
enfants vont à l’école avec les autres et ils se débrouillent ou bien on les met dans des
institutions spécialisées et là, entre eux, ils pourront vivre dans la langue des signes ». A la fin
des années 60, il y a un mouvement pour dire : « Nous ne voulons plus cela ! Nous voulons
être présents dans la vie de la cité avec notre propre culture et notre propre langue, la
langue des signes ». Emmanuelle Laborit a incarné ce mouvement.
Ce sont des mouvements très importants parce qu’ils ne nous disent pas : « Nous voulons du
multiculturalisme ». Chacun de ces mouvements pose les enjeux qui sont les siens mais commence à
dessiner un nouveau paysage.
Je ne vous parle pas des mouvements de femmes parce que les femmes ne sont pas une minorité
évidemment ! Mais les mouvements de femmes posent également ce type d’enjeux ou ce type de
questions. On pourrait trouver d’autres acteurs illustrant la même dynamique. Le mouvement des
homosexuels par exemple mais tout cela ce sont des enjeux qui sont toujours de l’intérieur de la
société française et dans le travail de la société française sur elle-même.
Dans les années 80 et 90, le mouvement se complique et s’épaissit avec les transformations de
l’immigration. Brusquement, la France découvre qu’il y a des migrants, que ces migrants sont là non
pas pour revenir dans leur pays après avoir travaillé dans les usines et les campagnes françaises mais
au contraire à partir du milieu des années 70, regroupement familial aidant, ils vont être dans la
société française. La question de ces différences culturelles va venir se télescoper avec la question de
la transformation des migrations et en particulier avec la question de la montée de l’Islam.
Les difficultés du « multiculturalisme »
Quelles sont les principales difficultés de ce que l’on peut appeler le « multiculturalisme » ? On
entend par ce terme un effort pour permettre de concilier des valeurs universelles qu’en France nous
appelons l’″idée républicaine″, en particulier, le droit et la Raison avec la reconnaissance ou le
respect des différences. On laissera de côté provisoirement la question sociale qui fait aussi partie du
paysage.
Le multiculturalisme propose une réponse qui consiste à dire : « Nous allons reconnaître les identités
particulières mais nous allons leur demander de respecter les valeurs universelles ». Autrement dit, si
vous appartenez (je prends des cas extrêmes) à un flux migratoire qui pratiquait l’excision des
femmes, on pourra vous dire que les valeurs universelles ne vous permettent pas de le faire mais cela
n’interdit pas pour autant à votre identité et à votre culture d’exister. La contrepartie de la
reconnaissance des identités particulières c’est qu’elles acceptent la loi commune. Autrement dit, le
multiculturalisme c’est quelque chose qui a à voir avec l’idée démocratique. Le multiculturalisme
n’est donc pas le communautarisme dont j’ai évoqué les dangers. Le multiculturalisme est un projet
plus ou moins réaliste mais c’est le projet de vivre ensemble avec ses différences (pour parler comme
Alain Touraine). C’est une formule institutionnelle, juridique, politique à l’intérieur d’une démocratie
pour essayer de concilier les valeurs particulières et les valeurs universelles.
Cela marche plus ou moins bien. Si l’on veut faire un bilan, ceux qui ont le plus défendu le
multiculturalisme dans les années 80 et 90 en sont un peu revenus. Aujourd’hui, c’est une idée un
peu en perte de vitesse dans les pays où elle a été très forte (Canada, Etats-Unis, Australie) mais
aussi dans les pays européens où les Hollandais et les Anglais ont fait machine arrière.
Je voudrais montrer les limites du multiculturalisme parce que mon idée générale c’est qu’il faut en
préserver l’esprit tout en l’adaptant aux circonstances qui rendent la question compliquée.
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Quelles sont les difficultés ?
La première, c’est l’Islam parce que l’Islam ce n’est pas de la culture ou en tout cas pas
nécessairement. C’est une religion. De manière un peu brutale, si vous retirez l’Islam du débat
français sur le multiculturalisme, vous retirez les trois-quarts de la discussion ou les déplacez vers la
thématique de la laïcité. Ce qui polarise le débat c’est en réalité un enjeu religieux : c’est l’Islam.
Faut-il accepter que dans certains quartiers, il n’y ait plus que des commerces musulmans ? Faut-il
accepter un carré musulman dans le cimetière municipal ? A l’école que va-t-on donner à manger ?
Est-ce que la Fonda a vérifié que ce petit déjeuner est bien conforme ? etc. C’est ce genre d’enjeux
qui rend les choses plus tendues même si ce n’est pas le seul enjeu.
Parler de culture alors qu’il s’agit de religion
Le débat sur le multiculturalisme est un peu corrompu ou perverti parce que l’on y introduit ce qui
est une préoccupation massive de la société française mais relève d’un autre registre. Jusqu’à quel
point y a-t-il un lien entre la religion et la culture ? En France, les gens sont de moins en moins
catholiques religieusement mais le catholicisme irrigue notre vie culturelle en permanence. Je me
suis toujours amusé en voyant la croix au-dessus du Panthéon ce qui ne choque personne. Imaginer
Voltaire sous une croix de 3 ou 4 mètres de haut ! Tout le monde sait bien que c’est le fruit d’une
histoire. Il y a bien aussi des gens qui sont musulmans culturellement beaucoup plus que
religieusement.
On voit que le débat public se construit en mêlant ou en confondant la question culturelle et la
question religieuse.
Deuxième problème, depuis les années 90 on a vu la question de la race être reposée en des termes
nouveaux pour la France dans la mesure où un certain nombre d’acteurs se constituent en
intériorisant et en affichant des catégories naturelles. Moi, je suis proche d’un mouvement qui
s’appelle le CRAN qui est représentatif des associations noires de France. Ce sont des gens qui
disent : « Nous intervenons dans le débat public à partir du fait que l’on se définit comme noir ». Cela
veut dire que l’on se présente dans le débat public non pas à partir d’une identité culturelle mais à
partir de ce qui d’habitude est mis en avant par les racistes. C’est cela le problème : cette
″racialisation″ du débat vient compliquer la discussion sur le multiculturalisme. Car, évidemment, ces
acteurs posent des questions qui font partie de ce débat et qui, en même temps, ne sont pas des
questions culturelles. Comment parler de multiculturalisme face à des gens qui vous disent : « Je me
mobilise en tant que noir pour réclamer que l’on mette fin à des discriminations ». Ce n’est pas
simple. Tout ce qui touche à la racialisation et même à l’ethnicisation de la société française tire le
débat vers des catégories relatives à la nature. Tout ce qui touche à l’ethnicité est en plus très
ambivalent parce que ce mot est un mot intéressant parce qu’il est ambigu. On ne sait jamais s’il est
plutôt question de nature ou de culture.
Difficile de parler de culture alors que des groupes eux-mêmes mettent en avant la nature
J’avais été très choqué il y a une trentaine d’années, lorsqu’il y avait eu des manifestations lycéennes
qui s’étaient terminées par de la violence et des jeunes noirs avaient cassé des vitrines de façon assez
spectaculaire. Je revois le patron d’une des chaînes de télé, venant commenter cet aspect-là et dire :
« et il y a eu un moment où ce mouvement est devenu une révolte ethnique » parce qu’il n’osait pas
dire que c’étaient des jeunes noirs qui cassaient des vitrines. Il n’y avait rien d’ethnique dans tout
cela. L’ethnicité permet de ne pas nommer vraiment les choses ou de rester dans la confusion ou
dans une configuration où naturel et culturel sont mêlés.
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Le troisième problème, qui est encore plus compliqué, c’est que le multiculturalisme pour pouvoir
fonctionner a besoin de pouvoir définir des groupes relativement stables. Quand on regarde les
différences culturelles partout dans le monde, on s’aperçoit qu’elles sont de plus en plus le fruit de
processus permanents de production et non pas simplement de reproduction. Cela change tout le
temps. Les gens ne disent pas : « je suis comme ceci ou comme cela parce que c’est mon identité et
celle de mes parents, mes grands-parents, etc. » Non, ils disent : « C’est mon choix ! ». Donc, je peux
rentrer dans une identité et en sortir. Je peux en avoir plusieurs et je peux les mêler. Il y a de
l’instabilité possible, permanente dans l’existence de toutes ces identités particulières. Comment
voulez-vous reconnaître un groupe ou un autre pour donner aux individus des possibilités
particulières si ce groupe n’est pas vraiment défini et si cela change tout le temps ?
Ce qui est vrai en matière de culture est vrai aussi en matière de religion. Je vous signale que parmi
les quelques femmes qui portent la burqua, un pourcentage non négligeable sont des catholiques
converties. Elles ne reproduisent pas l’Islam de leurs parents. Autre chose est en jeu, c’est une
expression vieille d’une trentaine d’années d’un grand historien Eric Nussbaum et d’un
anthropologue Terence Rogers qui ont écrit un livre traduit en français sous le titre « l’invention de la
tradition ». C’est cela l’idée. Les gens vont dire : « Je suis le porteur d’une identité culturelle qui
existe depuis des siècles et des siècles » mais en réalité cette identité peut être très récente.
Un jour à Marrakech on m’avait entraîné pour voir une fantasia traditionnelle qui était une invention
pour les touristes. Ainsi, le processus est permanent. Regardez la publicité avec ces produits soidisant traditionnels qui sont fabriqués dans des usines ultra-modernes ! On invente des traditions et
on bricole des matériaux récupérés pour présenter quelque chose qui se réclame du passé mais qui
est neuf. La troisième difficulté pour le multiculturalisme c’est qu’il doit figer les identités dont il se
préoccupe alors qu’elles sont souvent très mobiles.
Quatrième difficulté : le multiculturalisme ne peut pas être la panacée. Il ne peut pas régler tous les
problèmes (cf. Canada). Pourquoi ? Parce qu’il y a des identités qui n’ont pas grand-chose à voir avec
ce que peut apporter le multiculturalisme. Si vous êtes Inuit, vous ne demandez pas à participer
pleinement à la vie démocratique canadienne. En tout cas, tous ne le demandent pas. Vous
demandez au contraire à ce que l’on vous fiche la paix et que l’on vous laisse vivre d’une certaine
manière et à bénéficier de certains droits fiscaux par exemple. A la limite, vous direz : « Moi, j’étais
là avant tout cela et je demande que ceux qui sont venus après respectent les accords qu’ils ont signé
et dans lesquels nous étions respectés ». Autrement dit, c’est tout le contraire du multiculturalisme
qui est revendiqué : on ne demande pas à être dans la société canadienne, on demande plutôt à être
en dehors de cette société.
C’est la même chose dès qu’il s’agit de la question nationale. Si vous êtes québécois, francophone
indépendantiste, vous ne demandez pas le multiculturalisme. Vous demandez l’indépendance et à
sortir du pays. Le multiculturalisme ne peut pas s’accommoder d’une revendication de sortie de
l’ensemble. D’ailleurs au Québec, les indépendantistes sont très hostiles au multiculturalisme parce
qu’il apporte une solution qui ne leur convient pas du tout et parce qu’ils voient que c’est une façon
de faire qui leur rend la vie difficile en interne. En disant « vive le multiculturalisme », on va prendre
en compte aussi les minorités présentes dans le Québec et qu’il faudra respecter.
Ni les nations premières, ni ceux qui réclament l’indépendance nationale ne peuvent accepter le
multiculturalisme. En plus, il y a dans le multiculturalisme un certain nombre de choses qui choquent
des personnes qui relèvent des minorités parce qu’elles vont dire : « bien sûr, le multiculturalisme ce
n’est pas le communautarisme mais cela nous enferme dans une identité. Moi, je veux devenir
comme les autres ! ».
Il y a un très bon écrivain qui vient de ce monde indien et caribéen qui l’a écrit pour dire : « Arrêtez
de me dire que je suis différent ! ». Ce n’est pas si simple que cela.
Dernière difficulté : le multiculturalisme peut être appliqué à l’échelle d’une ville (cf. Cohn-Bendit
adjoint-au maire à Francfort) mais il a été pensé et voulu dans le cadre de l’Etat-Nation. Or, les
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problèmes qu’il entend traiter jouent souvent à des échelles supérieures. Nous sommes aujourd’hui
dans un univers « post-westphalien » c’est à dire qu’il n’y a pas seulement des états nations. Les
problèmes évoqués transcendent en permanence les états nations ; les migrants aujourd’hui pour
une grande partie d’entre eux sont des gens qui vont et qui viennent et qui veulent pouvoir se
déplacer, qui gardent contact non seulement avec le pays d’origine mais aussi avec toute une
diaspora. Il faut avoir une image des phénomènes migratoires qui ne se limite pas au cadre de l’état
nation qui les accueille.
Rappelez-vous l’étonnement à propos de Sangatte. C’était de découvrir qu’il y avait des gens qui
venaient du Moyen-Orient, qui étaient plutôt éduqués et qui n’avaient qu’une idée, traverser la
France pour aller ailleurs ! Le multiculturalisme ne peut rien dire pour des gens qui sont en transit.
Sans parler d’internet, il y a tout un ensemble de dimensions supranationales qui pèsent sur les
identités culturelles dont il est question. Comment voulez-vous avoir une politique supranationale
pour des identités particulières pensées dans le cadre d’un Etat nation. C’est aussi un des aspects de
la discussion sur les gens du voyage si l’on veut s’y prendre sérieusement. Qu’est-ce que cela signifie
appartenir à un monde du voyage en Europe aujourd’hui ? Quel modèle politique proposer à des
acteurs qui veulent être nomades ?
Le multiculturalisme n’est pas la solution mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien à faire
Si vous rassemblez tout ce que j’ai dit, vous voyez que le multiculturalisme est vraiment difficile. Il
rencontre toutes sortes d’obstacles, de dérives, de dérapages. Il pose beaucoup de problèmes. Est-ce
qu’il faut alors l’abandonner ? Oui, si l’on cherche à l’utiliser comme un modèle canonique à l’instar
du Canada des années 70. Cela ne peut pas marcher. En revanche, je continue à promouvoir l’idée
qui consiste à dire : « On ne peut pas interdire aux identités particulières d’exister dans l’espace
public. Ce n’est plus possible. Ce n’est pas réaliste parce qu’elles poussent de toute façon et cela
n’est pas juste. » Par conséquent, il faut trouver les modalités qui permettent de conjuguer la
reconnaissance des particularismes et celle des valeurs universelles que nous appelons « l’idéal
républicain ». Une des réponses, une piste peut-être, c’est l’idée de droits culturels à condition qu’ils
soient affectés à la personne et non pas à des groupes. Autrement dit, il est toujours ennuyeux de
donner à des groupes des droits parce que des notables vont se mettre en place, qu’ils vont imposer
leur façon de voir les choses et que cela peut conduire à des catastrophes. En revanche, que chacun
puisse bénéficier de la possibilité de vivre dans son identité, c’est différent mais cela n’est pas si
facile que cela. Je n’ai pas de réponse au problème. J’ai simplement le sentiment que si l’on fuit le
problème en disant qu’il n’y a qu’une réponse possible le modèle républicain pur et dur en oubliant
les identités particulières, on est alors dans l’incapacité de voir ce qui se passe dans la société. Or,
comme cela devient de plus en plus difficile, quand un idéal n’embraye pas sur le réel, il ne peut être
imposé que par des mots incantatoires ou par la répression policière. Il faut donc bien réfléchir à
d’autres formules. Toute la difficulté étant de marcher sur deux jambes et pas sur une seule ? Ceux
qui veulent marcher sur la jambe du respect des identités se font traiter, comme je l’ai été, de
« casseurs de la République » ou de « doux rêveurs » ou de naïfs. J’ai le sentiment cependant que les
idées bougent un petit peu.
Contrepoint par Rokhaya Diallo
Je préside et j’ai cofondé une association qui s’appelle « les indivisibles » depuis quatre ans. Elle a été
fondée sur le constat que nous étions citoyens d’un pays qui refusait de se percevoir dans son
évolution. On a choisi de s’appeler les « indivisibles » en signe de réappropriation d’un terme
éminemment républicain puisque le premier article de la Constitution française dit que « la France
est une République indivisible » et nous estimions qu’il en allait de même pour les gens qui
composaient la nation française mais également pour le territoire français qui n’est pas seulement un
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hexagone mais qui comprend aussi un certain nombre d’îles qui sont situées dans différents océans
sur la surface de la planète.
Un déni de réalité
Ce refus de prendre en compte cette réalité était exprimé à la fois par les discours publics assez
hostiles mais aussi par certaines images avancées par la France. Deux exemples concrets : vous
souvenez-vous du film fait par la ville de Paris pour postuler aux Jeux Olympiques face à Londres ?
Luc Besson avait produit une image d’une France qui était plutôt une image d’Epinal. En face de cela,
on avait le film de Londres qui montrait une ville et un pays composés de minorités, qui faisait la
promotion d’une image qui était aux antipodes de ce que nous avions essayé de vendre. Et nous
avons perdu !
Un autre exemple avec un film d’Harry Potter qui est sorti fin novembre. L’auteur fait évoluer Harry
dans une école qui est tout à fait multicolore et multiethnique. Son premier amour était une jeune
fille qui s’appelait Cho Chang d’origine asiatique. La capitaine de l’équipe était une jeune femme
noire. Dans la classe deux sœurs étaient d’origine indienne. Dans le quatrième volume d’Harry Potter
il y a un tournoi international de quidditch et l’équipe française arrive composée de jeunes femmes
blondes. Je me suis retrouvée atterrée parce que cela semblait être la perception que les gens
avaient de nous. L’école française serait composée de jeunes femmes blanches et blondes. C’est
l’image que nous produisons et c’est le témoignage de notre incapacité à nous représenter tels que
nous sommes. Pendant que les succès français sont « les choristes » et « le petit Nicolas », en
Angleterre on fait Harry Potter qui est un sorcier moderne dans une école moderne.
Je crois que c’est symptomatique de notre incapacité à nous percevoir tels que nous sommes
réellement. Quand on parle d’identité, l’identité cela ne veut pas dire identique. C’est quelque chose
qui est en mouvement. La France a toujours été en mouvement, elle l’est encore aujourd’hui et elle
semble traverser une crise d’identité comme cela peut arriver à certaines personnes. Cette crise s’est
manifestée l’année dernière autour d’un débat sur l’identité nationale qui aurait pu être une bonne
idée s’il ne s’était focalisé sur le problème important dans le regard de l’Islam. Il semble y avoir un
problème avec l’idée que la France puisse évoluer et qu’une composante croissante soit celle qui
porte une religion minoritaire mais qui arrive en second rang dans la population et qui conduit la
France à être le premier pays d’Europe quant au nombre absolu de musulmans.
La confusion entre question sociale et raciale
Notre association s’est faite aussi sur le constat que régulièrement dans l’actualité, les journalistes
proposaient une lecture ethniciste ou racialiste d’un certain nombre de faits, pourtant sociaux. Par
exemple, les révoltes urbaines qui ont éclaté en 2005 où de grands intellectuels et des journalistes
reconnus ont convoqué sur le banc des accusés, l’islamisme et la polygamie. Nicolas Sarkozy, à
l’époque Ministre de l’Intérieur, a envoyé des religieux pour prononcer une fatwa contre les
émeutiers. Cela n’a eu aucun effet car les émeutiers n’étaient pas motivés par des raisons religieuses
et rien n’indiquait qu’ils étaient par ailleurs musulmans. On semble invoquer de plus en plus la
culture comme facteur explicatif de faits qui sont plutôt la résultante de défaillances politiques. C’est
un véritable problème car cela conduit à une sorte d’assignation identitaire où des citoyens ne sont
plus considérés que comme des gens qui n’appartiennent plus qu’à une certaine culture. On ne les
voit plus comme des français à part entière mais seulement comme appartenant à des minorités.
C’est vrai que l’Islam a une dimension culturelle importante. C’est une religion mais il a aussi une
dimension culturelle du fait des certaines pratiques et du port de certains signes. Pour des jeunes
musulmans, parmi lesquels on observe une certaine réislamisation, c’est une façon d’affirmer une
culture et une identité qui a été stigmatisée et qui est toujours perçue sous un registre négatif et qui
n’est convoquée dans l’actualité que lorsque l’on parle de pays où agissent des terroristes ou qui
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sont dirigés par des théocraties autoritaires mais que l’on ne comprend pas comme un phénomène
français.
Réfléchir au-delà des clichés
La question du voile, dans l’actualité depuis 21 ans, elle toujours évoquée comme un élément
étranger à notre culture. Or, les femmes voilées françaises sont françaises. Quand on parle à une
jeune femme qui est issue de Sarcelles, de Saint-Denis, de Paris et qu’on la compare à une femme
afghane ; je ne vois pas le rapport. La femme française fait ce choix librement contrairement à la
femme afghane qui est contrainte. On a une lecture univoque de signes qui sont différents parce que
les contextes sont différents. Cette islamisation portée par de jeunes français est le fait d’une
problématique tout à fait française et qui est une réponse à un climat qui est français et qui ne peut
être comparé avec celui de l’Arabie Saoudite, de l’Afghanistan ou de l’Iran qui sont à mille lieues de
nos réalités. Aujourd’hui, porter le voile pour une jeune femme est un acte très courageux parce que
de fait cela écarte d’un certain nombre d’emplois, parce que cela peut générer des insultes. C’est un
acte de visibilité qui doit être interrogé en tant que tel surtout que c’est une identité qui est
relativement stigmatisée.
Il y avait la semaine dernière la journée contre la violence faite aux femmes. J’ai beaucoup entendu
ces dernières années parler de féminisme mais uniquement pour cibler des populations qui seraient
spécifiquement sexistes. Nous sommes dans un pays où tous les deux jours et demi une femme
meurt sous les coups de son compagnon et ces femmes ne sont évidemment pas toutes
musulmanes ! On a le sentiment que dans les cités il y aurait des rites particuliers qui rendraient les
gens sexistes et on a tendance à déconnecter cela d’un sexisme structurel de la société française.
L’assemblée nationale est composée à 82% d’hommes ce qui est moins qu’en Irak ou au Ruanda.
Donc, on n’est pas exempt de cela. Il faut chercher aussi les explications dans la culture française.
La question du multiculturalisme s’est manifestée lors du débat sur le Quick halal qui a été un débat
démesuré parce qu’il s’agit tout simplement d’un choix commercial. Le halal représente en potentiel
4 à 5 fois le bio et les impératifs commerciaux jouent pour répondre à une demande. La véritable
interrogation c’est pourquoi y a-t-il des territoires où vivent 80% de musulmans ce qui fait que les
fast food deviennent halal. Ça c’est une question de politique et non une question de culture.
Reconnaître que la France a évolué
On parle de multiculturalisme mais la question centrale est bien celle de l’Islam. On a eu le cas en
début d’année de cette femme qui s’était présentée sur la liste du NPA avec un voile. Toutes sortes
de polémiques ont eu lieu. On a parlé de féminisme. On a parlé de laïcité. C’est le code électoral qui
aurait dû servir de curseur pour confirmer la validité ou non de sa candidature. Sa candidature
répondait aux critères juridiques mais cela n’a pas empêché la polémique. C’est la preuve que la
France n’accepte pas son évolution et a du mal à se concevoir comme un pays qui évolue.
J’ai entendu dire que la France c’est 2000 ans de christianisme. Certes, mais la France évolue. Cette
mythologie de vagues de migrations qui se seraient progressivement intégrées sans heurts est
fausse. Les polonais, les italiens ont subi aussi des injures. Ce n’est pas nouveau. Les musulmans ne
sont pas différents des autres. Ils sont vus comme exogènes et le vrai challenge est de les concevoir
comme partie intégrante de la nation française et de définir une laïcité qui serait inclusive. Qui ne
serait pas un principe d’interdiction mais un principe d’égalité qui permettrait à toutes les minorités
religieuses quelle qu’elles soient de s’exprimer librement sans crainte d’être stigmatisées, sans
craindre d’être montrées du doigt comme étant des menaces pour la République.
Ce qui est important dans l’identité, c’est la liberté de chacun de se définir comme il l’entend. Par
exemple : la liberté pour quelqu’un comme moi est de ne pas être cantonnée comme étant une
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personne d’origine africaine. Je fais partie de tous ces français à qui l’on demande régulièrement
d’où ils viennent. Or, je suis née pas très loin d’ici à l’Hôtel-Dieu dans le 4e arrondissement. J’ai
tendance à répondre que je viens de Paris mais généralement les gens insistent en me demandant :
« mais avant où étais-tu ? ». C’est une question que l’on ne posera jamais à Will Smith ou à Jennifer
Lopez. Pourquoi ? Le premier est afro-américain et Jennifer Lopez est latino-américaine. Ce sont des
acteurs américains pour qui il ne fait aucun doute qu’ils sont américains. En France, il serait
important que l’on arrive un jour à ce résultat. 100% français mais éventuellement d’origines
diverses.
On peut être algérien et français, chinois et français. Quand il y a un match Algérie-Egypte, on a le
droit de porter le drapeau algérien sans que cela soit une menace pour la France. Les gens qui étaient
dans les rues avec le drapeau algérien étaient les mêmes que ceux qui étaient dans les rues avec le
drapeau français en 1998. Les identités diverses peuvent ne pas être conflictuelles.
Le communautarisme n’est pas toujours là où on l’imagine
Je pense que le débat sur le communautarisme n’a pas lieu d’être sauf s’il interroge un
communautarisme invisible. Parmi les élus nationaux, il n’y a qu’une seule femme non blanche. C’est
une élue du XXe arrondissement. Il existe un communautarisme en France c’est un
communautarisme d’élite, un communautarisme blanc, masculin, hétérosexuel qui refuse à toutes
les minorités d’accéder au pouvoir, d’accéder aux hautes sphères de l’économie et de la politique.
Quand on regarde la télé, il y a une grande différence avec le métro parisien. Quand on regarde un
film français, on a l’impression que tout le monde a 30 ans, vit à Paris et a des problèmes
sentimentaux, mais ce n’est pas le cas. La France est diverse et elle gagnera à accepter sa diversité et
à se reconnaître comme étant plurielle. Quand les élites cesseront-elles de restreindre l’accès de
leurs pouvoirs aux minorités et les reconnaîtront comme étant capables de prendre le destin de la
nation en mains et de représenter tout le monde ?
Quand on est élu et d’origine maghrébine ou musulmane, on ne représente pas les maghrébins ou
les musulmans, mais les français en tant que français. Il faut que tout le monde puisse accepter
d’être représenté par des gens issus de groupes minoritaires sans qu’ils soient affectés à une
compétence particulière. Il faut qu’ils soient comme les autres ministres et non affectés à des
missions liées à leur appartenance particulière. Les gens veulent des ministres qui incarnent la France
et qui parlent à tous les français.
Débat
Jacqueline Mengin (Fonda) : les associations sont les produits de la société. Elles sont un peu à la
marge. Le milieu associatif en est toujours à l’universalisme et aux valeurs de la République française
dans sa grande majorité et on voit bien dans le milieu apparaître des associations qui regroupent
d’autres minorités. On peut s’interroger sur la difficulté que nous avons, d’abord en interne, dans les
associations à accueillir un certain nombre de gens qui puissent transformer la situation et la faire
évoluer. Le cadre associatif, comme vous dites, est blanc, de classe moyenne ou supérieure ; les
femmes étant exécutives et les hommes aux responsabilités. L’image que cela donne à l’extérieur
pose problème. Mais il y a aussi un autre problème à l’extérieur : énormément d’associations se sont
créées qui représentent les minorités. Comment éviter que ces associations d’identité ne se
transforment en communautarisme. C’est notre problème. Peut-être que sur les territoires,
reconnaître et permettre à ces associations de représenter la vie associative au niveau local serait
possible, mais à quelles conditions ? Au niveau national, on n’y arrive pas pour deux raisons : ces
associations sont totalement absentes des instances représentatives associatives qui, elles, n’ont pas
très envie de pratiquer cette ouverture. Mais d’un autre côté, ces associations ont-elles envie de
venir ? Cela ne peut pas durer comme cela.
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Michel Wieviorka : il faut accepter l’idée que le vieux tissu associatif correspond à une période de
notre histoire et qu’il doit se transformer. Les problèmes dont nous parlons peuvent déboucher sur
la difficulté de créer une association. Les problèmes sont portés parfois par des gens qui ne sont pas
capables de créer une association mais quand ils peuvent le faire, ils se heurtent à des difficultés
pour être reconnus par les élus locaux. Il y a de la méfiance, de la suspicion, des inquiétudes. Il faut
aller vers ces nouveaux problèmes et ces nouveaux groupes. Deuxièmement, il y a toujours eu des
associations qui ont l’air communautaires et qui ne posent aucun problème. Mes grands-parents
sont des juifs venus dans les années vingt de Pologne. Ils étaient socialistes. Eh ! bien la première
chose qu’ils faisaient en arrivant en France c’est d’acheter un tombeau dans un cimetière. Il ne faut
pas voir que du négatif dans le communautarisme. La communauté c’est aussi une certaine
solidarité. Le tissu associatif que vous représentez a de formidables potentialités et par ailleurs, il
faut accepter l’idée qu’il est l’héritier d’un passé qui risque de le tirer vers le passé uniquement.
Martine Timsit : pas de multiculturalisme qui instituerait les minorités. Quand j’entends « France des
minorités » Moi, je crie « Au secours ! » .Je suis de confession juive comme l’on dit avec des parents
d’Afrique du Nord qui sont venus d’Algérie en 1962. Si j’avais à me définir dans un groupe dans quel
groupe me mettrait-on ? Le multiculturalisme ne me fait pas du tout envie en termes de modèles de
société. Par contre, l’objectif final de concilier des valeurs universelles ou en tous cas des valeurs
partagées me convient. Ce qui fait société c’est de partager non seulement des valeurs mais aussi un
code pour que l’on puisse se comprendre. Sinon, je ne vois pas ce que peut-être la situation française
si c’est une juxtaposition de minorités. Où en est la société française à cet égard ? Dans mon
expérience personnelle, je dis : « Vive la France ! » L’enjeu personnel est moins de s’affirmer que
d’être accueilli et respecté. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde et toutes les revendications
identitaires et culturelles partent aussi de ce défaut d’accueil. Si j’étais née dans une cité ghetto, si je
n’avais pas pu avoir accès à l’école publique et être accueillie comme tout un chacun, si, en ayant fait
des hautes études, je me heurtais à un plafond de verre parce que je m’appellais Saadi, alors, là peutêtre que je me positionnerais différemment et que j’aurais envie de dire : « j’existe. Je demande à
être visible ». Je crois que le combat est moins celui de l’identité que le combat pour l’égalité.
Hans H., sociologue : une remarque, avant dans les vieux atlas ethniques les africains du nord et les
arabes étaient considérés comme des blancs. Or, on a créé en France, une nouvelle catégorie : les
beurs. Je vois là, une forme nouvelle de racialisation. Je suis allemand, je viens du milieu associatif et
je suis à la Maison de l’Europe. Dans le monde germanique nous avons la subsidiarité et cette notion
permet de concevoir les différences d’une manière pacifique. Ce n’est pas une solution mais cela
diversifie les points d’accès à cette problématique. La RFA n’est pas un Etat-Nation. Elle conçoit 4
nations : les roms, les juifs, les danois et les allemands. L’état allemand est une fédération qui réunit
seize états différents ; l’église catholique est considérée comme un Etat et les associations d’église
considérées comme des équivalents de l’état. C’est une autre façon de voir qui ne résout pas tous les
problèmes mais qui ouvre quand même quelque part des frontières.
Brigitte Raynaud, secrétaire nationale du conseil national des villes (CNV) : la question du
multiculturalisme est une véritable préoccupation des élus au quotidien. Le CNV est une instance
consultative auprès du Premier Ministre pour tous les problèmes de la ville des zones urbaines
sensibles et des quartiers difficiles. Elle est composée d’élus et de personnalités qualifiées. A partir
de janvier 2011, le CNV organise un certain nombre de conférences en partenariat avec le Centre
d’Analyse Stratégique sur le multiculturalisme en rapport avec la politique de la ville. Les questions
des commerces, des piscines, des repas dans les écoles sont des questions qui ont du mal à trouver
des réponses d’où la méfiance des élus et leurs réticences à l’égard des milieux associatifs.
M. Boutot (Vie Nouvelle): deux images, en matière de compétitions sportives, je voulais renvoyer
celle de l’équipe du mondial qui a eu beaucoup de succès et était très porteuse. Et puis l’autre, des
cafés parisiens qui s’intitulaient l’ambassade d’Auvergne ; c’était porteur. Au départ, l’arrivée des
gens dans la ville crée des nécessités et des réseaux d’entraide. Aujourd’hui, le contexte est différent
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de celui de l’Ambassade d’Auvergne ou du regroupement des italiens quand ils arrivaient ensemble
mais ce n’est pas forcément opposé aux valeurs d’échange de relations et d’universalisme.
X (association de l’observatoire de la diversité culturelle) : j’ai vécu la période évoquée par Michel
Wieviorka au Canada. Il y avait aussi d’autres thèmes comme l’interculturalité et avec des amis nous
défendions le transculturalisme qui est une notion formée dans les années 40 à Cuba pour essayer de
dépasser les clivages communautaristes (Fernando Ortiz). N’est-ce pas une piste à explorer ?
Jean-Pierre Duport (Fonda) : je vais en rajouter une couche en tant qu’ex-préfet de Seine-SaintDenis. Je suis convaincu que si l’on n’accepte pas un certain nombre de différences en termes
d’identités culturelles cela deviendra invivable et l’on aura des tensions encore plus fortes. Sur les
statistiques ethniques, il faut lire l’excellent rapport de François Héran. C’est un rapport que nous
exploitons au CNIS et qui je crois a déminé la question en posant les vrais problèmes. Et puis, une
petite remarque, lorsque l’on interrogeait le curé de Bobigny, il répondait : « Je suis creusois. »
Comme son père était antillais. Ses origines paternelles avaient plus marqué son physique que celles
de sa mère de la Creuse.
Michel Wieviorka : à partir des émeutes en juillet 2005, il y a eu les attentats et les tentatives à
Londres. Dans la presse française, quelques responsables politiques et quelques intellectuels ont
écrit : « Vous voyez où mène le modèle multiculturaliste britannique ! ». On ricanait en France en
disant : « Nous on a le modèle républicain ! ». Trois mois plus tard, avec les émeutes on trouvait dans
la presse britannique : « Ah ! Ces français, ils se sont bien moqués de nous. Regardez où conduit le
modèle républicain ! ». Je ne dis pas cela pour critiquer l’idéal républicain mais pour dire que lorsqu’il
n’embraye pas sur le réel, c’est cela qui donne les émeutes. Ce n’est l’Islam, ce n’est pas l’ethnicité.
C’est le fait que les promesses de la République n’ont pas été tenues. C’est cela le problème. Elles
sont belles les promesses et je me battrai pour elles.
Ensuite, est-ce qu’il y a ou pas héritage du colonialisme ? Cela reste prégnant. Il en, reste quelque
chose. Il y a dans toutes ces affaires des dimensions historiques et mémorielles qui ne coïncident pas
forcément et dans ces dimensions la question coloniale est dans le paysage. Oui, l’Allemagne est ce
que vous dites mais il y a aussi beaucoup d’inquiétudes à propos du nationalisme allemand.
Habermas écrit sur cela. Il faudrait parler aussi de la montée des nationalismes qui est liée à
l’inquiétude sur les problèmes évoqués ici.
A propos de l’ambassade d’Auvergne, on est passé peut être plus rapidement en France d’une
conception du problème en interne avec les régions à une conception globale et mondiale. Au sens
où les problèmes du dehors pénètrent dedans et vice-et-versa. Il y a trois semaines j’étais à
Montreuil dans une rencontre comme celle-ci et j’ai compris : « Je ne comprends rien à ce qui se
passe au Mali si je ne comprends pas ce qui se passe à Montreuil et réciproquement. Autrement dit,
il faut penser ces questions-là à l’échelle planétaire ».
Il y a quand même une remarque en ce qui concerne l’évolution des identités. Aujourd’hui, pour
différentes raisons, les identités d’origine ont plus de capacités de perdurer et de se transformer
mais sans se dissoudre que dans le passé. Surtout dans un pays comme la France où le mot
assimilation est presque devenu synonyme de « racisme » ! Un écrivain mort, avait été accusé
d’antisémitisme parce qu’il avait écrit à peu près : « la solution à la question juive c’est
l’assimilation». Raymond Aron avait témoigné à son procès pour le défendre et il est mort dans ce
contexte. Personne n’ose parler d’assimilation. Cela a disparu de notre paysage et la question des
identités se pose différemment.
Sur le Canada, je n’ai pas de compétences pour parler sur « l’inter » ou le « trans » culturel mais en
vous écoutant, le Canada est un formidable laboratoire et nous devrions nous intéresser aux
discussions qu’il y a là-bas. Il y a eu il y a deux ans la commission Bouchard-Taylor. Autre spécificité
canadienne : les « accommodements raisonnables ». Allez voir cela sur internet. C’est en plein dans
nos problèmes. Une des leçons : c’est que les médias contribuent à l’affolement d’une manière
incroyable. Ils ont pris une vingtaine d’affaires qui avaient défrayé la chronique et ils les ont
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décortiquées. Les 9/10e de ces affaires étaient des affaires inexistantes mais seulement des
constructions médiatiques. Plutôt que de vous répondre sur trans ou inter, je vous dirai continuons à
regarder ce qui se passe au Canada cela nous aidera beaucoup à réfléchir.
Hamou Bouakkaz, maire-Adjoint de Paris : je bois du petit lait parce que je suis d’origine algérienne,
je suis handicapée et je ne suis ni en charge des uns ou des autres. Je me demande s’il faut que je
demande mon classement au patrimoine mondial de l’humanité comme espèce rare ou bien si je suis
un peu en avance sur la France. Je préfigure la mutation de ce modèle républicain que nous
défendons tous ici. Je partage le « vive la France ! » de Madame Timsit. Ce pays est le pays le plus
extraordinaire au monde. Ce pays m’a tout donné. Tous les matins quand je franchis le portail de
l’Hôtel de ville je me dis : « C’est extraordinaire ! Je vis dans la capitale du Monde. » Ce n’est un
chauvinisme imbécile de celui qui pense que la France va tout gagner. Mais la France c’est un peu
une vieille dame Alzheimer. Elle a perdu la mémoire d’une partie de ses enfants. Qu’est-ce qu’on fait
face à une vieille dame comme cela. Eh ! bien on ne la laisse pas tomber. On vient la voir. On lui tape
sur l’épaule et on lui dit : « Coucou ! Reconnais-moi. C’est moi. C’est moi dans ma singularité dans
tout ce que je suis ». N’en déplaise à Monsieur Hortefeux qui est passé un peu trop vite du boudin au
bouniouls. N’en déplaise à tous ces contempteurs d’un modèle archaïque, la France évolue grâce à
des sociologues comme Monsieur Wievorka, grâce à des indivisibles comme Madame Diallo qui la
remuent. Qui l’obligent à se questionner. Je le dis toujours. Je m’intègre le matin comme aveugle,
l’après-midi comme arabe. Je ne vais me pas me désintégrer comme français. Deux questions :
Quand vous avez évoqué le problème de l’Islam, vous avez parlé du carré musulman et des interdits
alimentaires. Ce sont des problèmes qui se posent aussi aux juifs et je trouve tellement
extraordinaire votre anecdote sur la tombe dans les années 20 où les juifs ont manifesté par là leur
besoin d’ancrage et d’arrêt de leur errance. Pourquoi est-ce qu’à des problèmes qui sont les mêmes
y a-t-il une réponse qui semble plus facile pour les juifs que pour les musulmans ? Est-ce que c’est le
fait colonial ? Ou bien autre chose ? La réponse est très compliquée.
Madame Rokhaya, pourriez-vous nous parler d’une cérémonie à laquelle j’ai assisté et qui est
revigorante et qui sont les « Y’a bon Awards » que vous allez nous décrire qui visent à récompenser
par une banane d’or, les racistes et les discriminants de manière à en sortir avec l’arme la plus
redoutable qui est l’humour qui est la déconstruction des préjugés par les mots. SI on parlait plutôt
que de groupe si l’on commençait à se dire que nous sommes tous des singuliers et que nous
aspirons tous à vivre en singulier. Je ne sais pas en moi qui l’emporte. Je me demande si l’aveugle n’a
pas sauvé l’arabe ! Nous sommes tous des singuliers pas des individualistes et que le but c’est
d’agréger ces singularités pour faire un bouquet société.
Rokhaya Diallo : La particularité des indivisibles c’est que l’on utilise l’humour pour lutter contre le
racisme et les préjugés. On fait un travail de veille toute l’année sur tous les propos racistes tenus par
les personnes publiques parce que l’on estime qu’elles ont une responsabilité et les phrases les plus
remarquables sont mises à l’honneur tous les ans ce qui parodie les César avec les galons d’or en
l’honneur des tirailleurs sénégalais et des humoristes viennent les présenter dans diverses
catégories : « Tu l’aimes ou tu la quittes », la catégorie « le bruit et l’odeur », la catégorie « les
envahisseurs » qui est un prix extrêmement disputé et qui est remise à une personne pour
l’ensemble de son œuvre. Et le trophée qui est remis par un artiste est une peau de banane dorée
que personne malheureusement n’est venu chercher. J’en ai 8 chez moi qui attendent leur lauréat.
Le dernier lauréat a été Brice Hortefeux. L’idée ce n’est pas seulement que le racisme est alimenté
par des préjugés mais il y a aussi une fonction de mémoire parce qu’une polémique en efface une
autre et on a tendance à oublier. Lors de la dernière cérémonie, on a eu 2 heures et demi de propos
racistes. C’est dire si l’on subit au long de l’année un flux qui structure les préjugés et qui créé une
ambiance. Ces propos répétés toute l’année sur l’invasion comment cela ne pourrait pas avoir
d’effets sur les français et alimenter l’agressivité et la suspicion sur les femmes voilées ou les
barbus ? C’est une façon de mettre les gens devant leur responsabilité parce que les mots portent la
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haine. C’est pourquoi, nous sommes des citoyens vigilants et à défaut, d’une sanction légale nous
proposons une sanction extralégale qui est la honte.
Michel Caron, responsable associatif et élu local : A partir de l’expérience, je voudrais faire un retour
sur la théorie et sur les concepts. Au fond, quand nous parlons d’identité nous rêvons tous d’éternité.
Il y a dans ce concept une vision statique ; un chat est un chat et ce n’est rien d’autre. Or, dès que
nous appliquons le concept d’identité à la réalité humaine : ce sont des racines, c’est un avenir, c’est
une histoire. Je reste moi-même dans ma vie à partir du moment où je fais quelque chose ou je
deviens quelqu’un d’autre. Au fond un projet associatif est lié à ses racines et à ses fondamentaux
parce qu’il est vivant et qu’il se pose des problèmes d’aujourd’hui autrement qu’il y a 50 ans. Ce que
je dis sur l’identité, on pourrait l’appliquer à la raison ou à l’universalisme. On croit que la raison c’est
une définition. On croit que l’universel c’est une définition valable partout et en tous temps. A partir
du moment où l’on réintroduit la raison et l’universel dans une dimension historique on se donne les
moyens de penser des réponses aux problèmes d’aujourd’hui sans renier tout ce qui nous a amené à
cette conception d’aujourd’hui. La nature elle-même a eu son histoire. Je suis élu à Roubaix et j’ai des
bons camarades qui m’ont dit : « mais toi, tu n’es pas un vrai roubaisien » et puis j’ai regardé autour
de moi. Roubaix, ce n’est pas né d’aujourd’hui. C’est une histoire. A ce moment-là l’identité humaine
devient une réalité vivante.
Thierry Guillois (Fonda) : je remercie Michel Wieviorka d’avoir placé le débat sur un terrain le plus
scientifique possible. Il y a tellement de passions dans ces débats que si on se laisse emporter par
elles, on perd le recul nécessaire pour trouver une solution. Le multiculturalisme est une donnée
mais une donnée ancienne. Essayons d’imaginer la rencontre entre un franc salien ou un ostrogoth.
Cela n’a pas du être simple tous les jours. La démographie est aussi une donnée très importante. On
aurait pu rester un instant sur cette dimension qui va devenir une dimension très importante dans ce
débat. Il me semble qu’il faut faire une différence entre la pratique religieuse et son respect et le
prosélytisme. On assiste à une résurgence du prosélytisme de toutes parts qui me paraît
relativement dangereuse. A titre personnel, je pense que la pratique religieuse est d’abord une
pratique intime, une relation individuelle entre une personne et une divinité ; c’est une pratique qui
peut s’exercer aussi en communauté. Je ne suis pas sûr que le prosélytisme extérieur à cette
communauté ne soit pas quelque chose d’enterré. On assiste à des résurgences de cela, dans un
certain nombre de mouvements, de protestants aux Etats-Unis et on sait quel rôle cela a pu jouer
dans la guerre en Irak mais aussi chez les catholiques, chez les juifs, etc. Ce qui a été absent du débat,
c’est sa dimension économique. Les considérations économiques qui poussent les populations à
migrer sont importantes. La situation qu’ils trouvent en France, en Allemagne, en Suisse, etc… me
semble une autre dimension. Enfin, la capacité de nos sociétés dans le contexte de la mondialisation
et de crise de nos vieilles sociétés à continuer à assurer par le système de péréquation un niveau de
vie suffisant ou décent à l’ensemble des populations. Quelle doit être la préoccupation
démographique pour nos sociétés ?
Jean-Pierre Worms (Fonda) : un point essentiel est de bien distinguer le droit des personnes et le
droit des communautés. J’ai beaucoup travaillé sur cet aspect à l’assemblée du Conseil de l’Europe et
nous aurions tout à fait intérêt à nous approprier la qualité des débats qui ont eu lieu sur le problème
des minorités. Très évidemment, le droit des individus à se construire par récupération d’une
multiplicité d’héritages, une identité qu’ils veulent affirmer dans l’espace public à travers une
expression collective c’est comme le droit syndical, c’est un droit des personnes qui s’exerce
collectivement. Mais la collectivité du même coup n’a plus de pouvoir d’assimilation de l’individu à sa
communauté. C’est l’individu qui se fabrique ses communautés de référence en fonction de son
projet individuel d’affirmation de son identité dans l’espace public. Cette approche par le droit des
personnes est tout à fait fondamentale pour dépasser les inquiétudes sur les communautarismes et
pour assumer le fait que les citoyens sont de chair et d’os et ont une histoire, un destin, des parcours
qui expriment des particularismes et que l’on ne peut pas fabriquer de l’universel en dehors des
particularismes qui le constituent.
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On a en France une conception de l’universel, de l’intérêt général comme étant des entités en soi
préexistantes à la société, qui s’imposeraient aux membres de la société comme une obligation,
indépendamment de la construction par la société elle-même des références communes qui font
société. Je crois qu’il est absolument indispensable de revenir sur l’idée que la Raison universelle,
l’intérêt général sont des constructions sociales qui sont les conditions que les membres d’une
société fabriquent ensemble comme des moyens de vivre ensemble pacifiquement, dans le respect
mutuel, etc. C'est-à-dire de travailler sur la construction par le débat public et le débat public
politique est un élément essentiel pour construire socialement le bien commun, les références
communes. On a besoin de références universelles mais elles doivent être le produit de la société ce
qu’elles sont de fait mais ce qu’on ne reconnait pas comme tel et non pas des entités qui
s’imposeraient à tout le monde et qui s’imposeraient par des élites qui ont le privilège de la maîtrise
de la Raison pour dire à la société voilà de l’universel et de l’intérêt général.
Michel Wieviorka : ce qui me semble important dans une rencontre comme celle-ci c’est que l’on
débouche sur une réflexion sur : qu’est-ce que l’universel ? Ce que l’on appelle l’universel c’est
souvent la parole des dominants ; c’est le blanc, l’occidental, l’homme, c’est l’adulte, c’est le patron,
qui parlent de l’universel plus spontanément que l’exclu ou le dominé.
C’est Marx que l’on peut citer et qui parle de l’universalisme abstrait. La réalité c’est qu’il y a des
individus concrets et là on rentre dans le débat philosophique le plus central de toute cette affaire :
devons-nous réfléchir avec l’image qu’il n’y a que des individus abstraits et proposer des conceptions
de la justice, de l’égalité, etc. ou est-ce que, et ce serait plutôt mon orientation, nous devons réfléchir
sur le fait que chaque individu, est à la fois un passé, un présent et un futur, c’est un ancrage, c’est
une famille, c’est des réseaux, c’est des traditions, c’est une histoire personnelle, collective, etc. C’est
un ensemble complexe. Est-ce qu’on raisonne avec des individus concrets ou abstraits ? C’est peutêtre plus facile et satisfaisant pour l’esprit de parler avec des individus abstraits mais la réalité est
faite de gens bien réels.
Le multiculturalisme est-il une idée de gauche ? De droite ? ou au-dessus ? Je souhaiterais qu’elle soit
au-dessus mais je pense qu’elle va être d’abord de gauche. La particularité de notre pays c’est cette
idée a été promue par un homme de droite : Nicolas Sarkozy, à sa manière que je conteste fortement
mais cela c’est autre chose. Le débat sur la discrimination positive qui est lié à ce dont nous avons
débattu ici. Le préfet musulman. C’était complètement inacceptable. L’historique de ce rapport sur
les statistiques dites ethniques. Nicolas Sarkozy a nommé un commissaire Monsieur Yazid Sabeg à la
diversité. Ce haut-commissaire à la diversité a été en faveur de statistiques de la diversité bien plus
radicalement que les miennes. Il a confié à Monsieur Héran et à une commission le soin de traiter du
problème. Cette commission a fait des propositions tellement élaborées et bien pensées que
Monsieur Sabeg n’est pas venu le jour de la remise du rapport parce qu’il ne s’y retrouvait plus. C’est
intéressant. Idem sur le thème de la nation. J’étais tout à fait d’accord. On peut être 100% français et
100% chinois ce n’est pas contradictoire. Mais le jour de France-Algérie, des gens peuvent être
déchirés. Le couple de concierges là où j’habitais était portugais. Certains jours ils sont français et
d’autres portugais. Pour France-Portugal, il y a le cœur qui saigne mais on peut dire aussi que de
toute façon ils seront contents. On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur l’idée de nation.
On assiste à un retour de Dieu, dans les années 50-60 mes collègues qui faisaient de la sociologie des
religions allaient dans les églises et comptaient de moins en moins de monde. Ils regardaient les
vocations pour les prêtres, etc. C’était la fin du religieux, un domaine qui devenait marginal dans la
sociologie. Aujourd’hui c’est rediscuté. Cela nous oblige à réfléchir à la question de la sécularisation
c'est-à-dire la capacité de la religion à accepter qu’elle n’envahisse pas tout. Je suis intéressé par ce
qui se passe en Iran en ce moment. Ce mouvement de contestation du régime des ayatollahs. Les
jeunes sont très religieux mais ils ne veulent pas que la religion leur interdise la musique, les relations
amoureuses. Autrement dit, ils demandent une laïcité, une sécularisation. C’est très important de
réfléchir aux droits des personnes et il vaut mieux éviter de réfléchir en termes de droit des
communautés.
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Rokhaya Diallo : ce qui frappant dans les groupes qui sont des minorités c’est qu’ils sont des
revendications universalistes. Il n’y a pas de demandes de séparatisme. Je suis étonnée que l’on
s’inquiète. Les gens ont des identités composites mais on peut aussi à un moment donné faire partie
d’un groupe. Les sifflets de la marseillaise cela n’a rien a à voir avec l’Islam. Ce n’est pas une question
religieuse. Ce sont des français d’origine algérienne qui ont sifflé. Michel Platini avait dit que cela
s’était aussi produit dans les années 80 mais que la différence c’était que les hommes politiques s’en
étaient emparés pour lui donner du sens et on a voté dans la foulée le délit d’outrage qui n’existait
pas auparavant. C’est basé sur l’idée que des citoyens seraient potentiellement des traitres à la
nation et que dès lors qu’ils manifestent une posture critique par rapport à celle-ci, ils doivent être
sanctionnés. C’est en fait une demande de gratitude qui a été créée et qui pèse de manière plus
lourde sur les gens d’origine étrangère plus que sur les autres. On a eu tort de percevoir ces gens
comme extérieurs à la nation ou comme d’éternels arrivants. Il y aurait aujourd’hui des français
pleinement français et d’autres sous conditions que l’on peut déchoir de la nationalité. On arrivera à
vivre ensemble quand on considérera tous les français de manière égale et quand on cessera d’en
considérer certains comme d’éternels arrivants et que l’on aura compris que les gens ne veulent pas
autre chose que de vivre comme les français. Je comprends que l’on puisse s’inquiéter du retour au
religieux mais l’affichage ce n’est pas du prosélytisme.
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